Véronique Lardé, empoisonneuse présumée et éternelle innocente
D’elle, il reste les photos d’une femme blonde au regard clair, et une réputation sulfureuse d’empoisonneuse de maris. Accusée de l’assassinat de son ex-époux, Véronique Lardé s’est pendue le soir du premier jour de son procès devant la cour d’assises de Saint-Omer en octobre 2016. Loïc Bussy, pénaliste au barreau de Douai, représentait la famille de la victime. De la colère et de la frustration, engendrées par l’absence de procès, il a tiré un livre sensible, L’Éternelle innocente, qui met en lumière les conséquences du suicide en prison des détenus. Rencontre.
Actu-Juridique : Que représente pour vous cette affaire Véronique Lardé ?
Loïc Bussy : J’ai un DEA de droit privé et j’adore travailler sur des sujets juridiques et techniques, mais le pénal s’est imposé à moi, un procès en appelant un autre. J’aime cette matière d’une manière un peu masochiste. Ce n’est pas naturel de se lever pour plaider aux assises pour un criminel. Il faut aller au plus profond de soi, parfois faire fi de ses valeurs, s’effacer pour porter la voix de celui ou celle qu’on défend. Cela a un coût psychologique et moral. Mais, au-delà des crimes, on défend des gens et c’est passionnant. Dans l’affaire Véronique Lardé, j’étais du côté des parties civiles. J’attendais beaucoup du procès. L’accusée niait les faits, et je voulais la confronter à ses dénégations, j’espérais que les zones d’ombre soient levées. Quand on défend les intérêts des personnes, on aime qu’il y ait un point final. Là, on ne pourra jamais le poser. Je me mets à la place des gens que je défends : c’est insoutenable. Cette histoire m’a obsédé. Je n’avais de cesse de penser à Frédéric et à sa famille.
AJ : Pour qui avez-vous écrit ce livre ?
Loïc Bussy : Ce livre est né d’une frustration et d’une colère face à ce procès qui n’a pas pu avoir lieu ! Je l’ai dédicacé à Frédéric. Il voulait être père, adorait les enfants et n’a pas eu le temps d’en avoir. Je voulais qu’il reste quelque chose de lui. On a toujours coutume de dire cela des morts, mais je pense que c’était vraiment quelqu’un de bien. C’était un ancien policier, et tous ses ex-collègues le décrivent ainsi. On a retrouvé son cadavre très détérioré au pied d’un cimetière militaire à Courcelles-le-Comte, au fin fond du Pas-de-Calais. Cette image m’était insupportable. J’ai écrit ce livre comme une sorte d’hommage. Je n’ai jamais eu l’intention de faire le procès post mortem de l’accusée, cela serait indécent. J’écris néanmoins que mon intime conviction est qu’elle était coupable.
AJ : Que disait le dossier de l’instruction ?
Loïc Bussy : Véronique Lardé avait fait des aveux circonstanciés avec des détails que personne d’autre ne pouvait connaître. Elle avait ainsi fait un schéma de l’endroit où reposait le corps, qui correspondait vraiment à la topologie des lieux. Elle était ensuite revenue sur ces aveux et à l’ouverture du procès, elle niait les faits qui lui étaient reprochés. Les indices convergeaient vers la culpabilité de cette personne. On a retrouvé du Fentanyl dans le corps de Frédéric, qu’elle seule était en capacité de se procurer. Son premier mari était mort dans des conditions suspectes, le second avait eu des symptômes laissant supposer une tentative d’empoisonnement. Néanmoins, d’un point de vue juridique, il n’y avait pas de certitude. Il n’y avait pas d’ADN, pas de scénario précis du déroulé des faits. Un acquittement était tout à fait possible, mes clients y étaient préparés. En revanche, ils n’étaient pas préparés à son suicide à l’issue du premier jour de procès.
AJ : Quels souvenirs gardez-vous de ce premier jour de procès ?
Loïc Bussy : Des experts étaient venus témoigner, ainsi que toute la famille de l’accusée. De toutes parts, c’était une litanie d’accusations et de reproches. Le père de Véronique Lardé avait déposé à la barre, avant de quitter la salle d’audience sans un regard pour sa fille. Moi, j’étais de l’autre côté et voyais le haut de son crâne. Je percevais que c’était terrible pour elle. Être devant une cour d’assises est forcément une épreuve, quels que soient les faits pour lesquels on comparaît et qu’on les ait commis ou non. Mais quand personne n’a un mot positif pour l’accusé, c’est une violence absolue.
AJ : Dans votre livre, vous vous adressez directement à Véronique Lardé. Qu’aviez-vous à lui dire ?
Loïc Bussy : J’ai écrit ce que je n’ai pas eu l’occasion de lui dire durant le procès. Elle se prétendait médecin alors qu’elle ne l’était pas ! Qu’elle ait menti, ait été une mauvaise épouse, cela m’est égal. Cela n’en fait pas une criminelle et je ne l’aurais pas accablée pour cela. Je sais qu’elle était une mère aimante. Pour ses enfants, elle aurait dû assumer ses responsabilités. J’ignore comment elle aurait réagi mais j’aurais essayé de le lui faire comprendre. Il y a toute une maïeutique à l’audience. Il peut se passer beaucoup de choses aux Assises, où les débats sont oraux. Des lignes allaient peut-être bouger. Par son geste, elle nous a privés de cela.
