Le commerce électronique des médicaments : une mutation inachevée

Publié le 24/01/2019

Le commerce électronique des médicaments fait l’objet d’un régime juridique strict en France. Les dispositions internes concernées sont l’expression d’une conception historique développée pour protéger la santé publique lors de la dispensation des médicaments en officine, puis appliquée à la vente sur internet. Le faible nombre de sites créés par les pharmaciens révèle le scepticisme d’une profession face aux nombreuses contraintes liées à la réalisation de cette activité. L’abondante jurisprudence produite ces derniers mois dans ce domaine illustre néanmoins des incertitudes liées à ce régime juridique. Un contentieux relatif à la légalité des dispositions réglementaires en vigueur s’est développé et a mené le juge administratif à en préciser les contours. En outre, des juridictions civiles doivent se prononcer sur des pratiques menant à contourner ces règles : certains pharmaciens ont recours à des plates-formes commerciales de vente ; et des sites francophones, établis dans d’autres États membres de l’UE, appliquent le droit plus souple de leur pays d’origine pour réaliser cette activité.

Le commerce électronique des médicaments, autorisé en France depuis le 2 janvier 2013, implique de concilier trois facteurs divergents : l’un, économique, résulte de la vente de marchandises et induit une concurrence entre les fonds de commerce ; l’autre, sanitaire, implique de délivrer des médicaments en garantissant une sécurité optimale aux acheteurs ; le troisième est conditionné par l’utilisation d’une interface technologique, internet, dont l’impact croissant sur la consommation nécessite l’adoption de normes adaptées. Bien qu’elle ait suscité un certain scepticisme au sein de la profession et de son ordre professionnel, cette évolution a été conditionnée par le droit de l’UE. La CJUE a statué pour la première fois sur la vente en ligne des médicaments dans son arrêt Doc Morris du 11 décembre 20031, puis, la directive n° 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 a enjoint les États membres de l’UE à autoriser ce commerce sur internet2. Outre les évidents enjeux économiques, ceci répondait notamment à plusieurs études qui ont révélé que plus d’un médicament sur deux acheté sur un site non autorisé était contrefait, supposant des risques sanitaires très importants3. Un cadre juridique a été élaboré en France dans le prolongement des règles encadrant la dispensation des médicaments en officine, afin de garantir un même seuil de protection pour la santé publique.

Le Conseil d’État en a délimité les contours en élargissant le spectre des produits concernés. Tous les médicaments non soumis à prescription peuvent être vendus sur internet, et pas uniquement les médicaments de médication officinale4. La même juridiction a annulé l’arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation adopté le 20 juin 20135. Ces atermoiements illustrent les difficultés à pouvoir réaliser des ajustements adaptés à une profession dont la principale mission relève de la protection de la santé publique. Deux nouveaux arrêtés en date du 28 novembre 2016 reprennent l’ensemble des contraintes techniques et des obligations imposées aux pharmaciens dans l’arrêté du 20 juin 20136.

Le e-commerce connait un essor considérable, les ventes réalisées en France en 2018 ayant représenté plus de 90 milliards d’euros7. Paradoxalement, un faible nombre de créations de sites de vente de médicaments mène indubitablement à s’interroger : cette situation ne risque-t-elle pas d’inciter certains consommateurs à choisir des sites étrangers ou illégaux pour acheter des médicaments ? Les récentes affaires jugées ces derniers mois illustrent des incertitudes. Le juge administratif a précisé les contours du régime juridique appliqué au commerce électronique des médicaments (I). Les juridictions civiles doivent se prononcer sur des pratiques menant à contourner ces règles : le recours, pour certains pharmaciens, à des plateformes commerciales de vente ; et, pour des sites francophones établis dans un autre État membre de l’UE, l’application du droit plus souple de leur pays d’origine pour réaliser cette activité (II).

I – Un cadre juridique progressivement circonscrit

La vente à distance des médicaments implique le respect d’un nombre conséquent de règles dont l’aspect contraignant est critiqué par l’autorité de la concurrence (A). Un contentieux relatif à la légalité des dispositions réglementaires en vigueur s’est développé et a mené le juge administratif à en affiner les contours (B).

