La responsabilité administrative de l’État écartée dans l’affaire des prothèses PIP

Publié le 23/12/2020

Pour apprécier si le délai pris par l’autorité de police sanitaire pour retirer les prothèses mammaires de la marque PIP du marché constituait une carence fautive de nature à engager la responsabilité administrative de l’État, le Conseil d’État se fonde sur le rôle et les moyens de cette autorité. En écartant la responsabilité de l’État dans une telle affaire, il nous fournit une solution réaliste et rappelle à cette occasion la particularité du cadre juridique des dispositifs médicaux.

Mains d'un médecin tenant dans ses mains des prothèses mamaires
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CE, 16 nov. 2020, no 437600

CE, 16 nov. 2020, no 431159

Après la solution dégagée dans le cadre de l’affaire du Médiator et retenant, à concurrence de celle du laboratoire, la responsabilité de l’État pour le retard mis par l’autorité de police sanitaire (l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé – AFSSAPS – désormais Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – ANSM) à retirer le produit du marché, la position du Conseil d’État sur l’affaire des prothèses PIP était attendue avec impatience et la publication au recueil Lebon des arrêts rendus le 16 novembre 20201 témoigne, si besoin en était, de l’intérêt de cette problématique.

Pour rappel, à la suite d’une inspection, l’AFSSAPS s’est rendu compte que la société Poly Implant Prothèses (PIP) avait mis en place un système de fraude visant à remplacer le gel médical censé remplir ses prothèses mammaires par un gel de fabrication maison à partir de composants industriels meilleur marché et augmentant de ce fait le risque de rupture de la prothèse une fois implantée. Les prothèses ont été retirées du marché, la société placée en liquidation judiciaire et condamnée pénalement de même que certains de ses dirigeants2. Le fabricant étant insolvable, les nombreuses porteuses de prothèses PIP ont dû se tourner vers d’autres responsables pour obtenir réparation du préjudice lié à l’explantation qu’elles avaient dû subir en raison de la rupture ou du risque de rupture de leurs prothèses. Certaines se sont tournées vers les professionnels et établissements de santé qui les avaient prises en charge, d’autres ont demandé réparation à l’organisme notifié qui avait procédé à la certification des prothèses3 (TÜV Rheinland), d’autres encore ont tenté de faire jouer la garantie assurantielle du fabricant – garantie qui est plafonnée à 3 millions d’euros4 – en exerçant une action directe à l’encontre de l’assureur5 et enfin certaines ont cherché la responsabilité de l’État pour avoir tardé à retirer les dispositifs du marché.

Jusqu’à présent, les tribunaux administratifs ont admis la responsabilité de l’État en raison du retard mis par l’Agence pour prendre des mesures à partir du moment où elle avait, selon eux, eu connaissance du risque de rupture des prothèses, sauf dans les cas où les requérantes avaient été implantées avant ce moment6. Les deux affaires ayant donné lieu aux arrêts du Conseil d’État illustrent cette approche. Dans la première7, la requérante s’était fait poser en février 2006 des prothèses PIP qu’elle avait choisi de se faire explanter à titre préventif en mai 2011. Par un jugement du 11 mars 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d’indemnisation du coût de l’opération de ré-implant et de son préjudice d’anxiété lié à l’angoisse éprouvée entre le moment où le scandale avait éclaté et son explantation. Les faits à l’origine de la seconde affaire8 diffèrent seulement en ce que l’implantation a eu lieu plus tard, en novembre 2009. Le tribunal administratif de Besançon, par une décision du 12 novembre 2019, a jugé que le délai d’action de l’Agence constituait une carence fautive et a condamné l’État à lui verser 3 000 € en réparation de son préjudice moral (la requérante demandait 7 010 € de dommages et intérêts). Ces deux jugements ont fait l’objet de pourvois en cassation, le premier de la part de la requérante, le second de la part du ministre de la Santé.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi dans la première affaire et annule la décision du tribunal administratif dans la seconde, écartant ainsi la responsabilité de l’État pour carence fautive. Pour cela, la haute juridiction se fonde sur le rôle et les moyens de l’Agence rappelant à cette occasion la particularité du cadre juridique des dispositifs médicaux.

Comme il l’avait fait à l’occasion du Médiator, le Conseil d’État pose le principe selon lequel la responsabilité de l’État peut être engagée en cas de faute commise par l’AFSSAPS/ANSM qui agit en son nom. Comme nous l’avions pressenti9, le fait que, pour les dispositifs médicaux à la différence des médicaments, l’autorité de police sanitaire n’intervienne qu’a posteriori n’a pas conduit à maintenir l’exigence d’une faute lourde un temps exigée. Les choses sont donc désormais fixées : pour les médicaments comme pour les dispositifs médicaux, une faute simple pourra engager la responsabilité de l’État.

S’agissant du retrait de produits du marché, la faute consiste en une abstention et est donc, comme le note le rapporteur public Vincent Villette, plus difficile à appréhender qu’une action positive ; elle suppose une « datation fine » « pour établir à partir de quand une inaction se transforme en inertie fautive et, symétriquement, à partir de quelles initiatives cette inertie prend fin ».

