« Fin de vie dans la dignité » : une proposition de loi qui ne dit pas son nom

Publié le 31/01/2018

Cet article offre une analyse critique de la proposition de loi relative à la fin de vie dans la dignité actuellement débattue au Parlement, et qui instaure une possibilité d’euthanasie sous certaines conditions. Sans prendre position en faveur ou à l’encontre de l’euthanasie, l’auteure relève les ambiguïtés et les lacunes de ce texte en appelant à la nécessité d’une clarification.

Il est des sujets peu évoqués et pourtant essentiels, voire existentiels. Ainsi en est-il de la mort et de celle provoquée par un personnel médical, l’euthanasie. Les textes de droit français préfèrent alors l’expression « fin de vie » à celle de « début de mort », l’« assistance médicalisée active à mourir »1 à l’« euthanasie ». Et comme souvent lorsque le droit et l’éthique s’entremêlent, le vocable de dignité apparaît fréquemment sans réellement être défini2. De manière symptomatique, la proposition de loi déposée le 27 septembre 2017 porte le nom aseptisé de « loi portant sur la fin de vie dans la dignité ».

Ce constat n’est pas étonnant. Le terme « euthanasie », qualifié de « détestable »3 par un secrétaire d’État à la Santé, n’est pas des plus « séducteurs » sur le plan politique. Par ailleurs, la mort est irreprésentable psychiquement. Enfin, l’état actuel des recherches scientifiques est loin d’avoir résolu certains doutes, tels que la définition exacte de l’état de conscience d’un patient.

Absent expressément des textes de droit français, le terme « euthanasie » n’y est pas non plus présent de manière implicite. Le droit pénal ne prévoit aucun crime d’euthanasie et l’assistance au suicide n’est pas à elle seule un fait répréhensible4. La provocation au suicide doit, quant à elle, consister en un acte positif, ce qui exclut le fait de ne pas l’empêcher ou d’aider le patient à se donner la mort. C’est pourquoi le Comité consultatif national d’éthique (ci-après : CCNE) avait proposé il y a plus d’une quinzaine d’années d’inscrire au Code de procédure pénale une « exception d’euthanasie » permettant au juge de mettre fin à toute poursuite judiciaire en fonction des circonstances et des mobiles du médecin5.

Il serait en effet pratiqué en France, dans le silence, plus de 3 000 euthanasies par an6. Devant la marge de manœuvre laissée par le droit européen en la matière7, le législateur a donc récemment proposé d’adapter le droit aux « faits euthanasiques » afin de mieux les encadrer8.

Mais de quoi parle-t-on au juste ? À titre liminaire, on peut se référer aux travaux du CCNE, qui a défini l’euthanasie comme l’« acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable »9. La sédation profonde, utilisée également pour ce qui est appelé le « suicide assisté » consiste, quant à elle, en un endormissement conduisant à une perte complète de conscience induite par des médicaments. Sans prétention définitionnelle, et dans le cadre modeste de cet article, nous entendrons ici l’euthanasie comme la provocation délibérée de la mort dans un cadre médical à la demande du patient. Cette acception recouvre donc également les hypothèses dites de « suicide assisté ».

L’expression très usitée de « fin de vie » nous semble, quant à elle, assez floue. Celle-ci a pu être définie comme « la période qui précède la mort lorsqu’[elle] est inéluctable »10. Mais la mort n’est-elle pas ontologiquement inéluctable ? Cette définition ne pourrait-elle pas s’appliquer plus généralement à la vie – certes envisagée de manière négative par pure opposition à la mort ? – À cela s’ajoute une diversité de situations : doit-on limiter la « fin de vie » aux cas de phases terminales d’une affection grave et incurable ? Ou vise-t-elle aussi les phases dites « avancées », voire non évolutives d’une telle maladie ? Qu’en est-il d’un handicap profondément invalidant ? D’une affection incurable mais non mortelle ? Par sa généralité, l’expression « fin de vie » ne semble pas permettre de cerner la question même si elle a le mérite de mettre en exergue l’importance des soins palliatifs11.

