La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie

Publié le 13/06/2016

La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 a modifié les dispositions du Code de la santé publique sur la fin de vie. Avant d’être définitivement adopté, ce texte a fait l’objet d’un débat approfondi. Le législateur a renforcé la valeur des directives anticipées. Celles-ci sont désormais opposables au médecin. De plus, la nouvelle loi permet au médecin de pratiquer une sédation profonde et continue, à condition que le patient soit en fin de vie. Cette condition est essentielle. Elle montre que le Parlement n’a pas admis le suicide assisté.

Évolution. Depuis plusieurs années la question de la fin de vie n’est plus taboue, alors que paradoxalement la mort est davantage refoulée qu’autrefois1. Plusieurs cas, notamment ceux de Vincent Lambert2 et de Vincent Humbert, ont contribué à alimenter le débat dans la société3. C’est dans ces circonstances que le Parlement a adopté la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie4. Ce texte s’inscrit dans la continuité des lois n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, n° 2005-370 du 22 avril 2005, dite loi Leonetti5, relative aux droits des malades et à la fin de vie. L’objectif du législateur fut d’améliorer les dispositions existantes du Code de la santé publique (CSP), non de changer de principe en reconnaissant le droit d’obtenir un suicide assisté ou en dépénalisant l’euthanasie. On peut regretter que le Parlement n’ait pas saisi l’occasion pour présenter de façon plus didactique les articles de loi sur la fin de vie. On y reviendra dans la conclusion en essayant une synthèse des règles en la matière.

Préparation de la loi. Un débat démocratique a précédé l’adoption du nouveau texte. Ce travail mérite d’être salué. On retiendra notamment : le rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France, présidée par le professeur Didier Sicard, rendu le 18 décembre 2012 ; le rapport du Conseil national de l’ordre des médecins du 8 février 2013 ; l’avis n° 121 du Comité consultatif national d’éthique « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » du 1er juillet 2013. De plus, il convient de souligner que la loi n° 2016-87 fut proposée par deux députés, MM. Clayes et Leonetti, lesquels avaient remis un rapport au président de la République le 12 décembre 20146.

Même si elle s’inscrit dans la continuité de la législation antérieure, la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 apporte d’utiles précisions sur la relation entre le patient (I) et son médecin (II) dans le contexte particulier, et en même temps usuel, de la fin de vie.

I – Le patient

Cas. On peut distinguer quatre cas de figure.

Premier cas. Le patient communique directement et personnellement à son médecin comment il envisage sa fin de vie. Le patient détermine lui-même, après avoir échangé avec son médecin et avoir été informé par lui (CSP, art. L. 1111-2), ce qu’il souhaite. Il peut vouloir poursuivre le traitement ; il peut choisir d’être tenu dans l’ignorance ; il peut préférer que le traitement soit suspendu ; il peut aussi s’opposer à son application (CSP, art. L. 1111-4, al. 2). La nouvelle loi précise que « si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable » (CSP, art. L. 1111-4, al. 3). Ce délai raisonnable risque de poser des cas de conscience au médecin. Quelle est sa durée ? Quand commence-t-il ? Quand se termine-t-il ? Il est cependant tout à fait compréhensible si l’on se place du point de vue du législateur : tout dépend de l’état clinique du patient, de l’évolution de sa maladie, de sa capacité à analyser sa propre situation. Un chiffrage du délai aurait probablement été une très mauvaise solution. La souplesse est nécessaire.

Deuxième cas. Le patient a rédigé des directives anticipées. L’article L. 1111-11 du CSP leur est dédié et apporte sur différents points des précisions attendues et utiles.

1° En ce qui concerne la forme des directives anticipées : l’article L. 1111-11, alinéa 2, du CSP prévoit un modèle de rédaction « dont le contenu est fixé par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Haute autorité de santé ». Rien n’empêche une personne de mettre librement, par écrit, ses souhaits pour sa fin de vie. Un document normalisé présente davantage de garanties. Autre innovation de forme : un registre national est créé afin de conserver les directives anticipées, lesquelles seront régulièrement rappelées à leur auteur (CSP, art. L. 1111-11, al. 5). Le législateur prend les précautions d’usage en rappelant le nécessaire respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Espérons toutefois que ce registre ne deviendra pas une « usine à gaz » et que le Parlement ne regrettera pas de ne pas avoir confié aux notaires, habitués à recevoir les dernières volontés et à les conserver, le soin de sauvegarder les vœux de fin de vie.

