Droit des produits de santé : bilan 2015

Publié le 08/08/2016

Ce panorama annuel du droit des produits de santé présenté par les chercheurs du Centre de recherches Droit privé et Droit de la Santé (EA 1581) de l’université de Paris VIII-Paris Lumières souligne les points importants de l’année 2015 au plan national et européen en fonction du contentieux et avis des thèmes sélectionnés : définition du médicament, autorisation de mise sur le marché, propriété industrielle et médicaments, concurrence, responsabilité, recherche biomédicale…

Cass. crim., 8 juill. 2015, no 14-83624

CAA Paris, 30 juill. 2015, nos 14PA04146, 14PA04082 et 14PA04083

A. 20 avr. 2015, constatant l’entrée en vigueur des dispositions des articles R. 5125-70 et R. 5125-74 du Code de la santé publique relatives au logo commun devant figurer sur les sites internet de commerce électronique de médicaments

A. 19 août 2015, relatif à la prise en charge d’une spécialité pharmaceutique bénéficiant d’une recommandation temporaire d’utilisation et pris en application de l’article L. 162-17-2-1 du Code de la sécurité sociale

ANSM, 8 déc. 2015, portant interdiction de la poursuite d’une recherche biomédicale

I – Définition du médicament

Baume du Tigre : une rupture dans la continuité (Cass. crim., 8 juill. 2015, n° 14-83624). L’arrêt rendu le 8 juillet 20151 par la chambre criminelle de la Cour de cassation a ceci de singulier qu’il parvient à être en tous points conforme à sa jurisprudence bien assise sur la définition du médicament, tout en prenant le contrepied de sa décision du 17 novembre 20042. Dans ces deux espèces, il était reproché aux prévenus un délit douanier consistant en l’importation d’un produit dénommé « Baume du Tigre », sans autorisation de l’Agence du médicament (à l’époque l’Afssaps3, aujourd’hui dénommée ANSM4). L’enjeu du litige était de savoir si ce produit était bien un médicament, condition de la caractérisation de l’infraction d’importation en contrebande de marchandises prohibées.

On rappellera qu’aux termes de l’article L. 5111-1 du Code de la santé publique, la définition du médicament est double ; un produit pouvant répondre à cette qualification juridique soit s’il se présente comme un médicament (on parle de médicament « par présentation »), soit s’il a véritablement pour fonction d’agir comme le ferait un médicament (on parle de médicament « par fonction »)5. Une jurisprudence fournie nous enseigne qu’il appartient au juge, pour déterminer si un produit répond à la qualification de médicament « par présentation », de raisonner par faisceau d’indices, en examinant si sa forme galénique, sa composition, sa posologie, ses précautions d’emploi, ou encore les allégations qui accompagnent sa diffusion laissent penser à un consommateur moyennement avisé qu’il est destiné à prévenir ou guérir un état pathologique. Pour apprécier si un produit répond à la qualification de médicament « par fonction », le juge a recours à une grille d’analyse multicritères, l’amenant à examiner notamment la composition du produit, ses propriétés, ses modalités d’emploi, l’ampleur de sa diffusion, la connaissance qu’en ont les consommateurs et les risques que peut entraîner son utilisation.

Avant de revenir sur cette décision du 8 juillet 2015 qui marque une réelle rupture dans la continuité, un retour onze ans en arrière s’impose. Le 17 novembre 2004, la chambre criminelle a rejeté le pourvoi de l’administration des douanes en validant le raisonnement de la cour d’appel de Douai, qui avait estimé que le produit Baume du Tigre ne répondait pas à la définition du médicament. Les juges du fond avaient, d’une part, considéré que le Baume du Tigre n’était pas un médicament au regard de sa présentation, en retenant qu’il n’était fait état sur son conditionnement que de propriétés visant à soulager les maux de tête ou la raideur des muscles ou articulations, mais aussi que la présence d’un tigre sur l’emballage n’invitait guère le consommateur moyennement avisé à croire qu’il était en présence d’un médicament. La cour de Douai avait d’autre part considéré que ce produit n’était pas un médicament au regard de sa fonction puisque, loin d’avoir un d’effet significatif sur le métabolisme, il n’avait pour objet que de soulager de manière temporaire et locale les raideurs musculaires ou les céphalées, sans se substituer aux anti-inflammatoires ou aux antalgiques, et sans qu’il présente de risque particulier. Cette décision inédite, non publiée au Bulletin, avait suscité l’étonnement de la doctrine6. Elle tranchait en effet avec les autres décisions de la Cour de cassation rendues en la matière et ne paraissait ni conforme à l’appréciation extensive du médicament par présentation prônée par le juge communautaire, ni satisfaisante du point de vue du médicament par fonction, puisqu’elle semblait exclure de cette qualification les produits destinés au soulagement des petits maux. Les décisions rendues par la suite par la Cour de cassation ont isolé davantage encore cet arrêt d’espèce7.

Plusieurs années plus tard, la cour de Rouen a été confrontée à son tour à la question de la qualification du produit Baume du Tigre, également dans le cadre d’un contentieux douanier. Un plaideur habile a dû invoquer au bénéfice du prévenu l’arrêt de la chambre criminelle de 2004, dont les juges normands se sont appliqués à reprendre la motivation, quasiment au mot près, se croyant dès lors à l’abri de la censure de la haute juridiction. L’observateur impertinent remarquera ainsi que les juges de Rouen ont recopié une motivation datant d’une décennie sans s’apercevoir que la définition du médicament avait été modifiée entre-temps (il est mentionné que le produit n’aurait pas d’effet significatif sur le « métabolisme » alors que depuis 2007 cette notion a été remplacée dans le code par celle de « fonctions physiologiques »).

Quoi qu’il en soit, saisie de cette motivation, la Cour de cassation devait donc opter entre l’orthodoxie de sa jurisprudence traditionnelle quant à la définition du médicament et la fidélité à son arrêt isolé de 2004. C’est donc dans le premier sens qu’elle a tranché, en cassant sèchement la décision des juges de Rouen, dans un arrêt qui lui non plus ne connaîtra pas les honneurs d’une publication au Bulletin. On ne doute pas que la cour de renvoi devrait se prononcer en faveur de la qualification de médicament par présentation (le produit faisant état des allégations suivantes : « pour le traitement symptomatique des douleurs musculaires, des foulures, des piqûres d’insecte, des démangeaisons et des migraines ») comme de celle de médicament par fonction (le produit étant notamment composé d’une substance aux propriétés vulnéraire, décontractante, décongestionnante et anti-inflammatoire établies, à une concentration quatre fois supérieure à celle présentant des risques pour les enfants). L’intérêt de la décision de la cour de renvoi résidera plus probablement sur le point de savoir si l’élément intentionnel de l’infraction est caractérisé en l’état de l’arrêt de 2004…

Jean-François Laigneau

II – Autorisation de mise sur le marché (AMM)

L’interprétation des dispositions relatives à l’autorisation de mise sur le marché suscite toujours un contentieux important au niveau européen. On rappellera que le régime juridique de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments à usage humain au sein de l’Union européenne était initialement déterminé par la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques8 et par le règlement (CEE) n° 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments9 avant le remplacement de ces dispositions par la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain10 et par le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une agence européenne des médicaments11.

A – AMM et médicament industriel

Deux catégories de médicaments sont bien distinctes (les spécialités pharmaceutiques et les préparations artisanales). Cette distinction conditionne l’application du droit de l’Union européenne en matière notamment de délivrance de l’AMM. Suite aux demandes de décision préjudicielle du Stockholms Tingsrätt (Suède), par un arrêt du 16 juillet 201512, la CJUE vient préciser le statut de deux médicaments de « médecine hospitalière » au regard de la directive 2001/83/CE et définir la notion de médicament industriel.

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 2, paragraphe 1, et 3, points 1 et 2, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain13, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 200414 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil15, ainsi que de la directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative16.

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant la Société Abcur AB à la Société Apoteket Farmaci AB dans l’affaire C‑544/13 et Abcur à Apoteket AB et Farmaci, dans l’affaire C-545/13, au sujet de la fabrication et de la commercialisation, dans la première affaire par Farmaci, entre le 30 octobre 2009 et le mois de juin 2010, du médicament Noradrenalin APL et dans la seconde affaire, par Apoteket et Farmaci, entre le 15 novembre 2006 et le mois de juin 2010, du médicament Metadon APL. Les deux médicaments, le Noradrenalin et le Metadon, respectivement destinés à soigner l’hypotension artérielle aigüe et la dépendance aux opiacés et utilisés en médecine hospitalière, ont pendant très longtemps été distribués en Suède sans faire l’objet d’une AMM. Dès lors que des AMM pour des substances actives contenues dans ces deux médicaments avaient été par la suite délivrées à un opérateur privé concurrent, s’est posée la question du régime juridique applicable à ces derniers et la question de savoir si les premiers médicaments pouvaient continuer à bénéficier de l’exonération d’AMM prévu par le paragraphe 2 de l’article 3 de la directive 2011/83.

La Cour précise le champ d’application des articles 2, paragraphe 1, et 3, points 1 et 2, de la directive 2001/83/CE, soulignant que les conditions de l’article 2 visent les médicaments à usage humain destinés à être mis sur le marché dans les États membres et préparés industriellement ou fabriqués selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel, ces termes désignant « toute préparation ou fabrication dans laquelle intervient un processus industriel » c’est-à-dire « par une succession d’opérations qui peuvent, notamment, être mécaniques ou chimiques, aux fins d’obtenir un produit standardisé, en quantités significatives ». L’interprétation extensive retenue par la Cour conduit à inclure les médicaments litigieux, produits à grande échelle et quand bien même ceux-ci ne seraient pas directement accessibles aux particuliers, dans le champ de la directive « médicaments ».

Selon la Cour, ces médicaments ne peuvent bénéficier de la dérogation visée à l’article 3, point 1, de cette directive, telle que modifiée, que s’ils ont été préparés selon une prescription médicale rédigée antérieurement à leur préparation, laquelle doit être réalisée spécifiquement pour un malade préalablement identifié. Il est rappelé que lesdits médicaments ne peuvent bénéficier de la dérogation visée à l’article 3, point 2, de la directive 2001/83, telle que modifiée par la directive 2004/27, que s’ils sont délivrés directement par la pharmacie qui les a préparés aux patients qu’elle approvisionne, ce qui semble conduire à l’inapplicabilité de l’article 3 pour leur commercialisation. La Cour prévoit qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si les conditions d’application de ces dispositions sont réunies dans les affaires au principal. Enfin, l’applicabilité de la directive 2001/83/CE n’exclut pas que les mesures de publicité relatives aux médicaments concernés puissent relever dans le même temps des dispositions de la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur.

B – AMM et médicaments orphelins

Les dispositions concernant la délivrance de l’AMM pour les médicaments orphelins suscitent elles aussi un contentieux et deux affaires montrent l’interprétation donnée aux dérogations prévues par l’article 8 du règlement n° 141/2000.

Dans la décision rendue le 22 janvier 201517, le Tribunal de l’Union européenne rappelle les règles de l’AMM, les spécificités du régime visant les « médicaments orphelins » et clarifie la notion de conditions d’exclusivité d’un médicament orphelin similaire à un autre médicament orphelin autorisé.