Certains dénoncent alors l’hypocrisie de la loi12 ; d’autres, l’arbitraire auquel pourrait faire face le juge13. C’est à ces reproches (I) que tentent de répondre l’actuelle proposition de loi qui n’est elle-même toutefois pas dénuée d’ambiguïtés (II).

I – La fin de l’hypocrisie, motif affiché de la proposition de loi

L’argument comparatiste est souvent avancé par les défenseurs d’une légalisation de l’euthanasie. Les exemples belge, néerlandais, luxembourgeois et québécois sont à ce titre souvent cités. Le Benelux, qui a un recul d’une décennie en la matière, n’a en effet connu aucune remise en cause de ce système. Pris dans ce « mouvement », les médecins français pratiqueraient parfois de tels actes qu’il conviendrait désormais d’encadrer par une nouvelle loi. Mais le recours à des droits étrangers est-il suffisant pour prévoir une adoption sans difficultés en droit français ?

Tout en mentionnant certains de ces exemples dans ses motifs14, la proposition de loi vise surtout à adapter le droit aux faits (A) et à encadrer ainsi le contrôle du juge (B).

A – Le constat de l’existence de « gestes euthanasiques »

En matière d’euthanasie, les rapports, sondages et autres enquêtes d’opinion ne manquent pas. À la suite de la création d’une « Commission de réflexion sur la fin de vie »15, une conférence des citoyens a été mise en place par le CCNE durant l’automne qui a précédé la rédaction de son rapport de 2014. Celle-ci a consisté à confronter 18 citoyens à une vingtaine d’intervenants de tous horizons durant quatre sessions. L’Assemblée nationale a aussi mis en place, à travers son site internet16, une consultation citoyenne ayant permis de récolter des milliers de contributions.

Mais le débat peut à certains égards sembler difficile tant ses termes, préalables indispensables à son existence, ne semblent pas partagés. Il en est ainsi du rapport entre « suicide assisté » et « euthanasie »17 : pour certains synonymes18, pour d’autres radicalement différents en raison de leur auteur19, ou en ce que l’euthanasie se caractériserait par l’absence de consentement direct du patient20.

Malgré ces ambiguïtés linguistiques, un sondage – avec toute la prudence que cette méthode21 implique – indique que 96 % de français seraient favorables à ce qu’un médecin mette fin sans souffrance à la vie d’une personne si celle-ci en fait la demande directement ou via des directives anticipées et, à défaut, une personne de confiance22. De même, 60 % des médecins seraient de cet avis23. Toutefois est-il permis d’évoquer la difficulté de sonder cette opinion apparemment majoritaire.

En revanche, l’euthanasie serait pratiquée dans la clandestinité et parfois même en dehors de toute demande lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté24. Par ailleurs, l’inexistence légale de l’euthanasie en France introduirait des « inégalités face à la mort »25, seules certaines personnes ayant les moyens financiers de se déplacer dans les pays où elle est permise. Enfin, devant la multiplication des suicides à la suite des souffrances d’une maladie26 ou touchant les personnes âgées27, la légalisation de l’euthanasie permettrait d’encadrer davantage ce problème de santé publique.

Pour d’autres, dans les faits, le droit existant permettrait déjà une euthanasie qui ne dit pas son nom. Depuis 200528, l’arrêt des traitements en cas d’acharnement thérapeutique est en effet permis, ce qui a pour effet direct de provoquer la mort. Aucune différence n’existerait entre le « laisser-mourir » et le « faire-mourir » car le premier exige aussi un acte du médecin consistant en l’arrêt du traitement29. La légalisation de l’euthanasie ne serait donc que la suite logique d’une série de lois.