Certaines juridictions du fond s’étaient basées sur les rapports d’enquête établis à la suite de l’affaire pour fixer la date à partir de laquelle l’inaction de l’AFSSAPS revêtait un caractère fautif au mois d’avril 2009, c’est-à-dire à la date du bilan dressé par cette dernière sur les incidents reçus sur les prothèses mammaires et faisant apparaître une hausse de ces incidents sur 2008 par rapport aux années précédentes. Toutefois, comme l’ANSM l’avait pointé dans ces affaires, les chiffres des incidents doivent être appréciés au regard des volumes de ventes qui n’ont été portés à sa connaissance qu’ultérieurement ; en outre, le taux d’incidents pour les prothèses PIP était comparable à celui des prothèses d’autres marques. C’est plus tard, à la réception d’alertes circonstanciées (courrier d’un chirurgien faisant part de plusieurs ruptures d’implants PIP et courrier de dénonciation assorti de photographies de bidons de matières premières différentes du gel médical de remplissage) en octobre et novembre 2009, que le Conseil d’État a estimé que l’AFSSAPS aurait pu agir. Il considère en outre que le délai s’étant écoulé entre cette date et la date du 18 décembre 2009 à laquelle l’AFSSAPS a convoqué la société PIP à une réunion, n’est pas constitutif d’une carence fautive.

C’est donc une solution que l’on peut qualifier de réaliste car elle tient compte de la façon dont fonctionne la matériovigilance et du rôle et des moyens de l’ANSM qui sont notamment appréciés par rapport à ceux des organismes notifiés selon la logique des textes européens qui fixent le cadre juridique des dispositifs médicaux. Il est ainsi intéressant de noter que le rapporteur public qualifie l’organisme notifié de « contrôleur de premier rang » et affirme qu’admettre dans ce cas de figure une faute de l’agence « reviendrait à lui reconnaître un rôle de contrôle en continu qui [paraît] en réalité incomber désormais à l’organisme notifié ». Une telle solution évite par ailleurs ce que le rapporteur public qualifie de « biais rétrospectif » ; en effet, « pour qui sait la fin de l’histoire, il est tentant de regarder des signaux faibles pourtant épars et noyés dans la masse comme autant de petits cailloux blancs dessinant un chemin net, que l’autorité administrative se retrouverait coupable de ne pas avoir emprunté ». Elle ferme la porte à une indemnisation par l’État des dommages subis par les victimes – sur le fondement de la responsabilité administrative car rien n’empêche le législateur de mettre en place un fonds d’indemnisation – et se garde de la sorte d’une « analyse en équité, qui conduirait de façon finaliste à assouplir les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État pour pallier l’insolvabilité des autres responsables ».

Reste à savoir si les victimes pourront obtenir réparation de leur entier préjudice auprès de ces autres responsables. Le fabricant étant insolvable et sa garantie assurantielle plafonnée et limitée aux dommages survenus en France10, c’est donc vers l’organisme notifié qu’elles devront plutôt se tourner. Ainsi qu’il ressort de l’interprétation dégagée par la Cour de justice de l’Union européenne, l’organisme notifié est tenu à un devoir de vigilance lui imposant de prendre toutes les mesures nécessaires en présence d’indices suggérant qu’un dispositif médical est susceptible d’être non conforme aux exigences des textes européens ; sa responsabilité peut être engagée dans le cas contraire comme la Cour de cassation l’a admis en sanctionnant la cour d’appel qui avait exclu une telle responsabilité (bien que la cassation soit intervenue pour défaut de motivation de l’arrêt)11. Les juridictions judiciaires appliquant le principe de la responsabilité in solidum, les difficultés ne devraient survenir qu’en cas de recours entre assureurs.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 16 nov. 2020, n° 437600 et CE, 16 nov. 2020, n° 431159.
  • 2.
    Cass. crim., 11 sept. 2018, n° 16-84059.
  • 3.
    CJUE, 16 févr. 2017, n° C-219/15, Schmitt – Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, nos 15-26093, 16-19430 et 17-14401 (arrêts séparés) : M. Bacache, « Prothèses PIP : responsabilité pour faute des organismes de certification », JCP G 2018, 1235. La Cour fédérale de justice allemande s’est également prononcée sur cette question par une décision du 27 février 2020.
  • 4.
    CA Aix-en-Provence, 22 janv. 2015, n° 12/11337.
  • 5.
    CJUE, 11 juin 2020, n° C-581/18, TÜV Rheinland LGA Products et Allianz IARD.
  • 6.
    TA Toulon, 22 oct. 2015, n° 1302231 : V. Vioujas, « L’affaire PIP devant le juge administratif », JCP A 2015, 2353 – TA Montreuil, 29 janv. 2019, n° 1800068 : C. Lantero, « Prothèses PIP : chronique d’un échec indemnitaire », AJDA 2019, p. 951 ; C. Otero, « Prothèses PIP : reconnaissance de la responsabilité pour faute de l’État en matière de police sanitaire », Revue droit et santé n° 89, mai 2019, p. 376 ; Pauliat H., « Prothèses PIP : une carence fautive de l’État, mais limitée », JCP A 2019, 92 ; V. Vioujas, « L’affaire PIP de retour devant le juge administratif », JCP G 2019, 174 – TA Orléans, 9 mai 2019, n° 1703560 : C. Otero, « Prothèses PIP : première application positive de la responsabilité pour faute de l’État en matière de police sanitaire », Revue droit et santé n° 91, sept. 2019, p. 732.
  • 7.
    CE, 16 nov. 2020, n° 431159.
  • 8.
    CE, 16 nov. 2020, n° 437600.
  • 9.
    D. Eskenazy, « La responsabilité administrative de l’État en matière de police sanitaire des produits de santé », Dr. adm. 2020, étude 5.
  • 10.
    CJUE, 11 juin 2020, n° C-581/18, TÜV Rheinland LGA Products et Allianz IARD.
  • 11.
    CJUE, 16 févr. 2017, n° C-219/15, Schmitt ; Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, nos 15-26093, Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, n° 16-19430 et Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, n° 17-14401.
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