Insolite : Quand une salariée insiste pour venir seins nus au travail
Peut-on s’habiller comme on veut au travail ? Tout dépend si l’on est en contact avec le public ou pas. Et même si ce n’est pas le cas, l’employeur peut quand même faire preuve d’autorité dans certains cas. Les explications de notre spécialiste de l’insolite, Raphaël Costa.

Si vous êtes en contact avec le public, alors vous savez déjà que votre employeur peut vous imposer un uniforme. Mais qu’en est-il en cas de contact avec les collègues ?
Le bermuda originel
Au travail, la règle est le respect des libertés fondamentales du salarié excepté dans les cas où ses tâches professionnelles imposent des restrictions. Concernant la tenue vestimentaire, la Cour de cassation a posé très clairement – à cause d’un agent d’entretien persistant à travailler en bermuda malgré l’affront esthétique d’une part, et d’autre part, les multiples rappels écrits de sa direction lui demandant de porter un pantalon pour des raisons de sécurité – que : « la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n’entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales ». Avant cet arrêt de principe, elle avait déjà validé plusieurs licenciements pour motif vestimentaire…
La coiffure du banquier punk
Si le motif de sécurité permet à l’employeur de licencier un salarié en bermuda, car comme le résume le spécialiste de droit du travail Jean Emmanuel Ray, « il vaut mieux être chômeur, que mort », le contact avec la clientèle le permet aussi. La cour d’appel de Paris l’avait déjà décidé ainsi dès 1989 en rappelant qu’en « l’état des usages bancaires et de l’image de sérieux sur laquelle est fondée la confiance de la clientèle, il ne peut être reproché à l’employeur d’exiger contractuellement l’abandon d’une coiffure insolite voire provocatrice… une coiffure punk, jaune centrale, avec un crâne rasé sur les côtés ».[1]
Karl Lagerfeld validé par la Cour de cassation
Quelques années plus tard, la chambre sociale de la Cour de cassation validera à son tour le licenciement pour insubordination de la salariée d’agence immobilière en contact avec la clientèle persistant à venir travailler en survêtement malgré les demandes de tenue correcte faites à de multiples reprises par son employeur. La plus haute juridiction en droit du travail ayant ainsi validé le jugement sans appel de Karl Lagerfeld en la matière : « Les pantalons de jogging sont un signe de défaite. Vous avez perdu le contrôle de votre vie, donc vous sortez en jogging. »
En revanche, les accessoires discrets sont acceptés dès que leur port est autorisé à une catégorie de salariés, comme l’a démontré le cas du serveur de restaurant gastronomique qui, malgré le port de l’uniforme imposé, arbore également des boucles d’oreilles, ce que l’employeur estimait incompatible avec le standing de son établissement. Cependant, puisque la lettre de licenciement indiquait au salarié que « votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes », la Cour de cassation, comme les juridictions s’étant exprimées avant elle, a retenu que la cause du licenciement était une discrimination fondée sur le sexe du salarié, le port de boucles d’oreilles des serveuses n’étant pas discuté dans l’établissement. De plus, l’employeur n’a pas été en mesure de démontrer que l’accessoire du salarié avait en quoi que ce soit terni l’image de son restaurant, les seuls documents produits prouvaient au contraire le standing de l’établissement et la qualité du service !
Le chemisier transparent persistant
Tous ces liens entre mode et licenciement nous permettent de redécouvrir une affaire de 1982, dont la rédaction du jugement, assez drôle[2], passerait mal aujourd’hui[3] :
« Responsable de la bonne marche de l’entreprise, l’employeur est en droit, en vertu de son pouvoir disciplinaire, d’intervenir si le comportement d’un de ses salariés est de nature à créer un trouble dans l’entreprise.
Tel est le cas lorsqu’une aide comptable est venue au travail porteuse d’un chemisier transparent sur une poitrine nue alors que si l’évolution actuelle des mœurs tolère que les femmes se montrent les seins nus, cette tolérance est pour l’instant limitée au domaine des loisirs, au bord des piscines ou des plages et ne s’étend pas aux lieux de travail sinon pour les artistes de music-hall ou de cabaret.
Si on peut admettre que la coquetterie d’une jeune femme explique qu’elle se soit risquée au début dans cette tenue, il n’est plus possible d’admettre qu’une fois mise en garde, elle ait persisté dans ce comportement.
En intervenant pour faire cesser ce comportement, le représentant de l’employeur ne porte pas atteinte à la vie privée ou à la liberté de la salariée qui n’avait même pas l’excuse de la canicule, puisque les faits se déroulaient en hiver… »
Bonsoir !
[1] Cour d’appel de Paris, 6 avril 1989, cité par F. Terré, Dictionnaire insolite du droit, LGDJ, p. 156.
[2] Cour d’appel de Nancy, 29 novembre 1982, cité par F. Terré, Dictionnaire insolite du droit, LDGJ, p. 102.
[3] Rappelons que, si la Cour de cassation a validé le sens du jugement de la cour d’appel de Nancy par la suite (Cass. soc., 22 juill. 1986, n° 82-43.824), elle a déjà retoqué des juridictions inférieures qui se livrent à des considérations générales, sociales ou humoristiques sans lien avec l’affaire jugée, voir : https://www.doctrine.fr/d/CASS/1997/CASSP5F7D27818FD17CE404F5.
Référence : AJU477309
