Le « contrat jeune majeur » ce n’est pas automatique !
La décision rendue par le Conseil d’État est intéressante car, si elle intervient après la loi du 7 février 2022 contraignant les départements à un accompagnement des jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance, elle permet de rappeler que cet accompagnement reste conditionné à la situation dans laquelle se trouve le jeune.
Le sort réservé aux mineurs de l’aide sociale à l’enfance (ASE) devenant adultes a souvent été décrié : le fameux « couperet des dix-huit ans »1 pour des jeunes déjà affaiblis par leur histoire familiale a été pointé du doigt et les chiffres ont mis en exergue qu’environ 30 % des personnes sans domicile fixe ont eu un parcours de protection de l’enfance2. L’absence de diplôme, le difficile accès au logement, la précarité financière et le manque d’étayage familial sont des facteurs explicatifs à cette triste réalité. Pourtant, même après l’abaissement de la majorité3, des dispositions particulières ont été édictées afin de permettre aux « vieux mineurs ou jeunes adultes »4 de 18 à 21 ans d’accéder aux mesures de la protection de l’enfance. Ainsi, l’article L. 222-5 du Code de l’action sociale et des familles prévoyait que la prise en charge de l’ASE était ouverte aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de 21 ans, mais attention : il ne s’agissait que d’une faculté pour les départements. En 20165, le législateur ajouta l’accompagnement obligatoire des jeunes majeurs par les services départementaux jusqu’à leurs 21 ans voire au-delà (s’il s’agit de terminer une année scolaire ou universitaire engagée) dès lors qu’une prise en charge en protection de l’enfance a été effectuée, quel que soit l’âge d’entrée dans le dispositif. Toutefois, les difficultés budgétaires auxquelles sont confrontés les départements depuis plusieurs années ont rejailli sur le suivi des jeunes majeurs : en tant que politique facultative, la prise en charge des jeunes majeurs diminuait au cours du temps. Aussi, pour éviter les « sorties sèches », Adrien Taquet, alors secrétaire d’État à la protection de l’enfance, modifia l’article L. 222-5 du Code de l’action sociale et des familles afin que les majeurs âgés de moins de 21 ans et les mineurs émancipés confiés à l’ASE avant leur majorité fassent partie de la liste des publics pris en charge obligatoirement par les services de l’ASE6.
Face à un refus de prise en charge d’un mineur non accompagné jusque-là placé à l’ASE par le département de la Côte-d’Or, il aurait donc été cohérent que le juge administratif saisi en référé suspende l’exécution de la décision administrative et fasse droit à la demande du jeune de bénéficier provisoirement d’un contrat jeune majeur. C’était oublier que cette prise en charge est conditionnée à l’insuffisance de ressources ou de soutien familial. Or, le jeune majeur était en contrat d’apprentissage, ce qui lui procurait un revenu mensuel de 866 €. C’est pourquoi le juge rejette la demande en référé, ce que validera le Conseil d’État.
Cet arrêt est l’occasion de rappeler que, si désormais les départements sont dans l’obligation d’étendre leur prise en charge aux jeunes majeurs ayant bénéficié de l’ASE (I), cette obligation est assortie de limites (II).
I – L’obligation départementale de prise en charge des jeunes majeurs sortants de l’ASE
Face à un désengagement trop important des départements envers le public des jeunes majeurs, le législateur a tranché : la prise en charge devient obligatoire dès lors que la personne concernée a eu un parcours en protection de l’enfance. Ce principe se traduit par ce que les départements nomment généralement « contrat jeune majeur » consistant en une allocation financière, la possibilité d’être hébergé en famille d’accueil ou en établissement social ou médico-social ou un simple suivi éducatif7. Le législateur a même été plus loin puisqu’il a prévu que, si le jeune n’est plus suivi par la protection de l’enfance, il peut toujours revenir vers les services départementaux pour solliciter une prise en charge à condition d’être âgé de moins de 21 ans, instaurant ainsi, après une rupture de parcours, un « droit de retour »8 à l’ASE. Si les intentions du législateur paraissent louables, elles ne sont pourtant pas exemptes de certaines critiques. D’une part, au sein de l’article L. 222-5 du Code de l’action sociale et des familles, le législateur instaure une distinction entre les jeunes adultes ayant un passé de protection de l’enfance et ceux qui sont peut-être passés inaperçus pendant leur minorité, pour qui la prise en charge reste une simple faculté pour la collectivité départementale. Or, avant le changement législatif, lorsqu’un département décidait de « réserver » la prise en charge aux seuls jeunes connus de la protection de l’enfance, les juridictions administratives n’hésitaient pas à censurer le règlement départemental d’aide sociale9 instaurant une telle différenciation considérant que soit les départements ouvraient leurs mesures à tous les jeunes majeurs soit décidaient de s’en tenir à leurs politiques obligatoires10. Depuis que le législateur a priorisé les publics, il y a fort à penser que les jeunes majeurs inconnus de l’institution seront les oubliés de l’article L. 222-5 du Code de l’action sociale et des familles. D’autre part, le fait d’instaurer une prise en charge obligatoire pour les jeunes majeurs peut aussi avoir des effets délétères sur les mineurs en attente d’un placement faute de places disponibles en familles