A – Un cadre rigide

Au sein de l’Union européenne, trois modèles se distinguent : différents États ont défini un cadre similaire à la France, en limitant la vente en ligne aux médicaments non soumis à prescription médicale et en exigeant que le site de vente soit adossé à une officine physique ; la Grèce restreint la vente aux mêmes médicaments, mais autorise les sociétés créées indépendamment des officines, qualifiées de pure players ; le Royaume-Uni et les Pays-Bas ouvrent la vente à tous les médicaments et autorisent les pure players8.

En France, les demandes d’autorisation sont rares du fait des contraintes administratives qui pèsent sur les pharmaciens (573 sites de vente pour 21 611 officines), et beaucoup de patients préfèrent le contact physique à la commande virtuelle. Les nouvelles dispositions adoptées pour la vente à distance ont été rédigées dans le prolongement des règles déontologiques appliquées à la dispensation en officine, afin de protéger la santé publique. Le pharmacien, en bénéficiant du monopole pharmaceutique et du monopole officinal, est le garant de cette protection. Le médicament est une marchandise dont le caractère particulier a régulièrement été consacré dans la jurisprudence, notamment dans les deux arrêts rendus par la CJUE le 19 mai 2009, et nécessite une attention particulière9.

Le nouvel arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation contient, dans le point 7 de son annexe, les règles applicables au conseil pharmaceutique. Il implique notamment un échange interactif entre le pharmacien et l’acheteur, toute question donnant lieu à une réponse individuelle. Un dialogue doit être initié et permettre de répondre à toute interrogation. Pour accroître la surveillance de cette activité, la préparation des commandes doit être effectuée au sein de l’officine, sous le contrôle du pharmacien. Le second arrêté consacré aux règles techniques applicables aux sites concernés fait référence aux fonctionnalités du site, à la présentation des produits en ligne, les pharmaciens devant exercer leur profession, notamment pour son versant commercial, avec tact et mesure, notamment pour les informations présentées et la publicité, et ne peuvent solliciter la clientèle10. Différentes mentions sont obligatoires (notamment le logo commun européen)11. Aucune valorisation des spécialités vendues ne peut être réalisée afin d’écarter « toute forme de promotion ou d’incitation à une consommation abusive des médicaments »12.

L’autorité de la concurrence a rendu un avis défavorable pour l’adoption des deux arrêtés du 28 novembre 2016, en déplorant « des contraintes additionnelles disproportionnées par rapport à l’objectif de protection de la santé publique », et « un régime discriminatoire par rapport aux conditions exigées pour la vente au comptoir »13. Cette vision, exprimée dans la continuité d’anciens avis, occulte les règles applicables aux pharmaciens dans les officines, et fait prédominer un accès facilité au produit au détriment d’une sécurité optimale pour le consommateur.

B – Des contours précisés par le juge administratif

Saisi de plusieurs recours relatifs aux dispositions du Code de la santé publique résultant des deux arrêtés précités, le Conseil d’État a, par sa jurisprudence, circonscrit les contours des règles techniques appliquées au commerce électronique des médicaments. Dans un arrêt en date du 26 mars 2018, la haute juridiction a statué sur différents points contenus dans l’annexe de l’arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments du 28 novembre 2016. Les points 7.1 et 7.2 de l’annexe, respectivement consacrés à la mise en œuvre du conseil pharmaceutique et à la mention des quantités maximales recommandées lors de la vente, sont conformes au droit de l’UE. Le premier alinéa du point 7.6.1 de l’annexe, imposant à l’équipe officinale de préparer les commandes au sein de l’officine dans un espace adapté, est annulé14. Cette disposition apparaissait disproportionnée car elle excédait la marge laissée aux États par le 2 de l’article 85 quater de la directive n° 2001/83/CE pour protéger la santé publique. La préparation peut dorénavant être effectuée, en conformité avec l’article CSP, art. R. 5125-9, II, 5° dans un lieu de stockage situé à proximité immédiate de l’officine permettant un contrôle effectif, par le pharmacien titulaire, de la dispensation réalisée par les salariés préposés à cette activité. Dans une autre affaire concernant une officine située à 3,6 km de son local de stockage, le Conseil d’État a confirmé que la notion de « proximité immédiate » ne pouvait être retenue, le local étant trop éloigné de la pharmacie15.

