Yvelines (78)

Un groupe de travail sur l’évaluation des risques psychosociaux et la qualité de vie au TJ de Versailles

Publié le 15/03/2023

Durant l’audience solennelle du tribunal judiciaire de Versailles (78), Maryvonne Caillibotte, procureur de la République, a parlé du « quoi qu’il en coûte » pour les magistrats et les fonctionnaires pour faire fonctionner l’institution judiciaire. L’année dernière, la situation était déjà particulière du fait d’une tribune signée par 3 000 magistrats pour alerter sur les conditions de travail dans le monde de la justice. Le président du TJ de Versailles, Bertrand Menay et le procureur avaient décidé de lancer un groupe de travail pour recueillir l’expression, le ressenti et les idées du personnel de la juridiction. Les travaux se sont déroulés durant l’année et ont abouti à une soixantaine de propositions dans plusieurs domaines. Maryvonne Caillibotte et Bertrand Menay reviennent sur cette expérience et sur le quotidien de la juridiction versaillaise.

Actu-Juridique : Lors de l’audience solennelle de 2022, vous aviez dit qu’au tribunal judiciaire de Versailles « ce n’était pas l’enfer mais ce n’est pas non plus le paradis ». Ce constat s’est-il confirmé durant l’année ?

Maryvonne Caillibotte : C’est un lieu normal. Si ce n’est ni l’enfer, ni le paradis au tribunal judiciaire de Versailles, nous sommes donc sur un juste milieu. Les personnes travaillent dans des conditions que nous essayons toujours d’améliorer. Les magistrats et les fonctionnaires apprécient de travailler ici. Simplement, avec le président, nous avons à cœur de veiller sur le quotidien de la juridiction. Nous sommes particulièrement attentifs aux conditions matérielles, à la qualité de notre travail et de ce que nous proposons aux justiciables. Nous ne restons jamais immobiles et nous essayons en permanence de trouver des simplifications plus ou moins ambitieuses sur le travail au sein de la juridiction et sur le positionnement des justiciables.

Bertrand Menay : L’année dernière, nous étions dans un contexte particulier. Il y avait eu la tribune des 3 000 magistrats parue dans la presse en novembre 2021. Cette publication montrait le monde de la justice comme quelque chose qui pouvait ressembler à l’enfer sur la charge de travail. Cette tribune parlait de personnes qui viennent au travail avec la boule au ventre, sans espérance, sans visibilité et une charge d’activité écrasante. D’une certaine manière, ce n’était pas et ce n’est pas aujourd’hui totalement faux. Mais c’était peut-être un peu exagéré, dans la manière dont nous pouvions le ressentir. En tant que chefs de juridiction, nous n’en n’avions pas une perception aussi forte sans être dans un monde idyllique ou au paradis. Effectivement, il fallait améliorer les conditions de travail, réfléchir au sens de notre métier, questionner le rôle du juge et le temps pour remplir ses missions.

Actu-Juridique : À la suite de ce constat, il y a un an, vous avez constitué un groupe de travail avec les magistrats et les fonctionnaires du tribunal judiciaire de Versailles. Quel bilan faites-vous des échanges ?

Bertrand Menay : Dans le monde judiciaire, nous avons été secoués par l’expression très forte de la tribune dite des 3 000 magistrats. Certains passages et interprétations nous ont interpellés en tant que chefs de juridiction. Un problème d’organisation du travail et de management était aussi pointé du doigt. Une partie de la tribune présentait la charge de travail écrasante comme une résultante de la pression mise par les chefs de juridiction, avec un management un peu trop brutal. Nous ne nous retrouvions pas dans ces propos. Nous n’avons jamais mis de pression sur les statistiques. Nous avons toujours priorisé les contentieux. Lorsque nous priorisons, nous avons conscience de ne pas pouvoir tout faire avec les moyens dont nous disposons. Personnellement, je n’ai pas signé cette tribune même si je suis d’accord avec une partie du constat exprimé dans cette publication. En revanche, pour ne pas rester immobile face à ce mouvement et face à l’émoi exprimé au sein du tribunal judiciaire de Versailles, nous avons mis en place un groupe de travail. Avec le procureur, nous souhaitions avoir un éclairage plus précis et poussé des magistrats et des fonctionnaires de la juridiction.

Maryvonne Caillibotte : Effectivement, l’interpellation des chefs de juridiction sur leur incapacité à comprendre les attentes des magistrats et à adapter le travail nous a vraiment touchés. Le groupe de travail a été organisé et validé par la juridiction. Il a été vraiment pris en charge par les magistrats, dès sa création en début d’année 2022. Toutes les thématiques pouvaient être appréhendées. Rien n’a été exclu. Il y a eu des réunions. Des collègues ont été sondés à travers des questionnaires. Il y a eu des retours assez intéressants. Des comptes rendus ont été faits avant l’été dans les assemblées générales. Ce travail a abouti à 60 propositions dans de nombreux domaines. Nous les avons thématisées, en classifiant les éléments sur lesquels nous pouvions agir comme la vie de la juridiction, le confort, l’organisation, les équipements et les choses que nous devons faire remonter à la hiérarchie. Par exemple, il y avait des sujets à court terme concernant des bureaux rénovés, avec un chauffage et une climatisation qui fonctionnent. Nous avons eu aussi des demandes structurelles sur le management. Enfin, il y avait des thématiques, qui ne dépendent pas de nous comme le manque d’effectif global de la juridiction.