On rappellera brièvement qu’afin de favoriser le développement de traitements efficaces pour les patients atteints de maladies rares dans l’Union européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le règlement (CE) n° 141/2000, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins18. Ce règlement, entré en vigueur le 22 janvier 2000, introduit un système d’incitations visant à encourager les entreprises pharmaceutiques à investir dans la recherche, le développement et la mise sur le marché de médicaments destinés à diagnostiquer, à prévenir ou à traiter des maladies rares, dits « médicaments orphelins ». Le règlement n° 141/2000 prévoit des procédures spécifiques et distinctes concernant la désignation de médicaments en tant que médicaments orphelins, d’une part, et l’autorisation de mise sur le marché de ces médicaments, d’autre part. S’agissant de la désignation de médicaments comme médicaments orphelins, le règlement n° 141/2000 énonce, dans son article 3, les critères de désignation et prévoit, à son article 5, la procédure à suivre pour la désignation et la radiation de ces médicaments au registre communautaire des médicaments orphelins. L’article 5 du règlement n° 141/2000, fixe la procédure de désignation selon laquelle le promoteur soumet une demande à l’Agence européenne des médicaments, à tout stade du développement du médicament avant le dépôt de la demande d’autorisation de mise sur le marché. L’Agence vérifie la validité de la demande et prépare un rapport succinct à l’intention du comité des médicaments orphelins. Ensuite l’Agence transmet immédiatement l’avis définitif du comité à la Commission, qui arrête une décision dans les trente jours suivant réception de cet avis. La décision est notifiée au promoteur et est communiquée à l’Agence et aux autorités compétentes des États membres. Le médicament désigné est inscrit au registre communautaire des médicaments orphelins. L’article 8 du règlement n° 141/2000 prévoit que les médicaments orphelins pour lesquels une autorisation de mise sur le marché a été accordée bénéficient d’une exclusivité commerciale et la Communauté et les États membres s’abstiennent, pendant dix ans, eu égard à la même indication thérapeutique, d’accepter une autre demande d’autorisation de mise sur le marché, d’accorder une autorisation de mise sur le marché ou de faire droit à une demande d’extension d’une autorisation de mise sur le marché existante pour un médicament similaire. Par dérogation au paragraphe 1 et sans préjudice des dispositions du droit de la propriété intellectuelle ou de toute autre disposition de droit de l’Union, un médicament similaire peut se voir accorder une autorisation de mise sur le marché, pour la même indication thérapeutique, dans l’un des cas suivants : a) le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché du médicament orphelin initial a donné son consentement au second demandeur ou b) le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché du médicament orphelin initial n’est pas en mesure de fournir ce médicament en quantité suffisante ou c) le second demandeur peut établir, dans sa demande, que le second médicament, quoique similaire au médicament orphelin déjà autorisé, est plus sûr, plus efficace ou cliniquement supérieur sous d’autres aspects.

Le Tribunal de l’UE a rendu le 22 janvier 2015, sa décision dans l’affaire T-140/12 opposant Teva Pharma BV et Teva Pharmaceuticals Europe BV à l’Agence européenne du médicament (EMA). L’affaire concerne un recours en annulation à l’encontre d’une décision de l’Agence européenne du médicament (EMA) du 24 janvier 2012, portant rejet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché de la version générique du médicament orphelin imatinib mésilate, en ce qui concerne des indications thérapeutiques relevant du traitement de la leucémie myéloïde chronique.

Le second moyen posait la question de savoir si un médicament orphelin, ayant été considéré comme susceptible de procurer un bénéfice notable aux patients atteints d’une affection, par rapport à un médicament orphelin similaire déjà autorisé pour les mêmes indications thérapeutiques, peut bénéficier de l’exclusivité commerciale prévue par l’article 8 § 1 du Règlement (CE) n° 141/2000 lorsque sa mise sur le marché a été approuvée sur la base d’une des dérogations prévues par l’article 8, paragraphe 3, à savoir le consentement accordé par le promoteur du premier médicament, qui, en l’espèce, est aussi le promoteur du second médicament.

Les finalités et l’économie du règlement visant à encourager la recherche de traitements efficaces pour les patients atteints de maladies rares sont rappelées et le Tribunal apporte un certain nombre de précisions notamment sur les exclusions prévues à l’article 8 point 3 a) : un médicament similaire peut être lui-même un médicament orphelin ou un médicament non orphelin. S’il n’est pas orphelin, son autorisation de mise sur le marché n’impliquera aucune exclusivité commerciale découlant de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000. En revanche, si le médicament est lui-même un médicament orphelin, l’exclusivité commerciale décennale qui lui est accordée en vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000 ne saurait être raccourcie du fait qu’il existe un médicament orphelin dont la mise sur le marché a été autorisée pour les mêmes indications thérapeutiques et qui bénéficie d’une exclusivité commerciale pour ces indications thérapeutiques. De même, l’exclusivité commerciale de ce dernier n’est pas prorogée du fait de l’autorisation de mise sur le marché du deuxième médicament. Il s’agit de désignations en tant que médicaments orphelins et d’autorisations de mise sur le marché indépendantes, qui ont été accordées suivant des procédures séparées et déclenchant des périodes d’exclusivité commerciale distinctes, qui peuvent se chevaucher dans le temps. C’est en ce sens que doit être comprise la communication de la Commission relative au règlement n° 141/2000, invoquée par les requérantes. Il est important de souligner la bonne articulation entre les différents points de l’article 8 précité. Ainsi on relève qu’aucune prorogation de cette période d’exclusivité n’est prévue et la réduction de ladite période est limitée en application de l’article 8, paragraphe 2 du règlement n° 141/2000, aux situations dans lesquelles il est établi que le médicament en question ne réunit plus les conditions de l’article 3, paragraphe 1, du même règlement.

Le Tribunal rejette le recours et confirme la décision de l’EMA. Un pourvoi formé le 23 mars 2015 par Teva Pharma BV et Teva Pharmaceuticals Europe BV contre l’arrêt du Tribunal (sixième chambre) vient d’être rejeté par l’arrêt de la CJUE19.

Une autre affaire20 concerne une demande d’annulation partielle de la décision d’exécution C (2014) 2375 de la Commission, du 4 avril 2014, portant autorisation, dans des circonstances exceptionnelles, de mise sur le marché du médicament orphelin à usage humain « Cholic Acid FGK – Acide cholique » au titre du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, telle que modifiée par la décision d’exécution C (2014) 6508 de la Commission, du 11 septembre 2014, transférant et modifiant l’autorisation de mise sur le marché accordée dans des circonstances exceptionnelles par la décision C (2014) 2375 pour le médicament orphelin à usage humain « Kolbam – Acide cholique », en ce qu’elle indique, en substance, que la mise sur le marché de ce médicament est autorisée pour les indications thérapeutiques du médicament Orphacol, ou, à titre subsidiaire, une demande d’annulation de l’article 1er de cette décision,

En l’espèce, les Laboratoires CTRS avaient obtenu le 12 septembre 2013, l’adoption de la décision d’exécution C (2013) 5934 final accordant, conformément au règlement n° 726/2004, une AMM dans des circonstances exceptionnelles pour le médicament orphelin à usage humain « Orphacol – Acide cholique » par la Commission. L’annexe I de la décision d’exécution C (2013) 5934 final résume les caractéristiques du médicament Orphacol et indique les deux indications thérapeutiques pour lesquelles l’AMM de ce médicament est accordée.

Un concurrent la société FGK Representative Service GmbH avait soumis une demande d’AMM d’un médicament, dont le principe actif est également l’acide cholique et qui est également destiné à traiter des affections hépatiques rares, sous le nom commercial Cholic Acid FGK. La demande initiale d’AMM du médicament Cholic Acid FGK portait sur neuf indications thérapeutiques. À un stade précoce de la procédure d’autorisation, FGK a limité sa demande à cinq indications thérapeutiques, parmi lesquelles figuraient deux indications thérapeutiques semblables à celles du médicament Orphacol. Compte tenu de l’octroi de l’AMM du médicament Orphacol pour les indications thérapeutiques définies dans cette AMM et compte tenu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000, FGK a demandé l’application de la dérogation prévue à l’article 8, paragraphe 3, dérogation fondée sur la supériorité clinique, du règlement n° 141/2000de ce règlement. FGK a soumis un rapport sur la « similarité » entre le médicament Cholic Acid FGK et le médicament Orphacol à l’Agence européenne des médicaments (EMA). Le comité des médicaments à usage humain de l’EMA considérant que le médicament Cholic Acid FGK n’était pas cliniquement supérieur au médicament Orphacol s’agissant de ces deux indications thérapeutiques, s’est prononcé contre l’application de la dérogation fondée sur la supériorité clinique prévue à l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 141/2000. Au vu des conclusions du CMUH, FGK a limité sa demande d’AMM du médicament Cholic Acid FGK en ne visant plus les deux indications thérapeutiques qui étaient semblables à celles du médicament Orphacol. Le 21 novembre 2013, le CMUH a émis un avis favorable à l’octroi d’une AMM du Cholic Acid FGK pour les trois indications thérapeutiques restantes.

C’est dans ces circonstances que les Laboratoires CTRS ont écrit au président du CMUH pour lui faire part de leurs préoccupations concernant la formulation du résumé public de l’avis du CMUH relatif au médicament Cholic Acid FGK, estimant que la mention des indications thérapeutiques du médicament Orphacol entraînait un risque de contournement de l’exclusivité commerciale dont bénéficie ce dernier médicament, puis à l’EMA et à la Commission. Toutefois, la Commission adoptait la décision d’exécution C (2014) 6508, transférant et modifiant l’AMM accordée dans des circonstances exceptionnelles par la décision C (2014) 2375 pour le médicament orphelin à usage humain « Kolbam – Acide cholique » du Laboratoire FGK.

Considérant notamment que les affirmations de l’efficacité du médicament Kolbam pour les indications thérapeutiques du médicament Orphacol ou pour l’ensemble des erreurs congénitales de la synthèse des acides biliaires primaires, figurant dans le RCP et dans le rapport d’évaluation, sont susceptibles de favoriser les prescriptions hors indications (off-label) du médicament Kolbam pour les indications thérapeutiques du médicament Orphacol et donc d’entraîner un contournement de l’exclusivité commerciale dont bénéficie le médicament Orphacol et, partant, de priver d’effet utile l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 141/2000, le Tribunal fait droit à la demande des Laboratoires CTRS et annule la décision d’exécution C (2014) 2375 de la Commission, du 4 avril 2014.

C – Modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché

Le règlement (CE) n° 1234/2008 du 24 novembre 200821 concernant les modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humain et de médicaments vétérinaires entraîne une révision des dispositions relatives à l’AMM. Cette adaptation vient d’être réalisée par le décret n° 2015-709 du 22 juin 2015 relatif aux modifications d’une autorisation de mise sur le marché et d’un enregistrement de médicaments à usage humain et d’une autorisation de mise sur le marché de médicaments vétérinaires22. Il concerne les titulaires d’autorisations de mise sur le marché ou d’enregistrements, établissements pharmaceutiques, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

D – Période de protection réglementaire des données et AMM

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne23, dans l’affaire T 67/13 ayant pour objet une demande d’annulation de la décision d’exécution C (2012) 8605 final de la Commission, du 19 novembre 2012, accordant une autorisation de mise sur le marché conformément au règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil pour le médicament à usage humain Zoledronic acid Hospira –zoledronic acid, apporte des précisions sur la période de protection réglementaire des données.

Novartis avait obtenu une autorisation de mise sur le marché pour deux médicaments qui contiennent de l’acide zélodronique, « Zometa » et « Aclasta ». Suite à l’obtention par une concurrente Hospira, d’une AMM pour un médicament « Zoledronic acid Hospira » qui contient la même substance, Novartis conteste la régularité de cette attribution au motif que la période de protection réglementaire des données de Aclasta n’était pas échue.