Après deux années de débats et de réflexions et tout en se prononçant majoritairement à l’encontre de l’euthanasie, le CCNE constate que « l’expression forte et unanime d’une volonté d’être entendue, respecté et autonome »30. L’argument principal qui sous-tend l’actuelle proposition est en effet celui de la liberté de l’individu. Cette liberté trouverait son prolongement dans l’autonomie du patient quant à sa vie et, par conséquent, à la faculté d’y renoncer. Cette question cruciale – qu’on gagnerait à notre sens à détacher du vocable compassionnel – renvoie à celle du consentement éclairé du patient. Celui-ci l’est-il vraiment si l’équipe médicale est au contraire convaincue, pour des raisons purement scientifiques, qu’il ne faut pas recourir à l’euthanasie ? Ou doit-on considérer que la liberté de l’individu, alors maître de toute initiative l’emporte sur le simple consentement – éclairé ou non ? – Ces questions fort complexes peuvent à notre sens difficilement être résolues par une simple mesure législative. L’actuelle proposition prétend toutefois encadrer davantage la jurisprudence particulièrement prétorienne en la matière.

B – Le constat d’une jurisprudence prétorienne

À l’occasion d’une décision récente31, le Conseil a confirmé la constitutionnalité de la loi de 201632 permettant l’arrêt d’un traitement, qui engendre la mort du patient même incapable d’exprimer sa volonté. Selon les sages, le fait que le médecin décide seul de cet arrêt après simple avis d’une instance collégiale ne viole pas le principe de dignité et la liberté du patient. Au terme d’un contrôle de proportionnalité sommaire33, le juge constitutionnel affirme que les garanties légales sont suffisantes sous réserve que l’éventuel recours juridictionnel contre la décision d’arrêt du traitement soit examiné « dans les meilleurs délais »34. La vacuité de cette expression n’a d’égal que le classicisme de la décision, qui énonce comme toujours de manière abstraite que le Conseil « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision comparable à celui du Parlement »35. Désarmé, le juge ordinaire devra donc continuer à user de sa créativité.

C’est ce que l’on peut retenir du célèbre cas Vincent Lambert36, qui concernerait près de 1 500 personnes en France37. Cette décision de « principe »38, à l’origine de la loi de 2016, n’a en effet pas été prise sans audace. En l’absence de texte législatif clair, le juge y affirmait que la volonté du patient – en l’espèce incapable d’exprimer sa volonté – ne peut se présumer et qu’en l’absence de directive anticipée et de désignation d’une personne de confiance, il n’existe aucune hiérarchie entre les avis des membres d’une même famille39. Surtout, celui-ci a appliqué l’interdiction de l’acharnement thérapeutique (loi précitée de 2005) à un patient dans un état pauci-relationnel, puis végétatif40 et non en « fin de vie »41, tout en considérant que l’hydratation et l’alimentation étaient des « traitements » auxquels il convenait de mettre fin. Deux années plus tard, la plume du juge gagnait le marbre de la loi. On peut toutefois regretter que celle-ci n’ait toujours pas prévu une obligation de collégialité dans la décision d’arrêt du traitement laissant perdurer un « dialogue de sourds »42 entre le médecin, qui assume seul cette lourde responsabilité et le juge.

Celui-ci n’est d’autre part pas hermétique à toute considération éthique comme le trahit l’emploi du terme « bienfaisance »43 dans la décision Lambert. Est-ce le recours à ce vocable qui explique la « déférence toute singulière »44 de la Cour européenne des droits de l’Homme à l’égard du Conseil d’État ? Celle-ci conclut en effet, au terme d’une décision nourrie mais à certains égards peu motivée, que la décision du Conseil ne viole pas l’article 2 de la convention relatif au droit à la vie45.

Audacieux, le juge pose toutefois des limites aux brèches qu’il a ouvertes. Aussi confirme-t-il à une autre occasion et sans hésitation que le fait, pour un médecin, de provoquer la mort de son patient par l’injection d’un produit létal (le « Norcuron ») sans consultation de son équipe et de la famille46 constitue pénalement un empoisonnement47 et peut faire l’objet d’une sanction administrative de radiation48. Même si, en pratique, la frontière est tenue entre la sédation profonde et l’injection d’un poison, le juge pénal s’en tient à l’interdiction de donner seul et volontairement la mort quel qu’en soit le mobile.

La proposition de loi en discussion au Parlement pourrait déplacer cette frontière et permettre ce type d’acte à condition que la volonté du patient en soit à l’origine. Cette proposition nous semble toutefois silencieuse sur certains points pourtant cruciaux.