Pour la présentation des produits en ligne, « les médicaments sont classés par catégorie générale d’indication puis de substances actives. À l’intérieur de ces catégories, le classement est établi par ordre alphabétique, sans artifice de valeur »16. Le Conseil d’État a, dans un arrêt du 4 avril 2018, estimé que cette disposition était illégale en rappelant qu’en « interdisant toute forme de promotion y compris pour les médicaments de médication officinale, le ministre a adopté sans justification, des dispositions plus restrictives que celles existant pour la vente au comptoir »17. L’interdiction de tout référencement sur des moteurs de recherche ou des comparateurs de prix, contre rémunération, est conforme aux restrictions liées à la publicité. La nécessaire mention des prix, l’hébergement des données de santé et le chiffrement des correspondances ne sont pas remis en cause.

L’enquête annuelle de l’association Familles rurales publiée en décembre 2017 a révélé les manquements des sites français. En matière de prix, sur internet, la réglementation n’est pas respectée par deux tiers des sites ! Les constats sont sévères : 20 % des sites n’apposent pas le logo européen sur les pages du site, 30 % ne proposent pas de questionnaire, 20 % ne respectent pas certaines règles « élémentaires » et procèdent à des demandes d’informations personnelles sans lien avec la vente, 5 % n’affichent pas de notice, et 72 % demandent la validation de la lecture de celle-ci18. Ces observations mettent en exergue la difficile adaptation des officines à la rigueur des textes pertinents et une volonté, pour certaines d’entre elles, de s’écarter de ces exigences.

II – Le cadre juridique contourné

Adopter un cadre normatif dédié à l’utilisation des nouvelles technologies dans le secteur de la santé n’est pas aisé et confronte le contenu des textes, ainsi que leur interprétation téléologique, à la pratique. Le régime juridique strict en vigueur incite les différentes parties concernées à trouver d’autres voies : certains pharmaciens ont recours à des plates-formes de vente (A) ; et des acheteurs se tournent vers des sites étrangers qui vendent des médicaments en France en appliquant le droit de leur pays d’origine (B).

A – Le recours aux plates-formes de vente

Le développement des plates-formes de vente, sur lesquelles de multiples marchandises sont proposées à la vente, suscite l’intérêt de certains pharmaciens qui peuvent bénéficier d’une exposition plus importante. Une société commerciale gère la plate-forme 1001pharmacies.com servant d’interface entre les consommateurs qui ont recours aux services proposés, et les pharmaciens vendeurs de médicaments. Le site, qui n’a pas fait l’objet d’une autorisation du directeur général de l’ARS, propose un catalogue pré-enregistré de médicaments, le patient intéressé pouvant saisir le nom du médicament choisi et procéder à l’achat, y compris pour des spécialités soumises à prescription médicale obligatoire. Le conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP) a assigné la société devant le juge des référés du TGI de Paris afin de faire cesser ce commerce19. Le tribunal a fait droit à la demande du CNOP, la société ayant interjeté appel devant la cour d’appel de Paris.

La société avance que ces activités ne peuvent être assimilées à une offre de vente, mais consistent en la réalisation d’un mandat d’achat pour acquérir, au nom de l’utilisateur, les spécialités souhaitées dans une officine puis procéder à la livraison. Ces assertions sont démenties par la cour, qui énonce quatre constats : le président de la société commerciale n’est pas pharmacien, et aucun responsable n’est inscrit sur un tableau de l’ordre des pharmaciens ; les données de santé sont stockées chez un hébergeur qui n’est pas agréé ; ladite société a commercialisé des médicaments soumis à prescription médicale obligatoire ; elle perçoit elle-même directement le prix des médicaments. L’article CSP, art. L. 5125-25, al. 2 prohibe toute immixtion d’un tiers dans la relation entre un pharmacien et le patient. Ce trouble est manifestement illicite car il « viole de manière flagrante les dispositions relatives à la vente de médicaments, au commerce électronique de médicaments et celles réglementant le stockage des données de santé »20.