On rappellera que le demandeur d’une AMM générique n’est pas tenu de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques s’il peut démontrer que le médicament est un générique d’un médicament de référence qui est ou a été autorisé depuis au moins huit ans dans un État membre ou dans la Communauté. Le dépôt du dossier générique pourra donc être fait à l’expiration d’une période de huit ans à compter de l’octroi de l’AMM du princeps. En revanche, le médicament générique ainsi autorisé ne pourra être commercialisé avant le terme de la période de dix ans suivant l’autorisation initiale du médicament de référence. En outre, une année de protection supplémentaire de l’ensemble des données peut être accordée, portant ainsi la période de protection globale de dix à onze ans, si le titulaire de l’AMM obtient pendant les huit premières années de ladite période de dix ans une autorisation pour une ou plusieurs indications thérapeutiques nouvelles qui sont jugées, lors de l’évaluation scientifique conduite en vue de leur autorisation, apporter un avantage clinique important par rapport aux thérapies existantes. La première AMM d’un médicament ainsi que toutes les autorisations subséquentes pour tout dosage, forme pharmaceutique, voie d’administration, présentations supplémentaires ainsi que pour toute modification et extension, sont considérées comme faisant partie d’une même autorisation globale. Ainsi, il n’y a pas de protection supplémentaire pour ces extensions24.

La requérante faisait valoir notamment que la décision autorisant la mise sur le marché de la quatrième présentation du Zoledronic acid Hospira (5 mg/100 ml, copie générique de l’Aclasta) est illégale parce qu’elle viole les droits à la protection des données dont elle bénéficie pour son médicament Aclasta, conformément à l’article 13, paragraphe 4, du règlement n° 2309/93, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 11, et l’article 89 du règlement n° 726/2004. La requérante soutient que l’Aclasta bénéficie d’une période de protection réglementaire des données de dix ans, ce qui implique qu’aucune demande d’AMM pour des médicaments génériques utilisant l’Aclasta comme médicament de référence n’aurait dû être acceptée avant le 15 avril 2015.

Le Tribunal relève que si l’AMM pour tout dosage, forme pharmaceutique, voie d’administration et présentation supplémentaires ainsi que pour toute modification et extension d’un médicament initial est incluse dans l’autorisation globale de mise sur le marché de celui-ci, l’octroi de l’AMM pour de tels développements ne donne pas lieu à une période de protection réglementaire des données indépendante. L’interprétation donnée à l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 telle que modifiée ne distingue pas entre un développement du médicament initial autorisé au moyen de la modification d’une AMM initiale et un développement du médicament initial autorisé au moyen de l’obtention d’une AMM et d’un nom distincts : dans les deux cas, le médicament original, de même que tout dosage, forme pharmaceutique, voie d’administration et présentation supplémentaires ainsi que toute modification et extension, qu’ils aient été autorisés par l’obtention d’une AMM et d’un nom distincts ou par inclusion dans les termes de l’AMM initiale, font partie de la même autorisation globale de mise sur le marché aux fins de l’application de la période de protection réglementaire des données. L’autorisation globale de mise sur le marché est ainsi définie au sens matériel et non d’un point de vue formel, ce qui signifie qu’une autorisation globale de mise sur le marché ainsi entendue peut englober plusieurs AMM distinctes d’un point de vue formel.

Le Tribunal rejette le recours considérant qu’il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que le cas d’espèce est précisément une situation visée par l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2001/83 telle que modifiée, puisque l’Aclasta constitue un dosage supplémentaire et une modification, consistant en de nouvelles indications thérapeutiques, par rapport au Zometa et doit donc être inclus dans l’autorisation globale de mise sur le marché de celui-ci. Il s’ensuit que le Zometa et l’Aclasta relèvent de la même autorisation globale de mise sur le marché aux fins de la période de protection réglementaire des données et que, partant, c’est à bon droit que la Commission a autorisé Hospira à se référer aux données figurant dans les dossiers d’AMM du Zometa et de l’Aclasta pour la demande d’AMM du Zoledronic acid Hospira.

E – Modification de plusieurs autorisations de mise sur le marché

L’arrêt rendu le 1er octobre 201525 concerne le montant des redevances dues pour la modification de plusieurs autorisations de mise sur le marché.

La demande de décision préjudicielle soulevée par le Conseil d’État italien porte sur l’interprétation de l’article 267 TFUE et de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 297/95 du Conseil, du 10 février 1995, concernant les redevances dues à l’agence européenne pour l’évaluation des médicaments26, tel que modifié par le règlement (UE) n° 273/2012 de la Commission, du 27 mars 201227. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Agenzia Italiana del Farmaco (AIFA) (Agence italienne des médicaments) à Doc Generici Srl au sujet du montant des redevances dues pour la modification de plusieurs autorisations de mise sur le marché. La question consiste à savoir si le Règlement (CE) n° 297/9528 pouvait permettre à une autorité nationale d’exiger, pour une modification de l’adresse du titulaire d’une AMM, le paiement d’autant de redevances qu’il y a d’AMM à modifier puisqu’en l’espèce un laboratoire italien avait notifié le changement d’adresse de son siège social à l’Agence des médicaments italienne qui lui avait demandé de régler 600 euros pour modifier son adresse sur chacune des AMM des médicaments qu’il commercialise. Selon la CJUE la question de la compétence d’une autorité nationale pour exiger, lors d’une modification de l’adresse du titulaire d’une AMM, le paiement d’autant de redevances qu’il y a d’AMM à modifier relève, dans le silence du législateur européen, de la compétence des États.

Hélène Gaumont-Prat

III – Propriété industrielle et médicaments

Les certificats complémentaires de protection (CCP) sont régis par le règlement n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 concernant les certificats complémentaires de protection pour les médicaments. Le texte laissant apparaître certaines zones d’ombre notamment sur l’article 3, la CJUE est régulièrement saisie de questions préjudicielles relatives à son interprétation29 comme en témoignent les trois décisions ci-dessous.

L’arrêt de la CJUE30 revient sur la notion de principe actif au regard du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (articles 1er, sous b), et 3, sous a) et b)). On rappellera que d’une part l’article 1 sous b définit le « produit » : le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament » et d’autre part l’article 3 sous a et b fixe les conditions d’obtention du certificat « a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur ; et b) le produit, en tant que médicament, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en cours de validité conformément à la directive 2001/83/CE ou à la directive 2001/82/CE suivant les cas ».

La CJUE a été saisie de deux questions préjudicielles par l’Oberster-Patent und Markensenat (Autriche), par décision du 28 août 2013 dans une affaire concernant une demande de CCP. En l’espèce, M. Forsgren, titulaire d’un brevet européen (EP0594610B1) portant sur la « Protéine D », a demandé en 2009 à l’Österreichisches Patentamt un CCP pour la protéine D. La protéine D est contenue dans un vaccin pneumococcique à usage pédiatrique dénommé « Synflorix ». Celui-ci dispose d’une AMM en vertu d’une décision C (2009) 2563 de la Commission, du 30 mars 2009, portant autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain. Cette demande a été rejetée au motif que la protéine D ne serait qu’un excipient. La chambre de recours de l’Österreichisches Patentamt a confirmé cette décision. M. Forsgren a introduit un recours auprès de l’Oberster Patent-und Markensenat (chambre supérieure des brevets et des marques) contre cette décision, soutenant que la protéine D a un effet thérapeutique propre et que des CCP auraient été accordés pour ce produit dans plusieurs États membres. L’Oberster Patent-und Markensenat estimant que l’octroi d’un CCP dépend uniquement de la question de savoir si la protéine D peut être considérée comme un principe actif du médicament Synflorix et si l’AMM du Synflorix couvre également la protéine D aux fins de l’application de l’article 3, sous b), du règlement n° 469/2009 a sursis à statuer et a posé à la Cour deux questions préjudicielles. S’agissant de la première question, la CJUE répond que les articles 1er, sous b), et 3, sous a), du règlement n° 469/2009 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, en principe, à ce qu’un principe actif puisse donner lieu à l’octroi d’un CCP lorsque ce principe actif est en liaison covalente avec d’autres principes actifs entrant dans la composition d’un médicament. S’agissant de la seconde question à défaut d’avoir obtenu une AMM en tant que médicament, un produit breveté ne peut donner lieu à l’octroi d’un CCP, l’article 3, sous b), du règlement n° 469/2009 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’octroi d’un CCP pour un principe actif dont l’effet ne relève pas des indications thérapeutiques couvertes par les termes de l’AMM. L’article 1er, sous b), du règlement n° 469/2009 doit être interprété en ce sens qu’une protéine vectrice conjuguée à un antigène polysaccharidique au moyen d’une liaison covalente ne peut être qualifiée de « principe actif », au sens de cette disposition, que s’il est établi que celle-ci produit un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques de l’autorisation de mise sur le marché, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier au regard de l’ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige au principal. L’affaire susvisée s’inscrit ainsi dans le droit-fil des jurisprudences précédentes31, tout en apportant quelques précisions nouvelles.

La CJUE a été saisie d’une demande de décision préjudicielle introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court) du Royaume-Uni et portant sur l’interprétation des articles 3 et 13 du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection (CCP) pour les médicaments32.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Actavis Group PTC EHF et Actavis UK Limited (ci-après, ensemble, « Actavis ») à Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. KG (ci-après « Boehringer ») au sujet de la validité du certificat complémentaire de protection obtenu par Boehringer pour le médicament MicardisPlus.

Le laboratoire pharmaceutique Boehringer a obtenu un brevet européen (UK) n° EP 0 502 314, le 20 mai 1998 couvrant un principe actif utilisé pour un médicament destiné à traiter l’hypertension et sur le fondement dudit brevet et d’une AMM délivrée le 16 décembre 1998 Boehringer a obtenu un premier CCP pour ce principe actif. Le 19 avril 2002 une seconde AMM ayant été délivrée pour une composition mêlant ce principe actif à un diurétique entré dans le domaine public depuis longtemps : le telmisartan et l’hydrochlorothiazide sont les seuls principes actifs dans le médicament vendu par Boehringer sous la marque MicardisPlus. Le laboratoire sollicita par la suite un CCP pour cette composition. Après modification du brevet de base pour y ajouter une revendication couvrant cette composition, un nouveau CCP composition, fut délivré, ce qui eut pour effet de paralyser le projet du laboratoire Actavis de commercialiser des médicaments génériques. Ce dernier contesta alors la validité du titre complémentaire au motif que la composition en cause n’était pas revendiquée dans le brevet de base, tandis que le laboratoire pharmaceutique Boehringer estimait, que la modification du titre obtenue avait, aux termes de la loi britannique, un effet rétroactif permettant de considérer que la composition était revendiquée dès l’origine.

Selon la Cour de justice, l’article 3, sous a) et c), du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un brevet de base contient une revendication d’un produit comprenant un principe actif qui constitue seul l’objet de l’invention, pour lequel le titulaire de ce brevet a déjà obtenu un certificat complémentaire de protection, ainsi qu’une revendication ultérieure d’un produit comprenant une composition de ce principe actif avec une autre substance, cette disposition s’oppose à ce que ce titulaire obtienne un second certificat complémentaire de protection portant sur ladite composition.

Enfin, l’arrêt de la CJUE33 apporte une clarification sur la notion de « date de la première AMM dans l’Union ».

La demande préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, la demande ayant été présentée dans le cadre d’un litige opposant Seattle Genetics Inc. à l’Office des brevets autrichien au sujet d’une rectification de la date d’expiration d’un certificat complémentaire de protection. Dans le cadre d’une demande de CCP, doit-il être tenu compte de la date de la première AMM dans l’Union ou de la date à laquelle l’autorisation a pris effet au regard du droit de l’État membre où la demande de CCP a été déposée.