d’accueil ou en établissement collectif. En effet, les appels à l’aide de certains magistrats tels que Jean-Pierre Rosenczveig ont été médiatisés et les chiffres abondent dans ce sens : certaines décisions de placements mettent des semaines voire des mois avant d’être effectives11. Le droit à la continuité du parcours voire au retour à l’ASE pourrait emboliser encore un peu plus un système déjà obstrué. Pour fluidifier les parcours, il faudrait alors compter sur une autre mesure instaurée par la loi du 7 février 2022 à savoir l’accès prioritaire des jeunes sortants de l’ASE aux logements sociaux12. Là encore, la déception peut être importante : les jeunes de l’ASE viennent grossir une liste déjà imposante et la saturation des logements sociaux est bien connue13. Dans l’espèce commentée, le jeune majeur avait bien eu un parcours à l’ASE mais s’était vu refuser le contrat jeune majeur par le département de la Côte-d’Or. Saisi en référé, le juge n’avait pas voulu faire droit à sa demande de prise en charge provisoire. Un tel refus peut paraître surprenant de prime abord, surtout après la décision du Conseil d’État du 15 novembre 202214 où la haute juridiction administrative, statuant sur une contestation de référé là aussi, a enjoint le département à assurer la prise en charge d’une jeune majeure, appliquant la loi de 2022. Alors pourquoi, ici, le juge des référés n’a-t-il pas fait droit à la demande présentée ?
II – Le rappel jurisprudentiel des limites légales concernant le public éligible à la prise en charge
La réponse se trouve au sein de l’article L. 222-5 du Code de l’action sociale et des familles : pour qu’il y ait prise en charge départementale, le jeune majeur ne doit pas bénéficier de ressources ou d’un soutien familial suffisants15. Cette limitation existait déjà avant 2022 : il fallait déjà faire la démonstration de difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants. La référence aux difficultés d’insertion sociale a été supprimée, sans doute en raison de son imprécision ou du caractère répétitif de la formule. En réalité, il est fort probable que la plupart des mineurs qui arrivent à leur majorité ou les jeunes majeurs qui ont eu un parcours à l’ASE soient concernés par le texte. D’ailleurs, avant 2022, le juge administratif16 a pu enjoindre aux départements d’appréhender les circonstances très particulières dans lesquelles se trouve le jeune, notamment lorsqu’il est sans abri, au risque sinon de porter atteinte à la liberté fondamentale que constitue le droit à l’hébergement d’urgence17.
De ce fait, qu’est-ce qui a différencié l’arrêt de 2022 et cette décision ? Dans l’affaire de 2022, la jeune fille sortant de l’ASE était âgée de 19 ans, bénéficiait d’un hébergement d’urgence consistant en un accueil hôtelier et était enceinte, alors que dans celle commentée le jeune majeur bénéficiait d’un contrat d’apprentissage lui rapportant un peu plus que le montant du revenu de solidarité active (RSA). Aussi, il n’était pas démontré qu’il ne bénéficiait pas de ressources suffisantes (concernant la référence à la famille, elle n’avait pas sa place dans le débat, le jeune majeur étant un ex-mineur non accompagné). Est-ce à dire qu’actuellement le système de protection de l’enfance tel qu’il est construit aurait comme effet pervers de ne favoriser que les jeunes sans projet et qu’un jeune qui commence sa vie professionnelle ne pourra plus compter sur l’ASE en tant que soutien ? Peut-être. Car même sans parler de prise en charge au titre du contrat de jeune majeur, le simple accompagnement du jeune prévu depuis la loi de 201618 est réservé par les textes aux jeunes concernés par la prise en charge. Or, il aurait peut-être été plus pertinent de distinguer les deux éléments : une prise en charge matérielle destinée à l’ensemble des jeunes majeurs dépourvus de ressources ou d’un soutien familial suffisants sans distinguer selon qu’ils aient ou non un passé à l’ASE et un accompagnement des jeunes majeurs ouverts à tous. Cela aurait permis au jeune majeur concerné par l’arrêt commenté de ne pas avoir l’impression d’être « abandonné » par l’institution de la protection de l’enfance et notamment de bénéficier de l’accompagnement dans les démarches administratives prévu à l’article R. 222-6 du Code de l’action sociale et des familles bien utile pour la constitution de son dossier de demande de titre de séjour. Pour terminer, une autre faille quant à la rédaction des textes mérite d’être soulevée : s’il est vrai que le contrat de jeune majeur apparaissait pour certains comme un ersatz de contractualisation à la main des départements, il se pourrait bien que l’équilibre des pouvoirs soit désormais en faveur du jeune remplissant la condition de prise en charge. En effet, il n’était pas rare que les services départementaux mettent fin au « contrat » lorsque le jeune ne respectait pas les engagements conclus. Or, il semble que les Sages du Palais-Royal restreignent les pouvoirs de la collectivité départementale en opérant désormais un contrôle de plein contentieux face à ce type de recours19. Aussi, à partir du moment où la loi n’a pas prévu le respect de devoirs concernant le jeune, comme cela peut être le cas pour les allocataires du RSA20, l’arrêt d’une prise en charge pour non-respect des obligations édictées par le contrat aboutirait sûrement à la censure du juge dès lors que le jeune ne dispose pas de ressources ou de soutien familial suffisants. Se pose alors la question du message envoyé au jeune majeur.
