Conseil des prud’hommes d’Évry : « On se retrouve dans un procès du travail temporaire plutôt que dans un contentieux prud’homal »
Les 104 contrats de travail de Monsieur T. vont être requalifiés en un CDI : la société de collecte des déchets Sepur Dourdan le concède dès le début de l’audience. Mais son avocate fait tout pour minimiser les indemnités à verser au salarié et ne surtout pas faire reconnaître la récidive – d’autres branches locales de la société ont déjà été condamnées pour des faits identiques.
Pour une fois, les deux parties ne proposent pas deux versions radicalement opposées de la situation. Des deux côtés, un même son de cloche : les 104 contrats de travail en intérim de Monsieur T., en tant qu’équipier de collecte des déchets pour le compte de la société Sepur, sont requalifiables en CDI.
Puisqu’il a déjà gagné là-dessus, le défenseur syndical Richard Bloch va concentrer ses efforts sur deux aspects : obtenir le maximum d’indemnités possible pour le salarié et, surtout, faire connaître la condamnation de la société, entre autres via son affichage sur les murs des locaux pendant 15 jours. « Avec seulement mes petits bras de défenseur syndical, j’ai déjà recensé 12 ou 15 condamnations de la société Sepur pour ces mêmes faits et il y en a sans doute beaucoup d’autres. Je n’en suis moi-même pas à ma première… », lance le syndicaliste de la CGT. Il explique que le recours au travail d’intérimaires en lieu et place d’emplois permanents fait partie des pratiques ordinaires de l’entreprise. « 40 % des effectifs sont des emplois temporaires ! Ce sont des chiffres donnés au CSE », tempête Richard Bloch.
Prévoyant déjà la ligne de défense qu’adoptera en réponse Sepur – l’agence de Dourdan, qui a employé Monsieur T., aurait une personnalité propre –, le syndicaliste assure que « Sepur, avec ses 2 500 ou 3 000 salariés n’a qu’un seul CSE et je saisis l’entreprise avec son numéro de SIRET unique ». Pour cette raison, il demande la saisine du procureur pour que l’entreprise soit condamnée à une amende majorée en raison de la récidive et ainsi « faire tellement monter le tarif du redressement de l’intérimaire que ça perde son intérêt économique », explique-t-il.
Une fois le recours au travail d’intérimaires dénoncé, Richard Bloch passe au cas spécifique de Monsieur T. Il a travaillé comme éboueur pour la société Sepur pendant 14 mois via la société Drop Intérim. Selon le défenseur syndical, cette société ne faisait en réalité que régulariser la situation après coup. Il demande des indemnités diverses : pour la requalification des 104 contrats en un CDI, pour le licenciement sans cause réelle ni sérieuse, pour la non-jouissance des congés payés ainsi, le versement des salaires interstitiels entre les différents contrats – « la jurisprudence dit que si le salarié se tenait à disposition de l’employeur, les salaires doivent être versés ». Au total, le défenseur syndical demande à ce que Sepur verse au salarié un peu plus de 20 000 euros et que la société d’intérim lui verse près de 7 500 euros.
L’avocate de Sepur répond point par point au défenseur syndical, avec des intérêts exactement opposés : minimiser le plus possible les indemnités et ne pas faire établir la récidive. « Sepur Dourdan a sa propre personnalité juridique. On a 13 ou 15 décisions au dossier mais aucune ne concerne Sepur Dourdan. Il ne peut y avoir de récidive ». Elle passe aux demandes formulées par Richard Bloch :
« — Concernant la requalification en CDI, ma cliente reconnaît les faits à compter du 30 septembre 2021.
— On gagne du temps, sourit la présidente de séance.
— Mais il n’y a pas d’accord concernant les indemnités demandées. Le dernier salaire brut est de 1 515 euros » (et non 1 680,96 euros comme demandé par le défenseur du salarié, NDLR).
La suite est tout aussi expéditive : concernant le paiement des périodes entre les contrats, « Il ne démontre pas avoir été en temps complet, vous devez débouter » et au sujet de la non-jouissance des congés payés, « il aurait pu refuser des contrats ».
Après cette plaidoirie express, place à celle de sa consœur. Bien qu’elle défende les intérêts de la société d’intérim, ses premiers mots sont des paroles de soutien à la société de collecte des déchets incriminée : « On se retrouve dans un procès du travail temporaire plutôt que dans un contentieux prud’homal. C’est une vraie vendetta contre la société Sepur ! », tempête l’avocate. À son tour, elle répond point par point à chacune des demandes formulées par le défenseur syndical, parce qu’on lui demande « 8 mois de salaires pour 14 mois d’ancienneté » en indemnités et compensations. Elle commence par « cette histoire de congés payés » : « Soit on demande des congés payés, soit on demande des indemnités. Mais on ne peut pas avoir les deux ! ».
Dans le public, Monsieur T., qui souffle fort depuis le début de l’audience s’agace. « C’est n’importe quoi », chuchote-t-il depuis le troisième rang. Mais les audiences prud’homales sont ainsi faites que le dernier mot appartient à celui qui est mis en cause et se défend – presque toujours les entreprises.
« — Le délibéré ? demande l’une des avocates.
— Le 11 juin.
— Je l’avais déjà noté dans l’affaire précédente, relève Richard Bloch.
— Vous êtes beaucoup plus efficace que moi », complimente l’avocate de la société d’intérim avec la cordialité des ennemis qui se recroisent souvent.
Après une prorogation du jugement, le voilà finalement rendu. Il requalifie sans surprise les 104 contrats en un CDI et fixe le salaire à 1 680,96 euros. Au total, Sepur va devoir verser à Monsieur T. : 7 194,25 euros et Drop Intérim : 4 418,63 euros. Le conseil des Prud’hommes rejette la demande de saisine du procureur et ne condamne pas Sepur à afficher la décision concernant Monsieur T. sur ses établissements comme voulu par le défenseur syndical.
Et le conseil rejette plusieurs demandes de dommages et intérêts arguant que le demandeur ne prouve aucun préjudice. « Une infamie puisqu’il permet que le non-respect de la loi ne soit pas sanctionné. Une bien curieuse chose à une époque où la sanction est considérée comme la seule manière de combattre les infractions », s’indigne Richard Bloch. Les rejets concernent notamment la non-jouissance des congés payés, le non-respect des délais de carence entre les contrats et le non-respect des délais de transmission des contrats.
Référence : AJU015s8