Irrégularité d’un placement en UMD : la mainlevée suppose une « atteinte aux droits » du malade

Publié le 11/06/2025
Irrégularité d’un placement en UMD : la mainlevée suppose une « atteinte aux droits » du malade
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L’irrégularité du transfert d’un patient en unité pour malades difficiles ne peut entraîner la mainlevée que de cette décision et non de la mesure de soins sans consentement qui en constitue le cadre. Une telle sanction ne peut en outre être prononcée que lorsque le vice procédural a entraîné une « atteinte aux droits » de l’intéressé.

La Cour de cassation étend ainsi aux décisions d’admission en UMD le régime des mainlevées conditionnées par la présence d’un grief, prévu à l’article L. 3216-1 du Code de la santé publique.

Les unités pour malades difficiles (UMD) sont des unités sécurisées conçues pour accueillir des malades identifiés comme dangereux, souvent auteurs d’infractions graves et « dont l’état de santé requiert la mise en œuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières »1. Elles sont anciennes, la première ayant été créée à Villejuif en 1910. On en compte aujourd’hui une dizaine sur le territoire français, toutes rattachées à des établissements publics de santé mentale2. La décision d’admission au sein d’une UMD est prise par le préfet3. Elle ne peut concerner, outre les personnes déclarées irresponsables pénalement, que celles qui sont admises en soins sur décision d’un représentant de l’État (SDRE), c’est-à-dire des malades mentaux dont le comportement constitue une menace pour l’ordre public ou la sûreté des personnes4. Dans cette dernière hypothèse, il y a donc deux décisions préfectorales distinctes : l’admission en soins sans consentement, à laquelle se superpose l’admission au sein de l’UMD. La levée de la mesure relève également des attributions du préfet5, mais le juge judiciaire peut également la prononcer, à la demande du malade, lorsqu’il constate que les conditions légales de l’admission ou du maintien dans l’unité ne sont pas ou plus réunies. Les incertitudes relatives au juge compétent ont récemment été levées par une décision du Tribunal des conflits ayant jugé que la juridiction judiciaire était « compétente pour connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet compétent admet dans une UMD un patient placé en soins psychiatriques sans son consentement sous la forme d’une hospitalisation complète, ou refuse sa sortie d’une telle unité »6. C’est plus précisément au juge de la mainlevée, jusqu’à il y a peu le juge des libertés et de la détention (JLD) et désormais un magistrat du siège désigné par le président du tribunal judiciaire7, qu’il revient de trancher le litige, ce qu’illustre l’affaire jugée par la Cour de cassation le 19 mars 20258.

L’espèce concerne un patient admis en soins psychiatriques sans consentement sur décision préfectorale au mois de mai 2023. Au regard de son état, l’homme est transféré au sein d’une UMD le 25 septembre 2023, sans que cette décision de transfert lui soit cependant notifiée. Saisi par le préfet dans le cadre du contrôle périodique obligatoire, le JLD ordonne le maintien du malade sous le régime de l’hospitalisation complète. Ce dernier interjette appel, mais le premier président de la cour d’appel de Toulouse confirme la décision de première instance. L’intéressé forme alors un pourvoi en cassation contre l’ordonnance toulousaine. Il reproche en substance au juge du second degré de s’être contenté de constater que le transfert en UMD était nécessaire au regard de son état de santé et n’aurait « pas généré de changement de cadre juridique s’agissant de la poursuite d’une hospitalisation complète », sans rechercher si l’irrégularité découlant du défaut de notification de cette décision ne portait pas atteinte aux droits du patient. Précisément, selon lui, cette irrégularité procédurale porte nécessairement atteinte aux droits du malade, lorsqu’elle l’empêche d’être informé de sa situation juridique, de ses droits et voies de recours, en violation de l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique. Elle doit, dès lors, entraîner la mainlevée de la mesure de soins sans consentement.