II – Le maintien implicite de certaines ambigüités

Les choix polémiques à forte dimension éthique sont rarement inscrits dans le marbre de la loi. Ainsi, le Code de déontologie médical n’a qu’une valeur réglementaire. Sans répondre frontalement à la question, la législation française a préféré conférer – du moins en apparence – davantage de droits au patient. Les « droits de la personne malade et des usagers du système de santé »49, qui permettaient déjà de renoncer à une thérapie ont alors été renforcés par l’importante loi de 2002 « relative au droit des malades et à la qualité du système de santé »50. Cette réforme présageait d’un véritable renversement de modèle vers un centrage sur le patient. Mais comme le soutient la doctrine avertie51, la loi postérieure dite Léonetti52 interdisant l’acharnement thérapeutique replace le médecin au cœur du dispositif en visant principalement à le protéger de poursuites pénales.

L’actuelle proposition de loi amorcerait-elle un retour au modèle de la loi de 2002 ? S’il est trop tôt pour répondre à cette question, on peut d’ores et déjà constater que celle-ci s’insère dans une série de mesures dont on peine parfois à trouver la cohérence (A). Ainsi, si la réelle volonté des auteurs est celle d’une réforme, la future loi devra répondre plus clairement à certaines questions (B).

A – Une série de lois pour un non-dit

Comme évoqué précédemment, les parlementaires avaient déjà adopté une nouvelle loi en 2016, partant du constat de la méconnaissance et de l’inapplication des lois antérieures53, à l’issue de deux longues années de débats54. Celle-ci supprime en outre l’obligation, pour le médecin, de convaincre le patient de continuer un traitement permettant son maintien en vie55. Dorénavant, du moins selon la lettre de la loi, la volonté du patient prime clairement sur l’opinion du médecin56 qui a seulement l’obligation de l’informer de la gravité et des conséquences irréversibles de ce choix. Une sédation profonde et continue est alors possible dans certains cas57. Par ailleurs, le nouvel article L. 1110-5-1 du Code de santé publique permet l’arrêt de traitement incluant l’hydratation et l’alimentation lorsque celles-ci apparaissent « inutiles, disproportionnées ou lorsqu’ils n’ont pas d’autre effet que le maintien artificiel de la vie ».

S’inspirant grandement de la jurisprudence Lambert, la principale avancée a consisté à rendre contraignantes les directives anticipées du patient dont il fallait simplement tenir compte auparavant. Toutefois, il est prévu une exception à ce caractère contraignant lorsque la directive est « manifestement inappropriée »58, ce qui donne une marge de manœuvre importante à l’équipe médicale, la famille devant être seulement « informée » de sa décision. De surcroît, en l’absence de directive anticipée ou de personne de confiance désignée – ce qui est en pratique majoritairement le cas – le médecin demande un simple avis à la personne qui « lui paraît » la plus proche du patient.

Cette loi n’instaure-t-elle pas, à demi-mot, une hypothèse (et non une exception) d’euthanasie ? Ne fallait-il pas résoudre cette ambiguïté avant de légiférer à nouveau ?

Sans surprise, les députés ont répondu à ce silence par d’autres non-dits. L’actuelle proposition de loi introduit ainsi un nouvel article au Code de santé publique prévoyant une « assistance médicalisée active à mourir »59. Celle-ci peut être obtenue par le patient sous plusieurs conditions : être majeur, capable, informé – en ce sens, exprimer un choix libre et éclairé – et souffrir, en phase avancée ou terminale, d’une maladie incurable provoquant des douleurs physiques ou psychiques « insupportable[s] » si bien qu’aucune solution thérapeutique n’est envisageable. La mort doit pouvoir être provoquée soit par le patient lui-même en présence du médecin soit par ce dernier. Or cela correspond bien, selon notre acception – sommaire et sans prétention définitionnelle – à une euthanasie.

