ANDRH : quels sont les enjeux du futur pour la fonction RH ?

Publié le 04/04/2022

Deux ans après le début de la pandémie de Covid, l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines) et BCG publient la deuxième édition de leur enquête sur le futur du travail. Ces résultats, concernant l’impact de la crise et la vision des DRH  sur le travail à horizon 2025, dessinent les contours d’une fonction RH consciente des défis actuels et futurs, comme l’hybridation du travail, de nouvelles attentes formulées par les salariés et les candidats, et un monde de l’entreprise qui ne connaîtra pas de marche arrière. Interview avec Audrey Richard, présidente nationale de l’ANDRH.

Actu-Juridique : De façon générale, les changements des deux dernières années ont bouleversé le monde de l’entreprise comme aucun autre événement de l’histoire contemporaine ?

Audrey Richard : C’est tout à fait ce qu’on pense et ce qu’on a dit pendant quasiment deux ans ! Cependant, dans notre nouvelle enquête, il n’y a pas de grand « shift », ce ne sont pas des choses radicales qui ressortent. Mais justement, ce sont des choses que les DRH avaient anticipées et dont on voit qu’elles se confirment.

En tout cas, quand on parle de télétravail, de management, ce sont des sujets qui ne sont pas nouveaux : cela fait 10 ans qu’on forme les managers. Mais cette période a permis de « cranter », de faire un énorme pas en avant et de gagner du temps. Donc oui, cela fait dix ans qu’on travaillait sur l’évolution du management, mais là, ça y est, après deux ans, on est vraiment passé à autre chose. La même chose s’est produite sur le télétravail : aujourd’hui c’est un incontournable, à tel point qu’on ne parle plus de télétravail mais de travail hybride.

Et on le voit bien dans les entreprises : quand elles recrutent, les questions des candidats sur le télétravail se posent en début d’entretien, alors qu’avant, elles étaient abordées à la toute fin, du bout des lèvres. Ce n’est plus du tout le cas. Cela devient la norme. C’est précisément dans cette direction que l’on va : une normalisation du travail hybride dans les entreprises. C’est un changement majeur. Et c’est surtout signe de non-retour en arrière, tant sur le travail hybride que sur le management. Cela implique pour les managers de miser sur l’autonomie, la confiance, la culture du feedback. Ces bouleversements sont aussi demandés par les salariés et les candidats aujourd’hui : on ne peut pas imaginer revenir en arrière avec du management descendant comme auparavant.

AJ : Justement, la dernière enquête montre que les attentes des salariés et candidats ont changé, qu’ils souhaitent plus de flexibilité, notamment. Cela signifie-t-il qu’ils ont un autre rapport au travail ?

AR : De notre point de vue, oui. Notre enquête indique que 90 % des répondants et des talents expriment des attentes post-Covid différentes : des demandes de flexibilité, sur le « quand je travaille » et le « où je travaille ».

Et d’après les échanges menés avec les RH dans les territoires, il apparaît aussi une pénurie de main-d’œuvre : depuis cette crise, on a vu des salariés sortir du marché de l’emploi, on a vu des salariés déménager, se reconvertir et passer à autre chose, ou en quête profonde de sens. Concrètement, ce sont des gens qui se sont posés pendant le Covid, et qui ont été stoppés dans leur quotidien opérationnel et qui ont réfléchi sur leur vie personnelle et professionnelle, à ce qu’ils attendent d’une entreprise, dans leur vie. Cela a des conséquences fortes sur l’entreprise : certains ont quitté les métiers comme ceux de la restauration, avec des contraintes fortes, et ces secteurs souffrent toujours d’une pénurie absolue.

AJ : Certains métiers ont donc perdu toute attractivité ?

AR : Oui. Dans ce cas, cela veut dire que la branche doit s’interroger sur son métier, sur la façon dont elle manage ces métiers-là, également. C’est réinterroger, non seulement la qualité de vie au travail, mais la qualité du travail. D’ailleurs, pour 84 % des répondants, la fonction de manager est profondément impactée, avec une attente forte sur le partage du sens… Comment expliquer la raison d’être d’une entreprise ? Ce n’est pas simple. Sur le terrain, on le voit, les jeunes ne veulent plus manager car les codes ont été tellement chamboulés que les attentes sont différentes. Nous sommes en alerte là-dessus. C’est complexe aujourd’hui de manager. Il faut le faire avec un management de conviction.

AJ : Il y a une transition culturelle ?

AR : Oui, tout à fait. Je suis étonnée des retours des DRH de province. On avait fait des plans (revue des talents, plan de successions) mais les jeunes ne veulent plus manager. Au niveau RH, cela veut dire que nous avons du travail là-dessus, pour expliquer cette transition, comment on va former, etc.

AJ : Que voulez-vous mettre en avant pour renforcer l’attractivité ?

AR : Pendant la période du Covid, on a beaucoup formé sur le management à distance. L’enjeu actuel porte beaucoup sur la façon de recréer du collectif avec des équipes hybrides.

AJ : Sur la question du sens, concrètement, comment faites-vous ? Finalement des questionnements très intimes se retrouvent dans la sphère du travail. Vous devez faire place à davantage de perméabilité entre deux sphères autrefois nettement séparées, non ?

