Le futur du travail vu par les DRH : l’enquête menée par BCG et l’ANDRH révèle des changements profonds à l’avenir

Publié le 04/08/2020

Pendant la crise, le Boston Consulting Group (BCG) et l’ANDRH ont mené une enquête approfondie consistant à mesurer l’impact d’ores et déjà mesurable des changements à venir dans le monde du travail et qui, aux yeux des 458 DRH répondants, s’avéreront durables.

Comment sera le monde d’après ? Entre confinement obligatoire, fermeture de sites, mise en place urgente du télétravail, comment le monde de l’entreprise va-t-il intégrer ces nouvelles pratiques ? Il est clair que les adaptations réalisées en un éclair face à la crise sanitaire laisseront une empreinte durable, que vont devoir intégrer, mettre en pratique et faire évoluer les DRH.

Le télétravail, au cœur d’un consensus

Les résultats de l’étude ne trompent pas : le recours au télétravail, du côté DRH, prend presque la forme d’un plébiscite. Vinciane Beauchêne, directrice associée du bureau parisien et spécialiste du leadership et de la gestion du changement chez BCG, le confirme. « Il apparaît que le confinement a vraiment fait bouger les lignes sur tous les nouveaux modes de travail, dont le télétravail ». Véritable révolution, son recours a explosé : « Le nombre de salariés concernés a grimpé : avant le confinement, 92 % du télétravail concernait moins de 25 % des collaborateurs. Son intensité a également été boostée, puisque l’on part d’une situation initiale où seuls quelques salariés avaient recours au télétravail de façon marginale (moins de 1 jour par semaine), à une situation où, brusquement, 84 % des salariés sont devenus à temps plein des télétravailleurs, avec même une proportion de 45 % du télétravail pour plus 75 % des salariés ».

Cependant, nuance Vinciane Beauchêne, le phénomène a été mis en place si rapidement, qu’il faut bien se garder de tirer trop rapidement les conclusions d’un basculement qui s’est réalisé sous la contrainte.

Pour autant, cette bascule vers le télétravail est perçue comme « pérenne » pour 85 % des DRH interrogés, et 82 % ont même augmenté la part des postes susceptibles d’être effectués en télétravail. Dans les faits, en « fonction des fonctions », la capacité à télétravailler est plus ou moins forte. « Si la fonction support a pu être mise en télétravail à 85 %, à l’autre bout du spectre, les postes de logistique et de production restent encore en marge, car beaucoup plus difficiles à effectuer chez soi, voire impossible », éclaire-t-elle.

Pourtant, certains freins ont été levés. Pour des « vaches sacrées » comme les call centers ou les services clients, au sein desquels le travail à distance est difficile (pour des questions de sécurité, pour se connecter ou pour avoir accès aux bases de données de l’entreprise de façon sécurisée), le chiffre a quand même bondi de 12 % à 49 %.

Après l’urgence, les pratiques vont se banaliser, puisque « plus de 60 % des entreprises pensent avoir plus d’un quart de leurs salariés en télétravail » à l’avenir. Mais peu d’entreprises optent pour un modèle plus radical, puisque seulement 10 % d’entre elles souhaiteraient voir 75 % de leurs salariés en télétravail.

Avec deux jours de télétravail par semaine envisagé, on « en arrive à un modèle hybride d’organisation », mêlant télétravail et présentiel, « ce qui suppose de repenser profondément l’organisation du travail pour tirer parti des espaces de travail », de mieux évaluer « les activités qui peuvent être menées chez soi quand les personnels sont à distance », précise la directrice de BCG.