Le pourvoi est rejeté par la première chambre civile : « Il résulte des articles L. 3211-3, L. 3216-1 et R. 3222-2 du Code de la santé publique que l’irrégularité affectant un placement en UMD ne peut donner lieu qu’à la mainlevée de ce placement, s’il en est résulté une atteinte aux droits du patient, et n’a pas d’incidence sur la régularité de la procédure de soins sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète ». Or, « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’après avoir constaté que l’arrêté préfectoral du 8 septembre 2023 portant transfert en UMD n’avait pas été notifié [au patient], le premier président a retenu que ce transfert n’avait pas entraîné de changement de cadre et de régime juridique, s’agissant de la poursuite d’une hospitalisation complète et qu’il était commandé par la nécessité d’adapter les soins et de favoriser une meilleure prise en charge de M. I. dans une unité adaptée à son état, compte tenu de son comportement hétéro-agressif réitéré à l’endroit des soignants et caractérisant un risque pour la sûreté des personnes et estimé, en conséquence, qu’une atteinte concrète à ses droits découlant de cette irrégularité n’était pas caractérisée ». La Cour de cassation apporte ici deux précisions importantes : d’une part, l’irrégularité du transfert en UMD n’est susceptible d’emporter la mainlevée que de l’admission du patient au sein de l’unité et non de la mesure de soins sans consentement (I) ; d’autre part, le vice procédural n’entraîne la levée du placement en UMD qu’en cas d’atteinte aux droits de l’intéressé, c’est-à-dire en présence d’un grief (II).

I – L’irrégularité du placement en UMD sans incidence sur la mesure de soins sans consentement

La solution permet, en premier lieu, de confirmer la relative autonomie des deux décisions préfectorales. Le transfert en UMD s’analyse comme une décision administrative distincte de la mesure de soins sans consentement. Il en résulte qu’un vice de fond (légalité interne) ou de procédure (légalité externe) affectant la première ne saurait contaminer la seconde. Un tel vice ne peut entraîner que la mainlevée du placement en UMD et le retour en service psychiatrique dit ordinaire, non la levée de la mesure d’hospitalisation complète sous le régime de la contrainte. L’inverse n’est pas vrai. La levée de la mesure de SDRE entraîne logiquement la sortie du malade de l’UMD, ce qui ressort des dispositions du Code de la santé publique9. Il en va ainsi parce que l’admission en UMD, bien que résultant d’une décision administrative propre de l’autorité préfectorale, ne constituerait qu’une « modalité d’hospitalisation », selon les termes employés par la Cour de cassation dans un arrêt remarqué10. La haute juridiction, qui qualifiait alors de manière surprenante cette admission de « mesure médicale »11, en avait déduit l’incompétence du JLD12, avant que le Tribunal des conflits ne vienne contredire cette position13. Ce dernier voit dans l’admission en UMD une « conséquence » pouvant résulter d’une mesure de soins sans consentement, commandant la compétence du juge judiciaire. L’accessoire suit en quelque sorte le principal. Une modalité d’hospitalisation ne pouvant intervenir que dans le cadre d’une mesure de soins sans consentement ne saurait survivre à ce dernier.

La solution est sur ce point comparable à celle qui prévaut en matière d’isolement ou de contention d’un patient, à ceci près qu’il s’agit cette fois d’une décision de nature médicale et non administrative. L’illégalité d’une telle décision, prise par le psychiatre en « dernier recours » et « pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui »14, ne peut entraîner que la levée de celle-ci et non la levée de la mesure de soins sans consentement qui en constitue le support15. À l’inverse et fort logiquement, la levée de cette dernière mesure met immédiatement fin à l’isolement ou à la contention, qui ne peuvent être décidés, rappelons-le, que dans le cadre d’un régime de soins sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète16, mais non en soins libres ni dans le cadre d’un programme de soins. En l’espèce, la demande de mainlevée du SDRE formulée par le patient était donc vouée à l’échec. Seule la levée du placement en UMD était envisageable, à condition toutefois de démontrer la présence d’un grief en lien avec le défaut de notification de la décision.

II – La mainlevée du placement en UMD pour irrégularité procédurale subordonnée à la démonstration d’un grief