Selon la Cour, il doit être tenu compte de la date effective de mise sur le marché de l’Union et la notion de « date de la première AMM dans l’Union » est définie par le droit de l’Union, au sens de l’article 13 paragraphe 1 du règlement (CE) n° 469/2009 et correspond à la date de notification de la décision portant autorisation de mise sur le marché à son destinataire et non à celle de l’adoption de ladite décision.

Hélène Gaumont-Prat

IV – Dispositif transparence

Suite aux recours du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) et de l’Association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes (Formindep), le Conseil d’État s’est prononcé, dans une décision du 24 février 201534 sur la légalité du décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme et de la circulaire N° DGS/PP2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l’application de l’article 2 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

À la suite de l’affaire du Mediator, un dispositif de transparence a été organisé par le législateur afin de mettre en place des procédures destinées à prévenir les conflits d’intérêts susceptibles de paralyser le fonctionnement du système de santé35. La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé dite loi Bertrand aux articles 1 à 4, a prévu une obligation de transparence des relations entre les industriels des produits de santé et les professionnels de santé qui se matérialise par un ensemble de déclarations à la charge des laboratoires de santé36.

Deux décrets n° 2013-414 et n° 2013-414 du 21 mai 2013 devaient permettre l’application de la loi Bertrand. Ces décrets étaient accompagnés par deux arrêtés et une circulaire de la ministre des Affaires sociales et de la Santé37. Toutefois, le second décret n° 2013-414 précisant les conditions de l’obligation de transparence des avantages et conventions entre les laboratoires et professionnels de santé avait suscité des interrogations car il excluait notamment de la publication les rémunérations des contrats entre professionnels de santé et firmes. Ces contrats avaient précisément été visés par le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales qui en dénonçait la « forte opacité »38. La circulaire susvisée était également objet de critiques.

Le Conseil de l’Ordre et l’association Formindep ont chacun saisi le Conseil d’État quant à cette réduction du champ de la loi. Par un arrêt du 24 février 2015, le Conseil d’État a partiellement fait droit à leur requête, en annulant certaines dispositions de la circulaire et du décret litigieux.

Le décret avait tout d’abord introduit une différence de traitement entre les industries de santé, car limitait l’obligation de publicité imposée aux entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage, aux seules « conventions relatives à la conduite de travaux d’évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales portant sur ces produits », restriction jugée illégale par le Conseil d’État.

Ensuite, le décret limitait le champ des conventions soumises à obligation de publication, en excluant les contrats ayant pour objet l’achat de biens ou de services par ces mêmes personnes aux entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé, interprétation jugée erronée par les hauts magistrats.

Enfin, l’arrêt a précisé l’interprétation de la notion d’avantages mal circonscrite par le décret et posé l’obligation de publier les rémunérations versées en contrepartie d’un travail ou d’une prestation de service, qui avait été écartés par la circulaire litigieuse, l’arrêt affirmant que l’interprétation de ces dispositions méconnaissait le sens et la portée de l’article 2 de la loi du 29 décembre 2011 qu’elles entendaient expliciter : « qu’en mentionnant les avantages en espèces, il a entendu inclure dans le champ de l’obligation qu’il instituait les rémunérations accordées par ces entreprises à des professionnels de santé et à d’autres acteurs du domaine sanitaire, à l’exception des rémunérations des professionnels de santé exerçant leur activité principale en qualité de salarié de l’une de ces entreprises ». Le Conseil d’État censurait ainsi une erreur d’interprétation de la notion d’avantage puisque toute rémunération extrinsèque (c’est-à-dire non salariée) doit être considérée comme un avantage pécuniaire.

Il s’agit donc d’une avancée majeure dans l’application du « dispositif transparence » voulue par la loi Bertrand de 2011 qui vient d’être confirmée par les dispositions de la nouvelle loi n° 2016-41 de modernisation de notre système de santé, du 26 janvier 201639 venant renforcer ce dispositif avec la déclaration des liens d’intérêts (CSP, art. L. 4113-13), la publicité des rémunérations (CSP, art. L. 1451-1 et CSP, art. L. 1451-3), la publication des conventions (CSP, art. L. 1453-1) et le renforcement de la loi anti-cadeaux.

Hélène Gaumont-Prat

V – Commerce électronique de médicaments et lutte contre médicaments falsifiés

Commentaire de l’arrêté du 20 avril 2015 constatant l’entrée en vigueur des dispositions des articles R. 5125-70 et R. 5125-74 du Code de la santé publique relatives au logo commun devant figurer sur les sites internet de commerce électronique de médicaments. Depuis le 1er juillet 2015, conformément aux articles R. 5125-70 et R. 5125-74 du Code de la santé publique, les pharmaciens offrant légalement à la vente à distance des médicaments au public doivent obligatoirement apposer un logo unique destiné à assurer la sécurité du patient en authentifiant la pharmacie sur laquelle ce dernier entend effectuer son achat.

Fin février 2016, plus de 321 sites internet d’officines françaises autorisés pour la vente de médicaments ont été recensés40. L’identification de ces sites internet autorisés est désormais garantie par la présence d’un logo commun à l’ensemble des pays membres de l’Union européenne. En effet, les autorités européennes ont décidé, en juin 2014, du design final du logo41 et des exigences techniques qui s’y attachent dans le but de garantir l’authenticité de ce dernier.

Concrètement, la démarche virtuelle du patient est simple. Il lui suffit, avant tout achat, de cliquer sur le logo présent sur la page d’accueil de ladite pharmacie et ainsi de vérifier sur les sites des autorités compétentes (via des liens hypertextes) l’existence légale du site sur lequel il se trouve grâce aux listes établies et dûment actualisées.

Force est de constater qu’un nombre important de sites internet autorisés n’a pas encore adopté le logo malgré l’obligation réglementaire du 1er juillet 2015.

Beaucoup plus grave, un des risques inhérents au commerce électronique du médicament est la contrefaçon. Internet présente de nombreux avantages pour les organisations criminelles, son caractère « volatile », sa discrétion et sa flexibilité constituent des facilités non négligeables pour le développement des réseaux illicites offrant à la vente directe au public des médicaments contrefaits et/ou falsifiés.

Internet apparaît ainsi être le vecteur privilégié de ce phénomène. En effet, les contrefacteurs de médicaments ont opté pour ce réseau de distribution facile à pénétrer, contrairement au marché physique des pharmacies françaises caractérisé par un monopole pharmaceutique qui a su sécuriser ses approvisionnements. Le crime organisé de la contrefaçon de médicaments a très vite compris que ses activités pouvaient être largement augmentées en utilisant le support internet.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans un communiqué du 26 mai 2012, a été catégorique quant aux conséquences de la mise en place du commerce électronique. Selon elle, les modes de distribution émergents tels que les ventes sur internet constituent une menace suffisamment sérieuse pour exiger des solutions spécifiques. En effet, les produits pharmaceutiques contrefaits et/ou falsifiés peuvent être réimportés sur les marchés principaux grâce à internet alors même que le système pharmaceutique français de distribution du médicament est suffisamment sécurisé pour empêcher les réseaux mafieux de le pénétrer.

Il apparaît manifestement que les réalités de fonctionnement du réseau internet sont mal prises en compte par l’ensemble des acteurs et il revient donc, par exemple, aux pharmaciens, dans leur mission de protection de la santé publique, d’étendre leur rôle au champ d’application de ce nouveau mode de distribution des médicaments que constitue l’internet et d’assurer aux patients-internautes une protection de santé publique et une sécurité maximales.

Les moyens de lutte contre la falsification et la contrefaçon du médicament n’ont jamais été aussi intenses et élaborés, comme en témoigne l’opération Pangea VIIII menée en juin 201542. Cette opération d’envergure mondiale visant les réseaux criminels à l’origine de médicaments contrefaisants ou falsifiés vendus par des pharmacies en ligne illégales a permis de saisir plus de 20 millions d’unités médicamenteuses illicites.

La participation de la société Google à l’opération Pangea démontre les liens étroits entre le secteur public et le secteur privé dans la lutte contre la falsification et la contrefaçon du médicament. Ces actions de lutte anti-contrefaçon s’organisent ainsi autour de la formation des différents acteurs via une coopération technique avec les douanes, la police, les autorités de santé et les industriels. Ne serait-ce que sur le seul plan économique, ces principaux acteurs doivent se sentir concernés.

Il appartient aux pouvoirs publics de traiter le problème de la contrefaçon en amont, principalement en informant et en éduquant le grand public43. En effet, ce dernier n’a pas forcément connaissance de la législation en vigueur et donc de l’existence d’un logo commun, a fortiori d’un logo en ligne et, de plus, il n’est pas toujours informé des risques sanitaires encourus par l’achat d’un médicament en ligne.

Face aux dérives constatées de la vente en ligne de médicaments, tous les acteurs présents dans le domaine de la santé publique se sont accordés sur la nécessité de campagnes de sensibilisation de grande ampleur afin d’informer les patients des dangers de recourir à l’achat de médicament sur internet via l’organisation de groupes de travail, de colloques, etc.

Il est primordial pour tous de comprendre les problématiques liées à la vente en ligne.

Le ton est donné avec une campagne de sensibilisation et de prévention sur le logo commun lancée par la Commission européenne44.

Une étude menée par Gordon, Forman et Siatkowski45 a soulevé le problème suivant : le fait de donner des informations au patient sur les dangers que soulève la vente en ligne de médicaments peut, par un effet pervers, lui faire découvrir la possibilité d’acheter des médicaments sur la toile et subséquemment induire un usage illégal et frauduleux d’internet.

Les interrogations soulevées par la nouvelle réglementation française en matière de commerce électronique de médicaments reflètent la difficulté à concilier les évolutions technologiques du commerce et les impératifs de santé publique.

De plus, comment peut-on garantir que le logo ne soit pas contrefait ? Ce système ne semble pas suffisant tout comme la réglementation de la vente en ligne d’une manière générale qui s’avère incomplète face aux nombreuses dérives déjà constatées.

Il est assez illusoire d’imaginer que le consommateur ira vérifier la légalité d’une pharmacie en ligne sur la liste mise à sa disposition mais dont il ignore même l’existence.

La réponse au développement de la vente en ligne et aux dangers inhérents à cette dernière ne peut se limiter au territoire national mais doit prendre une dimension internationale sous forme de coopération entre les différents acteurs (gouvernements, autorités de santé, groupes de patients, plates-formes e-commerce, services de paiement en ligne, etc.) et d’éducation du patient-internaute.

Marie-Fleur Vernerey

VI – Médicament et recherche biomédicale

Décision du directeur général de l’ANSM du 8 décembre 2015 portant interdiction de la poursuite d’une recherche biomédicale. Pour pouvoir être menée, une recherche biomédicale doit obtenir le double aval de l’ANSM46 et d’un CPP47. Une fois cet aval donné, ces deux instances conservent un certain pouvoir de contrôle sur le déroulement de la recherche, puisqu’elles sont par exemple destinataires des modifications substantielles envisagées ou des événements indésirables survenus. S’il s’agit d’un contrôle relatif de la part des CPP, il est bien plus étroit de la part de l’Agence, qui est responsable de la mise en œuvre du système de vigilance de l’essai. Ainsi, l’article L. 1123-11 du Code de la santé publique donne pouvoir à l’ANSM pour demander à tout moment au promoteur des informations sur la recherche, mais aussi pour demander que des modifications soient apportées à ses modalités de réalisation ou aux documents qui la concernent, voire pour la suspendre ou l’interdire.

