L’application de l’article 1171 du Code civil refusée à une clause de réduction de la prescription contenue dans un contrat de travail

Publié le 06/05/2021

La cour d’appel de Paris était amenée à se prononcer sur l’application de l’article 1171 du Code civil, qui sanctionne les déséquilibres significatifs entre les parties, à une clause de réduction de la prescription contenue dans un contrat de travail. Les juges décident d’écarter le droit des clauses abusives au motif que le contrat de travail n’est pas un contrat d’adhésion et que la clause litigieuse est réciproque.

CA Paris, 10 févr. 2021, no 18/11116

Depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la sanction d’un déséquilibre significatif dans un contrat de travail pourrait avoir trouvé un fondement explicite dans l’article 1171 du Code civil qui dispose, dans sa version modifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, que « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation »1.

La question a été soulevée devant la cour d’appel de Paris le 10 février 20212. Dans cette affaire, une salariée avait été embauchée suivant un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel, à compter du 15 mai 2012, en qualité d’agent de service. À partir du 1er juillet 2012, la relation s’est poursuivie à durée indéterminée. Licenciée le 18 janvier 2016 pour inaptitude, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes le 30 mars 2017 pour contester le bien-fondé de son licenciement. Le juge du travail a jugé que son action était prescrite en application d’une clause du contrat stipulant que « conformément aux dispositions de l’article 2254, alinéa 1er, du Code civil et sous réserve des dispositions légales ou conventionnelles contraires, en ayant parfaitement conscience de la portée de cet engagement, les parties conviennent de réduire à 1 an le délai de prescription de toutes les actions de l’initiative de l’une ou l’autre des parties pouvant naître de la conclusion, de l’exécution et de la rupture du présent contrat de travail et de ses avenants futurs ».

La salariée a fait appel de la décision en faisant notamment valoir que cette clause relative à la prescription était abusive et créait un déséquilibre significatif.

La cour d’appel, tout en considérant que l’article 1171, entré en vigueur le 1er octobre 2016, n’est pas applicable à un contrat conclu en 2012, analyse néanmoins « en tout état de cause » et « en tant que de besoin » la qualification de contrat d’adhésion (I) et la validité de la clause (II).

I – La qualification du contrat de travail

Préalable indispensable à l’application de l’article 1171, le contrat dans lequel figure la clause litigieuse doit être un contrat d’adhésion, au sens de l’article 1110 du Code civil, « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties »3. Pour la cour d’appel de Paris, et de manière péremptoire, « le contrat de travail, dont les clauses sont négociables entre les parties, n’est pas un contrat d’adhésion ». C’est peut-être évacuer bien vite une question plus subtile et plus nuancée.

Certes, depuis la loi de ratification, le critère de distinction entre contrat de gré à gré et contrat d’adhésion n’est plus la négociation mais la négociabilité4. Mais il est clair également que la nouvelle rédaction de l’article 1110 ne cantonne plus les contrats d’adhésion aux contrats de masse5. Un contrat de travail pourrait donc parfaitement entrer dans cette catégorie s’il comporte un « ensemble de clauses non négociables »6. La difficulté étant d’identifier ce qu’il faut entendre par cette expression. Faut-il, ainsi que s’interroge Sébastien Tournaux, adopter une approche quantitative ou qualitative de ce concept7 ? Car si l’on ne peut qu’adhérer à l’exigence de l’existence d’au moins deux clauses non négociables8 pour pouvoir parler d’ensemble, la question de la nature des clauses litigieuses demeure. Exiger, par exemple, que seules les clauses essentielles au contrat9 soient prises en compte et que celles-ci aient un lien structurant10, conduit à ajouter à la loi des conditions qu’elle ne prévoit pas mais permet de conserver une logique et une cohérence dans le régime des contrats d’adhésion.

Est-ce pour cette raison que la cour d’appel de Paris a écarté la qualification dans cette affaire ? Parce qu’il n’y avait qu’une seule clause qui était critiquée et que de surcroît, elle n’était pas considérée comme prépondérante ? Il est bien dommage que les juges évoquent la question11 sans aller plus loin dans l’analyse.