La solution permet, en second lieu, de confirmer l’applicabilité du deuxième alinéa de l’article L. 3216-1 du Code de la santé publique à la décision d’admission d’un patient en UMD. Selon cette disposition, « l’irrégularité affectant une décision administrative [de soins sans consentement] n’entraîne la mainlevée de la mesure que s’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l’objet ». Formellement, le texte ne vise que les mesures d’admission ou de maintien sous un régime de soins contraints. Son application aux admissions préfectorales en UMD constitue donc une interprétation extensive du texte ; une extension compréhensible dans un contexte où les quelques dispositions spéciales applicables à ces unités demeurent totalement silencieuses sur ce point. Il en résulte que l’irrégularité du transfert en UMD découlant du manquement à une exigence formelle ou procédurale n’entraîne pas la mainlevée de manière systématique, mais seulement sous réserve qu’il en résulte une « atteinte aux droits » de la personne. Ce système de mainlevée conditionnée à l’existence d’un grief tempère très fortement la portée des règles de légalité externe en matière de soins sans consentement, puisque seuls les vices considérés comme les plus graves sont sanctionnés de mainlevée. L’analogie peut ici être faite avec le régime des nullités en matière de procédure civile, selon lequel les irrégularités formelles ne sont sanctionnées que lorsqu’un grief est établi17. En psychiatrie, la notion d’« atteinte aux droits » demeure cependant entourée d’un certain flou. Comme l’ont souligné certains auteurs, d’une part, la détermination des critères permettant de savoir où commence une telle atteinte ne relève pas de l’évidence ; d’autre part, la position de la Cour de cassation sur le point de savoir si cette question doit (ou non) relever, et dans quelle mesure, de l’appréciation souveraine des juges du fond, n’apparaît pas constante18. Ils relèvent à ce titre, de manière tout à fait éclairante, que la première chambre civile s’appuie volontiers sur le pouvoir souverain d’appréciation du juge d’appel lorsque ce dernier refuse de caractériser une « atteinte aux droits » du malade, mais qu’elle semble plus prompte à rétablir son propre pouvoir de contrôle lorsque le juge du second degré retient au contraire une telle atteinte et prononce la mainlevée.

L’arrêt commenté pourrait conforter cette analyse. En l’espèce, pour confirmer l’absence de grief, la première chambre civile s’en remet au « pouvoir souverain d’appréciation » du premier président de la cour d’appel de Toulouse, appréciation sur laquelle il convient d’émettre au moins deux observations. Premièrement, l’argument selon lequel le transfert en UMD « n’a pas entraîné de changement de cadre et de régime juridique, s’agissant de la poursuite d’une hospitalisation complète », n’apparaît que partiellement convaincant. Certes, le Conseil constitutionnel, dans une décision plus ancienne19, a pu affirmer que « le régime juridique de privation de liberté auquel sont soumises les personnes prises en charge dans une unité pour malades difficiles n’est pas différent de celui applicable aux autres personnes faisant l’objet de soins sans leur consentement sous la forme d’une hospitalisation complète ». Toutefois, il s’agit là d’une appréciation quelque peu formelle et abstraite de la situation des personnes séjournant en UMD. Si l’atteinte aux droits doit s’apprécier de manière « concrète », selon les propres termes de la Cour de cassation20, c’est à la réalité de la condition du malade dans ces unités qu’il faut prêter attention. Or, en pratique, l’admission en unité sécurisée peut avoir un impact très concret pour le malade sur l’exercice de ses droits et libertés. Les règlements intérieurs peuvent prévoir, par exemple, des conditions de sorties ou de visites plus restrictives21. De même, en raison du faible nombre d’unités sur le territoire, le malade peut parfois se trouver éloigné de sa famille. Le cadre des soins sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète demeure, certes, mais la situation juridique (et factuelle) du malade connaît des modifications susceptibles d’affecter ses droits. À titre de comparaison, l’isolement ou la contention ne modifient pas davantage le cadre constitué par la mesure de soins sans consentement, mais qui pourrait prétendre qu’elle n’affecte pas davantage les droits de l’intéressé ? Deuxièmement, l’atteinte aux droits est en l’espèce écartée par le juge toulousain au motif de « la nécessité d’adapter les soins et de favoriser une meilleure prise en charge [du malade] dans une unité adaptée à son état ». Sur ce point, on comprend difficilement pourquoi le bien-fondé du placement en UMD devrait affecter l’appréciation de l’existence (ou non) d’une atteinte aux droits en lien avec le défaut de notification litigieux. Que la mesure soit nécessaire est une chose, qu’un vice de procédure affecte les droits du malade, par exemple en le privant de la possibilité de contester la mesure par le biais d’un recours, en est une autre. La motivation de l’ordonnance pourrait donner l’impression que nécessité fait loi : la nécessité médicale du transfert en UMD conduirait à valider les éventuelles irrégularités procédurales, semant la confusion entre légalités externe et interne de l’acte administratif. Le demandeur au pourvoi faisait précisément valoir que « le bien-fondé d’une mesure ne saurait justifier l’absence d’atteinte aux droits du patient résultant de son maintien dans l’ignorance de cette mesure », mais son argument reste sur ce point sans réponse. De même, le fait que le transfert dans l’unité soit réalisé dans l’intérêt du malade, favorisant une prise en charge plus adaptée, ne devrait pas être incompatible avec le constat d’une atteinte à ses droits. Rappelons que toute mesure de soins psychiatriques sans consentement est censée répondre (au moins partiellement pour le SDRE) à l’intérêt du malade, ce qui n’empêche pas de caractériser la privation et/ou les restrictions de droits et libertés fondamentaux qui en résultent.

