Certification des logiciels d’aide à la prescription médicale : quelles marges de manœuvre pour le législateur national ?
La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 7 décembre 2017, a reconnu la qualité de dispositif médical aux logiciels d’aide à la prescription médicale dès lors qu’ils comportent au moins une fonctionnalité permettant l’exploitation de données propres à un patient, aux fins notamment de détecter les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives. Cette qualification, fondée sur la finalité médicale du produit, met à mal l’obligation de certification imposée par le droit français pour ces logiciels qui, en tant que dispositifs médicaux pourvus du marquage CE, doivent pouvoir circuler librement au sein de l’Union européenne et pourrait avoir des conséquences sur d’autres obligations mises en place dans ce domaine.
Saisie par le Conseil d’État d’une demande de décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a eu, par un arrêt du 7 décembre 20171, à se prononcer sur la qualification des logiciels d’aide à la prescription médicale en tant que dispositifs médicaux.
Cette question s’est posée dans le contexte de l’obligation de certification des logiciels d’aide à la prescription imposée par le droit français.
En effet, l’article L. 161-38 du Code de la sécurité sociale donne mission à la Haute autorité de santé d’établir la procédure de certification des logiciels d’aide à la prescription médicale ayant respecté un ensemble de règles de bonne pratique et rend obligatoire une telle certification pour tout logiciel dont au moins une des fonctionnalités est de proposer une aide à l’édition des prescriptions médicales, certification qui est mise en œuvre et délivrée par des organismes accrédités. Le décret n° 2014-1359 du 14 novembre 2014 relatif à l’obligation de certification des logiciels d’aide à la prescription médicale et des logiciels d’aide à la dispensation, pris en application de cet article, rappelle cette obligation et dispose que le logiciel d’aide à la prescription médicale est certifié au regard d’un référentiel établi par la Haute autorité de santé et prévoyant des exigences minimales de sécurité, portant notamment sur l’absence de toute information étrangère à la prescription et de publicité de toute nature ainsi que sur sa qualité ergonomique ; des exigences minimales de conformité de la prescription aux dispositions réglementaires et aux règles de bonne pratique de la prescription médicamenteuse ; des exigences minimales d’efficience assurant la diminution du coût du traitement à qualité égale ; la prescription en dénomination commune internationale ; une information sur le médicament issue d’une base de données sur les médicaments satisfaisant à une charte de qualité élaborée par la Haute autorité de santé et des informations relatives au concepteur du logiciel et au financement de l’élaboration de ce logiciel.
Ce sont ces dispositions que contestait la société Philips France, qui commercialise notamment des logiciels d’aide à la prescription, et le Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem) qui regroupe des entreprises du secteur des dispositifs médicaux, dont la société Philips, au motif que, dans la mesure où certains logiciels d’aide à la prescription pouvaient être qualifiés de dispositifs médicaux, l’obligation de certification imposée par la France n’était pas conforme à la directive 93/42 du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux qui interdit aux États membres d’empêcher ou de restreindre la mise sur le marché ou la mise en service des dispositifs médicaux portant le marquage CE.
Le Conseil d’État a sursis à statuer et a posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne assez précise puisqu’elle ne concerne pas les logiciels d’aide à la prescription de manière générale mais uniquement ceux qui présentent au moins une fonctionnalité qui permet l’exploitation de données propres à un patient en vue d’aider son médecin à établir sa prescription, notamment en détectant les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, alors même qu’il n’agit pas par lui-même dans ou sur le corps humain.
Pour y répondre, la CJUE se fonde sur la définition du dispositif médical et plus particulièrement sur la finalité médicale (I)2. Ces éclaircissements sur la qualification ne sont pas sans soulever des questions quant à l’encadrement de ces produits (II).
I – Une qualification fondée sur la finalité médicale
Comme le signale la CJUE, la définition du dispositif médical par la directive 93/42 pose deux conditions pour qu’un produit puisse revêtir cette qualification : la finalité poursuivie et l’action exercée.
S’agissant de la finalité d’un dispositif médical, elle doit assez logiquement être une finalité médicale. En effet, l’article 1er, paragraphe 2, sous a) de la directive 93/42 prévoit qu’un dispositif médical doit être destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins, notamment, de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie. Par ailleurs, la définition du dispositif médical vise expressément le logiciel. La CJUE rappelle également que, pour qu’un logiciel puisse être qualifié de dispositif médical, il ne suffit pas qu’il soit utilisé dans un contexte médical mais il est nécessaire que sa destination soit spécifiquement médicale.
Précisons qu’en pratique, les logiciels proposés aux médecins se contentent rarement d’offrir une simple aide à la prescription. En médecine de ville, les logiciels d’aide à la prescription sont souvent intégrés par les éditeurs au sein de solutions informatiques complètes destinées à la gestion des cabinets médicaux. Il en va de même des logiciels proposés aux hôpitaux. D’où la précision que l’obligation de certification ne vaut que pour la fonctionnalité d’aide à la prescription.