Cette proposition a alors pour mérite d’aligner le droit aux « faits clandestins » en incluant toutes les hypothèses où la mort n’est pas la conséquence de l’arrêt d’un traitement mais bien provoquée directement par le médecin. Cet acte pourrait s’appliquer désormais aussi en raison de souffrances psychiques, pour les stades avancés, et même si le pronostic vital n’est pas engagé à court terme60. Permise, l’euthanasie est bien entendu limitée dans son champ d’application : à titre d’exemples, les victimes tétraplégiques d’accidents et les personnes âgées avec des capacités mentales déclinantes ne sont pas concernées.

Par ailleurs, la proposition encadre le geste euthanasique en plaçant la volonté du patient au cœur du processus. Celui-ci choisit d’en être l’auteur ou de le confier au médecin ; il doit mûrir sa décision initiale en la confirmant dans un délai minimal de 48 heures et peut la révoquer à tout moment. Pendant ce délai, la demande est instruite par un collège de trois médecins qui vérifie le caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite du choix ainsi que la réalité de la situation médicale et de l’impasse thérapeutique. Afin de répondre à l’une des craintes émises par les opposants à l’euthanasie61, les députés ont aussi prévu la possibilité pour le médecin d’invoquer la clause de conscience et de transmettre la mission à un confrère. La mort est provoquée dans un délai maximal de 4 jours après la confirmation du patient.

Mais qu’adviendra-t-il si le collège médical considère que les critères ne sont pas réunis ? Le silence de cette proposition consolide le pouvoir discrétionnaire du médecin. Et comme souvent, le juge risque de se trouver dans une situation délicate.

B – Vers la nécessité d’une clarification

Un rappel s’impose : la proposition actuelle n’envisage pas les cas où un patient est incapable d’exprimer sa volonté. Il faudra donc a priori s’en remettre à la loi de 2016 ne prévoyant pas d’avis collégial doté de force contraignante. Pourtant, selon la conférence des citoyens mise en place par le CCNE, l’euthanasie devrait pouvoir être pratiquée même sans consentement du patient lorsque celui-ci est impossible à obtenir et sous condition d’une appréciation collégiale par une commission locale ad hoc62. La collégialité introduite par la proposition de loi pourrait-elle s’appliquer aux cas similaires à celui de la jurisprudence Lambert ? Reste à espérer que les débats à venir au Parlement percent ce silence.

L’ambiguïté persistante du rapport entre euthanasie et suicide assisté mérite également d’être soulevée. Enfermé dans des catégories classiques et peu adaptées, telles que le meurtre63, l’assassinat64 ou encore l’empoisonnement65, le juge pénal se voit contraint d’en redessiner les effets. Il a alors fréquemment recours aux principes non moins classiques d’individualisation des peines et d’opportunité de l’action pénale afin d’adapter le droit aux « situations euthanasiques ». Cette jurisprudence est perçue comme permissive pour une partie de la doctrine66. Conférant une grande importance au principe de dignité et au mobile du soulagement de la douleur – sans pour autant les définir –, le juge pénal écarte alors fréquemment la qualification d’homicide ou opte la plupart du temps pour des peines conditionnelles lorsque celui-ci est établi67. Autrement dit, les « droits » des patients « en fin de vie » sont tout autant de causes de justification pénale pour les médecins. Or le mobile (compassion, volonté d’alléger la douleur, etc.) doit être distingué de l’intention de donner la mort à elle seule en principe constitutive de l’assassinat.

Une clarification permettrait surtout d’encadrer les gestes euthanasiques dont on peut légitimement craindre les dérives. Pire, en passant soudainement d’une situation curative à la mort, une euthanasie non encadrée permettrait d’essayer de nouvelles thérapeutiques sur des patients condamnés sans passer par la médecine palliative et les effets secondaires insupportables de tels traitements68.

