Dans les coulisses des enquêtes sociales rapides

Pour chaque comparution immédiate est rédigée une « enquête sociale rapide » (ESR) qui permet aux magistrats de cerner la personnalité du mis en cause et de personnaliser la peine. Au tribunal judiciaire de Créteil, la mission est confiée à l’Apcars (Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale). Actu-Juridique a rencontré Mathilde Dubois, directrice de son antenne val-de-marnaise. Entretien.
Actu-Juridique : Avant toute comparution immédiate est diligentée une enquête sociale rapide permettant aux magistrats de cerner qui est le mis en cause. Comment sont effectuées ces enquêtes ?
Mathilde Dubois : On distingue trois étapes : l’entretien avec la personne déferrée, qui se fait toujours avec son accord. Il y a ensuite la phase de vérification pour s’assurer que les informations données par la personne sont justes, on contacte la famille, l’employeur ou toute autre personne qui pourrait nous donner des éléments complémentaires. Et enfin, le temps de la rédaction avant de remettre l’enquête à la juridiction. Le tout dure environ une heure et demie par enquête, sachant que parfois la vérification n’est pas possible, soit parce que la personne n’a pas les numéros de son entourage, que son téléphone n’a plus de batterie ou qu’elle ne souhaite pas nous communiquer les coordonnées. Dans ces cas-là, on indique bien que l’enquête a été réalisée uniquement à partir des déclarations de la personne déferrée.
AJ : Comment se déroulent les entretiens avec les mis en cause ?
Mathilde Dubois : C’est un moment important, parce qu’on fait face à des personnes qui ont passé 24, 48 voire 72 heures en garde à vue et souvent cet entretien est le premier qu’elles ont en dehors d’un interrogatoire de police. Les personnes déferrées font bien la différence entre le travail des policiers et celui des enquêtrices sociales où il y a une forme de réhumanisation après des heures qui ont pu être difficiles. Les enquêtrices mènent des entretiens semi-directifs qui durent une vingtaine de minutes. On a un certain nombre d’informations à aller chercher : l’état civil, le lieu de vie, l’environnement social et familial, le parcours et l’insertion professionnelle, les éventuels problèmes de santé quels qu’ils soient, y compris tout ce qui est addiction ou troubles psy, et l’accord de la personne sur un éventuel aménagement de peine.
AJ : Que se passe-t-il quand il vous est matériellement impossible de mener à bien l’enquête sociale rapide ?
Mathilde Dubois : On produit un PV de carence en déclinant le motif : soit que la personne a refusé l’entretien, que l’entretien n’était pas faisable compte tenu de l’état de la personne (malade, état d’agitation trop important).
AJ : Quelle est la formation des enquêtrices sociales – toutes sont des femmes – qui travaillent à l’Apcars 94 ?
Mathilde Dubois : Nous avons actuellement sept enquêtrices mais seule notre référente travaille à temps plein sur les enquêtes sociales rapides. La majorité d’entre elles sont salariées de l’association mais effectuent aussi d’autres missions. En raison des fluctuations de l’activité nous avons également des travailleuses indépendantes qui complètent leur activité libérale par des enquêtes sociales rapides. Les profils sont variés : on a des psychologues, des juristes mais on peut aussi recruter des travailleuses sociales sur ces fonctions. Elles font un travail formidable avec des compétences d’analyse, d’écoute et une maîtrise de l’entretien semi-directif qui sont excellentes pour réussir à retirer la substantifique moelle des éléments qui permettront d’éclairer les magistrats en un temps aussi restreint. Ce sont des compétences très précieuses qui méritent d’être valorisées.
AJ : Lors des comparutions immédiates, les enquêtes sociales rapides (ESR) jouent un rôle très important pour la personnalisation de la peine. Quel impact est-ce que cela a sur votre travail ?
Mathilde Dubois : Savoir que ce travail a un impact réel, c’est valorisant pour les collègues. On le voit notamment quand il n’y a pas d’enquêtes sociales rapides – quelle que soit la raison –, on sent que ça a manqué à la juridiction.
AJ : Les ESR sont obligatoires dans le cadre des comparutions immédiates. Dans quelles autres circonstances vous sont-elles commandées ?
Mathilde Dubois : Au départ, les ESR ont été pensées pour les comparutions immédiates pour permettre aux magistrats d’avoir un meilleur aperçu de la personnalité du prévenu mis en cause dans une procédure où tout s’enchaîne très rapidement. Mais les ESR sont également obligatoires dans le cadre des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) avec déferrement et de manière générale dans tous les cas où une détention provisoire peut être envisagée. La particularité à Créteil, c’est que la juridiction a été désignée comme site pilote au moment du Grenelle de 2019 pour la lutte contre les violences faites aux femmes et l’ESR est ici obligatoire dans toutes les procédures orientées en comparution par procès-verbal avec placement sous contrôle judiciaire (CPPVCJ). Parfois, nous avons aussi des demandes spécifiques de la part du parquet ou du juge d’instruction.