Une autre plate-forme de vente, le site doctipharma.fr, a fait l’objet d’un contentieux dont l’issue diffère. La société propose un site de vente individuel fourni au pharmacien tout en respectant les dispositions afférentes à la vente des médicaments par internet. Elle se présente donc comme un facilitateur pour des professionnels confrontés à la maîtrise d’outils techniques et à un ensemble de règles complexes. Chaque site a bénéficié d’une autorisation délivrée par les ARS et a une adresse URL propre. Elle s’appuie sur une base de données habilitée par la Haute autorité de santé, et procède à une présentation des médicaments sans aucune approche promotionnelle. Pour le paiement, un compte de cantonnement unique est utilisé par le pharmacien, sans être édité par doctipharma. L’UDPGO (l’Union des groupements de pharmaciens d’officine), qui souhaitait contester la licéité de cette activité, a saisi le tribunal de commerce de Nanterre21. Le juge a considéré que la plate-forme joue un rôle dans le e-commerce par le biais de la vente à distance et a également motivé son jugement avec le deuxième alinéa de l’article L. 5125-25 du CSP : il est interdit à un tiers d’intervenir dans la relation entre patient et pharmacien. La cour d’appel de Versailles a, le 12 décembre 2017, infirmé le jugement de première instance, en précisant que ce type de solution s’apparente à « une simple prestation technique mise à disposition des pharmaciens »22. Les sites sont standardisés mais gérés personnellement par les pharmaciens qui reçoivent directement les commandes.

Ces deux affaires doivent être distinguées par des pratiques techniques, juridiques et économiques opposées. Le recours aux plates-formes de vente engendre la méfiance, car le fait d’avoir un intermédiaire entre le professionnel et le client peut potentiellement représenter une atteinte au monopole pharmaceutique. Mais les pharmaciens doivent composer avec la concurrence de sites étrangers soumis à des législations plus souples.

B – Le droit applicable aux sites établis dans un autre État membre

L’autorité de la concurrence déduit, dans son avis du 26 avril 2016, que le maintien de règles strictes pour le commerce électronique des médicaments encouragerait les consommateurs à se tourner vers des sites étrangers francophones23. Certains sites, créés dans un autre État membre, ont développé une interface accessible en langue française et vendent des médicaments de manière licite qu’ils acheminent ensuite vers son destinataire une fois l’achat réalisé. Le ministère des Affaires sociales et de la Santé a bien précisé qu’il ne s’opposerait pas à ce commerce24. La clause « marché intérieur » de l’article 3 de la directive n° 2000/31/CE du 8 juin 2000 permet aux sites concernés d’appliquer le droit de leur pays d’origine, même pour des activités développées dans d’autres États au sein de l’UE. En outre, la directive des soins transfrontaliers permet de bénéficier de prescriptions rédigées dans un autre État membre. La « consultation » peut être réalisée virtuellement sur internet lorsque la législation le permet, et les médicaments peuvent être délivrés sur cette base, lorsqu’ils sont autorisés, en France25.

Les pharmaciens français sont dans une situation asymétrique avec des sites créés dans d’autres pays membres de l’UE. L’affaire relative à la société Apotheke montre une logique valorisant des intérêts économiques et aspirations lucratives pour sciemment affronter les règles françaises26. Cette société a créé plusieurs sites de vente de médicaments sur internet notamment « www.shop-pharmacie.fr » par lequel elle vend des médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire autorisés en France. Pour promouvoir ledit site, la société a distribué trois millions de prospectus dans les colis de plusieurs sociétés de vente par correspondance, parmi lesquels figure La Redoute, par la méthode dite de « l’asilage ». Le site, en vertu de la législation de son pays d’origine, n’utilise pas de questionnaire préalable, ne réalise pas d’échange avec les acheteurs, propose des promotions et lors de la vente, dépasse les quantités maximales autorisées. La société Apotheke a également acheté un référencement payant pour les mots clés « lasante.net » (google adwords).

Cette même société a fait l’objet d’une condamnation par le tribunal de commerce de Paris, les articles CSP, art. R. 4235-22 et CSP, art. R. 4235-64, n’étant pas respectés, en raison d’une sollicitation de clientèle « par des moyens indignes de la profession de pharmacien » entrainant une distorsion de concurrence avantageant la société concernée. Celle-ci a interjeté appel, et a avancé d’emblée être uniquement soumise à la réglementation néerlandaise. En outre, ces articles du Code de la santé publique « constituent des entraves non justifiées au principe de libre et, n’étant pas justifiés et proportionnés à la nécessité de la protection de la santé publique », et seraient contraires aux directives européennes nos 2001/83/CE (modifiée) du 6 novembre 2001 (article 85 quater) et 2000/31/CE du 8 juin 2000 prise en son article 3, ainsi qu’à l’article 34 du TFUE relatif aux mesures d’effet équivalent à une restriction quantitative27. La cour d’appel de Paris a, le 28 septembre 2018, sursis à statuer et transmis à la CJUE des questions préjudicielles pour déterminer si ces normes européennes permettent à un État membre d’imposer : l’interdiction de solliciter la clientèle par des procédés et moyens considérés comme contraires à la dignité de la profession ; l’interdiction d’inciter les patients à une consommation « abusive » de médicaments ; et l’application des bonnes pratiques de dispensation avec « l’insertion d’un questionnaire de santé dans le processus de commande de médicaments en ligne et interdisant de recourir au référencement payant »28.