À notre sens, la solution réside donc davantage à employer des termes adéquats et définis qu’à multiplier les dispositions législatives faites de non-dits qui diluent le problème. Un véritable travail pédagogique d’information et d’explication du droit existant auprès des patients et des médecins est également crucial. Une série de mesures nous semble devoir être prises en dehors du cadre purement pénal. Aussi, un auteur a-t-il pu soulever l’« incapacité du Parlement à imaginer l’humanité d’une fin de vie en dehors de tout sentiment criminel »69. Selon les acteurs de terrain, l’urgence consisterait davantage à abolir la frontière entre le « curatif » et le « palliatif »70, remédier à l’inégalité des malades devant ces derniers71, informer le public sur les directives anticipées et sur le mécanisme de la personne de confiance, et à introduire des changements substantiels dans la formation des médecins.

Ces considérations sont loin du théâtre médiatique auquel nous assistons malheureusement souvent pour des cas pourtant si complexes et sensibles. Témoin du décalage entre le droit positif et les faits, le juge sera toujours un acteur principal. Loin d’être simple « bouche de la loi », il murmure à l’oreille du législateur…

Notes de bas de pages

  • 1.
    Prop. L. nº185, 27 sept. 2017, portant sur la fin de vie dans la dignité.
  • 2.
    Hunyadi M., « Consentir à la mort consentie : la dignité dédoublée », in Ferry J.-M. (coord.), Fin(s) de vie, le débat, 2011, PUF, p. 399. L’auteur opte pour une dignité « à la première personne » reflétant le vécu du patient.
  • 3.
    Kouchner B. interrogé par le journal Le Monde au sujet du « plan Kouchner pour adoucir la mort » préférait alors employer le terme « d’accompagnement des fins de vie » : Le Monde 24 sept. 1998, première page.
  • 4.
    Bénéjat-Guerlin M., « Droit pénal et fin de vie », AJ pénal 2016, p. 522.
  • 5.
    CCNE, avis n° 63, Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, 27 janv. 2000.
  • 6.
    3 300 décès par an selon Pennec S. (coord.), Les décisions médicales en fin de vie en France, 2012, INED. Source : Rapport sur le débat public concernant la fin de vie, CCNE 21 oct. 2014, p. 54, note 134.
  • 7.
    Tout en récusant l’existence d’un droit à la mort, la Cour reconnaît le droit à une fin de vie digne et choisie en se fondant sur le droit au respect de la vie privée (CEDH, art. 8) : CEDH, 20 janv. 2011, n° 31322/07, Haas c/ Suisse, § 51.
  • 8.
    Sur la nécessité d’une réponse sans « demi-mesures en trompe-l’œil » : Vigneau D., « Pas de mort sur ordonnance », Revue générale de droit médical 2008, n° 28, p. 225. L’auteur s’oppose toutefois à l’euthanasie.
  • 9.
    CCNE, avis n° 121. Cette définition nous paraît plus pertinente que celle émise par le CCNE dans son avis n° 63 : « acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable ». En effet, cette dernière ne précisait pas qui devait qualifier la situation d’« insupportable ».
  • 10.
    Bénéjat-Guerlin M., art. préc., p. 522.
  • 11.
    CSP, art. L. 1110-10 ; V. Aubry R. (coord.), État des lieux du développement des soins palliatifs en France en 2010, avril 2011 : http://www.genethique.org/sites/default/files/Rapport_Etat_des_lieux_du_developpement_des_soins_palliatifs_en_France_en_2010.pdf.
  • 12.
    Sautel O., « L’euthanasie : le droit français devra en finir avec l’hypocrisie », Revue Droit & santé, mars 2006, n° 10, p. 104-105.
  • 13.
    Bénéjat-Guerlin M., art. préc., p. 524.
  • 14.
    Prop. L. n° 185, préc., exposé des motifs, p. 3.
  • 15.
    Mise en place par le président Hollande en juillet 2012 et présidé par Sicard D.
  • 16.