Bertrand Menay : Nous avons installé le groupe, en fixant un calendrier. Puis, les volontaires se sont réunis en dehors de notre présence et ont été libres sur la méthode. Nous leur avons ouvert toute la documentation dont ils avaient besoin. Des informations comme le budget ou la moyenne de la durée des audiences par exemple. Ils se sont approprié ce groupe de travail, en conduisant des entretiens. C’était un lieu de constat et d’expression. Finalement, les 60 propositions ont été assez riches. Avec madame le procureur, nous nous sommes aperçus du manque de relais ou de l’incompréhension de certains de nos messages. Certaines demandes étaient formulées alors que des mesures étaient déjà en place. Nous avons donc conclu que nous devions faire plus de pédagogie sur ces points.

Actu-Juridique : Quelle suite va être donnée à ces 60 propositions et à ce groupe de travail ?

Maryvonne Caillibotte : C’est un outil qui devait aboutir à des propositions. À partir de là, il y a des choses qui nous appartiennent de faire avancer à court terme au président et à moi-même, par des décisions prises au sein du comité de direction. D’autres demandes nécessitent encore du travail. Nous avons dégagé trois grandes thématiques, qui devront permettre de constituer des groupes de travail opérationnels en capacité de présenter des propositions concrètes pour la juridiction.

Bertrand Menay : En fait, mon prédécesseur, en lien avec madame le procureur, avait mis en place des groupes de travail qui ont cessé de se réunir avec la crise sanitaire. Au sein de la juridiction, il y avait notamment un groupe de travail sur la convivialité et l’animation, un groupe sur l’éco-responsabilité. Des lieux d’échange pour faire des propositions. Nous allons relancer ces groupes. C’est notre volonté. Puis, dans un mouvement parallèle, les chefs de la cour d’appel de Versailles ont mandaté un cabinet extérieur chargé de faire un recensement sur l’évaluation des risques psychosociaux et de la qualité de vie au travail. Le cabinet va venir dans notre juridiction pour animer un groupe de travail dont nous venons de désigner les représentants. Ce groupe va pouvoir relayer un certain nombre d’actions auprès de la cour d’appel.

Actu-Juridique : Avez-vous constaté chez les magistrats et les fonctionnaires du tribunal judiciaire de Versailles des cas de burn-out ou de détérioration de l’état de santé à cause du travail ?

Bertrand Menay : Cette question est difficile. Notre mission de manager est d’identifier ces phénomènes à travers plusieurs critères d’évaluation. Il y a les changements d’attitude, le repli sur soi, l’absentéisme, etc. Il peut y avoir des situations qui semblent fragiles et sur lesquelles j’ai une attention plus grande. Il n’y a pas de situation réelle de burn-out. Il y a des gens qui ont plus de mal et que nous accompagnons. Mais, la difficulté du manager est d’entrer un tant soit peu dans la vie de ses collaborateurs. Nous connaissons la vie privée à partir de ce que le collaborateur souhaite nous dire. Je me garde bien de trop questionner. Les changements d’attitude ou les arrêts peuvent mêler une part personnelle et une part professionnelle. La charge de travail a toute sa part. C’est à nous de le voir.

Maryvonne Caillibotte : Je partage ce constat. Il faut avoir beaucoup d’humilité sur la réalité de notre connaissance intime des collègues. Au sein d’un parquet, l’équipe est plus petite. J’ai un nombre de magistrats plus réduit par rapport aux collègues du siège. Nous avons des sections avec des personnes qui travaillent tout le temps ensemble. Forcément, même si les gens sont très discrets sur eux-mêmes, il peut y avoir des situations ou des signes qui sont perceptibles. Par rapport à cette configuration, je suis peut-être plus en capacité de percevoir ou d’avoir à connaître de situations problématiques. Je ne pense pas qu’il y ait de situation de burn-out caractérisée. Il peut y avoir des vies personnelles qui rendent les choses plus difficiles et qui font que paradoxalement, je constate que certains magistrats considèrent la vie professionnelle comme un moment presque de repos par rapport aux difficultés rencontrées à l’extérieur. Selon moi, la situation est saine à Versailles. C’est à nous de le vérifier et de mettre en place des relais.

Bertrand Menay : Pour aller plus loin, nous avons des dispositifs de médecine du travail, d’action sociale, d’aide psychologique avec des psychologues du travail. Nous avons aussi un psychologue clinicien qui peut traiter de cas individuels et des difficultés personnelles. Ces dispositifs existent dans la cour d’appel de Versailles et sont à la main des chefs de cour, à notre disposition. Nous nous en saisissons. Par exemple, dans un service, nous avons identifié des difficultés. Nous avons demandé l’intervention d’une psychologue du travail sur des problèmes relationnels pour redonner une fluidité dans la communication entre les personnes.

Maryvonne Caillibotte : Je voudrais insister aussi sur la manière dont nous accueillons les jeunes magistrats. Le drame qui s’était produit durant l’été 2021 concernait une jeune collègue. C’était le point de départ de la tribune des 3 000. Dans la juridiction de Versailles, l’accueil est vraiment très soigné et partagé entre le siège et le parquet. Ensuite, chacun s’occupe de ses troupes. Nous avons renforcé cet accueil au parquet notamment avec la mise en place de binômes. Chaque magistrat qui arrive au tribunal judiciaire de Versailles a un binôme, au sein de sa section. Il va être là pour le guider au sens physique du terme et l’accompagner sur l’apprentissage de la prise de décision, de la prise d’appel téléphonique, etc. Sur un plan plus macro, la cour d’appel a mis en place un système de tutorat. Un jeune magistrat qui sort de l’école a un tuteur au sein de la cour d’appel.

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