En être le garant ne rend pas le médecin « propriétaire » du secret médical
La chambre criminelle de la Cour de cassation vient de rappeler le 13 octobre 2020 que « le secret médical est un droit propre au patient ». Une bonne nouvelle pour les patients, victimes et justiciables. Les explications de Me Aurélie Coviaux, avocate spécialiste en réparation du préjudice corporel, membre de l’Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels (ANADAVI).
La violation du secret médical par une secrétaire dans le cadre d’un litige prud’homal vient opportunément rappeler les contours de celui-ci. Employée d’une Selarl composée d’un médecin et d’un dentiste, celle-ci avait en effet produit des documents parfaitement confidentiels et notamment, outre des extraits d’agenda, le dossier médical d’un patient !
S’estimant personnellement lésé par cette violation, le couple faisait délivrer à l’indélicate une citation directe devant la juridiction répressive afin de solliciter, outre sa condamnation pénale, la réparation de leur préjudice propre résultant de l’atteinte qu’elle avait portée tant à l’intérêt du patient, qu’à leur réputation.
Un droit propre au patient
Leur action ayant été déclarée irrecevable par les juges du fonds, de première instance, puis d’appel, ils ont saisi la Cour de cassation d’un pourvoi.
La Chambre criminelle, dans un arrêt du 13 octobre 2020, a rejeté ce pourvoi en rappelant que « le secret médical est un droit propre au patient » et que son médecin n’est pas recevable à se constituer partie civile du chef de violation du secret professionnel dans l’intérêt de celui-ci. L’atteinte à leur réputation étant par ailleurs un préjudice indirect, les époux médecin et dentiste ne pouvaient donc être considérés comme ayant subi un préjudice personnel et direct, condition de la recevabilité de leur action aux termes de l’article 2 du code de procédure pénale.
Principe d’ordre public, général et absolu, débordant le cadre des soins pour concerner tout ce qui est confié au médecin, inclus dans le serment d’Hippocrate, le code de déontologie médicale, le code de la santé publique, le code de la sécurité sociale et protégé par la loi pénale, le secret médical, est l’incontestable fondement de la relation médecin-patient.
Malheureusement la vigueur de l’arsenal tendant à le faire respecter par les praticiens semble parfois leur faire accroire qu’ils en sont plus que les gardiens. Cet arrêt a donc le mérite de venir clarifier les choses alors qu’une tendance récente[1]du monde médical tend à revendiquer le secret médical des patients – voire des justiciables dans leur globalité – comme une prérogative dont les médecins disposeraient, dépossédant ces derniers de leur libre arbitre à choisir et désigner leur confident au prétexte d’en être les garants, expression d’un paternalisme médical d’un autre temps.
« Médical » ne signifie pas domaine réservé des médecins
Il en est ainsi, par exemple, de certains experts médicaux[2] qui considèrent qu’afin de garantir à la victime le respect du secret médical, les non-médecins (dont les avocats) ne peuvent rester à l’examen médical, étant entendu qu’une telle exclusion, notamment en matière d’expertise psychiatrique où l’examen clinique comporte la relation des faits et l’expression même de son traumatisme, empêche son Conseil d’assister utilement son client au cours de la discussion qui s’ensuit. L’emploi de l’adjectif «médical» serait alors compris comme « relevant du domaine réservé des médecins » aboutissant ainsi à ce que la victime bien que n’étant pas le « patient » de l’expert ou des médecins présents, soit assignée, en dehors de toute relation médicale, mais au nom de son secret médical dont ils sont les garants à ne pouvoir parler qu’à des médecins. De la garde d’un secret dont le point de départ est par définition la confidence du patient à son médecin, les voilà désormais investis du pouvoir rétroactif de prescrire au justiciable à qui ils seraient en droit de confier ses secrets au prétexte que ceux-ci concernent sa santé.
C’est dans cet état d’esprit que le premier texte du projet de décret relatif à l’examen médical des victimes de terrorisme prévoyait initialement la suppression du droit pour la victime expertisée d’autoriser la présence de son avocat durant l’examen clinique mené par le médecin mandaté par le Fonds de Garantie des Victimes d’actes de Terrorisme (FGTI), provoquant une immédiate motion commune des principales associations de victimes de terrorisme[3].
L’arrêt bien que rendu dans une affaire très différente a ainsi le mérite de rappeler très clairement que le secret médical est un droit propre au patient. Dès lors qu’il s’agit de l’exercice d’un droit qu’il est le seul à pouvoir revendiquer, il est bien évident que nul praticien, soignant ou expert, ne peut désigner à sa place, ceux à qui il entend se confier, qu’ils soient médecins ou non-médecins. Être le garant d’un secret ne signifie évidemment pas que l’on devient le seul confident légitime de son titulaire : le patient, la victime, le justiciable, seuls titulaires de ce droit, peuvent librement choisir de ne pas réserver leurs confidences qu’aux seuls médecins.
[1] Voir par exemple le débat organisé par le CNO des médecins » le secret médical dans l’exercice quotidien : des réponses concrètes » le 27 novembre 2018 où la présence de l’avocat est remise en cause au cours de l’expertise
[2] Le Président de la section déontologie et éthique du CNO des médecins considère par exemple dans deux lettres des 25 juin et 27 septembre 2018 que le médecin expert ne peut se voir imposer la présence de personnes n’ayant pas la qualité de médecin pendant l’examen médical de la personne expertisée.
L’arrêt commenté peut être consulté ici
Référence : AJU75091