Yvelines : Plongez dans l’univers du commandement de la gendarmerie des voies navigables !
Le commandement de la gendarmerie des voies navigables (CGVN) est implanté à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines (78). Depuis 2010, il assure l’animation et la coordination au niveau national de l’action des unités nautiques de la gendarmerie nationale. Des activités de sécurité pour lutter contre les infractions, les délits et les crimes commis dans les espaces aquatiques : fleuves, lacs, bassins ou encore étangs. La gendarmerie des voies navigables a connu une évolution constante. La dernière en date : l’installation de la section de recherche de la gendarmerie des voies navigables dans des locaux à Triel-sur-Seine, dans les Yvelines. Le lieutenant-colonel Jean-Pierre Digregorio, commandant de la gendarmerie des voies navigables, revient sur l’histoire de l’unité qu’il dirige.
Actu-Juridique : Comment s’organise la gendarmerie des voies navigables ?
Jean-Pierre Digregorio : La gendarmerie des voies navigables est constituée de 14 brigades fluviales, 4 brigades lacustres et 1 brigade côtière (BN Martigues) en communauté de brigade avec l’une des quatorze brigades fluviales (BF Port Saint-Louis du Rhône). Par ailleurs, trois brigades fluviales sur le Rhin forment la compagnie fluviale franco-allemande de Kehl. Ces unités sont réparties sur les principaux bassins hydrographiques qui supportent une activité économique majeure liée au trafic fluvial. Elles sont composées de pilotes d’embarcations et/ou d’enquêteurs subaquatiques dont les compétences opérationnelles en matière de police administratives et judiciaires s’étendent aux eaux intérieures au sens de l’article L. 4000-1 du Code des transports. Pour diriger ces unités, le commandement de la gendarmerie des voies navigables (CGVN), basé à Conflans-Sainte-Honorine est organisé autour d’un état-major opérationnel chargé d’assurer à son niveau les fonctions de représentation des capacités nautiques intérieures de la gendarmerie nationale auprès des principaux partenaires institutionnels ou privés qui jouent un rôle dans le développement du secteur fluvial, ainsi que dans l’élaboration et l’application de la réglementation qui s’appliquent à ce milieu.
Actu-Juridique : Quelles sont les origines de la création de la gendarmerie des voies navigables ?
Jean-Pierre Digregorio : La Gendarmerie des origines, appelée « Maréchaussée », est une force instituée à la fin du XIIe siècle. Elle est compétente par l’intermédiaire de ses prévôts dans les seuls domaines de la justice et de la police aux armées en campagne. La Maréchaussée, devenue gendarmerie nationale à partir de 1791, reste étrangère aux préoccupations des navigations fluviales, hormis une compétence mineure à partir de 1798. La première reconnaissance d’un rôle sur la voie d’eau intérieure survient avec le décret du 1er mars 1854 d’abord, puis le décret du 20 mai 1903 qui vont respectivement initier et étendre le champ des compétences de la gendarmerie nationale.
Actu-Juridique : Quelles sont les différentes évolutions au cours du XXe siècle pour arriver jusqu’à la création d’un commandement de la gendarmerie des voies navigables ?
Jean-Pierre Digregorio : Compétente depuis 1854 sur l’ensemble des voies de communication, l’engagement de la gendarmerie sur la voie fluviale a été retardé par la présence d’autres acteurs de la sûreté déjà en responsabilité dans ce milieu : la Police et la Marine nationale. Un facteur va accélérer le mouvement durant la seconde moitié du XXe siècle : c’est l’extension de la qualité d’officier de police judiciaire aux personnels sous-officiers de la gendarmerie à partir de 1942. Historiquement, l’attribution de la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ) était limitée aux seuls officiers de gendarmerie. Durant la même année, un « centre de recherche sur la batellerie » est installé au sein de la brigade de gendarmerie départementale de Conflans-Sainte-Honorine. Les gendarmes de cette unité sont chargés de la tenue et de l’exploitation d’un fichier spécial relatif aux bateliers, dans le but de faciliter le contrôle social de leur mode de vie ambulatoire, notamment en cas d’investigations lors des enquêtes administratives, militaires ou judiciaires. Après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement s’accélère. Les premières brigades de gendarmerie départementale spécialisées dans les espaces nautiques sont établies au début des années 1960. À partir de ce moment-là, une professionnalisation des activités nautiques et subaquatiques de la gendarmerie va s’opérer. Plusieurs réformes juridiques, la mise en place de nouvelles unités et l’amplification des investissements financiers des années 90 jusqu’aux années 2000 vont aboutir à la création en 2010 du commandement de la gendarmerie des voies navigables. Cette reconnaissance professionnelle et institutionnelle qui s’est faite progressivement se fera même à l’échelle européenne. Depuis le 1er janvier 2020, le CGVN assure la direction du réseau européen AQUAPOL des polices fluviales et maritimes.