2° En ce qui concerne l’objet des directives anticipées : on notera un changement de rédaction de l’article L. 1111-11, alinéa 1er, du CSP ; changement synonyme d’élargissement du domaine des directives anticipées. En effet, auparavant, les directives anticipées permettaient à une personne d’exprimer ses souhaits quant à la limitation ou l’arrêt des traitements. Aujourd’hui, elles lui donnent en plus (de la limitation ou de l’arrêt) la faculté d’énoncer à quelles conditions il souhaitera que soient poursuivis les traitements et les actes médicaux qui lui sont appliqués. De même, le nouveau texte confère au patient la faculté de signifier son refus7 de traitements ou d’actes médicaux. Le nouveau texte dispose ainsi : « Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’actes médicaux ».

3° En ce qui concerne la durée de validité des directives anticipées : elles sont valables tant qu’elles n’ont pas été révoquées, alors qu’avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, elles étaient caduques au bout de trois ans (CSP, art. L. 1111-11, al. 2). Rappelons – ce point ne change pas – qu’elles sont révisables discrétionnairement. Il serait d’ailleurs inconcevable qu’il en soit autrement.

Que se passera-t-il si un patient écrit des directives anticipées selon le modèle réglementaire, puis les révoque sur papier libre ? La révocation devra-t-elle se faire selon les mêmes modalités que la rédaction initiale ? Une réponse positive nous semble difficilement défendable. Sur les questions de la fin de vie, l’important est la faculté de révocation, les formes dans lesquelles elles sont effectuées est de moindre intérêt. En d’autres termes, c’est l’intention de la personne qui doit primer.

4° En ce qui concerne l’opposabilité des directives anticipées : elles « s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement » (CSP, art. L. 1111-11, al. 3). Le changement est considérable. Antérieurement, le médecin pouvait tenir compte des directives anticipées. Il restait maître de la poursuite du traitement, sous réserve de ne pas s’obstiner de façon déraisonnable. Dorénavant, le médecin est lié par les directives anticipées de son patient, sauf en cas d’urgence vitale et lorsqu’elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ». Voilà qui est susceptible de poser des problèmes d’interprétation : dans quels cas les directives anticipées sont-elles manifestement inappropriées et, de même, dans quels cas sont-elles non conformes à la situation médicale ? Conscient de ce risque, le législateur s’est efforcé de l’éviter en prévoyant le recours à une procédure collégiale (CSP, art. L. 1111-11, al. 4). Le législateur espère que la collégialité empêchera les erreurs de qualification, i.e. une directive jugée manifestement inappropriées alors qu’elle est pertinente. La loi renvoie à un règlement la tâche de définir cette procédure collégiale. Sauf que celle-ci existe déjà en pratique dans l’article 37 du Code de déontologie médicale (CSP, art. R. 4127-37). L’apport d’un décret sera de clarifier le nombre minimum de participants, les rôles de chacun, etc. Faire appel systématiquement au médecin traitant paraît devoir s’imposer.

5° En ce qui concerne la capacité de rédiger des directives anticipées : l’article L. 1111-11, alinéa 7, du CSP énonce que les personnes placées sous le régime de la tutelle ont la faculté de rédiger des directives anticipées avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille. Et, le tuteur ne peut ni l’assister ni le représenter à cette occasion. En effet, les vœux d’une fin de vie ne peuvent être ceux du tuteur. C’est la même chose en matière de successions testamentaires. Le majeur en tutelle doit obtenir l’autorisation du juge ou du conseil de famille et, une fois qu’elle lui a été accordée, il peut écrire seul son testament. Le tuteur ne peut ni l’assister ni le représenter dans l’expression de ses dernières volontés (C. civ., art. 476).

En revanche, l’article L. 1111-11 du CSP ne mentionne pas le mineur. Le principe étant son incapacité à passer des actes juridiques (hormis ceux qui sont courants, mais, par définition, la fin de vie n’en fait pas partie), on doit en conclure qu’il ne peut rédiger de directives anticipées. C’est regrettable. D’une part, les directives anticipées ressemblent à un testament. Or, précisément, un mineur peut léguer la moitié des biens dont la loi permet au majeur de disposer (C. civ., art. 904). D’autre part, le statut du mineur est souvent comparé à celui du majeur sous tutelle. Les techniques de protection se ressemblent. Pourquoi ce qui est admis pour le majeur sous tutelle ne le serait-il pas aussi pour le mineur ? L’argument est, croyons-nous, d’ordre psychologique : il est humainement inconcevable qu’un adolescent se mette à une table pour écrire des directives anticipées… L’on va retrouver une difficulté similaire avec la désignation de la personne de confiance.