AJ : Quelles relations entretenez-vous avec la juridiction ?
Mathilde Dubois : Nous travaillons en toute confiance et transparence avec la juridiction. Nous avons des réunions avec la juridiction quand nécessaire, par exemple en fonction des orientations de politique pénale pour réajuster la pratique. Et nous sommes sur place (au premier étage du tribunal, NDLR). Ce ne serait d’ailleurs pas envisageable autrement. Pour les entretiens, les enquêtrices se rendent dans les geôles du tribunal et comme il faut aller vite dans le cadre des audiences de comparutions immédiates, il faut rédiger dans la foulée. Au niveau des ESR, le rythme est assez soutenu, ce qui fait l’intérêt du travail pour certains mais peut en faire fuir d’autres.
AJ : Au-delà de rédiger l’enquête sociale rapide, est-ce que les enquêtrices ont un rôle à jouer auprès de la personne déferrée ?
Mathilde Dubois : Non, ce n’est pas possible et ce n’est vraiment pas leur rôle. Si un danger est détecté, il peut y avoir un signalement au parquet, par exemple dans le cas où des mineurs seraient seuls au domicile pendant la garde à vue d’un parent (ce qui arrive parfois avec des mules arrêtées à Orly). Mais leur rôle s’arrête juste après l’enquête sociale rapide. Normalement leur avocat intervient après nous. Il n’y a pas de suivi et nous ne sommes pas non plus tenues au courant de ce qui advient aux personnes rencontrées. Cet aspect peut être frustrant pour certaines collègues. Et c’est aussi la particularité du métier que de réussir à obtenir suffisamment la confiance de quelqu’un pour qu’il puisse se livrer sur des éléments personnels, sans avoir cette possibilité d’aller creuser derrière la problématique.
AJ : En plus du rythme soutenu, le travail en lui-même semble éprouvant. Y a-t-il un turn-over important dans l’équipe ?
Mathilde Dubois : Tout dépend des perspectives et des circonstances de recrutement de l’enquêtrice. Quand on recrute quelqu’un en sortie d’études et qui fait ses premières armes, on se doute qu’elle ne restera que quelques années avant d’aller vers d’autres horizons. Certaines collègues préparent aussi des concours et souhaitent s’imprégner de la vie du tribunal en exerçant plusieurs missions au sein de l’Apcars et avoir une meilleure visibilité de différents partenaires socio-judiciaires. Grâce à la richesse de ce métier et à la diversité des situations, les perspectives sont nombreuses pour nos salariés mais nous avançons également au sein de l’Apcars pour leur proposer des trajectoires professionnelles au sein de notre association. Ce qui est certain, c’est que ce sont des métiers exigeants. Les conditions au dépôt ne sont pas toujours idéales. À Créteil, on est dans des box fermés. Pour signifier que l’entretien est terminé, il faut appuyer sur un bouton et attendre que les policiers du dépôt viennent, ce qui prend généralement 5 ou 10 minutes mais dans des cas extrêmes, des collègues ont déjà attendu 20 minutes. Ce sont des sujets que nous traitons régulièrement avec eux car nous sommes aussi dans une relation de forte proximité.
AJ : Comment se passent les entretiens avec des personnes instables ?
Mathilde Dubois : Il y a un box dans lequel les policiers ont un visuel direct et ils privilégient ce box-là quand la personne est agitée. Dans les cas extrêmes, les policiers restent dans le box, même si l’entretien est en principe soumis au secret. C’est cependant assez rare, parce que les personnes qui sont déférées font vraiment la différence entre les enquêtrices sociales et les policiers. L’agitation est certes souvent présente, parce que ça dure longtemps et que les conditions sont rudes mais en général tout se passe très bien avec les enquêtrices. On a très peu d’incidents. Les problèmes qui se posent, c’est plus souvent que la personne n’est pas du tout en état, parce qu’elle est malade ou en crise, et dans ce cas l’entretien ne va pas pouvoir se faire.
AJ : Y a-t-il un cadre dans lequel les enquêtrices peuvent échanger sur ces moments ?
Mathilde Dubois : C’est au cœur de notre réflexion en termes de politique sociale et de ressources humaines, et nous sommes en train de monter un groupe d’analyse des pratiques professionnelles pour ce service.
Référence : AJU016m8