La CJUE considère qu’un « logiciel qui procède au recoupement des données propres du patient avec les médicaments que le médecin envisage de prescrire et est, ainsi, capable de lui fournir, de manière automatisée, une analyse visant à détecter, notamment, les éventuelles contre-indications, interactions médicamenteuses et posologies excessives, est utilisé à des fins de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie et poursuit en conséquence une finalité spécifiquement médicale, ce qui en fait un dispositif médical au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 ». Elle distingue ce type de logiciels du « logiciel qui, tout en ayant vocation à être utilisé dans un contexte médical, a pour finalité unique d’archiver, de collecter et de transmettre des données, comme un logiciel de stockage des données médicales du patient, un logiciel dont la fonction est limitée à indiquer au médecin traitant le nom du médicament générique associé à celui qu’il envisage de prescrire ou encore un logiciel destiné à faire état des contre-indications mentionnées par le fabricant de ce médicament dans sa notice d’utilisation » et ne relève donc pas de la qualification de dispositif médical.
S’agissant de la condition tenant au mode d’action, la Cour écarte la question en se fondant sur l’intention du législateur européen. Selon elle, le fait qu’il ressorte de la définition que l’action « dans ou sur le corps humain » d’un dispositif médical ne peut être obtenue exclusivement par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme n’implique pas qu’un produit doive agir dans ou sur le corps humain pour pouvoir être qualifié de dispositif médical. On le comprend en effet aisément dans la mesure où cet élément de la définition vise avant tout à distinguer le dispositif médical du médicament qui agit nécessairement dans ou sur le corps humain.
La Cour fait donc primer la finalité sur le mode d’action pour les logiciels que le législateur a expressément ajoutés à la définition du dispositif médical lors de la révision en 2007 : « le législateur de l’Union a entendu se concentrer, pour qualifier un logiciel de dispositif médical, sur la finalité de son utilisation et non sur la manière dont est susceptible de se concrétiser l’effet qu’il est en mesure de produire sur ou dans le corps humain ».
Il est par ailleurs intéressant de noter que la Cour conforte son analyse en se référant aux lignes directrices de la Commission européenne relatives à la qualification et la classification des logiciels autonomes utilisés en médecine dans le cadre réglementaire des dispositifs médicaux publiées en 2012 et révisées en 20163 qui indiquent que constituent des dispositifs médicaux les logiciels qui ont été affectés par le fabricant à poursuivre dans leur usage l’une des finalités énumérées à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 et qui sont destinés à créer ou à modifier des renseignements médicaux, notamment par l’intermédiaire de processus de calcul, de quantification ou encore de comparaison des données enregistrées avec certaines références, afin de fournir des renseignements concernant un patient déterminé.
La Cour répond donc à la question préjudicielle qu’un logiciel dont l’une des fonctionnalités permet l’exploitation de données propres à un patient, aux fins notamment de détecter les contre-indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue, pour ce qui est de cette fonctionnalité, un dispositif médical, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42, et ce même si un tel logiciel n’agit pas directement dans ou sur le corps humain. Le critère réside donc dans l’exploitation des données du patient par le logiciel et dans le recoupement de ces données avec les données relatives aux médicaments à prescrire.
La conséquence de cette qualification de dispositif médical est qu’un logiciel qui a obtenu le marquage CE peut circuler librement dans l’Union sans devoir faire l’objet d’une procédure supplémentaire telle une nouvelle certification. Ceci ne concerne que la fonctionnalité qui répond à la définition du dispositif médical.
II – Un encadrement fragilisé
Bien que le Conseil d’État ne se soit pas encore prononcé, il y a fort à penser qu’il annulera les dispositions contestées du décret et que les dispositions législatives sur la base desquelles est intervenu le décret se retrouveront par voie de conséquence contraires au droit européen. Pour les logiciels d’aide à la prescription qui permettent l’exploitation, et non le seul stockage, des données relatives à un patient, une certification obligatoire par un organisme accrédité ne pourra logiquement pas être exigée, le marquage CE suffisant à la mise sur le marché.
On relèvera que l’Autorité de la concurrence, qui avait été saisie pour avis du projet de décret ayant donné lieu au décret du 14 novembre 2014, avait pris le soin de préciser que « dans l’hypothèse où les logiciels d’aide à la prescription et les logiciels d’aide à la dispensation entreraient dans le champ d’application de la directive 93/42, les logiciels marqués CE provenant des autres États membres devraient pouvoir être librement commercialisés sur le territoire français, conformément aux dispositions de la directive 93/42 »4.
Le législateur français pourrait être tenté de remplacer cette certification obligatoire par une certification facultative, comme elle l’était initialement dans le cadre de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie qui l’a introduite.
Des incitations de nature financières sont par ailleurs en vigueur dans le cadre de la convention médicale conclue entre l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux pour l’usage d’un logiciel d’aide à la prescription certifié. L’usage d’un logiciel certifié fait en effet partie des indicateurs de suivi permettant de bénéficier d’une rémunération complémentaire (sauf pour les médecins exerçant une spécialité disposant d’une offre restreinte de logiciels d’aide à la prescription certifiés).