Troisième cas. Le patient a désigné une personne de confiance. L’alinéa 1er de l’article L. 1111-6 du CSP commence par rappeler la faculté pour toute personne majeure de choisir quelqu’un de confiance pour s’exprimer, à sa place, sur les conditions de sa fin de vie. « Toute personne » peut désigner…, y compris un patient qui ferait l’objet d’une mesure de tutelle (CSP, art. L. 1111-6, al. 5), ce qui est une nouveauté. A fortiori, les patients en curatelle et sous sauvegarde de justice peuvent aussi recourir à une personne de confiance, puisque leur régime de protection est moins fort. En revanche, cette possibilité semble exclue pour les mineurs. On retrouve la même difficulté rencontrée avec les directives anticipées. Le retranchement du mineur est contestable. Dans d’autres circonstances, la loi fait abstraction des règles sur l’autorité parentale et reconnaît au mineur la possibilité d’être acteur de sa santé, dès lors que son degré de maturité le permet. Tel est le cas, par exemple, de l’article L. 1111-2, alinéa 5, du CSP qui déclare que les mineurs ont « le droit de participer à la prise de décision médicale les concernant ». Mais l’obstacle psychologique déjà évoqué à propos des directives anticipées constitue probablement et légitimement un frein insurmontable.

Par ailleurs, la nouvelle loi (CSP, art. L. 1111-6) précise opportunément les conditions du recours à une personne de confiance. En amont, le médecin traitant s’assure, dans le cadre du suivi de son patient, que celui-ci est bien informé de cette possibilité. Le cas échéant, il l’invite à procéder à une telle désignation (CSP, art. L. 1111-6, al. 4). En amont toujours, au moment de son hospitalisation, il est proposé au patient de désigner une personne de confiance. La désignation ne vaudra alors que le temps de l’hospitalisation, à moins que le patient ne souhaite prolonger la mission (CSP, art. L. 1111-6, al. 3).

Quel que soit le moment où elle est faite, la désignation doit être passée par écrit et cosignée par celui qui est choisi (CSP, art. L. 1111-6, al. 1er). L’exigence est utile : la signature constitue un acte empreint de gravité et permettant à la personne de confiance de mesurer la dimension de la mission qui lui est conférée.

Une fois désignée, la personne de confiance peut accompagner le patient dans ses démarches, assister aux entretiens médicaux et l’aider dans ses décisions (CSP, art. L. 1111-6, al. 2). Le temps venu, c’est à la personne de confiance que le médecin s’adressera pour connaître les souhaits du patient pour sa fin de vie. Le témoignage (c’est le terme employé8) de la personne de confiance prévaut sur tout autre témoignage. Le risque d’un conflit entre les dires de la personne de confiance et ceux des parents ou d’un proche du patient (hypothèse voisine de l’affaire Vincent Lambert) se résoudra en faveur de la première. Toutefois, il n’est pas certain que cette nouvelle disposition législative résolve toutes les difficultés. En effet, rien n’est précisé quant à l’opposabilité du témoignage de la personne de confiance à l’égard des médecins, à la différence des directives anticipées qui sont, on l’a vu, obligatoires (CSP, art. L. 1111-11, al. 3). On pourrait soutenir (sans conviction) que la personne de confiance est le mandataire du mourant. Or, ce que celui-ci aurait dit, s’il avait pu s’exprimer, aurait lié le médecin. Donc, ce que formulerait la personne de confiance devrait être opposable au médecin, comme si c’était le patient en fin de vie lui-même qui avait spécifié ses intentions. Mais, l’emploi du terme « témoignage » dans la loi écarte cette analyse. En effet, en droit, ce qu’un témoin relate ne constitue qu’une source d’information laissant l’autorité décisionnaire (le médecin ici) libre de son jugement.