Actu-Juridique : Quelles sont les missions de la gendarmerie des voies navigables ?
Jean-Pierre Digregorio : Les missions de la gendarmerie des voies navigables sont principalement orientées vers les contrôles des flux et la sécurisation globale des espaces denses en termes de trafic fluvial. En matière de police administrative, les unités sont engagées dans la surveillance et le contrôle des activités nautiques comme la navigation professionnelle, sportive, de plaisance ou encore le transport de passagers et de marchandises. Les patrouilles veillent aussi au respect des mesures de sécurité des embarcations et à la protection de l’environnement aquatique. Concernant la police judiciaire, les plongeurs, qui sont qualifiés enquêteurs subaquatiques et techniciens en identification subaquatique, peuvent être sollicités pour rechercher, sous l’eau, toutes sortes de preuves et d’indices relatifs à une scène de crime. Pour des enquêtes criminelles complexes, la section de recherches de la gendarmerie nationale des voies navigables peut être saisie sur l’ensemble du territoire national. Dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale, le cas échéant, les missions peuvent se traduire par la surveillance des frontières sur les façades fluviales et lacustres. Ils recherchent aussi à acquérir des renseignements au profit des autorités civiles et militaires sur des activités suspectes ou hostiles susceptibles d’entraver les navigations ou d’affecter le fonctionnement de certains points d’importance vitale, comme la production d’électricité hydroélectrique ou nucléaire. Enfin, certaines opérations de secours peuvent être menées par nos unités sur un principe de subsidiarité.
Actu-Juridique : Quelle est la fonction de la section de recherches de la gendarmerie des voies navigables installée récemment dans de nouveaux locaux à Triel-sur-Seine ?
Jean-Pierre Digregorio : Pour la délinquance située dans le haut du spectre en milieu aquatique, nous avons dû développer une compétence judiciaire à travers une section de recherche de la gendarmerie des voies navigables. En 2012, nous avons créé une première cellule rattachée à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Nous nous sommes aperçus qu’il fallait passer à la vitesse supérieure avec la création d’une brigade de recherche entièrement dédiée aux voies navigables et disposant d’une compétence nationale. Elle pouvait intervenir sur tous les bassins hydrographiques à l’appui de toutes les unités fluviales ou lacustres. Mais, sur le plan judiciaire, cette unité restait limitée. La section de recherches est située à un échelon supérieur d’investigation. Outre le fait que ce type d’unité permet d’avoir une meilleure audience auprès des magistrats, l’appui d’une section de recherches permet aux gendarmes qui en font partie d’accéder à des formations très pointues qui autorisent par la suite la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquêtes, et notamment dans la lutte contre la délinquance financière. Lorsqu’ils ne sont pas saisis d’une affaire par le parquet territorialement compétent, le rôle des gendarmes qui composent cette unité consiste à appuyer et conseiller dans leurs investigations les brigades fluviales sur l’ensemble des bassins hydrographiques. Ils peuvent mener des enquêtes de tout type sur des crimes et des délits quand ils sont saisis. Enfin, ils peuvent aussi enquêter sur les accidents les plus graves de la navigation fluviale.
Actu-Juridique : Quel bilan faites-vous concernant l’activité du commandement de la gendarmerie des voies navigables ?