L’exigence de la prescription en dénomination commune internationale que devait permettre le logiciel d’aide à la prescription afin d’être certifié, devrait être maintenue pour les prescriptions, même en l’absence de certification obligatoire pour le logiciel permettant de les éditer, dans la mesure où elle résulte d’une autre disposition de nature législative5, d’autant que le contenu de la prescription n’est pas encadré par la directive 2001/83 du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.
Si la certification ne peut être exigée au niveau national, on peut cependant regretter que des exigences minimales en termes de sécurité et de conformité de la prescription ne soient pas prévues au niveau européen. Il n’est en effet pas inenvisageable que des règles précises pour les dispositifs médicaux particuliers que sont les logiciels d’aide à la prescription soient définies via, par exemple, des lignes directrices ou des spécifications techniques communes. Ainsi, la prescription en dénomination commune internationale permet une meilleure circulation des ordonnances au sein de l’Union, l’absence de publicité s’inscrit dans les objectifs de sécurité poursuivis par la directive 2001/836.
La question se pose, par ailleurs, des logiciels d’aide à la dispensation pour lesquels il existe également une obligation de certification qui n’a pas été contestée. Ces logiciels permettent l’enregistrement d’une dispensation de médicament. Le référentiel de certification élaboré par la HAS impose notamment qu’ils détectent et signalent les contre-indications, les interactions médicamenteuses, les incompatibilités physico-chimiques, les allergies répertoriées dans le dossier du patient, les redondances de substances actives et les posologies journalières se trouvant en dehors des posologies prévues par l’autorisation de mise sur le marché. Ainsi, il n’est pas exclu que ces logiciels puissent eux aussi être qualifiés de dispositifs médicaux dans la mesure où certaines fonctionnalités, et notamment les contrôles de sécurité relatifs aux allergies ou aux autres médicaments dispensés – et ce d’autant plus si le logiciel est interfacé avec le dossier pharmaceutique du patient –, permettent l’exploitation de données propres au patient.
De la même manière, l’obligation de certification vient d’être étendue aux logiciels d’aide à la prescription des dispositifs médicaux et prestations associées. En fonction des données traitées par ces logiciels, la qualification de dispositif médical n’est pas exclue ; on aurait donc un logiciel d’aide à la prescription des dispositifs médicaux qui serait lui-même un dispositif médical.
L’obligation de certification s’opposerait pour ces deux types de logiciels aussi au principe de libre circulation des dispositifs médicaux repris dans le règlement qui a remplacé la directive 93/42 et entrera prochainement en application. À cet égard, il convient de préciser que la solution ne devrait pas être différente sous l’empire du règlement, la définition du dispositif médical n’étant pas modifiée sur ce point.
Se pose enfin la question du maintien de l’agrément des bases de données médicamenteuses destinées à l’usage des logiciels d’aide à la prescription. En effet, les logiciels d’aide à la prescription sont adossés à des bases de données qui comportent des informations sur les médicaments. Ces bases de données sont en pratique éditées par des opérateurs différents des éditeurs de logiciels d’aide à la prescription. Le législateur a confié à la Haute autorité de santé la mission d’agréer ces bases de données sur la base d’une charte qualité qu’elle élabore. La charte qualité des bases de données médicamenteuses ainsi élaborée par la Haute autorité de santé prévoit notamment certains critères de qualité : exhaustivité des informations, organisation de l’information sur le médicament, neutralité, exactitude, fraîcheur des données. La Haute autorité de santé a agréé plusieurs bases de données. Or il n’est pas certain que cet agrément puisse continuer à exister sans l’obligation de certification. Et si tel était le cas, bien que les bases de données médicamenteuses ne revêtent certainement pas par elles-mêmes la qualification de dispositif médical, l’exigence qu’un logiciel soit adossé à une base de données agréée, indépendamment d’une obligation de certification, pourrait être considérée comme une exigence qui vient s’ajouter à celles du marquage CE.
Quoi qu’il en soit, l’arrêt de la CJUE vient démontrer, s’il en était besoin, l’importance que peut revêtir la qualification d’un produit en tant que dispositif médical pour son régime juridique.
Notes de bas de pages
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1.
CJUE, 7 déc. 2017, n° C-329/16.
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2.
Précisons que cette directive a été remplacée par un règlement qui entrera en application le 26 mai 2020 et qui reprend dans l’ensemble cette définition (Règl. (UE) n° 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) n° 178/2002 et le règlement (CE) n° 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE).
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3.
« Guidelines on the qualification and classification of stand alone software used in healthcare within the regulatory framework of medical devices », Meddev 2.1/6.
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4.
Avis n° 14-A-15 du 9 octobre 2014 relatif à un projet de décret concernant l’obligation de certification des logiciels d’aide à la prescription médicale et des logiciels d’aide à la dispensation prévue à l’article L. 161-38 du Code de la sécurité sociale.
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5.
CSP, art. L. 5121-1-2.
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6.
Sur l’absence de publicité, v. not. pts 25 à 29 de l’avis de l’Autorité de la concurrence précité.