Vanessa Bousardo : « Les femmes attendent trop souvent leur tour »

Publié le 04/10/2024

À la tête du barreau de Paris depuis janvier dernier, le tandem formé par Pierre Hoffman et Vanessa Bousardo s’est donné pour mission de renforcer l’égalité au sein de la profession. Plusieurs dispositifs ont ainsi été pensés pour aider les femmes à conjuguer maternité et métier d’avocate. Le point avec Vanessa Bousardo, avocate en droit pénal et vice-bâtonnière.

Actu-Juridique : Pourquoi avoir mis la question de l’égalité au cœur de votre mandat ?

Vanessa Bousardo : Comme le monde de la justice dans son ensemble, la profession d’avocat est très féminisée. 57 % des avocats sont en réalité des avocates ! Pour autant, la place des femmes reste un enjeu prégnant. On pourrait penser que, comme nous sommes dans le monde juridique, leurs droits seraient acquis. Mais non ! Le plafond de verre existe. L’accès au partnership est en moyenne plus difficile pour elles, même si heureusement des contre-exemples existent. 30 % des femmes quittent la profession dans les 10 premières années de leur exercice. Ce chiffre est trop massif pour être le seul reflet d’aspirations personnelles. Il dit la difficulté des femmes avocates à trouver un équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Certes, la profession est exigeante, et l’équilibre difficile à trouver pour tous. Mais plus encore pour les femmes. En 2022, la commission harcèlement et discrimination du barreau de Paris (COMHADIS) avait fait un sondage révélant que la première discrimination vécue était liée à la question de la grossesse. Je ne voudrais pas avoir l’air de faire un constat misérabiliste de la situation des femmes avocates : de vraies personnalités émergent et sont citées comme modèles pour la qualité de leur défense et leurs compétences. Cependant, en moyenne, les femmes gagnent toujours moitié moins que les hommes. C’est rappelé chaque année à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, et cela perdure.

AJ : Plusieurs articles de presse ont récemment fait état des discriminations subies par les femmes avocates particulièrement au moment de leur grossesse. L’ordre fait-il le même constat ?

Vanessa Bousardo : En campagne, nous sommes allés sonder nos confrères et consœurs en nous rendant dans de nombreux cabinets. Nous avons visité tout type de structures, des plus petites aux plus grandes. Nous avons eu en effet de nombreux témoignages de consœurs qui avaient mal vécu la période de leur grossesse au sein de leur cabinet ou leur retour de congé maternité. C’est un sujet qui est beaucoup revenu. Il n’est pas acceptable d’entendre que des femmes sont remerciées alors qu’elles sont enceintes, reviennent dans des cabinets dans des conditions qui ne sont plus les mêmes ou sont les seules à ne pas être augmentées parce qu’elles n’auraient pas rempli leurs objectifs. Ces situations existent pourtant incontestablement, même s’il est difficile de savoir précisément dans quelles proportions.

AJ : Comment l’ordre traite-t-il les situations de discriminations ?

Vanessa Bousardo : La COMHADIS fait un travail essentiel : la personne qui a saisi la commission est reçue et peut s’exprimer dans un premier temps de manière confidentielle si elle ne souhaite pas être confrontée à la personne qu’elle dénonce. Si le plaignant veut aller plus loin, un débat contradictoire est engagé pour permettre à la personne accusée de s’expliquer. À son issue, la COMHADIS rend un avis. Mais les saisines restent encore trop limitées. D’après un sondage réalisé en 2021, seuls 3 % des avocats qui s’estiment victimes de discriminations vont les dénoncer. Pour certains confrères et consœurs, c’est un obstacle d’être identifié comme celui qui a dénoncé tel comportement. Peu de dossiers arrivent donc à l’ordre. Pour dépasser ce blocage, le conseil de l’ordre a voté pour mettre en place une ligne d’alerte éthique externalisée, sur le modèle de ce qui existe déjà dans certains grands groupes. Ce signalement externalisé donne la possibilité d’avoir un interlocuteur spécialisé tout en conservant son anonymat, du moins lors des premiers échanges, si cela est souhaité. Nous pensons ces échanges comme une voie d’entrée supplémentaire qui devrait contribuer à ce que plus de personnes concernées parlent. Quand vous pouvez mettre des mots, être écouté, cela peut vous aider à aller plus loin dans votre démarche. J’espère que cela aura pour conséquence de diminuer le risque de quitter la profession. Ce mode de saisine supplémentaire devrait être mis en place dans les tout prochains mois. Ces signalements, même anonymes, devraient permettre à l’ordre de récolter des informations, par exemple si plusieurs dénonciations reviennent au sujet du même cabinet. Ils seront traités par l’ordre et pourront rejoindre la COMHADIS ou les instances disciplinaires selon les cas.

