« Après un arrêt de travail, il faut accompagner la reprise »
La société Réhalto, basée dans les Hauts-de-Seine (92), œuvre à promouvoir la santé globale des individus et des entreprises, avec pour objectif de conjuguer bien-être et performance. Elle accompagne les individus et les organisations par des services de prévention et de gestion des risques psychosociaux. Elle a commandé une étude auprès d’Opinioway sur les arrêts de travail, rendue publique le 16 juin dernier. Christian Mainguy, son directeur général, nous présente les données recueillies.
Les Petites Affiches – Vous avez réalisé dernièrement une enquête sur les arrêts de travail, qu’en ressort-il ?
Christian Mainguy – Après une première étude sur ce sujet en 2015, nous avons en effet mené cette étude pour la deuxième année consécutive. Nous avons fait appel à l’institut de sondage Opinionway, qui a interrogé 300 directeurs des ressources humaines et 1 015 salariés d’entreprises de plus de 50 personnes. Ce qui ressort d’ores et déjà à l’issue de ces deux années d’étude, c’est que les arrêts de travail ont tendance à augmenter depuis au moins cinq ans. 34 % des salariés déclarent avoir été arrêtés au cours de l’année 2014. On observe cependant une forte hétérogénéité de ce taux au regard des catégories socioprofessionnelles des salariés et de leur secteur d’activité. Ainsi, en volume, les ouvriers sont plus nombreux que les autres à avoir connu un arrêt de travail en 2014, de même que les salariés du BTP et de l’industrie. Il y a plus d’arrêts dans les grandes entreprises que dans les petites, probablement parce que les arrêts de travail ont plus d’impact dans les petites entreprises, où il n’y a qu’une personne par service. Ce que l’étude montre aussi, c’est que les salariés ont besoin d’un accompagnement. Un salarié en arrêt de travail sur deux estime qu’il aurait besoin d’être accompagné pour reprendre son activité à l’issue de cette période.
LPA – Comment ces arrêts sont-ils perçus par l’entreprise ?
C. M. – Il y a une grande différence de perception entre les managers et les salariés. Les directeurs des ressources humaines estiment que l’essentiel des arrêts dans leur entreprise sont liés à la maladie elle-même (84 %) ou à des difficultés liées à la vie personnelle des salariés (10 %). Seuls 5 % des DRH interrogés relient les arrêts plus directement à l’environnement professionnel, qu’il s’agisse de tensions liées à l’organisation du travail ou à des difficultés liées aux pratiques managériales dans l’entreprise. Sur ce dernier point, la perception des salariés est tout autre : 20 % des salariés qui ont connu un arrêt font un lien direct entre cet arrêt et leur environnement de travail, et ce score monte même à 30 % pour les ouvriers.
LPA – Pourquoi avez-vous tenu à mener cette étude ?
C. M. – Il y a très peu d’études sur le sujet, alors que le nombre d’arrêts de travail est un baromètre de la santé d’une entreprise. Les arrêts de travail ont un coût qui est mal connu. Les directeurs des ressources humaines estiment que ces arrêts impactent fortement la vie de l’entreprise, car ils désorganisent la vie de l’équipe et provoquent une surcharge de travail pour les autres salariés. Pour autant, ils n’arrivent pas bien à chiffrer ce coût : seuls 9 % disent en avoir une idée précise. Nous manquons donc de données sur ce sujet. Nous prévoyons de continuer à poursuivre notre étude les années suivantes pour combler ce déficit d’information et pour avoir un véritable observatoire des arrêts de travail. Le but est surtout de pouvoir proposer des solutions adéquates, une fois ce phénomène mieux compris.
LPA – Vous estimez qu’il faudrait mener une politique de prévention en entreprise…
C. M. – En effet. Il faut tout d’abord travailler sur la compréhension, poser un diagnostic sur cet absentéisme. Ensuite, il faut accompagner les salariés dans leurs difficultés personnelles et professionnelles en amont, sans attendre qu’ils doivent se mettre en arrêt. Il faut que les managers soient mieux formés pour être à l’écoute de leurs collaborateurs.