La décision portant interdiction d’une recherche biomédicale rendue le 8 décembre 2015 par le directeur général de l’ANSM illustre ces pouvoirs de police sanitaire importants dont dispose l’Agence48. Une telle décision est rarissime et, à notre connaissance, il s’agit de la première fois que l’Agence interdit une recherche, ce qui invite à examiner son fondement.

La lecture de la décision prise par Dominique Martin nous apprend qu’un essai portant sur l’« utilisation de cellules souches mésenchymateuses de moelle osseuse autologue ensemencées sur scaffold résorbable pour cicatriser un défect du cartilage articulaire et l’arthose du genou » a été mené dans le Sud de la France par un médecin qui était à la fois le promoteur et l’investigateur de l’étude. Un rapport d’inspection de l’ANSM réalisé à l’été 2015 a révélé pas moins de cinq manquements graves à diverses dispositions du Code de la santé publique encadrant la conduite des essais cliniques. Premièrement, il apparaît que l’étude a été poursuivie au-delà de la date de fin déclarée et ce, sans autorisation de l’Agence. Deuxièmement, les règles visant à garantir le consentement libre et éclairé des patients ont été violées : certains formulaires de consentements n’étaient pas signés par l’investigateur, alors que des notes d’informations et des formulaires de consentement étaient erronés ou n’avaient pas été soumis au CPP. Troisièmement, il est impossible de s’assurer du consentement des patients à la collecte et à l’utilisation de leurs données de santé. Quatrièmement, l’investigateur a manqué à ses obligations relatives au recueil et à l’évaluation des données de sécurité, notamment en omettant d’évaluer des événements indésirables graves survenus et en s’abstenant d’en informer l’ANSM. Cinquièmement enfin, alors que l’assurance souscrite pour l’étude couvrait au maximum 50 patients, il a été établi que plus de 50 patients avaient été inclus.

Il faut rappeler que les règles visant à s’assurer de la protection des sujets de la recherche sont pour une large partie d’entre elles pénalement sanctionnées. Au regard de la gravité des manquements constatés par l’ANSM dans sa décision du 8 décembre, il est vraisemblable que l’Agence a alerté le procureur de la République. Les juridictions pénales pourraient donc avoir à connaître de cette affaire, ce qui pourrait alimenter une matière qui reste rare dans les prétoires49.

Jean-François Laigneau

VII – Contentieux, concurrence, produits de santé

A – Pratiques anticoncurrentielles visant à l’éviction de laboratoires génériqueurs

La cour d’appel de Paris a rendu le 26 mars 201550 un arrêt particulièrement intéressant concernant les stratégies déployées par certains laboratoires pharmaceutiques aux fins de limiter les conséquences de l’arrivée de médicaments génériques sur le marché. La décision permet de mettre en lumière dans quelle mesure ces pratiques peuvent excéder le libre jeu de la concurrence et le souci légitime de maintenir sa part de marché face à l’irruption d’un concurrent dans ce contexte particulier, dont on connaît l’enjeu pour les laboratoires. Confrontés à la perte de leur monopole d’exploitation et à l’arrivée de médicaments concurrents vendus à un prix moindre, ces derniers subissent une érosion parfois significative de leurs marges et sont donc tentés de tout faire pour y résister, au risque de négliger les interdits dressés par les règles de concurrence, qui ne conduisent pas à la seule sanction de l’auteur de pratiques d’entrave mais frappent encore celui qui participe à leur conception.

L’affaire en cause avait plus précisément trait à une entente verticale nouée par l’inventeur et détenteur des droits sur le médicament princeps Subutex®, à savoir le laboratoire Reckitt Benckiser, avec le laboratoire distributeur exclusif de ce médicament en France, la société Schering Plough, laquelle en détenait initialement l’autorisation de mise sur le marché sur ce territoire, avant que l’accord de distribution ne soit conclu en 1997. Face au risque d’arrivée de médicaments génériques sur le marché, un échange de correspondances est intervenu quelques années plus tard, à l’initiative du distributeur, afin de mettre sur pied un plan d’optimisation des performances destiné à retarder l’entrée des génériques sur le marché et à minimiser leur force de pénétration. Le distributeur avait ensuite mis en œuvre un tel plan, en se livrant notamment à des pratiques de dénigrement du médicament générique concurrent commercialisé par le laboratoire Arrow, et de fidélisation des pharmaciens d’officine par l’octroi de remises sans justification particulière autre qu’entraver l’accès des médicaments génériques du Subutex® sur le marché français. Ce plan revêtait donc les caractères d’une entente anticoncurrentielle par son objet, mais témoignait aussi d’un abus de sa position dominante par le distributeur, pratiques qui donnèrent lieu à une sanction prononcée par l’Autorité de la concurrence dans une décision de décembre 2013, et visant aussi bien le distributeur que le fournisseur du médicament. La cour d’appel de Paris était pour sa part saisie du recours en annulation formé à l’encontre de la décision de l’Autorité par le seul fournisseur, de sorte qu’elle n’avait à se prononcer que sur la participation de ce dernier à l’entente sur la stratégie commerciale précédemment exposée.

Il reste qu’en l’occurrence, l’entente ne pouvait précisément être totalement découplée de l’abus de position dominante parallèlement commis. À cet égard, le fournisseur considérait, sur le plan procédural, que l’action menée à son encontre était prescrite, le délai de cinq ans fixé par l’article L. 462-7 du Code de commerce ayant été selon lui dépassé dans la mesure où une période supérieure à cinq ans s’était écoulée entre le dernier acte constitutif de l’entente – une réunion ayant repris les différentes pratiques envisagées – et le premier acte d’instruction relatif à ce grief. Mais l’argument est rejeté par les magistrats. Rappelant que l’Autorité de la concurrence est saisie in rem de l’ensemble des faits et pratiques affectant le fonctionnement du marché concerné par la saisine, la Cour indique que dans l’hypothèse d’une connexité entre les pratiques comprises dans le champ de ladite saisine, la prescription peut être interrompue par tout acte d’enquête afférent aux pratiques globalement considérées. Or, pour la Cour, les pratiques en cause, quoi qu’elles fussent de différente nature, poursuivaient le même objet, consistant à entraver l’accès au marché d’un concurrent, de sorte que les faits ne pouvaient être prescrits.

Quant aux arguments de fond, le requérant s’efforçait là encore de minimiser son rôle dans les pratiques incriminées en invitant les juges à se concentrer sur le seul abus de position dominante commis par le distributeur. Il faisait ainsi valoir que les pratiques avaient été unilatéralement exécutées par ce dernier, ce qui était de nature à l’exonérer de tout grief, faute d’y avoir effectivement acquiescé. Le raisonnement ne convainc pas la cour, laquelle précise à juste titre que si l’exécution des pratiques, ainsi que les modalités de cette exécution, ont certes procédé d’une décision unilatérale du distributeur, cela n’exclut pas pour autant qu’un accord de volontés soit préalablement intervenu avec le fournisseur, accord qui suffit à caractériser une entente anticoncurrentielle par son objet. Or la stratégie d’entrave mise sur pied avait bien été élaborée en commun, ainsi que le révèlent les divers échanges intervenus entre les acteurs concernés, si bien que l’acquiescement du fournisseur à l’entente était bien identifié. Plus subtilement, ce dernier soutenait encore que l’objet anticoncurrentiel de l’entente ne pouvait résulter que de la mise en œuvre des pratiques unilatérales par le distributeur. Autrement dit, sans abus de position dominante effectif du distributeur, l’accord conclu avec celui-ci était dépourvu de tout objet anticoncurrentiel. Mais à nouveau, l’argumentation déployée ne trouve pas grâce aux yeux de la cour d’appel : l’éventuelle absence d’effet de l’accord – de surcroît bien exécuté au cas présent – n’était pas de nature à lui retirer son objet anticoncurrentiel, sachant que cet accord était bien préexistant aux pratiques abusives.

B – Annulation d’un arrêté portant sur la vente en ligne de médicaments

Les médicaments sont-ils des produits comme les autres, se trouvant par là même soumis au principe de libre circulation des marchandises ? Peuvent-ils, en particulier, être vendus en ligne sans aucune restriction ? La réponse à ces interrogations demeure sujette à controverse, et sera quoi qu’il en soit encore amenée à évoluer à l’avenir. Cela tient à la récente intervention du Conseil d’État sur le sujet, laquelle laisse un vide juridique qu’il conviendra de combler au plus vite. La Haute juridiction a en effet décidé de procéder à l’annulation de l’arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique51, annulation qui, bien qu’étant intervenue pour des raisons procédurales plutôt que de fond, impose aux pouvoirs publics de prendre à nouveau position sur un sujet décidément polémique.

Pour bien comprendre l’état de la discussion, il importe de revenir à la genèse du texte finalement annulé. Son point de départ réside dans un texte européen, plus précisément la directive du 8 juin 201152 tendant à garantir un niveau de protection élevé de la santé publique contre les médicaments falsifiés, et ce par l’institution d’un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, après que la CJCE eut, quelques années auparavant, admis la vente en ligne des médicaments non soumis à prescription médicale en condamnant les législations l’interdisant sur le terrain de la libre circulation des marchandises53. Parmi les différentes mesures édictées en ce sens, la directive s’efforce de lutter contre la vente illégale de médicaments au public via internet, qu’elle perçoit comme une menace majeure pour la santé publique. Elle fixe à cette fin les conditions minimales que les pharmacies en ligne doivent impérativement respecter pour être autorisées à recourir à la vente en ligne, spécialement le bénéfice d’une autorisation à délivrer des médicaments au public à distance conformément à leur législation nationale et la notification de certaines informations relatives à la vente à distance, auprès de l’État membre d’établissement. Au-delà, si elle impose aux États membres de veiller à ce que les médicaments soient bien offerts à la vente à distance, elle énonce en son article 85 quater que ces mêmes États sont dans ce contexte autorisés à « imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique ».

Il restait donc à déterminer si, dans le cadre de la transposition de cette disposition, la France ferait le choix d’une libéralisation large ou encadrée. Saisie pour avis, l’Autorité de la concurrence s’était exprimée en faveur de la première option54. Si elle admettait que les autorités sanitaires se voient reconnaître le pouvoir d’exclure de la vente en ligne les médicaments présentant des risques d’utilisation particuliers, elle plaidait de manière générale pour une limitation des dispositions susceptibles d’entraver cette vente en ligne. Le pouvoir exécutif opta cependant pour une autre voie dans les deux textes de transposition, soit une ordonnance du 19 décembre 201255 et un décret du 31 décembre 201256. Il s’est en particulier montré plus conservateur que de nombreux autres États membres dans le périmètre de libéralisation, en réservant la vente en ligne aux pharmaciens disposant parallèlement d’une officine (selon la logique du brick and mortar), et surtout en n’ouvrant cette dernière qu’aux seuls médicaments en accès direct au public (dits OTC), donc pouvant être disposés à portée de main des clients (soit quelque 400 médicaments tout au plus) et non à l’ensemble des médicaments non soumis à prescription médicale, alors même que la directive, dans sa disposition précitée, paraissait bien exiger l’ouverture de la vente en ligne à ces derniers. Immédiatement saisi en référé, le Conseil d’État avait par conséquent suspendu une telle disposition57, de telle sorte que le législateur fut contraint de remettre à nouveau l’ouvrage sur le métier pour entériner la distinction imposée par la directive, et permettre la vente en ligne de tous « les médicaments qui ne sont pas soumis à prescription obligatoire »58.