La négociabilité n’est également pas explicitée et peut être entendue de manière objective ou subjective. Retenir la première approche conduirait à revenir à l’ancien système qui limitait les contrats d’adhésion aux contrats de masse prenant la forme de conditions générales prérédigées. Adopter la seconde12 nécessite une analyse au cas par cas, en tenant compte, notamment, de la qualification et de l’expérience du salarié. En effet, ainsi que l’indique Christophe Radé13, « entre le cadre dirigeant “chassé” par des cabinets spécialisés et monnayant chèrement ses compétences, et le manœuvre affecté à des tâches n’exigeant aucune qualification particulière et se trouvant en concurrence avec des milliers de travailleurs au chômage, le rapport de force salarié/employeur n’a rien de comparable »14.

En l’espèce, la salariée était agent de service et c’est être véritablement très optimiste que de présupposer qu’elle disposait de la capacité et de la liberté de négocier la réduction du délai de prescription. Par ailleurs, il est tout à fait possible d’imaginer que le salaire n’était pas négociable non plus, de même que la nature des fonctions. Dans ce cas, et, dans la mesure où il s’agit de clauses essentielles, la qualification de contrat d’adhésion aurait pu être retenue15.

Encore faut-il que la preuve de l’absence de négociabilité ait pu être rapportée ; ce qui est en pratique très difficile car il s’agit d’un fait négatif. Doit-on, dans ces conditions, laisser cette charge au salarié ? Le juge pourrait faire peser la preuve sur celui qui prétend que le contrat était négociable, en l’espèce l’employeur16. Ce dernier pourrait alors être tenté d’insérer systématiquement une clause affirmant que le contrat était totalement négociable, clause que le salarié ne serait peut-être pas à même de refuser…

La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu, le 20 novembre 2019, une décision sur le terrain de l’article L. 442-1 du Code de commerce qui pourrait être étendue aux articles 1110 et 1171 du Code civil et préciser le régime de la preuve17. Dans cette affaire, la chambre commerciale réaffirme que le demandeur doit rapporter la preuve de l’absence de négociation (ou de négociabilité, pour l’article 1110 du Code civil) ; la preuve d’un fait négatif pouvant être rapportée par des faits positifs, comme, par exemple, la preuve du refus par la partie rédactrice du contrat de la modification d’une ou plusieurs clauses. Le juge pourra également recourir à un faisceau d’indices et l’existence de plusieurs contrats émanant du même employeur et contenant les mêmes clauses pourrait être un indice d’absence de négociabilité.

Droit du travail, droit civil
VectorMine/AdobeStock

II – La validité de la clause

Alors même qu’elle a écarté la qualification de contrat d’adhésion, la cour d’appel procède néanmoins à l’analyse de la validité de la clause de réduction de la prescription. Elle indique que celle-ci « s’applique aux deux parties et qu’il n’est pas démontré qu’elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations » de la société et de la salariée. Pour admettre que cette clause est valable, la cour se base donc sur la réciprocité, qui est un indice classique de l’appréciation du déséquilibre significatif18. L’arrêt France Brevet, rendu par la cour d’appel de Paris le 6 février 201919, sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce, détaille de manière précise l’analyse en trois temps à laquelle procèdent les juges afin d’étudier la réciprocité d’une clause de résiliation. Tout d’abord, la cour relève que la faculté de résiliation était ouverte aux deux parties, ce qui a priori exclut le déséquilibre. Puis, elle constate que cette faculté était accordée à des conditions différentes (l’une des parties devant indemniser l’autre), ce qui pourrait caractériser un déséquilibre. Mais, en définitive, cette asymétrie est justifiée par l’économie générale du contrat, ce qui conduit à conclure qu’« aucun déséquilibre dans les droits et obligations des parties ne résulte de la clause litigieuse ».