    http://www2.assemblee-nationale.fr/consultations-citoyennes/droits-des-malades-et-fin-de-vie.
  • 17.
    CCNE, rapp. préc., 2014, p. 6, note 18, p. 45-64.
  • 18.
    C’est l’acception que nous adoptons dans le cadre de cet article.
  • 19.
    Le suicide consistant en un geste du patient, l’euthanasie en celui du médecin même à la demande du patient : CCNE, rapp. préc., 2014, p. 49. Seuls 5 personnes sur 18 au sein de la conférence des citoyens adhèrent à cette définition.
  • 20.
    12 personnes sur 18 au sein de la conférence des citoyens.
  • 21.
    À la suite d’un appel d’offres, le CCNE a sélectionné l’IFOP qui a mis en place cette conférence en automne 2013 après cinq semaines de sélection. Les 18 personnes du panel offriraient une variété de points de vue et d’origines sociodémographiques (sexe, âge, profession, niveau de diplôme, région de résidence, catégorie d’agglomération). Pour ce faire, l’IFOP s’est référé à la structure française de référence de l’INSEE. Par ailleurs, les citoyens recrutés n’ont pas été indemnisés.
  • 22.
    Sondage IFOP, 29 oct. 2014, p. 3 : http://www.ifop.com/media/poll/2818-1-study_file.pdf. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité s’est également prononcée en ce sens : ADMD, Lettre ouverte au Premier ministre, 5 mai 2014.
  • 23.
    Sondage IPSOS pour le Conseil national de l’ordre des médecins, 10-23 janvier 2013, p. 7 : https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/sondage_fin_de_vie_fevrier_2013.pdf.
  • 24.
    Ce cas représenterait 0,4 % des décès en France. Source : CCNE, rapp. préc., 2014, p. 54, notes 134 et 135.
  • 25.
    Prop. L. n° 185, préc., exposé des motifs, p. 2.
  • 26.
    TGI Dijon, ordonnance du 17 mars 2008, n° 94/08 : Vigneau D., « Pas de mort sur ordonnance », Revue générale de droit médicale 2008, n°28, p. 221. L’auteur s’aligne sur cette décision condamnant l’aide au suicide en dehors du cas d’acharnement thérapeutique.
  • 27.
    Un suicide sur trois concernerait une personne âgée : Aquino J.-P., « Anticiper pour une autonomie préservée : un enjeu de société », 2013, p. 65 : https://www.silvereco.fr/wp-content/Rapport_Aquino.pdf.
  • 28.
    L. n° 2005-370, 22 avr. 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie.
  • 29.
    Opinion minoritaire du CCNE, avis préc., n° 121.
  • 30.
    CCNE, rapp. préc., 2014, p. 5.
  • 31.
    Cons. const., 2 juin 2017, n° 2017-632 QPC, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés.
  • 32.
    L. n° 2016-87, 2 févr. 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
  • 33.
    Nous nous permettons de renvoyer à : Bousta R., « Contrôle constitutionnel de proportionnalité. La “spécificité française” à l’épreuve des évolutions récentes », RFDC 2011, n° 88 ; Bousta R., « Une avancée a minima ? À propos de la décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », LPA 17 juin 2010, p. 7.
  • 34.
    Le Conseil rejette donc la possibilité d’un recours suspensif, cons. n° 17.
  • 35.
    Cons. n° 11 et n° 14.
  • 36.
    CE, ass., 24 juin 2014, nos 375081, 375090 et 375091, Vincent Lambert : AJDA 2014, p. 1669-1675, note Truchet D.
  • 37.
    Claeys A. et Leonetti J., rapp. de présentation et texte de proposition de loi, 2014, p. 10.
  • 38.
    Truchet D., note préc., p. 1673.
  • 39.
    § 17 : La divergence concernait ici principalement la femme (demandant l’arrêt du maintien en vie) et les parents (inverse). Le médecin et le juge ont suivi l’opinion de la femme et de certains frères et sœurs de l’intéressé.
  • 40.
    État qui ne permet pas d’interaction avec les autres êtres humains et qui fait douter de la possibilité, pour le patient, de comprendre ce qui se déroule dans son entourage.
