Entreprise : le rôle des entretiens professionnels renforcé par la crise

Publié le 07/07/2021

Si l’applicabilité de la pénalité financière, en cas de manquement, a été reportée au 30 septembre prochain, la date butoir pour la tenue des entretiens professionnels a été maintenue au 30 juin 2021. Les employeurs ont donc dû réaliser ces entretiens peu connus et mésestimés. Pour Julie Filliard, avocate spécialisée en droit social au sein du cabinet Taylor Wessing, ces entretiens sont pourtant essentiels dans le contexte actuel, marqué par le désir de plus en plus fréquent des salariés d’évoluer dans leur carrière ou de se reconvertir.

Actu-juridique : Entretien annuel, entretien professionnel : quelles sont les différences ?

Julie Filliard : Tout d’abord, l’entretien professionnel est obligatoire, ce qui n’est pas le cas de l’entretien annuel d’évaluation. C’est une première différence de taille, souvent méconnue. Le droit à la tenue des entretiens professionnels doit être communiqué au salarié lors de son embauche. Il peut donc réclamer leur tenue si l’employeur manque à son obligation.

Seconde différence : l’objet de ces entretiens. L’entretien professionnel, qui doit être organisé tous les deux ans (sous la forme d’un entretien-bilan tous les six ans), n’a pas pour objectif d’évaluer la performance du salarié contrairement à l’entretien annuel. L’entretien professionnel vise à aborder les perspectives d’évolution professionnelle du salarié (notamment en termes de formation) et à enrichir son parcours professionnel. Ainsi, l’employeur doit notamment l’informer des différents dispositifs de formation et de qualification (tels que la validation des acquis de l’expérience professionnelle (VAE) ou le compte personnel de formation (CPF)) et les droits qui y sont corrélés pour qu’il puisse, tout au long de sa carrière, maintenir son employabilité et éviter une dépréciation de ses compétences. L’entretien professionnel est donc axé sur l’avenir professionnel du salarié (au sein ou non de son entreprise) alors que l’entretien annuel d’évaluation fait le bilan de sa performance individuelle sur l’année écoulée au sein de l’entreprise.

AJ : La date pour la tenue de l’entretien professionnel a été différée. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J.F. : La loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 a instauré les entretiens professionnels. S’agissant des salariés embauchés avant cette date, les employeurs devaient donc réaliser leur premier entretien-bilan en mars 2020 (six ans plus tard). Or cela ne vous aura pas échappé, cette échéance a coïncidé avec le début de la pandémie. Le législateur a donc décidé, pour des raisons pratiques évidentes, d’autoriser les entreprises à reporter au 30 juin 2021 la tenue des entretiens professionnels qui auraient dû se tenir entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021 (Ord. n° 2020-1501, 2 déc. 2020). Un premier report au 31 décembre 2020 avait déjà été autorisé par ordonnance du 1er avril 2020 (Ord. n° 2020-387, 1er avr. 2020). La nouvelle loi relative à la gestion de la sortie de crise, parue le 1er juin au Journal Officiel (L. n° 2021-689, 31 mai 2021), n’a pas modifié une troisième fois la date butoir. Seule la date d’applicabilité de la sanction prévue en cas de non-respect des obligations en matière d’entretiens professionnels a été décalée au 1er octobre prochain. Ainsi, sur le fond, pour les salariés rien ne change. Leurs entretiens professionnels bisannuels ou de bilan (tous les six ans), devaient être organisés avant la fin du mois de juin 2021.

AJ : Qu’encourent les employeurs qui ne respecteraient pas leurs obligations ?

J.F. : À titre liminaire, il est bon de rappeler, il me semble, que la loi ne contraint pas les employeurs à organiser ces entretiens en présentiel. Il est donc possible de les tenir via un système de visioconférence. La pandémie ne peut donc pas, à elle seule, justifier un éventuel manquement de l’employeur, même si elle a pu compliquer la donne jusqu’à récemment. C’est justement pour des considérations pratiques que la date butoir a été repoussée.

À compter du 1er octobre 2021, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, si un salarié n’a pas bénéficié de tous ses entretiens professionnels au cours des six dernières années et d’au moins une action de formation non-obligatoire, l’employeur est alors redevable d’une pénalité prenant la forme d’un abondement forfaitaire du CPF du salarié égal à 3 000 €. Cet abondement est dû pour chaque salarié concerné, et peut donc représenter un montant important et dissuasif pour les grandes entreprises. En revanche, les entreprises de moins de 50 salariés ne sont pas concernées par ce risque de pénalité. Néanmoins, le salarié pourrait, avec toutefois les démarches que cela implique, demander des dommages et intérêts en justice pour manquement à l’obligation pesant sur tout employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et le maintien de leur employabilité.

Entreprise : le rôle des entretiens professionnels renforcé par la crise
choucashoot / AdobeStock

AJ : Qui est chargé du contrôle de la tenue des entretiens professionnels ?

J.F. : L’inspection du travail, lors d’un contrôle, peut s’assurer de la réalisation des entretiens. Les agents des services régionaux de contrôle (SRC) s’assurent également du respect de la réglementation et de la juste utilisation des fonds de la formation professionnelle. Ils sont eux-mêmes coordonnés par la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Il y a fort à parier que ces contrôles s’accéléreront à compter du dernier trimestre 2021.

AJ : De manière générale, les entreprises respectent-elles leurs obligations ?

J.F. : C’est assez variable. Les pénalités financières sont probablement suffisamment dissuasives pour les entreprises de plus de 50 salariés, et beaucoup d’entre elles, au-delà de la crainte de la sanction, honorent leurs obligations car elles comprennent que le maintien de l’employabilité de leurs salariés participe à leur propre compétitivité. Un salarié informé et formé est un salarié probablement plus épanoui et plus efficient. Ce constat est en revanche plus mitigé dans les entreprises de moins de 50 salariés qui n’ont pas à craindre la pénalité financière.

AJ : L’actualité liée à la pandémie, et plus précisément, la volonté exprimée par de nombreux salariés d’acquérir de nouvelles compétences, voire de changer de vie et de métier, renforce-t-elle le rôle de ces entretiens ?

J.F. : Nous manquons encore de recul pour juger de cela, et notamment quant aux conséquences de la crise sanitaire sur le souhait des salariés d’être, ou non, davantage encadrés dans leur parcours professionnel. À titre personnel, je pense tout de même qu’il y aura bien un impact. Si la volonté de reconversion ou de formation des salariés n’est pas qu’un épiphénomène, mais prenait déjà corps avant la crise, cette dernière a indéniablement pu les conforter dans cette volonté. Or les entretiens professionnels doivent permettre d’offrir aux salariés un accès simple et direct à toutes les informations nécessaires à la réalisation de leurs aspirations professionnelles. Cela les valorisera nécessairement.

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