En l’espèce, la situation était plus simple car la clause réduisant la prescription à 1 an était réciproque et strictement identique pour les deux parties. Pour autant, la réciprocité chasse-t-elle automatiquement le déséquilibre significatif20 ? Si la Cour de cassation l’affirme sans ambiguïté dans les relations commerciales21 et si cela constitue, évidemment, un gage de sécurité juridique, cette solution n’est pas exempte de critiques. D’ailleurs, précédemment, la chambre commerciale avait procédé, au-delà de la constatation formelle d’une clause réciproque, à l’analyse de sa mise en œuvre pratique en retenant que « la réciprocité de la mise en jeu de la clause, son utilisation par le fournisseur restent grandement théoriques »22. Il n’est en effet pas incongru d’imaginer qu’une clause, en apparence réciproque, ne soit en réalité stipulée que dans l’intérêt d’une seule des parties. Ce qui pourrait parfaitement être le cas en l’espèce car on ne comprend pas bien quel intérêt auraient les salariés à accepter une réduction du délai de prescription sachant que ce sont majoritairement eux qui saisissent la justice23. Dans ce cas, il peut être regrettable que le juge ne puisse intervenir. En outre, une analyse purement « géométrique »24 n’est pas nécessairement adaptée à des relations contractuelles où l’une des parties est en position de force, comme c’est le cas dans une relation de travail si le salarié est peu qualifié.

En tout état de cause, l’outil que représente l’article 1171 du Code civil ne peut être que supplétif. Le Code du travail dispose en effet déjà de l’article L. 1121-1, qui permet d’apprécier la validité de clauses du contrat portant atteinte à une liberté ou à un droit du salarié25. En ces domaines, la règle travailliste doit primer en raison du principe specialia generalibus derogant. La clause de mobilité ou la clause d’exclusivité devront ainsi toujours être analysées à l’aune de l’article L. 1121-1, quand bien même elles profiteraient exclusivement à l’employeur et seraient dénuées de contrepartie26. Mais pour toutes les fois où une liberté fondamentale n’est pas en jeu, le recours au droit commun peut s’avérer utile. Et ce ne serait pas la première fois que le juriste du travail cherche en dehors du droit du travail des outils de protection27.

