Seine-Saint-Denis (93)

Les Lilas, la célèbre maternité de nouveau sur la sellette

Publié le 24/05/2022
Maternité, bébé, naissance
Rawpixel/AdobeStock

Aux Lilas, la maternité du même nom est de nouveau sur la sellette. Une situation qui veut dire beaucoup, dans un contexte où l’accès à la santé et aux droits des femmes doivent désormais rimer avec rentabilité.

C’est une façade de bois, rue du Coq Français, aux Lilas (93). Un nom de rue bien choisi pour une institution dont la région parisienne peut être fière. La maternité des Lilas est une institution, un lieu où les femmes accouchent comme elles l’entendent, et sans acharnement médical, et ce depuis 1976. En 2020, 1 276 femmes ont accouché à la maternité des Lilas. Parmi elles, 72 % ont reçu une péridurale et seules 0,5 % a subi une épisiotomie. Contre 21,4 % des accouchements en Île-de-France selon les chiffres d’une étude datant de 2021.

Aux Lilas, les femmes viennent accoucher sans douleur ou bien pratiquer une IVG (près de 900 par an). Tous les parents sont les bienvenus : la maternité a également accompagné en 2020 l’accouchement d’Ali, premier homme transgenre à être reconnu parent dès la naissance de sa fille. Une respiration salutaire dans le département le plus pauvre de France métropolitaine, où les maternités ressemblent plus à des usines à bébé et où le planning familial galère à atteindre toutes les femmes dans le besoin. « Je connais très peu d’hôpitaux où l’avortement a toute sa place au même titre que la naissance », souligne Marie-Laure Brival, gynécologue-obstétricienne, qui fait sa première garde aux Lilas en 1982.

Plus qu’une maternité, une institution féministe

Tout commence grâce à la comtesse de Charnière, dont le rêve est de créer un lieu dans lequel toutes les femmes pourraient accoucher sans douleur, la fameuse « psycho-prophylaxie » obstétricale. La comtesse avait fait la connaissance de Fernand Lamaze, le “pape” de l’accouchement sans douleur en France, qui avait découvert une technique de relaxation et de respiration lors d’un voyage en Russie. Nous sommes dans les années soixante-dix, à une époque où la gynécologie-obstétrique ne fait vraiment pas dans la dentelle, pire les douleurs de l’enfantement sont encore considérées par beaucoup comme faisant partie d’un châtiment divin. C’est dans cet esprit d’avant-garde que la maternité des Lilas voit le jour en 1964.

En 1976, la clinique doit faire face à une première menace de fermeture : la raison est simple, elle n’est pas rentable car les procédures sont très peu chères, une volonté de la Comtesse ! Malgré ce contexte, les équipes continuent de lutter contre l’hyper médicalisation des accouchements et ce dans une ambiance de travail et une hiérarchie toute soixante-huitarde :  » Chacun pouvait parler, s’exprimer… La femme de ménage pouvait aussi donner son avis sur le comportement de la sage-femme qui venait de faire un accouchement. On était dans la continuité d’un post-68. Et ce lieu m’a littéralement fasciné », se souvient Marie-Laure Brival.

En 1980, la clinique privée devient association à but non lucratif, un établissement donc à la fois privé mais inclus dans le groupe des hôpitaux publics. Année après années, les difficultés apparaissent (elle enregistre un déficit de 4,5 millions d’euros par an), les menaces de fermeture, de reprise, de déménagement se multiplient et les salariés-militants font chaque fois le planton devant le ministère de la Santé, battent le pavé pour défendre l’institution. En 2011, un collectif citoyen mené par l’élue Madeline Da Silva avait déjà été créé pour défendre la maternité des Lilas, menacée de fermeture. Le 29 avril dernier, les pancartes répétaient à peu près les mêmes choses que lors des combats précédents : « Maternité fermée, Seine-Saint-Denis délaissée » ! Lionel Benharous, maire socialiste des Lilas faisait partie du cortège : « Ce lieu fait partie du patrimoine de la ville, et il est un véritable symbole militant. On ne défend pas une maternité aux Lilas, mais cette maternité-là », avait-il confié à nos collègues de Libération. L’édile espère un « engagement financier ferme de l’État » pour garantir le « maintien du projet et l’âme de cette maternité ».

Mais ne vous y trompez pas : en 2022, le combat est autrement plus grave : déficitaire, la maternité avec ses locaux devenus trop vétustes (les chambres n’ont toujours pas de toilettes individuelles, par exemple), doit trouver un repreneur d’ici au 2 juin pour que soient renouvelées ses autorisations d’activité délivrées par l’Agence régionale de santé. La maternité avait été liée au projet d’adossement à la clinique Floréal, à Bagnolet. Mais le groupe Almaviva, qui a repris cette dernière, avait finalement abandonné le projet en février. “Ils nous ont laissés sur le carreau”, s’était attristée Myriam Budan, directrice de la maternité des Lilas. Et la solution semblait tout indiquée : le groupe privé à but lucratif Avec, a proposé une fusion de la maternité des Lilas avec sa clinique de Livry-Gargan, située à une dizaine de kilomètres de l’institution. Une solution que rejettent férocement les employés, pour qui profit et soin ne peuvent être compatibles :  « Les taux de césarienne à Livry-Gargan sont trois fois supérieurs… Les Lilas sont l’une des seules institutions en France qui a été capable de proposer un accompagnement humain des femmes avant une proposition de médicalisation. Cet accompagnement humain, dans notre système de soins tel qu’il est pensé, n’existe pas. C’est pour ça qu’il est essentiel de sauver ce conservatoire d’humanité », a expliqué à Libération Chantal Birman, sage-femme très reconnue dont le quotidien a été capturé dans un formidable documentaire “À la vie”, sorti en octobre 2021.

Un collectif et une pétition créés dans l’urgence

Afin de faire pression sur les pouvoirs publics, les employés, mais aussi d’anciennes patientes et des figures du mouvement féministe ont lancé un collectif, le collectif des Lilas, et ont mis en ligne sur le site Change.org une pétition appelant « l’ARS et le ministère de la Santé à se saisir du dossier, renouveler les habilitations et sauver cet établissement ». Elle a déjà recueilli près de 40 000 signatures.  « Nous demandons au ministère de la Santé et à l’ARS le temps et les moyens de mettre en place un projet pérenne dans de nouveaux locaux, tout en conservant son personnel, ses valeurs et ses pratiques », écrivent les signataires.

« Alors que les propriétaires des murs changent, les objectifs et engagements des repreneurs potentiels ne sont pas clairs quant au maintien de l’activité de maternité et son statut associatif à but non lucratif, soutenu par le secteur public. Si la maternité devait se conformer à des objectifs de rentabilité (impliquant des actes tarifés type césarienne) ou même disparaître, ce serait des milliers de patientes dans le 93, département avec des enjeux médicaux et sociaux particulièrement lourds, sans solution pour accoucher, être suivie, et avorter librement », rapporte la pétition.

Grâce à la pétition et à son combat, le collectif a obtenu en mai un an de sursis. Reçus au ministère, des représentants ont obtenu une prolongation de l’autorisation d’exercer jusqu’à juin 2023. Après un meeting à la mairie des Lilas, plusieurs groupes de travail se sont constitués visant à établir un nouveau projet… Et éviter le projet de fusion avec la clinique de Livry-Gargan. La maternité dispose désormais d’un an pour trouver une solution viable. Une transformation de l’association en SCIC ou en fondation est par exemple évoquée, tout comme l’adossement « à distance » à une autre structure, en maintenant la maternité aux Lilas.

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