Jean-Pierre Digregorio : En moyenne chaque année, plus de 8 500 contrôles d’embarcations sont réalisés sur l’ensemble des bassins hydrographiques. Cette donnée comprend les bateaux de commerce, plaisance, passagers, habitat, pêche, matières dangereuses, déchets etc. Ce volume de contrôle moyen donne lieu à près de 6 000 infractions dressées annuellement, dont plus de 600 délits. De même, sur les 3 dernières années et en matière de missions subaquatiques, 3 222 plongées (capacité 112 plongeurs) ont été réalisées, dont près de 2 000 ont été consacrées à des investigations purement judiciaires et notamment sur certaines scènes de crime immergées. D’une année sur l’autre, les chiffres se maintiennent relativement. Sur l’ensemble des bassins hydrographiques, nous retrouvons le même volume d’activité.
Actu-Juridique : Comment pouvez-vous caractériser vos contrôles en milieu aquatique ?
Jean-Pierre Digregorio : La délinquance est saisonnière. Durant la saison estivale, les effectifs disponibles sont concentrés sur les activités de plaisance et sur les nuisances qui peuvent être commises sur l’eau. Quand vous entendez parler des rodéos urbains, nous avons les mêmes problématiques sur l’eau avec les jets skis. Quand les beaux jours reviennent, notre attention se porte sur la coexistence de toutes les circulations et les navigations sur l’eau. Notre objectif est d’avoir un minimum d’accident. En début de saison, un rappel de la réglementation est fait pour sensibiliser aux risques de la pratique de la navigation et des activités nautiques. Nous avons donc un œil particulier sur les activités de plaisance durant l’été en raison d’une pratique souvent amateure et ponctuelle qui mérite d’être guidée avec bienveillance ou nécessite des rappels à l’ordre, sans pour autant délaisser les autres activités fluviales habituelles qui se poursuivent. Sur le reste de l’année, nous recentrons notre attention sur le transport des marchandises, des matières dangereuses et les bateaux de transport de passagers. Nous avons aussi une compétence générale concernant les ports intérieurs. C’est le cas des zones portuaires de Gennevilliers ou de Porcheville-Limay où nous menons régulièrement des opérations de contrôles de conteneurs. Enfin, le respect des règles liées à l’habitat fluvial, ou encore les activités liées aux pêches nous concernent aussi.
Actu-Juridique : Qu’en est-il de l’activité de la gendarmerie des voies navigables en Île-de-France ?
Jean-Pierre Digregorio : Au sein de la brigade de Conflans-Sainte-Honorine, 11 gendarmes, dont 8 plongeurs, sont employés dans des activités de surface et subaquatique, à la fois sur un plan administratif ou judiciaire. Par exemple, l’établissement public administratif Voies navigables de France (VNF) peut nous contacter car un batelier a heurté un objet sous l’eau. Nos plongeurs vont vérifier quel est l’objet qui peut être responsable à terme d’un accident majeur de la circulation fluviale. Sous l’eau, il y a de nombreux véhicules délestés. C’est l’une des problématiques que nous rencontrons régulièrement en Île-de-France. Dernièrement, sur Crécy-la-Chapelle, en Seine-et-Marne, un véhicule immergé avec un corps sans vie a été remonté après que les investigations aient été réalisées sous l’eau. L’enquête est en cours, ce pourrait être un suicide ou une sortie de route malencontreuse, mais aucune piste n’est jamais écartée.
Actu-Juridique : En quoi votre activité en Île-de-France notamment sur l’axe de la Seine est-elle stratégique ?
Jean-Pierre Digregorio : En termes de volume, le bassin de la Seine est le plus important de France avec 22 millions de tonnes de marchandises transportée en 2021 par la voie d’eau (source VNF). C’est dans ce domaine plus de 40 % de l’activité du trafic fluvial national. Et ce chiffre est amené à progresser dans un proche avenir avec la mise en service à l’horizon 2030 du canal à grand gabarit Seine Nord Europe, mais aussi par la création de nouveaux grands ports intérieurs à Marquion (62) et à Achères (78). C’est près de 30 % de trafic supplémentaire qui empruntera la confluence entre l’Oise et la Seine à Conflans pour alimenter le bassin parisien. Dans ce domaine, le positionnement de la brigade fluviale de Conflans est en effet stratégique, car dans sa mission principale de contrôle des flux de navigation, les gendarmes de cette unité veillent en réalité à la sécurité et la sûreté des transports et participent ainsi au développement et à la pérennité de ce secteur d’activité.
Référence : AJU007c8