Quatrième cas. Le patient n’a rien prévu. Plus précisément, le patient n’a prévu ni directives anticipées ni personne de confiance. Le médecin doit, malgré tout, s’enquérir de la volonté du patient. S’il ne peut l’exprimer lui-même, le médecin devra consulter la famille et les proches (CSP, art. L. 1111-12). Que faire en cas de division de ceux-ci ? On sait que, depuis l’affaire Vincent Lambert, ce n’est pas une hypothèse d’école et que, face à un tel problème, le médecin se trouve démuni.

II – Le médecin

La dignité. L’intervention du médecin est placée sous le signe de la dignité : « Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance », selon la nouvelle rédaction de l’article L. 1110-5 du CSP. Le premier sens du concept de dignité9 date de l’Antiquité gréco-romaine. La dignitas désignait les fonctions qui conféraient à une personne un rôle éminent, prestigieux. Dans un deuxième sens, la dignité est honnêteté, mérite, pudeur (ne dit-on pas que l’on se drape dans sa dignité). À l’inverse l’indignité est vulgarité, familiarité, laisser-aller. Mais lorsque le droit positif parle de la dignité, c’est dans une autre acception. Dans son troisième sens précisément, ce qui fait la dignité de l’homme, c’est qu’il est un être humain, qu’il fait partie de l’humanité. Plus précisément, la dignité implique que nul ne puisse être traité d’une telle façon que la valeur incomparable de sa vie en vienne à être niée, par exemple en le rabaissant à un « sous-homme ». La dignité est due à toutes les personnes humaines, sans exception. En 1994, à l’occasion de sa saisine en vue de l’examen de la constitutionnalité des lois bioéthiques, le Conseil constitutionnel, s’appuyant sur le Préambule de 1946, lequel se comprend à l’aune des circonstances de la Seconde Guerre mondiale, fait de « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation » un principe positif à valeur constitutionnelle10. Depuis 1994, outre l’emblématique article 16 du Code civil : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », les références à la dignité se sont multipliées. On en a un nouvel exemple avec l’article L. 1110-5 du CSP. Entre parenthèses, cette multiplication comporte le risque d’un gaspillage du concept. Pour être efficace, le renvoi à la dignité gagnerait à être exceptionnel, subsidiaire, ainsi qu’à figurer au début du texte. On peut regretter que ce soit dans l’alinéa 2, et non dans l’alinéa 1er, de l’article L. 1110-5 du CSP que figure la dignité. Sa place légitime est au début, dans l’article premier. Cela relève certes du symbole, mais ce n’est pas sans importance11.

L’apaisement des souffrances. Le médecin doit veiller à ce que son patient ne souffre pas, qu’il parte tranquillement. L’apaisement des souffrances constitue l’épicentre de la dignité du patient, comme le soulignait, au XVIIIe siècle, le philosophe anglais Francis Bacon : « L’office du médecin n’est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d’adoucir les douleurs et souffrances attachées aux maladies ; et cela non pas seulement en tant que cet adoucissement de la douleur, considérée comme un symptôme périlleux, contribue et conduit à la convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu’il n’y a plus d’espérance, une mort douce et paisible »12.

Quatre remarques à ce propos.

1° Il s’agit d’une obligation de moyens. Le texte dit : « du meilleur apaisement possible ».

2° Le législateur a préféré au terme « douleur » celui de « souffrance », parce qu’il englobe non seulement le mal physique, mais aussi l’épreuve psychologique (les angoisses) dans laquelle se trouve l’être humain à l’approche de sa mort.

3° L’article L. 1110-5-3, alinéa 1er, du CSP apporte une précision intéressante : le médecin doit, dans l’ordre, commencer par prévenir la souffrance avant de la prendre en compte, de l’évaluer et de la traiter. Mettre ainsi la prévention de la souffrance au tout début est chargé de sens.

4° L’apaisement peut passer par une hospitalisation à domicile. C’est, dit la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, un principe fondamental de la législation sanitaire (CSP, art. L. 1110-8, al. 1er). D’ailleurs, le médecin a l’obligation d’informer son patient de son droit de recevoir des soins palliatifs sous forme ambulatoire ou à domicile (CSP, art. L. 1111-2, al. 1er).

Le rôle thérapeutique du médecin. Si le rôle du médecin est d’apaiser la souffrance, il est aussi d’entreprendre les traitements et les soins utiles (CSP, art. L. 1110-5). Les traitements et les soins auxquels il est fait référence dans ce paragraphe-ci ne sont pas ceux permettant de soulager la souffrance, mais ceux destinés à tenter une guérison. Les mêmes termes, traitements et soins, désignent à la fois les démarches médicales visant à faire cesser la douleur et celles entreprises dans une perspective thérapeutique. Parallèlement, le rôle du médecin consiste à suspendre ou à arrêter les traitements et les soins lorsqu’ils « apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » (CSP, art. L. 1110-5-1, al. 1er).