AJ : Le suicide de Véronique Lardé était-il prévisible ?
Loïc Bussy : On savait que le procès allait être très compliqué et que les débats seraient rugueux. Les faits étaient contestés, l’accusée avait une personnalité singulière. Surtout, il y avait eu au cours de la procédure des éléments avant-coureurs. On sait que, pendant la garde à vue, elle avait déjà simulé une tentative de suicide. Le dossier montrait également qu’elle avait vécu dans sa vie des épisodes de dépression et de mélancolie. Ces éléments permettaient de dire qu’elle était d’une certaine fragilité. Avec elle, on savait que le risque de suicide existait, évidemment. Quand le deuxième jour du procès, j’ai vu que le fourgon n’était pas là, j’ai eu un pressentiment. La présidente de la cour d’assises a dit que la première journée de procès lui avait paru normale. Mais moi, tout comme ma consœur en défense, étions d’un autre avis. Nous trouvions tous les deux que l’accusée était hors sol, absente. Les signaux étaient là, et pourtant, Véronique Lardé n’a pas fait l’objet d’une attention particulière. Elle est restée pendue de minuit à 6 heures du matin sans que personne ne s’en rende compte. Personne n’a ouvert l’œilleton pendant tout ce temps. Ce n’est pas normal…
AJ : Le risque de suicide est-il pris en compte par l’institution pénitentiaire ou judiciaire ?
Loïc Bussy : Il y a trois grands moments pour les détenus où le risque de suicide est exacerbé. D’abord, quand ils arrivent en détention : le choc carcéral est réel et la propension d’autolyse est alors importante. Deuxième période : le procès, qui crée une tension particulière. Tous les accusés ne sont pas équipés psychologiquement pour y faire face et peuvent essayer d’échapper à leur responsabilité en se suicidant. Troisième moment à risque : le post-sentenciel. Des accusés condamnés à de longues peines peuvent ne plus pouvoir se projeter dans l’avenir. En Belgique, ces moments à risque font l’objet d’une attention particulière. Des cellules spéciales sont aménagées avec des kits anti-suicide, la surveillance est accrue, un soutien psychologique est mis en place. En France, rien de tout cela n’existe. Résultat, en 2022, 235 personnes se sont suicidées en prison. Un détenu tous les deux jours. Pourtant, aucune mesure n’est prise, chacun se renvoie la balle. L’administration pénitentiaire estime qu’elle est en sous-effectif et n’a pas les moyens de surveillance nécessaires. La justice estime que la surveillance des prisons n’est pas de son ressort. Quant à l’opinion publique, elle considère que si ces gens sont en taule, c’est qu’ils ont fait du tort à la société et qu’elle n’a pas à s’en émouvoir. Qu’il y ait autant de suicides en prison en 2024 n’est pas acceptable. La prison doit préserver l’intégrité physique des gens qu’elle a sous sa garde. La justice ne peut être bien rendue que si la personne accusée est en capacité de bien se défendre, qu’elle arrive à son procès dans de bonnes conditions physiques et psychiques et accompagnée d’un professionnel de justice.
AJ : Comment vos clients ont-ils vécu le suicide de l’accusée ?
Loïc Bussy : C’est une onde de choc terrible. Ils ont déjà perdu un fils et perdent en plus l’opportunité de trouver des réponses à leurs questions. Elles les hantent aujourd’hui encore et resteront éternelles. Si le procès était arrivé au bout, peut-être n’auraient-ils pas eu de réponse à toutes leurs questions mais cela aurait pu être apaisant. Je ne crois pas qu’un procès permette de faire le deuil de quelqu’un qu’on aime. La peine reste là. Mais c’est un moment important qui peut permettre de tourner une page. J’ai accompagné des familles de victimes qui ont pu sortir d’une colère profonde quand la justice a été rendue de façon satisfaisante. La justice doit remplir son rôle de pacification sociale.
AJ : L’affaire Véronique Lardé a-t-elle, au-delà du fait divers, une portée sociétale ?
Loïc Bussy : Elle rappelle que les femmes ont la même capacité mortifère que les hommes. À l’époque où on parle de féminicide, le phénomène criminel féminin représente à peu près 4 % des affaires. Les différences d’éducation ont longtemps eu pour conséquence que les femmes ne passaient pas à l’acte mais ces barrières sociales tombent peu à peu. Et ce nombre augmente : de plus en plus de femmes comparaissent et sont condamnées par les tribunaux. En matière criminelle, les femmes sont les égales des hommes. La postface du psychiatre et expert judiciaire, Daniel Zagury, invite à déconstruire les idées que nous avons sur le phénomène criminel féminin. La pulsion criminelle s’exprime chez elles de manière plus contenue et plus sophistiquée que chez les hommes. Les meurtrières ne prennent en général pas d’armes à feu- à l’exception notable de Jacqueline Sauvage. J’ai ainsi défendu une femme qui avait fini par tuer son mari, qui la violentait, en lui faisant boire l’apéritif le soir de la Saint-Valentin. Personnellement, les femmes criminelles me passionnent.
Référence : AJU013i2