  • 41.
    § 10 ; sur cette interprétation large de la loi de 2005, v. note Truchet D., note préc., p. 1671.
  • 42.
    Truchet D., note préc., p. 1670.
  • 43.
    « Le médecin doit, dans l’examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard » : § 17.
  • 44.
    AJDA 2015, p. 1740, note Burgorgue-Larsen L. Par ailleurs, selon l’auteure, l’invocabilité du droit à la vie par les proches de l’intéressé n’est pas clairement motivée par la Cour, qui ne dit pas non plus pourquoi elle écarte les autres fondements invoqués (CEDH, art. 3 et 8).
  • 45.
    CEDH, gr. ch., 5 juin 2015, n° 46043/14, Vincent Lambert et a. c/ France : AJDA 2015, p. 1124.
  • 46.
    CE, ass., 30 déc. 2014, n° 381245, M. Bonnemaison : RFDA 2015, p. 67, concl. de Keller R.
  • 47.
    CA Maine-et-Loire, 24 oct. 2015, Dr. Bonnemaison : le Dr Bonnemaison avait injecté un produit létal à 7 patients âgés présentant des affections graves et incurables sans consulter l’entourage du patient ni le personnel médical.
  • 48.
    CE, ass., 30 déc. 2014, préc.
  • 49.
    L. n° 99-477, 9 juin 1999, visant à garantie le droit d’accès aux soins palliatifs.
  • 50.
    L. n° 2002-303, 4 mars 2002, relative au droit des malades et à la qualité du système de santé.
  • 51.
    Thouvenin D., « La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 dite Loi Léonetti : la médicalisation de la fin de vie », in Ferry J.-M. (dir.), op. cit., p. 334-366.
  • 52.
    L. n° 2005-370, préc.
  • 53.
    Claeys A. et Leonetti J., rapp. préc., p. 7-11.
  • 54.
    L. n° 2016-87, préc.
  • 55.
    CSP, art. L. 1111-4.
  • 56.
    Mistretta P., « De l’art de légiférer avec tact et mesure. À propos de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 », JCP 2016, p. 421-422.
  • 57.
    CSP, art. L. 1110-2 énonce trois cas.
  • 58.
    Prop. L. préc., art. 8.
  • 59.
    Prop. Loi n° 185, préc., article unique proposant un nouvel article CSP, art. L.1110-5-1-A.
  • 60.
    TGI Dijon, ordonnance du 17 mars 2008, n° 94/08, Mme Sébire : interdiction de suicide assisté pour une patiente atteinte d’une tumeur incurable des sinus occasionnant des fortes douleurs et une altération de son apparence physique mais sans pronostic vital engagé.
  • 61.
    Rapp. Sicard, préc., p. 71 et s.
  • 62.
    CCNE, Rapp. préc., 2014, p. 53.
  • 63.
    C. pén., art. 221-1.
  • 64.
    C. pén., art. 221-3.
  • 65.
    C. pén., art. 221-5. Celui-ci est établi par la seule volonté et sans considération du résultat. Ainsi, remettre à la victime un poison pour qu’elle se l’administre elle-même est qualifié d’empoisonnement direct : Cass. crim., 8 juin 1993, n° 93-81372 : Gaz. Pal. Rec. 1993, 2, p. 456, note Doucet J.-P.
  • 66.
    Bénéjat-Guerlin M., art. préc., p. 523.
  • 67.
    Pour ex. : CA de Versailles, 15 déc. 2008, Mme Debaine : peine conditionnelle de 2 ans pour une mère ayant assassiné sa fille gravement handicapée.
  • 68.
    Rapp. Sicard, Penser solidairement la fin de vie, 2012, p. 102 et s. Le rapport évoque toutefois cette hypothèse pour s’opposer à l’euthanasie. La majorité des arguments invoqués dans ce rapport nous sont apparus emprunts d’un certain subjectivisme comme les prétendues « habitudes culturelles très individualistes » qui caractériseraient les États ayant légalisé l’euthanasie et qui les distingueraient ainsi profondément de la France : p. 92.
  • 69.
    Sautel O., art. préc., p. 105.
  • 70.
    CCNE, rapp. préc., 2014, p. 5.
  • 71.
    La moyenne nationale serait de 2,2 lits pour 100 000 habitants et l’écart entre régions de 1 à 15 : Claeys A. et Leonetti J., rapp. préc., 2014, p. 7.
X