Un point mérite quelques explications complémentaires. Le médecin a le droit de suspendre ou d’arrêter tous les traitements et tous les soins. La question s’est posée dans l’affaire Vincent Lambert. Le médecin avait pris la décision de stopper l’alimentation et l’hydratation artificielles. Les parents de Vincent Lambert ont contesté cette initiative. Leur raisonnement était le suivant : le médecin peut certes arrêter un traitement, mais pas des soins. L’alimentation et l’hydratation étant des soins, le praticien ne pouvait donc les interrompre. Le Conseil d’État leur avait donné tort dans son arrêt du 24 juin 2014. Pour la haute juridiction administrative, « l’alimentation et l’hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d’être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable »13. À l’occasion du vote de la réforme de la législation sur la fin de vie, le législateur a souhaité clarifier les choses. L’article L. 1110-5-1, alinéa 2, du CSP dispose aujourd’hui : « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements ». Elles peuvent donc être suspendues ou arrêtées dans le cadre de la cessation du traitement.

Le refus de soins mettant la vie du patient en danger. D’une manière générale, la question du refus de soins est délicate. Dans quelle mesure peut-on protéger une personne contre elle-même14 ? On n’entrera pas dans la discussion de ce problème qui dépasse largement le sujet de cet article et qui, par ailleurs, relève plus de la morale plus que du droit15. Concernant spécifiquement la fin de vie, l’article L. 1111-4, alinéa 2, du CSP dispose : « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement16 ». Par rapport à la législation antérieure à la loi n° 2016-87 du 2 février 2016, le changement est relatif au comportement du médecin. Auparavant, il devait tout mettre en œuvre pour convaincre le patient d’accepter les traitements indispensables. Désormais, il a « l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité » (CSP, art. L. 1111-4, al. 3).

L’obstination déraisonnable. La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 reprend un principe qui figurait déjà dans le Code de la santé publique, à savoir l’absence d’une obstination déraisonnable de la part du médecin. Dans sa nouvelle rédaction, l’article L. 1110-5-1 du CSP dispose : « Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 [les traitements et les soins] ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable ».

La notion d’obstination est ambivalente17. Elle peut être positive ou négative. Positivement, l’obstination est endurance, ténacité, persévérance, force d’âme. L’obstination confine parfois à l’héroïsme : celui du capitaine Achab dans Moby Dick poursuivant le cachalot ou celui d’Antigone réclamant une sépulture pour son frère Polynice. Négativement, l’obstination est acharnement, opiniâtreté, entêtement, récidive. « La vaillance a ses limites », écrit Montaigne dans ses Essais18. Dans l’Ancien Testament, lors de l’épisode du veau d’or, les juifs sont qualifiés par le Seigneur de « peuple à la nuque raide » à cause de leur obstination à adorer des idoles (Dt 9, 13).

L’obstination d’un médecin peut s’avérer positive ou négative. L’obstination du praticien est louable lorsqu’il consacre toute son énergie à guérir. Elle est critiquable lorsqu’elle ne mène à rien, parce que la mort du patient est imminente. L’obstination est alors déraisonnable ; elle s’éloigne des « principes du sens commun », « des jugements de valeur généralement acceptés »19.

Au-delà de la recherche d’une définition de l’obstination déraisonnable, il y a peut-être davantage dans la référence à ce concept ; il y a quelque chose de culturel. L’esprit judéo-chrétien de nos sociétés occidentales20 rejette l’obstination lorsqu’elle consiste à transgresser ce qui relève du divin, la vie et la mort en particulier. Extraire de la mort celui qui en est si proche, c’est empiéter sur Dieu, ce qui est un mal dans nos conceptions ancestrales. Au fond, l’obstination déraisonnable du Code de la santé publique, version loi n° 2016-87 du 2 février 2016, puiserait dans des racines bien plus profondes qu’on ne l’imagine a priori.

La sédation profonde. L’article L. 1110-5-2 du CSP distingue selon que le patient peut ou non exprimer sa volonté de ne pas souffrir et de ne pas subir d’obstination déraisonnable.