Cela étant précisé, l’article L. 5121-5 du Code de la santé publique issu de l’ordonnance de transposition prévoyait en son alinéa 4 que les bonnes pratiques de dispensation de médicaments par voie électronique devaient encore faire l’objet d’un arrêté ministériel. Adopté le 20 juin 2013, cet arrêté a très clairement été pris dans le souci d’encadrer autant que possible cette nouvelle activité strictement réservée, rappelons-le, aux pharmaciens titulaires d’une officine. Mais pareille démarche excédait pour partie la compétence du ministre, comme la haute juridiction administrative le révèle dans son arrêt du 16 mars 2015, rendu à la suite de sa saisine par trois pharmaciens. Alors même que son objet devait se concentrer sur les seules conditions de dispensation de médicaments vendus par voie électronique, l’arrêté prenait aussi soin de régir dans le détail le contenu et le fonctionnement du site de vente en ligne, en en précisant les modalités d’identification administrative et les règles techniques applicables, en fixant les données concernant la présentation des produits en ligne et leur prix, de même que les règles relatives à la protection et à la conservation des données, et en détaillant certaines règles spécifiques au commerce électronique de médicaments. Autant d’éléments qui devaient, pour leur part, faire l’objet d’un décret en Conseil d’État, aux termes mêmes de l’article L. 5125-41 du Code de la santé publique, de sorte que l’annulation de l’arrêté pour excès de pouvoir devenait inéluctable.

À court terme, les conséquences d’une telle annulation sont claires : le Conseil d’État n’ayant pas jugé nécessaire de limiter les effets de l’annulation prononcée, les pharmacies en ligne françaises, pour peu qu’elles soient pourvues d’une officine physique, ne se trouvent donc plus soumises aux nombreuses contraintes édictées par l’arrêté du 20 juin 2013, y compris celles qui relevaient bien de la compétence du ministre. Les pharmaciens qui ont ouvert un site de vente en ligne peuvent donc – pour l’heure – par exemple recourir à des tarifs promotionnels sur les médicaments vendus ou à certaines pratiques de publicité. La liberté est-elle pour autant absolue et durable ? Une réponse négative s’impose, mais dans une certaine mesure. Certes, les pharmaciens concernés doivent toujours se conformer aux conditions de principe énumérées par la directive, que l’on retrouve essentiellement reprises par l’article 3 du décret du 31 décembre 2012, toujours en vigueur, sans oublier les règles professionnelles auxquelles ils demeurent tenus. De surcroît, l’adoption d’un nouvel arrêté sur les points qui excédaient la compétence ministérielle n’est désormais plus qu’une question de temps59, depuis que la toute récente loi sur la modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 lui a ouvert la voie pour définir « les règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments relatives à la protection des données de santé, aux fonctionnalités des sites et aux modalités de présentation des médicaments »60. Pour autant, on ne saurait omettre que la liberté du ministre n’est pas absolue en ce domaine, tant elle doit également tenir compte des règles européennes, qui imposent de justifier toute condition imposée à la vente en ligne par une véritable considération de santé publique, et sur le bon respect desquelles le Conseil d’État n’a pas pris position dans son arrêt. La saga de la vente en ligne des médicaments est à n’en pas douter loin d’être achevée…

Edmond Schlumberger

VIII – Responsabilité

CAA Paris, 30 juill. 2015, n° 14PA04146, 14PA04082 et 14PA04083. Par trois arrêts en date le 31 juillet 2015, la cour administrative d’appel de Paris a retenu la faute de l’État dans l’affaire Mediator, confirmant ainsi trois jugements du tribunal administratif de Paris rendus en 201461.

Le Mediator est la marque sous laquelle le benfluorex a été commercialisé en France à partir du 1er septembre 1976, après avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché du ministre de la Santé le 16 juillet 1974. Ce médicament, commercialisé en principe en tant qu’antidiabétique a, dans les faits, davantage été consommé en tant qu’anorexigène (c’est-à-dire en tant que « coupe-faim »). Il constitue un dérivé de la norfenfluramine, une molécule dérivée de l’amphétamine connue notamment pour son pouvoir anorexigène ainsi que ses effets secondaires indésirables sur le plan cardiaque. Or sans revenir en détail sur ce scandale sanitaire, plusieurs études ont démontré les risques cardiaques liés à l’utilisation du Mediator62. Le rapport sénatorial afférent à ce scandale énonce en ce sens que plusieurs de ces études font ressortir « un nombre de décès compris entre 500 et 2000 morts pour 5 millions de consommateurs pendant la période de consommation du Mediator »63.

Une procédure spécifique d’indemnisation a été instaurée par la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificatives pour 2011. Ainsi, toute personne s’estimant victime d’un « déficit fonctionnel imputable au benfluorex »64 peut saisir l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) d’une demande indemnitaire, à charge pour cette dernière de la transmettre à un collège d’experts. Ce dernier déterminera ensuite l’identité des responsables65 qui devront proposer une offre d’indemnisation à la victime. L’exercice d’actions de droit commun par les victimes étant toutefois prévu par l’article L. 1142-24-1 du Code de la santé publique, la juridiction administrative a été saisie de plusieurs requêtes dans cette affaire (tout comme la juridiction judiciaire).

Au cas présent, il appartenait à la cour administrative d’appel de Paris de déterminer si le maintien de la mise sur le marché jusqu’en novembre 2009 du Mediator constituait une carence fautive, susceptible d’engager la responsabilité de l’État, dans le cadre de sa mission de police sanitaire.

Cette mission est actuellement exercée par l’Agence nationale de sécurité et du médicament (ANSM), remplaçant fin 201166 l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), elle-même instituée en 199867 afin de succéder à l’Agence du médicament68. Ces institutions se sont vu successivement attribuer une mission de police sanitaire, résidant notamment dans la délivrance et le suivi des autorisations de mise sur le marché pour certains médicaments de fabrication industrielle. En l’état actuel du droit, ces autorisations ne peuvent être octroyées « lorsqu’il apparaît que l’évaluation des effets thérapeutiques positifs du médicament ou produit au regard des risques pour la santé du patient ou la santé publique liés à sa qualité, à sa sécurité ou à son efficacité n’est pas considérée comme favorable, ou qu’il n’a pas la composition qualitative et quantitative déclarée, ou que l’effet thérapeutique annoncé fait défaut ou est insuffisamment démontré par le demandeur »69, et doivent être suspendues ou retirées si le médicament ne remplit plus les conditions précitées. En clair, l’État, par le truchement des établissements publics successifs susmentionnés, exerce à la fois un contrôle a priori et un contrôle a posteriori sur les médicaments faisant l’objet d’une autorisation de mise sur le marché.

Afin de caractériser l’existence d’une carence fautive des autorités sanitaires et, partant, de déterminer la date précise à compter de laquelle cette carence est caractérisée, la cour procède à un raisonnement en deux temps.

En premier lieu, elle rappelle brièvement que l’Agence du médicament et l’AFSSAPS disposaient, à l’époque des faits, des moyens de contrôle adaptés afin d’exercer leur mission de police sanitaire leur incombant, au motif que ces deux établissements avaient l’obligation de procéder à des expertises et à des contrôles techniques concernant la qualité des médicaments et, pour l’AFSSAPS, d’évaluer les bénéfices liés à leur utilisation.

En deuxième lieu, la cour confirme la carence fautive des autorités administratives. En matière sanitaire, la détermination de la date à compter de laquelle cette carence est considérée comme établie est délicate puisqu’il appartient au juge administratif « d’évaluer la réalité des connaissances dont disposaient les pouvoirs publics à une date donnée, dans un contexte où règne fréquemment l’incertitude »70. En l’espèce, utilisant pleinement le rapport détaillé de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) rendu en janvier 2011 au ministre de la Santé, le juge administratif retient que les autorités sanitaires auraient dû agir le 7 juillet 1999, date à laquelle « le déséquilibre entre les risques, majeurs, tenant à l’utilisation du Mediator et l’intérêt que celle-ci pouvait présenter pour la santé publique était suffisamment manifeste ». Le raisonnement du juge doit ici être restitué.

Tout d’abord, la cour souligne l’absence d’illégalité de l’autorisation de délivrance sur le marché en 1974. Selon elle, à cette date, « la recherche sur les risques cardio-pulmonaires inhérents à l’absorption d’anorexigènes était encore embryonnaire ». En outre, les études des laboratoires Servier à disposition des autorités administratives faisaient apparaître la spécificité du benfluorex par rapport aux amphétamines, laissant ainsi penser que les risques cardiaques liés au médicament étaient évités. Au surplus, l’Administration n’avait, à l’époque, que des moyens de contrôle limités. Aucune faute ne pouvait donc être imputé à l’État lors de la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché du Mediator.

Ensuite, selon la cour, les éléments à disposition des autorités sanitaires jusqu’en 1995 concernant les risques liés au benfluorex étaient insuffisants pour entraîner le prononcé d’une suspension ou d’un retrait de l’autorisation de mise sur le marché. À cet égard, le juge relève, d’une part, que « les enquêtes et études soulignant les graves effets indésirables des anorexigènes, en particulier des fenfluramines, révélant une soixantaine de cas d’hypertension artérielle pulmonaire primitive (HTAP) » n’étaient pas suffisantes « dès lors notamment que la proximité pharmacologique entre le benfluorex et les fenfluramines était encore mal connue » et, d’autre part, l’absence d’éléments nouveaux « sur le degré de parenté pharmacologique entre les amphétamines et le Mediator (…) et sur l’existence d’effets indésirables en lien avec le produit ».

Enfin, à la fin de l’année 1998, les autorités sanitaires ne pouvaient ignorer les risques liés au benfluorex, eu égard aux enquêtes et études portés à leur connaissance, notamment :

  • une enquête italienne révélant que les patients ayant absorbé du benfluorex étaient exposés à des effets indésirables neurologiques et cardiovasculaires comparables à ceux ayant pris de la fenfluramine (étant par ailleurs précisé que l’Agence du médicament avait suspendu, au préalable, les autorisations de mise sur le marché des fenfluramines en 1997) ;

  • une enquête du Centre régional de pharmacovigilance de Besançon démontrait que les concentrations sanguines de norfenfluramine étaient identiques pour des doses équivalentes de fenfluramine et de benfluorex ;

  • une étude de l’Union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM) de Bourgogne de mai 1998 rappelait les paradoxes de ce produit, qui faisait partie du groupe des amphétamines sans être soumis à la législation afférente. Cette étude soulignait notamment la mauvaise qualité méthodologique du dossier d’évaluation clinique du produit et surtout l’absence de donnée claire et indépendante sur ses effets indésirables et s’interrogeait sur la légitimité à rembourser un médicament dont les indications thérapeutiques ne sont pas respectées et ne répondent donc pas à un souci de qualité, de sécurité et d’efficacité.

Mais c’est bien l’existence d’un cas d’hypertension artérielle pulmonaire en février 1999 et d’un cas de valvulopathie cardiaque en juin 1999, imputables au benfluorex et signalés au cours de la commission nationale de pharmacovigilance du 7 juillet 1999, qui est apparu déterminant aux yeux de la cour. Cette date a en effet été retenue comme celle à compter de laquelle les autorités sanitaires auraient dû suspendre ou retirer l’autorisation de mise sur le marché du Mediator. Cette jurisprudence appelle deux remarques.

D’une part, cet arrêt marque l’abandon de l’exigence de la faute lourde pour engager la responsabilité de l’État à raison de la délivrance d’une autorisation de mise sur le marché ou de leur absence de suspension/retrait. Un doute pouvait exister au motif que la dernière jurisprudence du Conseil d’État en la matière (certes ancienne) subordonnait l’engagement de la responsabilité de l’État à l’existence d’une faute lourde71.

