Xavier Bariani : « On ne peut pas s’improviser huissier de justice ! »
La profession de commissaires de justice est née en 2022 du rapprochement entre la profession d’huissier de justice et celle de commissaire-priseur judiciaire, deux métiers très anciens. Elle rassemble aujourd’hui près de 3 700 officiers publics et ministériels sous l’égide de leur ordre national, la Chambre nationale des commissaires de justice. Néanmoins, pour Xavier Bariani, représentant de cette nouvelle profession pour la cour d’appel de Versailles, la fusion est restée très théorique. Explications.
Actu-Juridique : La profession de commissaire judiciaire a deux ans. Quel bilan dressez-vous ?
Xavier Bariani : Hélas, il est difficile d’effectuer un bilan dans la mesure où force a été de constater l’absence d’exercice commun. Le mariage s’est fait au niveau des ordres, la fusion existe dans les textes mais, en pratique, chacun continue de faire son métier. Rien ne semble avoir été pensé en amont pour réunir ces deux professions dont les fonctions, la culture voire la sociologie apparaissent différentes. Environ 10 % des effectifs sont des ex-commissaires-priseurs judiciaires. Dans ma Cour, il existe une seule étude au sein de laquelle un ancien commissaire-priseur s’est associé à un ex-huissier de justice. Le législateur a tenté de réunir les habitués des cages d’escalier, des gardiens d’immeubles, de l’investigation au quotidien et ceux du monde de l’art et de l’objet ! C’est exactement comme si, de manière arbitraire, il avait été décidé de fusionner, par exemple, les métiers d’ambulancier et de kinésithérapeute ou ceux d’orthophoniste et de podologue…
AJ : Qu’est-ce qui sépare ces deux professions ?
Xavier Bariani : Décrire ce qui les réunit serait plus simple ! Car presque tout les distingue. Les supports d’exercice sont très différents. Le fonctionnement d’une étude de commissaire de justice nécessite en général un nombre conséquent de collaborateurs ainsi qu’un outil informatique coûteux et qui se doit d’être performant. En outre, entre 5 et 7 années d’étude de droit sont nécessaires à la bonne pratique du métier. S’agissant des ex-commissaires-priseurs judiciaires, il s’agit d’un mode de fonctionnement tout à fait autre, nécessitant, selon les structures naturellement moins de personnel occupé à des tâches administratives. Leur expertise est liée à une parfaite connaissance du monde de l’art en lien toutefois avec certaines procédures juridiques (vente d’actif mobilier dans le cadre de liquidation judiciaire ou de procédure de saisie mobilière). Le seul point de rapprochement pourrait être celui du constat : l’ex-huissier de justice décrit une situation de fait et la couche dans un procès-verbal. Les ex-commissaires-priseurs judiciaires agissent de la sorte à l’occasion des prisées et des divers inventaires pour lesquels ils sont requis. Force est donc de constater que les missions essentielles des ex-huissiers de justice, à savoir la signification des décisions de justice et leur exécution ainsi que la tenue du service d’audience, étaient totalement exclues du ministère des ex-commissaires-priseurs judiciaires.
AJ : En quoi la sociologie de ces deux professions est-elle si différente ?
Xavier Bariani : L’étudiant en droit qui souhaite devenir commissaire de justice (ex-huissier de justice) a le profil classique du sujet qui a la volonté d’embrasser un métier juridique. À cet égard la question de la vocation peut se poser… S’agissant des ex-commissaires-priseurs, la notion de judiciaire n’étant qu’à la marge, leur goût pour les métiers de l’art est indissociable de leur choix professionnel. Ils tiennent le marteau avec enthousiasme, talent et parfois fantaisie, ce qui est aux antipodes de la rigueur et de l’austérité indissociable du métier des ex-huissiers de justice. Enfin, la formation des ex-commissaires-priseurs judiciaires, qui passent par les beaux-arts ou l’École du Louvre, en fait des professionnels qui exercent leur métier avec qualité et compétence dans un domaine bien défini et encadré.
AJ : Comment se sentent les anciens commissaires-priseurs judiciaires dans la profession de commissaire de justice ?
Xavier Bariani : Malheureusement, le fait d’avoir été associés à la profession d’ex-huissier de justice leur confère des missions de service public leur étant tout à fait étrangères notamment, l’obligation de tenir les audiences au sein des juridictions. Ils se trouvent dès lors confrontés à un réel dépaysement : rien de commun entre une salle des ventes et une salle d’audience ! Le costume judiciaire leur est parfois bien difficile à porter. Au sein de notre Cour, des dispositions ont été prises afin que les services d’audience soient assurés sans contrainte majeure pour les ex-commissaires-priseurs judiciaires.
AJ : Pourquoi ces professions ont-elles été réunies ?
Xavier Bariani : C’est la vraie question ! Je crains qu’il n’existe pas de réponse ayant un fondement juridique. En effet, le justiciable n’y trouve aucun intérêt, qu’il soit économique ou juridique. Le seul intérêt est sans doute d’enrichir mutuellement deux ex-professions si tant est qu’elles parviennent à acquérir les formations nécessaires pour exercer deux métiers que tout sépare à l’exception des ventes judiciaires, que l’ex-huissier de justice avait la faculté de pratiquer sous l’empire des textes anciens. La notion de compétence professionnelle est au centre du sujet car elle engage la question essentielle de la responsabilité professionnelle. En effet, il est tout aussi difficile et délicat pour un ex-huissier de justice d’effectuer une juste prisée, c’est-à-dire d’estimer la valeur d’un objet mobilier, que pour un ex-commissaire-priseur judiciaire de délivrer un acte de procédure en respectant le formalisme légal.
AJ : Qu’en est-il des nouvelles attributions dévolues aux commissaires de justice ?
Xavier Bariani : La réforme de la saisie des rémunérations témoigne de la confiance des pouvoirs publics envers la profession de commissaire de justice. Nous ne disposons pas encore des décrets d’application, de sorte que la répartition des rôles n’est pas à ce jour clairement définie. Dans l’immédiat, les ex-commissaires-priseurs judiciaires n’auront pas vocation à mettre en œuvre cette procédure sauf naturellement s’ils décident de basculer dans l’exercice de l’ex-métier d’huissier de justice. Précisons enfin que si d’aventure un ex-commissaire-priseur judiciaire trouvait un intérêt intellectuel ou pécuniaire à se tourner vers l’exécution des décisions de justice encore faudrait-il qu’il soit mandaté à cette fin. Ici se posera donc la notion d’opportunité du mandat.
AJ : Comment voyez-vous l’avenir de la profession ?
Xavier Bariani : La profession évoluera parce que les techniques de communication changent et se modifient. L’une des missions des commissaires de justice est de garantir l’authenticité des actes et des procès-verbaux dont ils ont la charge de la transmission au justiciable. Certes, le législateur a rendu possible la dématérialisation en autorisant la transmission par voie électronique, mais celle-ci reste entourée de précautions. Il est certain que la fonction de commissaire de justice en qualité de maître d’œuvre de l’exécution saura rester utile au sein de l’état de droit. Ce que l’on ignore aujourd’hui, ce sont les motivations dans les années à venir des étudiants. Choisiront-ils la profession de commissaire de justice, soucieux de faire respecter la loi ou leur choix sera-t-il guidé par le plaisir de proposer en vente publique des meubles, objets ou peintures qui feront le bonheur de leurs acquéreurs… Nul ne le sait !
Référence : AJU015o3