1° Lorsque le patient peut exprimer sa volonté, le médecin peut procéder à une sédation profonde dès lors qu’il est atteint d’une affection grave et incurable, que son pronostic vital est engagé à court terme et qu’il présente une souffrance réfractaire aux traitements. De même, le médecin peut procéder à une sédation profonde lorsque « la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable » (CSP, art. L. 1110-5-2, al. 1er, 1° et 2°).

2° Lorsque le patient ne peut exprimer sa volonté, la possibilité pour le médecin d’engager une sédation profonde est conditionnée à la constatation que les traitements et les soins en cours relèvent d’une obstination déraisonnable (CSP, art. L. 1110-5-2, al. 2).

Dans tous les cas, le médecin déclenche alors la procédure collégiale, ce qui permet à l’équipe soignante de vérifier préalablement les conditions d’application (CSP, art. L. 1110-5-2, al. 3). De plus, il convient de souligner que la sédation profonde peut être appliquée au domicile (CSP, art. L. 1110-5-2, al. 4).

La sédation profonde est incontestablement un point important et controversé de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016. Le professeur Emmanuel Hirsch, dans un entretien au magazine Le Un en novembre 2015 (n° 81), fait part de ses réserves : « la sédation profonde et continue évoque le sommeil. Il s’agit d’une représentation enchanteresse de la mort. On nous vend la sédation profonde et continue comme une mort endormie : c’est une tromperie grave. On assimile, poursuit-il, l’état de sédation profonde et continue à une mort encéphalique. La réalité est plus floue ».

La question, avec des majuscules, qui doit alors être posée est la suivante : la sédation profonde fait-elle pencher le curseur du côté du suicide assisté ? En l’état actuel du droit, la réponse est négative. 1° La sédation profonde ne provoque pas en tant que telle la mort. Elle rend le mourant inconscient. C’est la maladie ou les traumatismes qui sont la cause du décès. 2° La sédation profonde n’est accessible qu’aux personnes en fin de vie. Un mal-être, une maladie grave, une incarcération à perpétuité, etc. ne peuvent en aucun cas justifier un tel acte. 3° L’euthanasie reste un homicide passible d’une peine de prison et d’une interdiction d’exercer la médecine. Certes, certains pays se sont engagés dans la voie de la dépénalisation, la Belgique notamment, mais au prix, selon certains, d’une atteinte au droit à la vie.

Formation. Afin que les modifications législatives ne restent pas lettre morte, le législateur a prévu que « la formation initiale et continue des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens comporte un enseignement sur les soins palliatifs » (L. n° 2016-87 du 2 février 2016, art. 1er).

Synthèse. On prendra comme summa divisio les situations urgentes et celles qui ne le sont pas.

1° S’il y a urgence, le médecin doit prendre en charge le patient, préserver sa dignité, apaiser sa souffrance, tenter de le sauver. La situation d’urgence fait exception à la prise en compte des directives anticipées et à la désignation d’une personne de confiance, du moins le temps de l’urgence.

2° S’il n’y a pas urgence, plusieurs hypothèses doivent alors être distinguées selon que le patient a formulé ou non des directives anticipées ou bien a choisi une personne de confiance ou non.

a/ Le patient n’a ni rédigé de directives anticipées ni désigné une personne de confiance, mais il est conscient et capable d’exprimer sa volonté. Le médecin préserve sa dignité, apaise sa souffrance, l’informe de son état de santé (sauf si celui-ci veut être maintenu dans l’ignorance), prescrit les traitements et les soins qu’il juge appropriés, les suspend ou les arrête en cas d’obstination déraisonnable. Lorsque la souffrance est insupportable, le médecin peut, à la demande de son patient, pratiquer une sédation profonde.

b/ Le patient n’a ni rédigé de directives anticipées ni désigné une personne de confiance, et il est incapable d’exprimer sa volonté. Le médecin préserve sa dignité, apaise sa souffrance, prescrit les traitements et les soins qu’il juge appropriés, les suspend ou les arrête en cas d’obstination déraisonnable. Il a aussi le devoir de consulter la famille et les proches. Enfin, le médecin peut avoir recours à une sédation profonde au titre du refus de l’obstination déraisonnable. Ce cas de figure est source de contentieux lorsque la famille et les proches sont divisés.

c/ Le patient a rédigé des directives anticipées. Le médecin préserve sa dignité, apaise sa souffrance. Les traitements et les soins sont conditionnés aux directives anticipées qui sont opposables au praticien, sauf si celles-ci sont manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. Une procédure collégiale est alors nécessaire. Dans le cadre de ses directives anticipées, le patient peut imposer à son praticien une sédation profonde.

d/ Le patient a désigné une personne de confiance. Le médecin préserve sa dignité, apaise sa souffrance, prescrit les traitements et les soins qu’il juge appropriés, les suspend ou les arrête en cas d’obstination déraisonnable. Lorsque la souffrance est insupportable, le médecin peut, à la demande de son patient, pratiquer une sédation profonde. Le médecin doit recueillir le témoignage de la personne de confiance.