Cela étant, le champ d’application de la faute lourde en matière de responsabilité administrative se trouve désormais considérablement réduit et ni le caractère technique de l’activité72, ni sa difficulté n’apparaissent comme des motifs suffisants pour justifier l’exigence d’une faute d’une certaine gravité73. La position de la cour ne surprend donc guère.

La portée de cet abandon ne doit toutefois pas être surestimé : le juge rappelle implicitement que, pour apprécier l’existence d’une faute simple, la seule erreur fautive ne suffit pas. Il convient de prendre en compte l’étendue des moyens de contrôle à disposition des autorités administratives ainsi que l’état des connaissances scientifiques à l’époque des faits. Or, sur ce dernier point, l’absence d’études unanimes concernant les risques du médicament et son bénéfice thérapeutique doit nécessairement être prise en compte pour apprécier l’existence d’une faute.

D’autre part, à notre sens, le choix de retenir la date du 7 juillet 1999 comme point de départ de la carence de l’État pourrait être discuté. En effet, dès lors que les autorités sanitaires exercent avant toute une mission de prévention des désordres susceptibles d’intervenir, l’accumulation d’études et d’enquêtes concordantes à la fin de l’année 1998 aurait pu conduire à rendre impératif la suspension ou le retrait de l’autorisation pendant cette période, sans qu’il soit nécessaire d’attendre le signalement d’effets secondaires graves liés à l’utilisation du médicament.

Au total, la cour reconnaît la responsabilité de l’État à réparer intégralement les préjudices dont il serait responsable du fait de son inaction, sans par ailleurs que les agissements fautifs des Laboratoires Servier soient de nature à l’exonérer de cette obligation de réparation. L’État pourra toutefois engager une action subrogatoire à l’encontre des Laboratoires Servier pour les préjudices trouvant leur cause première dans les agissements de ce dernier, la part de ces préjudices n’apparaissant pas, de prime abord, aisée à déterminer.

Thomas Vaseux

IX – Histoire des produits de santé

Arrêté du 19 août 2015 relatif à la prise en charge d’une spécialité pharmaceutique bénéficiant d’une recommandation temporaire d’utilisation et pris en application de l’article L. 162-17-2-1 du Code de la sécurité sociale. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a élaboré une recommandation temporaire d’utilisation (RTU)74 pour la spécialité Avastin® encadrant sa prescription et sa dispensation dans une indication autre que celle de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Procédure dérogatoire exceptionnelle, d’une durée limitée à trois ans, elle vise à sécuriser la pratique de prescription hors AMM assortie d’un protocole de suivi des patients. L’arrêté prévoit aussi la prise en charge par l’assurance maladie, au titre de l’article L. 162-17-2-1 du Code de la sécurité sociale, d’Avastin® dans l’indication de sa RTU. Dans ce cadre, il est utile de rappeler les règles de contrôle et de commercialisation des médicaments, dont la plus importante aujourd’hui est l’AMM. Elles sont le fruit d’une longue histoire. Quelques dates marquent cette évolution.

« Le traitement heureux des maladies suppose la bonne préparation des médicaments », déclare le médecin et conseiller d’État Fourcroy75 dans sa présentation devant le corps législatif de la future loi du 21 germinal an XI (11 avril 1803). Afin de garantir la santé publique, seuls les pharmaciens diplômés sont autorisés à ouvrir et exploiter une officine, préparer et vendre des médicaments selon les formules d’un codex officiel et sur prescription médicale76. La loi interdit également « aux épiciers de débiter les médicaments à côté des poisons de tous les genres et des substances alimentaires qu’ils distribuent à tous les instants de la journée »77. Le contrôle des officines dans les grandes villes est enfin de la responsabilité des professeurs de médecine, membres des écoles de pharmacie, avec l’autorisation des préfets, sous-préfets et maires, et assistés d’un commissaire de police (art. 29 et 31 pour les autres villes)78. Le texte de 1803 est complété par une loi du 29 pluviôse an XIII (17 février 1805) qui sanctionne pénalement la vente des remèdes secrets79. Mais les dispositions de la loi de Germinal sont inégalement appliquées notamment la rédaction d’une pharmacopée officielle dont elle prévoit pourtant le principe80 et le dépôt obligatoire de la formule de chaque médicament81. Les médicaments peuvent être vendus au public sans autorisation particulière en dehors de la prescription médicale, ni contrôle, autre que celui du pharmacien d’officine. Seuls sont examinés les sérums et les vaccins à partir de la loi du 25 avril 189582 qui conditionne leur délivrance à une autorisation de vente temporaire. Les ateliers de conditionnement sont contrôlés tandis que sont vérifiées les méthodes de conservation83. La loi du 1er août 1905 relative à la répression des fraudes, qui institue le « délit d’épicier » c’est-à-dire une tromperie sur la marchandise, introduit une première limite, mais, comme le souligne A. Leca, « c’est davantage une loi de salubrité commerciale qu’une loi de santé publique »84. L’arrêté du 23 juin 1926 institue le Laboratoire national de contrôle des médicaments financé par les industriels du médicament mais à l’origine son expertise n’est pas obligatoire85. Dix ans après la loi de 1928 sur les assurances sociales86, un arrêté du ministre du Travail du 10 mars 1938 soumet désormais le remboursement des médicaments par les organismes d’assurances sociales à l’examen du Laboratoire national de contrôle des médicaments87.

L’acte dit loi du 11 septembre 194188, validé en partie à la Libération par l’ordonnance du 23 mai 194589, est un tournant car il apporte des modifications substantielles à la loi de Germinal, base du droit pharmaceutique depuis un siècle et demi. Ce texte porte sur la conception, la fabrication et la distribution du médicament. La loi introduit des « bonnes pratiques » en matière de recherche, et oblige à des essais pharmacologiques et toxicologiques sur l’animal, puis sur l’homme pour bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché avant la lettre par le secrétariat à la santé. C’est la procédure du visa qui protège les inventions pharmaceutiques pour une durée de six ans à un moment où la brevetabilité des médicaments n’est pas autorisée90. La demande doit être adressée à un Comité technique des spécialités pharmaceutiques, rattaché au Service central de la pharmacie. Le visa est onéreux (2 000 francs, soit plus de 60 000 € actuels) et écarte la plupart des officinaux au profit des industriels91. Sur 14 000 médicaments alors sur le marché, seuls 4 000 sont dotés d’un visa92. Le visage de la pharmacie en est totalement modifié : « les médicaments sont désormais vendus (…) obligatoirement à un tarif national unique et ils doivent être conformes aux exigences du Codex. Ce sont les spécialités pharmaceutiques. Le texte de 1941 est le premier à fournir une définition légale »93. Mais la procédure d’obtention du visa et l’expertise visant à attester de l’innocuité des médicaments demeurent souvent trop formelles : « Le Comité technique des spécialités (CTS) est très dépendant des informations apportées par les industriels. Il n’impose pas de suivre tel ou tel protocole d’analyse, il n’exige pas davantage d’essais spécifiques. L’intérêt thérapeutique n’a pas à être démontré par le compte rendu d’essais cliniques »94.

Après le scandale du Stalinon (1954)95, les modes d’obtention du visa sont revus. L’ordonnance n° 59-250 du 4 février 1959, relative à la réforme du régime de la fabrication des produits pharmaceutiques, introduit des contrôles renforcés : « Il est désormais exigé de présenter un protocole d’analyse et de contrôle des matières premières et du produit fini, protocole vérifié par une expertise. Les installations de fabrication doivent être inspectées. Il faut aussi fournir un compte rendu des essais cliniques ainsi que leur expertises »96. Ses dispositions sont pour l’essentiel reprises par l’ordonnance du 23 septembre 1967 relative à l’Autorisation de mise sur le marché (AMM)97.