On peut concevoir que, en l’espèce, l’absence de notification au patient de son transfert en UMD n’ait effectivement pas eu d’impact notable sur l’exercice par ce dernier de ses droits et libertés, notamment en ne l’empêchant pas, de facto, d’avoir connaissance de ce transfert et de contester celui-ci par le biais d’un recours. On regrettera seulement que la motivation de l’ordonnance du juge d’appel, ici rappelée par la première chambre civile, ne soit pas plus explicite sur ce point. Si l’on perçoit le souci légitime des magistrats, conforme à l’intention du législateur, de cantonner les hypothèses de mainlevées en présence d’un vice de forme ou de procédure, afin de limiter les risques de ruptures de soins, le brouillard qui entoure la notion d’atteinte aux droits en psychiatrie est loin d’être dissipé.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CSP, art. R. 3222-1.
  • 2.
    V. Vioujas, « Les unités pour malades difficiles : de l’ombre au clair-obscur », RDSS 2016, p. 499.
  • 3.
    CSP, art. R. 3222-2, II.
  • 4.
    CSP, art. L. 3213-1.
  • 5.
    CSP, art. R. 3222-6, al. 1er.
  • 6.
    T. confl., 3 juill. 2023, n° 4279 : Lebon ; JCP A 2023, act. 493, note V. Vioujas ; AJDA 2023, p. 1315 ; AJ fam. 2023, p. 424, obs. F. Eudier ; Dr. fam. 2023, n° 12, p. 33, obs. L. Mauger-Vielpeau ; RGDM 2023, p. 31, note P. Véron.
  • 7.
    V. D. n° 2024-570, 20 juin 2024, pris pour l’application des articles 38, 44 et 60 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 : JO, 22 juin 2024, texte n° 22.
  • 8.
    Dalloz actualité, 14 avr. 2025, note E. Roumeau ; Dict. perm. Santé, bioéthique, biotechnologie, bull. mai 2025, obs. M. Couturier.
  • 9.
    CSP, art. R. 3222-6, 1°.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 26 oct. 2022, n° 21-10.706 : Dr. famille 2023, n° 1 p. 44, obs. L. Mauger-Vielpeau ; Dict. perm. Santé, bioéthique, biotechnologie, bull. janv. 2023, note M. Couturier ; Dalloz actualité, 15 nov. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022, p. 1909 ; RTD civ. 2023, p. 77, obs. A.-M. Leroyer.
  • 11.
    Elle est plus exactement précédée de plusieurs avis médicaux : CSP, art. R. 3222-2, III.
  • 12.
    Déjà, dans le même sens : CA Metz, 25 mars 2015, n° 15/00101 ; CA Bordeaux, ord., 12 mai 2021, n° 21/00649 ; CA Bordeaux, ord., 17 juin 2022, n° 22/02802 : JCP G 2022, n° 25, 1252, obs. P. Véron.
  • 13.
    T. confl., 3 juill. 2023, n° 4279.
  • 14.
    CSP, art. L. 3222-5-1, I.
  • 15.
    Cass. 1re civ., avis, 8 juill. 2021, n° 21-70.010, B.
  • 16.
    CSP, art. L. 3222-5-1, I.
  • 17.
    CPC, art. 114.
  • 18.
    M. Couturier et M. Grimbert, « Quel contrôle par la Cour de cassation de l’atteinte aux droits en matière de soins psychiatriques sans consentement ? », JCP G 2024, 244.
  • 19.
    Cons. const., QPC, 14 févr. 2014, n° 2013-367, Cts L. : AJDA 2014, p. 375 ; D. 2014, p. 427 ; Constitutions 2014, chron., p. 95, D. Fallon ; RGDM 2014, n° 51, p. 403, obs. V. Vioujas.
  • 20.
    V. déjà, en ce sens : Cass. 1re civ., 15 sept. 2021, n° 20-15.610, B : Dr. famille 2021, comm. 164, obs. L. Mauger-Vielpeau – Cass. 1re civ., 14 sept. 2022, n° 20-23.334, D.
  • 21.
    V. également, pour un contentieux relatif à la clause du règlement intérieur de l’UMD de Cadillac interdisant les relations sexuelles : CAA Bordeaux, 6 nov. 2012, n° 11BX01790 : AJDA 2013, p. 115, concl. D. Katz ; D. 2013, p. 312, obs. F. Vialla.
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