Conclusion. La législation sur la fin de vie a considérablement évolué en une quinzaine d’années. Certains auraient voulu aller plus loin en permettant le suicide assisté. Le législateur ne les a pas suivis. Sagement, il est resté en deçà, acceptant néanmoins l’éventualité d’une sédation profonde. Légiférer sur cette question est un art particulièrement délicat. « Dans la progression des lumières croissantes, prophétisait Châteaubriand, nous paraîtrons nous-mêmes des barbares à nos arrière-neveux ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    Ariès P., L’homme devant la mort.2. La mort ensauvagée, 1985, Points Seuil, p. 269.
  • 2.
    Moisdon-Chataigner S. et Desgorces R., « Affaire Vincent Lambert : la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014 », ASP Liaisons, n° 49, déc. 2014, p. 20.
  • 3.
    V. « Voyage au bout de la vie », Le Un, n° 81, 4 nov. 2015.
  • 4.
    Dionisi-Peyrusse A., « Réforme de la fin de vie », AJ fam. 2016, p. 217 ; Cheynet de Beaupré A., « Fin de vie : l’éternel mythe d’Asclépios », D. 2016, p. 472 ; Mistretta P., « De l’art de légiférer avec tact et mesure. À propos de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 », JCP G 2016, doctr. 240.
  • 5.
    Leonetti J., C’est ainsi que les hommes meurent, Badinter R. (préf.), 2015, Plon.
  • 6.
    Desgorces R., « Le rapport Clayes-Léonetti créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personne en fin de vie », ASP Liaisons, n° 50, juin 2015, p. 27.
  • 7.
    En italique, les ajouts de la loi commentée.
  • 8.
    L’emploi du terme « témoignage » est correct eu égard à la définition qu’en donne l’article 199 du Code de procédure civile, même si on a davantage l’habitude de l’utiliser dans le cadre d’un procès.
  • 9.
    Fiat É., Petit traité de dignité. Grandeurs et misères des hommes, 2012, Larousse ; Perrouin L., La dignité de la personne humaine et le droit, Thèse Toulouse I, 2000 ; Desgorces R., « La dignité en droit positif », d’Onorio J.-B. (dir.), La dignité au regard du droit, 2015, Pierre Téqui éditeur, p. 95.
  • 10.
    Cons. const., 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC : D. 1995, p. 237, note Mathieu B.
  • 11.
    En Allemagne, la première phrase du premier article de la loi fondamentale du 23 mai 1949 énonce solennellement : « La dignité de l’être humain est intangible ».
  • 12.
    Bacon F., Du progrès et de la promotion des savoirs, Le Doeuff M. (trad.), 1991, Gallimard.
  • 13.
    CE, 24 juin 2014, nos 375081, 375090 et 375091, Vincent Lambert, § 16.
  • 14.
    Feldman J.-P., « Faut-il protéger l’Homme contre lui-même ? La dignité, l’individu, la personne humaine », Droits 2009, n° 48, p. 87.
  • 15.
    Bureau D., Drummond F. et Fenouillet D. (dir.), Droit et morale, 2011, Dalloz.
  • 16.
    Le texte n’envisage que les traitements et, a fortiori, les soins, même si ceux-ci ne sont pas formellement mentionnés.
  • 17.
    Von Reeth A. et Revault d’Allonnes M., L’obstination. Questions de caractères, 2014, Plon.
  • 18.
    De Montaigne M., Essais, p. 43 de l’édition originale disponible sur le site Gallica.
  • 19.
    Lalande A., Vocabulaire technique et critique de philosophie, 2e éd., 1992, Puf, vol. 2, V° « Raisonnable », sens B.
  • 20.
    Ce n’est pas une question de croyance religieuse, mais bien de culture, de civilisation.