Alexandre Lunel

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 8 juill. 2015, n° 14-83624.
  • 2.
    Cass. crim., 17 nov. 2004, n° 03-87553.
  • 3.
    Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
  • 4.
    Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
  • 5.
    Laigneau J.-F. et Saumon O. : « Le médicament : retour sur une qualification en débat », Revue Générale de Droit Médical, janv. 2015, n° 2, p. 21.
  • 6.
    Robert J.-H., « Baume de Tigre », Dr. pén. 2005, comm. 26.
  • 7.
    V. not. Cass. crim., 5 mai 2009, n° 07-87519 ; Cass. crim., 22 févr. 2011, nos 10-83767 et 10-81742.
  • 8.
    JOUE 9 févr. 1965, n° 22, p. 369.
  • 9.
    JOUE n° L. 214, p. 1.
  • 10.
    JOUE n° L. 311, p. 67.
  • 11.
    JOUE n° L. 136, p. 1.
  • 12.
    CJUE, 3e ch., 16 juill. 2015, jtes Abcur AB/Apoteket Farmaci AB (C-544/13), Apoteket AB et Apoteket Farmaci AB (C-545/13). V. http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ ?uri=uriserv :OJ.C_.2015.302.01.0003.01.FRA&toc=OJ :C :2015 :302 :TOC.
  • 13.
    JOUE n° L. 311, p. 67.
  • 14.
    JOUE n° L. 136, p. 34.
  • 15.
    JOUE n° L. 149, p. 22.
  • 16.
    JOUE n° L. 376, p. 21.
  • 17.
    TUE, 22 janv. 2015, aff. Teva T-140/12. http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf ?text=&docid=161615&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=862594.
  • 18.
    JOUE n° L. 18, 2000, p. 1.
  • 19.
    CJUE, 3 mars 2016, n° C-138/15 P.
  • 20.
    TUE, 11 juin 2015, n° T-452/14, Laboratoires CTRS c/ Commission. http://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?&num=T-452%252F14&cid=1027819.
  • 21.
    JOUE, 12 déc. 2008.
  • 22.
     http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=167643&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=994868 ; JO n° 0144, 24 juin 2015.
  • 23.
    Trib. UE, 15 sept. 2015, n° T-67/13, Novartis Europharm Ltd c/ Commission.
  • 24.
    Gaumont-Prat H., Droit du médicament, éd. LEH, p. 125.
  • 25.
    CJUE, 3e ch., 1er oct. 2015, n° C-452/14, Doc Generici, http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=168949&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=863690.
  • 26.
    JOUE n° L. 35, p. 1.
  • 27.
    JOUE n° L. 90, p. 11.
  • 28.
    Cons. CE, 10 févr. 1995 : JOUE L 35, 15 févr. 1995.
  • 29.
    Medeva et Georgetown (CJUE, 24 nov. 2011, n° C-322/10, Medeva BV et n° C-422/10, Georgetown University).
  • 30.
    CJUE, 8e ch., 15 janv. 2015, n° C-631/13, Forsgren.
  • 31.
    CJCE, 4 mai 2006, n° C-431/04, MIT – CJUE, Ord., 14 nov. 2013, n° C-210/13, Glaxosmithkline Biologicals SA, Glaxosmithkline Biologicals et Niederlassung der Smithkline Beecham Pharma.
  • 32.
    CJUE, 8e ch., 12 mars 2015, n° C-577/13, Actavis Group PTC EHF, Actavis UK Ltd c/ Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. KG : Règl. (CE) n° 469/2009, art. 3 et 13.
  • 33.
    CJUE, 8e ch., 6 oct. 2015, n° C-471/14, Seattle Genetics.
  • 34.
    CE, 1re/6e ss-sect. réunies, 24 févr. 2015, n° 369074.
  • 35.
    Laude A., Paubel P. et Peigné J. (dir.), Le droit des produits de santé après la loi du 29 décembre 2011, 2012, Éd. de santé.
  • 36.
    CSP, art. L. 1453-1, § I et CSP, art. L. 1453-1, § II.
  • 37.
    Circ. n° DGS/PP2/2013/224, 29 mai 2013, relative à l’application de l’art. 2 de la L. n° 2011-2012, 29 déc. 2011, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
  • 38.
    Rapp. IGAS, Enquête sur la rémunération des médecins et chirurgiens hospitaliers, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/094000043/.
  • 39.
    JO, 27 janv. 2016.
  • 40.
    http://www.ordre.pharmacien.fr/ecommerce/search.
  • 41.
    http://ec.europa.eu/health/files/eu-logo/logosancointernet_charte_v2.pdf.
  • 42.
    http://www.interpol.int/fr/Crime-areas/Pharmaceutical-crime/Operations/Operation-Pangea.
  • 43.
    http://www.iracm.com/observatoire-thematique/falsification-sur-internet/.
  • 44.
    http://ec.europa.eu/health/human-use/docs/falsifiedmedicines_leaflet_en.pdf.
  • 45.
    Gordon S.M., Forman R.F.et Siatkowski C., « Knowledge and use of the internet as a source of controlled substances », Journal of Substance Abuse treatment, 2006.
  • 46.
    Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
  • 47.
    Comité de protection des personnes.
  • 48.
    http://ansm.sante.fr/Decisions/Injonctions-decisions-de-police-sanitaire-interdictions-de-publicite-Decisions-de-police-sanitaire/Decision-du-08-decembre-2015-portant-interdiction-de-la-poursuite-de-la-recherche-biomedicale-n-B91251-10.
  • 49.
    « Médicament et recherche biomédicale : actualité jurisprudentielle », LPA 13 oct. 2011, p. 10.
  • 50.
    CA Paris, 5-7, 26 mars 2015, n° 2014/03330, Sté Reckitt Benckiser PLC et Sté Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd : Contrats, conc. consom. 2015, comm. 153, obs. Decocq G. ; RLC 2015, p. 38, obs. Cholet S.
  • 51.
    CE, 16 mars 2015, n° 370072, M. A., sté Gatpharm, SELARL Tant D’M : JCP E 2015, act. 242, obs. Douville T.
  • 52.
    Directive 2011/62/UE du 8 mars 2011 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés.
  • 53.
    CJCE, 11 déc. 2003, n° C-322/01, DocMorris.
  • 54.
    Aut. conc., avis n° 12-A-23, 13 déc. 2012.
  • 55.
    Ord. n° 2012-1427 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments.
  • 56.
    D. n° 2012-1562 relatif au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments et à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet.
  • 57.
    CE, ord., 14 févr. 2013, n° 365459, M. L. et a. : Comm. com. électr. 2013, comm. 42, obs. Debet A. ; D. 2013, p. 628, note Le Bot O. ; JCP E 2013, act. 177, obs. Douville T.
  • 58.
    V. CSP, art. L. 5125-34, dans sa rédaction issue de la L. n° 2014-201, 24 févr. 2014, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la santé.
  • 59.
    V. à cet égard l’avis défavorable de l’Autorité de la concurrence relatif à deux projets d’arrêtés concernant le commerce électronique de médicaments. Aut. conc., avis n° 16-A-09.
  • 60.
    V. CSP, art. L. 5125-39, dans sa nouvelle version.
  • 61.
    TA Paris, 3 juill. 2014, n° 1312345/6 ; TA Paris, 7 août 2014, n° 1312469/6 ; TA Paris, 12 sept. 2014, n° 1312391/6.
  • 62.
    Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de janvier 2011 : http://www.leciss.org/sites/default/files/110115_Enquete-Mediator_Rapport-Igas.pdf.
  • 63.
    Hermange M.-T., Rapport d’information fait au nom de la Mission commune d’information sur le médiator, Sénat, n° 675, 28 juin 2011.
  • 64.
    L., 29 juill. 2011, art. 57, V, préc.
  • 65.
    CSP, art. L. 1142-24-5.
  • 66.
    L. n° 2011-2012, 29 déc. 2011, art. 5, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
  • 67.
    L. n° 98-535, 1er juill. 1998, relative au renforcement de la veille sanitaire.
  • 68.
    Instituée par la L. n° 93-5, 4 janv. 1993.
  • 69.
    CSP, art. L. 5121-9.
  • 70.
    Vioujas V., « L’affaire PIP devant le juge administratif », JCP A 2015, 2353.
  • 71.
    CE, 28 juin 1968, n° 67593, Société mutuelle d’assurances contre les accidents en pharmacie.
  • 72.
    CE, 10 avr. 1992, n° 79027, épx V. : abandon de la faute lourde s’agissant des actes médicaux.
  • 73.
    CE, 2 avr. 2010, n° 310562, ministre d’État, ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire c/ Cyrot et a. : exigence d’une faute simple pour les activités de contrôle en matière de sécurité aérienne.
  • 74.
    Les recommandations temporaires d’utilisation (RTU) doivent être distinguées des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) car les spécialités pharmaceutiques concernées bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché dans une autre indication thérapeutique et sont donc d’ores et déjà commercialisées en France.
  • 75.
    Viel C., « Antoine-François de Fourcroy (1755-1809), promoteur de la loi de germinal an XI », in RHP, n° 339, 2003, p. 377-394.
  • 76.
    L. 21 germinal an XI, art. 32.
  • 77.
    Ce principe connaît deux exceptions. Un monopole partagé (avec les épiciers) est maintenu sur les substances vénéneuses, notamment l’arsenic, le réalgar et le sublimé corrosif qui doivent être gardées sous clé (L. 21 germinal an XI, art. 34-35). De même, la loi de germinal encadre le statut des herboristes qui doivent posséder un titre délivré par une école de pharmacie ou un jury de médecine (ibid., art. 37) pour vendre des plantes médicinales indigènes à l’exception des plantes exotiques (Cass. civ., 9 oct. 1824). Leca A., Lunel A., Sanchez S., Histoire du droit de la santé, 2014, Bordeaux, Les Études Hospitalières, Intempora, p. 208.
  • 78.
    Ibid., p. 210.
  • 79.
    Cette prohibition est devenue une coquille vide avec le décret du 25 prairial an XIII (24 juin 1805), qui en excepte les remèdes dont la distribution était permise par le gouvernement ou usitée antérieurement à la loi de germinal. Pour remédier aux difficultés d’application, le décret du 18 août 1810 interdit la commercialisation de nouveaux remèdes secrets tandis que l’autorisation de ceux déjà distribués est annulée moyennant rachat. Mais ce décret n’a guère été appliqué. Ibid., p. 210. Sur la police des remèdes secrets au XIXe siècle, v. Chauveau S., « Le statut légal du médicament en France », in Bonah C. et Rasmussen A., Histoire et médicaments aux XIXe et XXe siècles, 2005, Paris, Éditions Glyphe, p. 92-95.
  • 80.
    L’article 38 en prévoit la mise en place. Mais seule paraît en 1803 la Pharmacopée à l’usage des hospices civils, des secours à domicile, des prisons et dépôts de mendicité pour le département de la Seine, dont le ministère de l’Intérieur recommande l’application à tous les établissements hospitaliers du pays. Rééditée et augmentée plusieurs fois, elle prend le nom de code pharmaceutique (ou dans l’usage courant, codex, conformément à son appellation d’Ancien Régime). Mais ce n’est qu’en 1818 que paraît le premier codex national, œuvre privée du pharmacien Fée A. À la suite d’une ordonnance du 10 septembre 1836, un autre ouvrage est publié (Codex pharmacopée française/rédigée par ordre du gouvernement par une commission composée de MM. les professeurs de la faculté de médecine, et de l’école spéciale de pharmacie de Paris, 1837, Paris, Béchet jeune). Le recours à la pharmacopée est enfin rendu obligatoire par décret du 13 février 1884. Leca A., Lunel A., Sanchez S., op. cit., p. 208.
  • 81.
    Le dépôt se fait auprès du ministère de l’Intérieur (D., 18 août 1810) et conditionne la publication au Codex. Ibid., p. 208.
  • 82.
    Influencée par l’Office impérial de la santé qui contrôlait l’efficacité et la sécurité des sérothérapies en Allemagne, le législateur crée une commission de seize membres de l’Académie de médecine, dépendant du ministère de l’Intérieur, pour vérifier la qualité des sérums et des vaccins. Ibid., p. 240.
  • 83.
    Chauveau S., « Le statut légal du médicament en France », op. cit., p. 98.
  • 84.
    Leca A., Lunel A., Sanchez S., op. cit., p. 240.
  • 85.
    Ibid., p. 240.
  • 86.
    Ibid., p. 241.
  • 87.
    L’impact des assurances sociales s’est fait sentir bien avant leur généralisation par les ordonnances de 1945 sur la Sécurité sociale : « À la fin des années 1930, alors que près de six millions de salariés étaient couverts, 11 000 spécialités furent reconnues par les assurances sociales. La grande majorité bénéficiait d’un remboursement à 60 %. Le phénomène a transformé le marché en imposant une négociation globale des conditions de remboursement et l’adoption d’un prix unique par type de produit ». Gaudillière J.-P., « Une marchandise par comme les autres. Historiographie du médicament et de l’industrie pharmaceutique en France au XXe siècle », in Bonah C. et Rasmussen A., op. cit., p. 123.
  • 88.
    JO, 20 sept. 1941.
  • 89.
    JO, 6 mai 1945.
  • 90.
    V. les développements de Chauveau S., « Le statut légal du médicament en France », op. cit., p. 95-103.
  • 91.
    Leca A., Lunel A., Sanchez S., op. cit., p. 247.
  • 92.
    Ibid., p. 247.
  • 93.
    Leca A., Droit pharmaceutique, 2015, Bordeaux, LEH, p. 56-57.
  • 94.
    Chauveau S., « Genèse de la sécurité sanitaire : les produits pharmaceutiques en France aux XIXe et XXe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2/2004, n° 51-2, p. 55.
  • 95.
    Le Stalinon est un médicament visant à soigner la furonculose résistante aux antibiotiques : « Préparé par un façonnier, ce médicament apparaît fabriqué dans des conditions non conformes au visa qu’il a obtenu. Plusieurs personnes décèdent en 1954 à la suite de l’absorption de cette spécialité ». Chauveau S., « Le statut légal du médicament en France », op. cit., p. 104.
  • 96.
    Ibid., p. 105.
  • 97.
    L’AMM, qui réunit le visa et l’autorisation de débit, est délivrée à condition que le fabricant justifie « qu’il a fait procéder à la vérification de l’innocuité du produit dans des conditions normales d’emploi et de son intérêt thérapeutique, ainsi qu’à son analyse qualitative et quantitative ; qu’il dispose également d’une méthode de fabrication et de procédés de contrôle de nature à garantir la qualité du produit au stade de la fabrication en série sous réserve des vérifications d’experts agréés ou désignés par le ministère ». L’AMM, délivrée pour une durée de cinq ans et renouvelable par période quinquennale, n’exonère pas « le fabricant, ou s’il est distinct, le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché de la responsabilité que l’un ou l’autre peut encourir dans les conditions du droit commun en raison de la fabrication ou de la mise sur le marché d’une spécialité ». Ibid., p. 105-106. L’ordonnance de 1967 retranscrit en droit français la définition du médicament retenue au niveau européen c’est-à-dire une « une substance ou une composition possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales… Une substance ou composition permettant d’établir un diagnostic – produits de contraste en radiologie – est aussi un médicament. Enfin, c’est aussi le cas d’une substance ou composition employée pour restaurer, corriger ou modifier les fonctions organiques – ce qui fait entrer dans le champ des produits comme les contraceptifs ». Chauveau S., « Genèse de la sécurité sanitaire : les produits pharmaceutiques en France aux XIXe et XXe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2/2004, n° 51-2, p. 69.
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