AJ : Il se dit que le barreau pourrait ouvrir une microcrèche…

Vanessa Bousardo : Nous avons en effet un projet de crèche sur le modèle de ce qu’ont fait les barreaux de Bordeaux et de Marseille. Nous en sommes encore à la phase d’étude des besoins. Le barreau de Paris compte 34 000 avocats qui donnent naissance à 900 bébés par an. Une microcrèche serait donc très loin de suffire à combler les besoins de mode de garde dans la profession, mais cela permettra de poser un jalon, en espérant que les bâtonnats suivants en déploieront d’autres. Nous avons également le projet de créer un salon d’allaitement à la maison des avocats, qui sera inauguré à la fin du mois de septembre. Là aussi, c’est une mesure d’ordre symbolique, mais qui permet d’affirmer que la maternité n’est pas un sujet mineur et ridicule, et qu’il nous concerne tous.

AJ : Un autre projet est de suppléer les femmes enceintes en fin de grossesse…

Vanessa Bousardo : C’est en réalité plus large que cela. Nous avons été sensibilisés pendant la campagne par des confrères et consœurs, qui rencontraient des difficultés à se déplacer en cas de grossesse, mais également pour des raisons médicales. Nous avons pensé à créer un collectif, un pool d’avocats missionnés par l’ordre pour assurer les demandes de renvoi et les petits actes de procédure pour ces confrères et consœurs empêchés pour ces raisons spécifiques. Ce collectif pourra également s’avérer utile pour éviter aux consœurs en fin de grossesse de se déplacer. Le barreau mettra à leur disposition quelqu’un pour demander le renvoi d’un dossier. Ce projet est né avant l’été et nous en discutons désormais avec les juridictions.

AJ : En matière d’égalité, pensez-vous que les mentalités changent au sein du barreau de Paris ?

Vanessa Bousardo : Trop lentement à mon goût. Cela dit, nous avons été élus en portant des propositions fortes en matière d’égalité. Cela signifie bien que le barreau y est sensible. Je crois qu’on peut faire bouger les mentalités par de petites actions qui, mises bout à bout, contribuent à faire bouger les lignes. Et par une intransigeance quand les faits sont étayés et caractérisés. À l’échelle de notre mandat de deux ans, nous essayons d’apporter notre pierre à un édifice essentiel dans la continuité de nos prédécesseurs qui se sont également engagés sur cette question. C’est une question fondamentale pour les personnes concernées bien sûr, qui ont fait des études, se sont impliquées et finissent parfois par quitter une profession qui les maltraite. Mais c’est également important pour la profession dans son ensemble, qui doit montrer qu’elle est attachée au traitement égalitaire entre les unes et les autres si elle veut rester attractive.

AJ : Vous êtes une femme, pénaliste, ancienne secrétaire de la conférence et désormais vice-bâtonnière du barreau de Paris. Quel conseil donneriez-vous à vos consœurs ?

Vanessa Bousardo : Il n’y a aucune de raison de s’empêcher et de s’autocensurer. Les femmes attendent trop souvent leur tour. Avant de faire un premier enfant, elles attendent d’avoir sécurisé leur place au sein de leur cabinet. Ensuite, souvent, elles n’osent pas prendre de responsabilités parce qu’elles ont des enfants en bas âge. Quand elles le font, leur choix est commenté. Je pense qu’il ne faut rien s’interdire, faire comme on le sent. Je me suis lancée dans la campagne pour le bâtonnat alors que j’avais un bébé d’un mois. Certains ont questionné ce choix, de prétendre à ces responsabilités à ce moment de ma vie. Mais personne ne se soucie des candidats hommes qui font campagne avec un bébé ! Pour les femmes, cela doit être pareil. Nous devons être les seules juges de notre évolution de carrière.

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