L’article 3, § 4, a), i) de la directive n° 2000/31/CE dispose que la protection de la santé publique permet de restreindre, lorsque cela est nécessaire et proportionné, la libre circulation des services de la société de l’information. Pour toute règle applicable au médicament, il faut déceler si ces mesures sont appropriées ou si leur mise en œuvre prive « la clause de son effet utile », et vérifier si elles sont conformes aux traités et au Code communautaire des médicaments29. L’article 85 quater, 2, de ce même code énonce que « les États membres peuvent imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information ». La CJUE s’est prononcée à différentes reprises sur la marge de manœuvre laissée aux États pour protéger la santé publique, qui relève des objectifs d’intérêt général permettant de déroger aux textes cités. La jurisprudence relative aux mesures d’effet équivalant à une restriction quantitative est abondante30, la Cour de justice ayant récemment réaffirmé l’importance d’internet pour les pharmacies établies dans d’autres États membres et souhaitant atteindre un marché national31. La question étant posée de savoir si ces mesures « sont susceptibles d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les importations entre les États membres »32, et si elles sont conformes au droit de l’UE, légitimées par la protection de la santé et de la vie des personnes (art. 36 TFUE).

Les dispositions concernées sont l’expression d’une conception française de la vente des médicaments développée pour la dispensation en officine puis appliquée au commerce électronique, et non une manœuvre qui pourrait viser à spécifiquement écarter des sites étrangers. Les principes historiques incarnés par l’application du monopole pharmaceutique et du monopole officinal ainsi que la détention du capital des officines ont été édictés afin de protéger la santé publique et le Code de déontologie fut adopté en 1953 pour encadrer l’activité des pharmaciens en France, quelle que soit leur origine. Une différenciation trop importante entre, d’une part, les exigences imposées pour la dispensation des médicaments au sein des officines et, d’autre part, la vente des mêmes produits sur internet, ne pourrait être satisfaisante.