Car il est parfois difficile de rattacher une clause à un droit ou à une liberté. Il en est ainsi de la clause autorisant un renouvellement de la période d’essai au-delà de la fin de la période conventionnelle maximum28, de celle permettant à l’employeur de modifier unilatéralement le secteur géographique et l’attribution des comptes confiés au salarié29, de celle laissant à la discrétion de l’employeur les modalités de calcul de la rémunération30, de celle visant les communications téléphoniques restant à la charge du salarié31, de celle indiquant que « si pour une raison quelconque une clause du contrat n’est pas respectée il deviendra sans effet »32 ou de la faculté unilatérale de renonciation à une clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail. Dans ces hypothèses, l’article L. 1121-1 du Code du travail est impuissant et l’article 1171 du Code civil pourrait alors prendre le relais.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Auparavant, l’argument était parfois évoqué mais sans véritable fondement textuel et avec une certaine confusion. V. A.-L. Zabel, « Clauses abusives et droit du travail : le concept issu du droit de la consommation pénètre-t-il le droit du travail ? », LPA 13 sept. 2013, p. 6.
  • 2.
    CA Paris, 10 févr. 2021, n° 18/11116.
  • 3.
    Version issue de la loi de ratification.
  • 4.
    M. Mekki, « La loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 – Une réforme de la réforme ? », D. 2018, p. 900 ; L. Andreu, « Le nouveau contrat d’adhésion, AJ Contrat 2018, p. 262 ; F. Chénedé, « Interprétation et amélioration du nouveau droit des contrats », D. 2017, p. 2214 ; J.-D. Pellier, « L’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations enfin ratifiée ! », Dalloz actualité, 30 avr. 2018.
  • 5.
    L. Andreu, « Le nouveau contrat d’adhésion », AJ Contrat 2018, p. 262 ; T. Revet, « L’incohérent cantonnement, par l’Assemblée nationale, du domaine du contrat d’adhésion aux contrats de masse », D. 2018, p. 124.
  • 6.
    En s’attachant, ainsi que le suggère Christophe Radé « aux conditions réelles de la conclusion du contrat » : « L’impact de la réforme du droit des contrats en droit du travail », Lexbase Hebdo 2016, n° 645, éd. Sociale.
  • 7.
    S. Tournaux, « Chronique d’actualité du régime juridique du contrat de travail », Dr. soc. 2018, p. 653.
  • 8.
    Car le terme « ensemble » évoque sans ambiguïté la pluralité.
  • 9.
    S. Tournaux, « Chronique d’actualité du régime juridique du contrat de travail », Dr. soc. 2018, p. 653. D. Mazeaud évoque « l’importance des clauses non négociables » : « Quelques mots sur la réforme de la réforme du droit des contrats », D. 2018, p. 912.
  • 10.
    L. Andreu, « Le nouveau contrat d’adhésion, AJ Contrat 2018, p. 262.
  • 11.
    Alors même qu’ils n’y étaient pas obligés, l’article 1171 n’étant, pour des raisons d’application de la loi dans le temps, pas applicable en l’espèce.
  • 12.
    En ce sens, v. F. Chénedé, « Interprétation et amélioration du nouveau droit des contrats », D. 2017, p. 2214.
  • 13.
    F. Chénedé, « Interprétation et amélioration du nouveau droit des contrats », D. 2017, p. 2214.
  • 14.
    V. égal. Y. Pagnerre, « Impact de la réforme du droit des contrats sur le contrat de travail », Dr. soc. 2016, p. 727, et Y. Aubré, in Rép. trav. Dalloz, v° Contrat de travail : existence – formation, 2014 (actualisation mars 2020), n° 27-28.
  • 15.
    À noter que si les clauses portant sur la rémunération ou la nature des fonctions peuvent permettre de qualifier le contrat, elles ne pourront servir de base à l’appréciation d’un déséquilibre significatif, ainsi que le dispose l’alinéa 2 de l’article 1171 du Code civil.
  • 16.
    M. Mekki, « La loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 – Une réforme de la réforme ? », D. 2018, p. 900, et D. Mazeaud évoque « l’importance des clauses non négociables » : « Quelques mots sur la réforme de la réforme du droit des contrats », D. 2018, p. 912.
  • 17.
    H. Barbier, « Le point sur la charge et les modes de preuve de l’absence de négociabilité des clauses d’un contrat », RTD civ. 2020, p. 109.
  • 18.
    Par ex. Cass. com., 4 oct. 2016, n° 14-28013, D.
  • 19.
    CA Paris, 6 févr. 2019, n° 18/21919.
  • 20.
    H. Barbier, « Une clause à la charge ou au profit des deux parties échappe-t-elle nécessairement à la qualification de clause abusive ? Quand la réciprocité chasse le déséquilibre significatif », RTD civ. 2016, p. 618.
  • 21.
    Cass. com., 12 avr. 2016, n° 13-27712 : H. Barbier « Une clause à la charge ou au profit des deux parties échappe-t-elle nécessairement à la qualification de clause abusive ? Quand la réciprocité chasse le déséquilibre significatif », RTD civ. 2016, p. 618.
  • 22.
    Cass. com., 3 mars 2015, n° 14-10907 : D. 2016, p. 964, obs. D. Ferrier ; RTD com. 2015, p. 486, obs. M. Chagny.
  • 23.
    Les recours introduits devant le conseil de prud’hommes le sont à 96,6 % par des salariés ordinaires, Références statistiques justice, 2019.
  • 24.
    X. Henry, notice CERCLAB n° 6022, Code de la consommation – notion de clause abusive – appréciation du déséquilibre significatif – réciprocité.
  • 25.
    « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées par rapport au but recherché. »
  • 26.
    Question posée par Christophe Radé, in Lexbase Hebdo 2016, n° 645, éd. Sociale.
  • 27.
    P. Lokiec, « L’accord et le juge du travail : le temps des réformes paradoxales », Dr. soc. 2017, p. 5.
  • 28.
    CA Grenoble, 4 mars 2009, n° 08/02392 ; égal., pour une clause relative à la période d’essai, CA Reims, 9 janv. 2013, n° 12/00014.
  • 29.
    CA Versailles, 3 juin 2008, n° 07/03825.
  • 30.
    CA Pau, 14 juin 2010, n° 08/04305.
  • 31.
    CA Amiens, 21 mai 2008, n° 07/01135.
  • 32.
    CA Reims, 16 janv. 2008, n° 06/02584.
X