Insolite : Quand les salariés s’insultent au travail
La créativité des salariés et des employeurs en matière d’injure irrigue toute la jurisprudence sociale. On n’est pas toujours licencié pour avoir dérapé, mais attention quand même, c’est un jeu dangereux.
La règle de principe n’a rien de surprenant : les surnoms insultants sont interdits et constitutifs d’un motif de licenciement à coup sûr. Exemple, la série « morceau de merde, hypocrite, menteur, faux cul impuissant, sans couilles, radoteur, bavard comme une vieille… » adressée au patron[1] (oui, au même) justifie le licenciement ! Sort judiciaire[2] identique pour celui qui affuble son collègue des sobriquets suivants « trou du cul, espèce de raclure, l’autre vomi » ou celle qui qualifie sa supérieure de « grosse couille »[3]. Ou pour finir, même sous la forme d’une invitation, en l’espèce une « invitation à aller se faire enculer », l’injure adressée à sa responsable justifie le licenciement[4].
Les tacles subtils ou créatifs souvent sanctionnés
Quid des salariés ou patrons qui pensent limiter les risques en essayant d’être subtils ? Eh bien ils perdent aussi, la plupart du temps. Ainsi, a été licencié le salarié désagréable qui, la semaine de Noël, envoie à son collègue un message pour lui dire de revenir d’urgence au travail car « on ne peut pas faire la crèche sans l’âne »[5]. Côté patron, la subtilité ne préserve pas du harcèlement moral, comme l’a découvert l’employeur fautif qui avait offert à une salariée de retour d’arrêt maladie : un radioréveil et Le malade imaginaire de Molière[6].
Affubler sa supérieure du surnom de « petite crotte », justifie aussi le licenciement[7] même si certains peuvent penser que c’est « mignon ». La créativité en matière d’injure ne protège pas non plus du licenciement, comme l’a découvert le salarié versaillais ayant répondu « Va te faire peindre l’anus en rose fluo. On en a plein le cul de faire ton boulot. Nous on a pas eu d’augmentation pour branlage intensif »[8]. À l’inverse, des qualificatifs non injurieux ne suffisent pas à justifier le licenciement du salarié, par exemple celui de « pitbull » jeté publiquement à la face d’une collègue[9].
Le langage grossier non injurieux autorisé
Précisons que l’usage de termes grossiers, dès lors qu’ils ne sont pas adressés directement à interlocuteur, sont largement admis. Comme le dit clairement la cour d’appel de Douai, répondre à son supérieur qu’il vous « fait chier » et vous « emmerde », est « certes déplacé et peu révérencieux, mais ne constitue pas pour autant des injures au sens propre du terme »[10].
Les réponses aux provocations largement admises
Le caractère fautif de l’insulte s’apprécie au cas par cas, comme l’a fait la cour d’appel de Rouen[11] en estimant abusif le licenciement d’une salariée ayant appelé son patron « gros tas de merde », dès lors que celui-ci la méprisait ouvertement. Ainsi, des tacles subtils peuvent être fautifs lorsqu’ils sont infondés, tandis que des injures plus que trash ne le sont pas toujours : répondre à une provocation de son patron « Si t’as des couilles tu n’as qu’à me licencier, enculé ! », n’est pas une cause valable de licenciement ![12]
La cour d’appel d’Aix-en-Provence[13] a ainsi donné raison au salarié qui, après avoir appris qu’un collègue avait rapporté à la direction qu’il était parti de l’entreprise à 16 h 15 alors que l’horaire officiel est 16 h 30 (…), réagit en allant voir le « collègue » en question pour le qualifier de « mouchard, suceur, balance, merde » à qui il « pisse à la raie ou au cul » (la terminologie diffère entre la rédaction de la lettre de licenciement et celle du jugement – cul étant utilisé par l’employeur et raie par la Cour). Suite à ces injures, la direction l’a licencié. Licenciement que la Cour a annulé, estimant que le mouchardage de la victime était une provocation à laquelle les injures répondaient. N’omettez pas le dernier critère retenu par la Cour pour pardonner ce fait unique dans la carrière de salarié : « les habitudes de langage dans un atelier industriel »…
Le cas à part des « entreprises de bourrins »
Cette ouverture prétorienne à l’injure défensive dans un cadre habituel grossier, ici un atelier industriel, s’inscrit dans le sillon de l’arrêt précurseur de la cour d’appel de Rennes qui, en 2007, avait annulé le licenciement d’un salarié ayant qualifié ses directeurs « d’enculés, d’abrutis et de connards », au motif qu’ils n’étaient que « l’expression d’un énervement passager entre deux professionnels du transport ». En clair, des routiers.
Et si l’annulation de l’arrêt par la Cour de cassation avait semblé sanctionner cette appréciation, elle s’appuyait surtout sur le fait que le salarié s’était montré à la limite de la violence physique…
Bonsoir !
Raphaël Costa
[1] Cour d’appel de Limoges, 7 février 2006, n° 2006-294825.
[2] Cour d’appel de Paris, 29 avril 2014, n° 12/00758.
[3] Cour d’appel de Toulouse, 30 novembre 2007, n° 06/02955.
[4] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 7 décembre 2012.
[5] Cour d’appel de Caen, 13 janvier 2017, n° 15/01637.
[6] Cour d’appel de Montpellier, 28 mai 2008, n° 08/00005.
[7] Cour d’appel de Paris, 28 janvier 2014, n° 11/10821.
[8] Cour d’appel de Versailles, 17 décembre 2015, n° 14/01586.
[9] Cour de cassation, chambre sociale, 13 février 2013, n° 11-25.673.
[10] 21 décembre 2007, n° 07/137.
[11] 25 juin 2002, n° 2002-191660.
[12] Cour d’appel de Toulouse, 14 novembre 2007, n° 06/03651.
[13] 10 février 2017, n° 15/04736.
Référence : AJU434903