LPA – Et que préconisez-vous, lorsque le salarié doit tout de même être arrêté ?
C. M. – Mieux vaut prévenir pour faire en sorte d’éviter les arrêts de travail, mais si une personne doit malgré tout être arrêtée, il est souhaitable qu’elle bénéficie d’un accompagnement physique et psychologique, et qu’elle soit suivie au moment de la réadaptation. L’étude menée avec Opinionway montre que 78 % des salariés arrêtés jugent que ces arrêts longs impactent négativement les évolutions de carrière. Plus l’arrêt est long, plus il est difficile de se réadapter. Entre-temps, il peut s’être passé des choses dans l’entreprise : il peut y avoir eu une restructuration, un changement dans l’équipe… Du côté du salarié, un arrêt maladie change souvent la donne aussi. C’est généralement un temps propice à la réflexion, le salarié peut avoir d’autres attentes à son retour. Il peut par exemple vouloir changer de service ou nécessiter un mi-temps thérapeutique… Il faut aider les personnes à regagner en confiance, parfois faire une médiation pour adapter le poste. Au-delà de ces dispositions RH spécifiques, les salariés ont besoin d’écoute, de soutien psychologique et de considération. 13 % des personnes que nous avons interrogées auraient par exemple souhaité que l’entreprise prenne des nouvelles sur leur état de santé.
LPA – Votre entreprise est spécialisée dans l’accompagnement des salariés. Comment travaillez-vous avec ceux qui ont été arrêtés ?
C. M. – Nous prenons connaissance des arrêts de travail via les assureurs qui nous donnent les coordonnées de personnes qui ont été en arrêt. Ils nous soumettent leur dossier de manière confidentielle, et nous les contactons par mail ou par téléphone. Cela fonctionne ensuite sur la base du volontariat. Si les personnes concernées souhaitent que nous les accompagnions, on bâtit avec eux un programme d’accompagnement spécifique et pluridisciplinaire qui contient selon leurs besoins de l’accompagnement psychologique, physique, professionnel… Une personne qui reprend son travail après un cancer, par exemple, peut avoir besoin d’un accompagnement physique, de travailler sur les postures, mais aussi d’un accompagnement psychologique pour reconstruire une nouvelle image d’elle-même et affronter le regard des collègues à son retour… Nous travaillons avec des ergothérapeutes, des psychologues, des conseillers professionnels, des préparateurs physiques, des formateurs. Nous avons un réseau de 1 800 professionnels, afin que tout bénéficiaire puisse trouver un intervenant à proximité de son domicile.
LPA – Quelle sont les principes qui structurent votre travail ?
C. M. – On prône une approche coordonnée, qui prenne en compte le salarié et l’entreprise. Vous pouvez travailler sur l’estime de soi, la psychologie du travailleur, mais si vous oubliez le maillon professionnel vous pouvez rater la réinsertion sur le lieu du travail. Nous encourageons les personnes que nous suivons à prendre contact avec le DRH, le médecin du travail. On peut également le faire pour eux, s’ils nous le demandent, ou nous pouvons leur conseiller de solliciter un conseiller professionnel s’il est nécessaire d’aménager le poste. De la même manière, si vous prenez en compte uniquement le versant professionnel sans travailler sur les éléments psychologiques et les craintes liées à la reprise de l’emploi, cela risque de ne pas fonctionner non plus. Il est vraiment important de prendre en compte les deux dimensions.
LPA – Votre savoir-faire vient du Canada, où a été fondée votre société. Comment votre projet est-il perçu en France ?
C. M. – L’accompagnement des salariés en arrêt de travail est encore peu développé en France. Selon notre enquête, 3 % des arrêts de travail sont des arrêts longs, et un salarié sur deux souhaiterait être accompagné suite à un arrêt long. Cela représente donc des centaines de milliers de personnes qui voudraient être accompagnées et ne le sont pas… À titre de comparaison, en Hollande, vous ne pouvez prétendre à une indemnisation au titre de l’incapacité que si vous vous faites accompagner. Je plaide pour que l’accompagnement soit un droit, car c’est nécessaire au salarié autant qu’à l’entreprise.