Néanmoins, un infléchissement du régime juridique interne actuellement en vigueur serait probablement bénéfique pour les pharmaciens français afin de ne pas délaisser un marché en plein développement. Cela permettrait de ne pas favoriser le recours à des sites internet développés par des sociétés dont les pratiques commerciales diffèrent sensiblement de la conception nationale de protection de la santé publique et des règles adoptées à cette fin. Ce dessein est complexe : trouver un équilibre entre la préservation de la santé et une optique commerciale adaptée à ce réseau informatique mondialisé relève de la gageure. Mais c’est une réflexion qui pourrait être rapidement engagée et conditionnée par les futures évolutions jurisprudentielles.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CJCE, 11 déc. 2003, n° C-322/01, Deutscher Apothekerverband eV c/ 0800 DocMorris NV et Jacques Waterval : Rec. CJCE 2003, p. 14887.
  • 2.
    Dir. (UE) n° 2011/62, du PE et du Cons., 8 juin 2011, modifiant la dir. (CE) n° 2001/83, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés : JOUE L 174, 1er juill. 2011, p. 74.
  • 3.
    World Health Organization, Growing threat from counterfeit medicines, Bulletin of the World Health Organization 2010, n° 88, pp. 247-248.
  • 4.
    CE, 17 juill. 2013, nos 365317, 366195, 366272 et 366468.
  • 5.
    CE, 16 mars 2015, nos 370072, 370721 et 370820.
  • 6.
    Arrêté du 28 novembre 2016, relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans les pharmacies d’officine, les pharmacies mutualistes et les pharmacies de secours minières, mentionnées à l’article L. 5121-5 du Code de la santé publique : JORF, n° 279, 1er déc. 2016, texte n° 25 − Arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments prévues à l’article L. 5125-39 du Code de la santé publique : JORF, n° 279, 1er déc. 2016, texte n° 26.
  • 7.
    Bervily Itasse E, « Le e-commerce devrait franchir le cap des 90 millions d’euros en 2018 », Les échos études, 30 nov. 2018.
  • 8.
    Aut. conc., avis n° 16-A-09, 9 avr. 2016, relatif à deux projets d’arrêtés concernant le commerce électronique de médicaments.
  • 9.
    CJCE, 19 mai 2009, nos C-171/07 et C-172/07, Apothekerkammer des Saarlandes, Rec. CJCE 2009, p. 4171 − CJCE, 19 mai 2009, n° C-531/06, Commission c/ République Italienne, Rec. CJCE 2009, p. 4103.
  • 10.
    CSP, art. R 4235-30.
  • 11.
    Régl. d’exécution (UE) n° 99/2014, de la commission du 24 juin 2014, concernant le design du logo commun destiné à identifier les personnes offrant à la vente à distance des médicaments au public, ainsi que les exigences techniques, électroniques et cryptographiques permettant la vérification de son authenticité : JOUE L 184/5, 25 juin 2014.
  • 12.
    Arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments prévues à l’article L. 5125-39 du Code de la santé publique : JORF, n° 279, 1er déc. 2016, texte n° 26, pt 2 de l’annexe.
  • 13.
    Aut. conc., avis n° 16-A-09 du 26 avril 2016 relatif à deux projets d’arrêtés concernant le commerce électronique de médicaments, pt 91.
  • 14.
    CE, 26 mars 2018, n° 407289.
  • 15.
    CE, 26 mars 2018, n° 408886, § 5.
  • 16.
    Arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments prévues à l’article L. 5125-39 du Code de la santé publique : JO n° 279, 1er déc. 2016, texte n° 26, pt 2 de l’annexe.
  • 17.
    CE, 4 avr. 2018, n° 407292, § 5. Au sein de l’annexe de cet arrêté, l’avant-dernier alinéa du pt 2 est annulé.
  • 18.
    Association des familles rurales, observatoire des prix des médicaments, dossier de presse, 12 déc. 2017, p. 9.
  • 19.
    TGI Paris, Référés, 8 août 2014, n° 14/55552.
  • 20.
    CA Paris, 25 mars 2016, n° 14/17730.
  • 21.
    T. com. Nanterre, 5e ch., 31 mai 2016, n° 2015F00185.
  • 22.
    CA Versailles, 12 déc. 2017, n° 16/051671.
  • 23.
    Aut. conc., avis n° 16-A-09, 9 avr. 2016, relatif à deux projets d’arrêtés concernant le commerce électronique de médicaments, pt. 95.
  • 24.
    Aut. conc., avis relatif à un projet d’ordonnance et un projet de décret transposant la dir. (UE) n° 2011/62, du PE et du Cons., 8 juin 2011 modifiant la directive n° 2011/83/CE, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés ; Aut. conc., avis n° 12-A-23, 13 déc. 2012, point 76.
  • 25.
    Desmichelle S, « ZAVA, un site pour consulter des médecins en ligne », Sciences et Avenir 22/05/ 2017, accessible en ligne : https://www.sciencesetavenir.fr.
  • 26.
    T. com. Paris, 11 juill. 2017, n° 2016038193.
  • 27.
    TFUE, art. 34 : « Les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, sont interdites entre les États membres ».
  • 28.
    CA Paris, 5-11, 28 sept. 2018, n° 17/17803.
  • 29.
    Bourguignon C. et Wery E. « La vente en ligne de médicaments en France », note de synthèse 2013, cabinet Ulys, accessible en ligne : https://www.ulys.net, p. 33.
  • 30.
    CJCE, 2 juill. 1974, n° 8/74, Dassonville : Rec. CJCE, p. 837 − CJCE, 21 mars 1991, n° C-369/88, Delattre : Rec. CJCE, p. 1487 − CJCE, 21 mars 1991, n° 60/89, Monteil et Samanni : Rec. CJCE, p. 1547 − CJCE, 24 nov. 1993, nos C-267/91 et C-268/91, Keck et Mithouard : Rec. CJCE, p. 6097.
  • 31.
    CJUE, 19 oct. 2016, n° C-148/15, Deutsche Parkinson Vereinigung, ECLI :EU :C :2016 :776, § 23.
  • 32.
    CJUE, 9 sept. 2008, n° C141/07, Commission/Allemagne, EU:C:2008:492, point 28.
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