AR : C’est hypercomplexe pour les entreprises parce que les salariés, et notamment les jeunes, attendent que l’entreprise leur « parle », par rapport à leurs convictions, à titre personnel. Les jeunes s’interrogent : « Est-ce que, à titre personnel, cette entreprise va correspondre à mes attentes sur la transition écologique, sur le modèle de gouvernance, etc. » ?

Dans les communications, on parle donc beaucoup de décarbonation, par exemple, les entreprises insistent là-dessus, car cela leur parle.

AJ : Se sentir bien idéologiquement avec son entreprise, est-ce une façon de pérenniser la présence des collaborateurs ?

AR : Oui, clairement. L’entreprise, ce n’est plus que du travail, il faut désormais qu’elle corresponde à mes valeurs. On se place sur le terrain idéologique.

Les bouleversements des deux dernières années poussent les entreprises à revoir leur organisation du travail (où, quand…) et là-dessus, l’entreprise doit proposer des choses différentes. Et même sur le présentiel, on ne revient pas comme à la situation d’avant. Il faut organiser des réunions un peu différentes, faire travailler les gens ensemble, sur des idées, de la cohésion, plus qu’avant.

AJ : Le présentiel se révèle définitivement indispensable, donc…

AR : Ce qui est sûr, c’est que le présentiel aide à créer l’esprit d’équipe et le collectif. Parce que le tout à distance a ses limites et même dans un système hybride, on a besoin du présentiel pour travailler sur le collectif. L’ANDRH s’était positionnée contre le tout en distanciel, et la réalité nous donne raison : seules 1 % des entreprises optent pour le tout distanciel.

AJ : Sur l’hybridation, le tableau est nuancé. Il y a une prise de conscience de certains risques potentiels, mais ces risques-là n’apparaissent pas dans le ressenti des RH. Comment expliquer ce paradoxe ? Est-ce une question de mois ?

AR : Une chose est sûre : avec les confinements successifs, on connaît les risques, on sait très bien les identifier. Perte d’interactivité, surcharge de travail, sentiment d’appartenance à l’entreprise diminué, inégalités femmes-hommes… Mais quand on questionne les RH sur la réalité de ces risques, peu le constatent. Cela veut dire qu’à travers nos accords collectifs, de négociation avec les partenaires sociaux, nous avons obtenu des accords qui  nous prémunissent et préviennent ces risques.

AJ : Pour autant, vous gardez une vigilance particulière ?

AR : Oui, car de toute façon, ce sont des sujets de cœur pour les RH. Mais c’est vrai que l’on a beaucoup parlé à un moment des conséquences négatives du télétravail. Or cela n’apparaît pas, même si pour cette enquête, on a demandé du côté des entreprises. On peut aussi faire le lien avec l’index égalité, qui a augmenté d’un point, certes, mais quand même augmenté.

AJ : Quid de la révolution de l’espace de travail ? De la question de la réduction de locaux ? La tendance se poursuit-elle ?

AR : Pendant le confinement, beaucoup d’entreprises ont décidé de rendre des locaux. Il y a eu une tendance à la réduction des sites au profit d’espaces de coworking. Mais cela s’est un peu stabilisé, parce que le présentiel permet l’idéation, la cohésion, de capter les signaux faibles et de travailler sur le collectif. Même si on n’a pas de chiffres, c’est ce que je ressens à travers les échanges.

AJ : Le fait que vous ayez réalisé régulièrement des études et assuré un suivi de ces sujets signifie-t-il que l’ANDRH avait bien saisi quels seraient les piliers du travail de demain ?

AR : Ça veut dire qu’on est au cœur de ce qui se passe sur le terrain ! On voit, on ressent les attentes des salariés et candidats, et aussi, on est conscient d’évoluer dans un marché pénurique des compétences dans tous les secteurs !

Nous, RH, sommes au cœur du business, donc on voit ces impacts sur le monde du travail. Mais on ne doit pas s’arrêter là pour autant.

Le monde du travail change, mais ce qui le régit en France, c’est le Code du travail, qui selon nous n’est plus adapté. Il y a des choses à revoir. On a quelques propositions basées sur les retours de nos groupes de DRH – que l’on dévoilera après les présidentielles, puisque notre association est apolitique.

AJ : Quelles sont les éventuelles inquiétudes que vous avez ?

AR : Mes inquiétudes portent seulement sur le dernier point de l’enquête, « une fonction RH renforcée ». Certes, on ressort renforcé. Très bien, mais il faut stabiliser cet acquis. Pour les RH, les priorités à traiter finalement ne citent pas la transformation digitale ou les questions liées au business. Les répondants citent davantage des sujets autour de l’égalité et de la diversité. C’est indispensable de s’intéresser à ces questions, mais il faut aussi rester collé au business et à la transformation de nos organisations. Si on veut rester en première ligne, rester les capteurs des évolutions, il faut rester en ouverture sur notre écosystème, et que les RH n’oublient pas les transformations du business, la question des robots, de l’IA ou du métavers.

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