Notes de bas de pages
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1.
M. Kammerer, « Le couperet des dix-huit ans », Lien Social, 17 févr. 2020.
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2.
F. Chobeaux, « Pourquoi tant de jeunes de l’ASE parmi les SDF ? », VST 2022, p. 106. V. également A. Leclair, « Le suivi des enfants placés devenus majeurs, un nouvel enjeu politique », Le Figaro, 22 mars 2019. Olivier Noblecourt, ancien délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté des enfants, évoquait « un carnage social ».
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3.
L’extension de la protection de l’enfance aux jeunes majeurs avait pour objectif de compenser l’abaissement de la majorité de 21 ans à 18 ans (L. n° 74-631, 5 juill. 1974, fixant la majorité à 18 ans : JO, 7 juill. 1974).
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4.
Référence au titre du colloque organisé le 24 septembre 2012 par l’association Louis Chatin pour la défense des droits de l’enfant.
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5.
L. n° 2016-297, 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant : JO, 15 mars 2016.
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6.
L. n° 2022-140, 7 févr. 2022, relative à la protection des enfants : JO, 8 févr. 2022.
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7.
Ce terme est sujet à controverse dans la mesure où le maintien de la prise en charge résulte d’une décision unilatérale du président du conseil départemental, v. P. Verdier, « Le “contrat jeune majeur” : mythe et réalité », JDJ 2012, n° 320, p. 10. Le Conseil d’État a d’ailleurs bien démontré les limites de cette référence à la contractualisation (CE, 22 juill. 2020, n° 435974 : AJDA 2021, p. 34, note H. Rihal).
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8.
V. Fleury, « Que change la loi de protection des enfants ? », Le Media Social, 22 févr. 2022.
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9.
CGCT, art. L. 3214-1 – CASF, art. L. 121-3.
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10.
CE, 29 mai 2019, n° 417406, Dpt du Bas-Rhin : Lebon T 2020 ; JCP A 2019, act. 392 ; JCP A 2019, act. 459, obs. H. Habchi ; LPA 25 mars 2021, n° LPA159z4, note A. Niemiec.
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11.
https://lext.so/shXq5Y.
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12.
CCH, art. L. 441-1.
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13.
Fondation Abbé Pierre, rapp. n° 28, 31 janv. 2023, L’état du mal logement en France 2023 : https://lext.so/tz-kgO.
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14.
CE, 15 nov. 2022, n° 468365 : AJCT 2023, p. 168, obs. P. Villeneuve ; AJDA 2023, p. 663, note H. Rihal ; JCP A 2022, comm. 2356, note H. Habchi.
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15.
Cette restriction est identique pour les jeunes majeurs où la prise en charge est facultative.
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16.
CE, 28 déc. 2017, n° 416390 : JCP A 2018, comm. 2172, note S. Defix.
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17.
CE, ord. réf., 10 févr. 2012, n° 356456 : Lebon T 2013, p. 835 ; AJDA 2012, p. 716, note A. Duranthon ; AJDI 2012, p. 411, étude R. Piastra ; AJDI 2013, p. 489, étude F. Zitouni ; JCP A 2012, comm. 2059, note O. Le Bot ; JCP G 2012, comm. 217, note M. Touzeil-Divina ; JCP G 2012, comm. 581, note G. Delmas – CE, 13 juill. 2016, n° 399829 – CE, 13 juill. 2016, n° 399834 – CE, 13 juill. 2016, n° 399836 : AJDA 2016, p. 1477, obs. M.-C. de Montecler ; JCP A 2016, comm. 2244, note H. Habchi.
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18.
L. n° 2016-297, 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant : JO, 15 mars 2016.
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19.
CE, 29 mai 2019, n° 417406, Dpt du Bas-Rhin : Lebon T 2020 ; JCP A 2019, act. 392 ; JCP A 2019, act. 459, obs. H. Habchi ; LPA 25 mars 2021, n° LPA159z4, note A. Niemiec.
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20.
CASF, art. L. 262-28.
Référence : AJU012k4