Les avantages attendus par les DRH

Étonnant ? Pas forcément. La première motivation des DRH, et de loin (pour 93 % d’entre eux), est de répondre à l’attente des collaborateurs. Viennent ensuite l’augmentation de la productivité (importante ou très importante pour 2/3 des DRH). À l’inverse, et contrairement à certaines craintes, « le recrutement d’une main-d’œuvre plus flexible ou la capacité de recruter des salariés à distance (venant des pays étrangers ou une main-d’œuvre moins chère), arrivent en bas de l’échelle, avec seulement 11 % des répondants », précise Vinciane Beauchêne. De la même façon, on aurait pu s’attendre à ce que le gain immobilier apparaisse comme prioritaire. Pourtant, les DRH ne sont qu’un tiers à estimer qu’il représente un bénéfice important ou très important du passage au télétravail, et 55 % le pensent comme peu ou pas important. 61 % citent également la réduction de l’empreinte carbone. Les DRH seraient-ils des modèles de vertu ?

Le futur du travail vu par les DRH : l’enquête menée par BCG et l’ANDRH révèle des changements profonds à l’avenir
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Des évolutions nécessaires

Les bénéfices attendus par les DRH vont de pair avec une évolution nécessaire des pratiques managériales. Vinciane Beauchêne le reconnaît, il est « très différent de manager des collaborateurs “sous la main”, avec un mode de contrôle rapproché » rendu possible par la proximité, que des salariés en télétravail, ce qui change complètement la donne. Ainsi à quoi ressemblera le manager idéal de demain, dans un monde où le télétravail serait la norme ? « La qualité principale consiste à donner du sens et motiver les troupes (pour 96 % d’entre eux), viennent ensuite la capacité à développer les équipes et à monter en compétences (pour 93 %), puis « la capacité à bien communiquer sur les décisions de l’entreprise », faisant des DRH de véritables courroie de transmission des informations stratégiques, et les personnes qui, dans l’entreprise, ont pour mission de fixer des objectifs clairs.

Les sujets soft d’accompagnement (pour 2/3 des DRH), dont la gestion du changement se placent en haut des priorités. Audrey Richard, présidente de l’ANDRH, a d’ailleurs souligné le rôle élargi des DRH pendant la crise (qui ont rédigé des notes sur le sommeil, l’alimentation, répondu aux interrogations sur la grand-parentalité ou des jeunes professionnels, et même aidé dans des cas de violences conjugales, etc.) et a évoqué les énormes efforts faits autour de la communication interne (écrite, vidéo, création d’Instagram, etc.), ce qui a permis de nourrir le collectif », ainsi que les efforts réalisés en faveur de l’accompagnement à distance. « Ce qu’on voit, c’est que finalement, tous les sujets nouveaux arrivent sur notre bureau et nous les traitons. C’est intéressant en termes d’évolution du rôle du DRH au sein de l’entreprise ».

À l’inverse, tous les sujets hard se placent plus bas dans les priorités, détaille Vinciane Beauchêne, comme la réorganisation des espaces de travail (14 %) ou la refonte des critères d’évaluation de performance (10 %). « Il y a là une surprise très positive », estime-t-elle. En revanche, elle s’étonne de la faible importance attribuée au coût de ces changements : « 60 % des DRH interrogés pensent que le changement aura un impact minime ou nul sur l’impact financier requis. A-t-on manqué de temps pour évaluer le coût de ces changements ou les DRH croient-ils qu’ils peuvent se faire en tenant dans les budgets actuels ? », s’interroge-t-elle.

De l’autre côté, les collaborateurs également vont sentir des changements dans leur façon de travailler. À l’avenir, ils devront se montrer « plus autonomes », seront témoins d’une réorganisation du travail en « équipes plus dédiées sur des projets », avec pour but d’éviter trop de « fragmentation ».

À noter également, un quart des entreprises, pionnières, ont profité de la crise pour tester de nouveaux modes de travail (design thinking, agile, lean…), qui ont satisfait 78 % des DRH, améliorant leur engagement ou productivité. 70 % d’entre eux envisagent même de développer ces méthodes de façon pérenne, témoignant d’une lame de fond profonde.

Des risques sous contrôle ?

Si le télétravail se révèle désormais incontournable, il n’est pas exempt de risques. En premier lieu, les risques psychosociaux (88 % des DRH citent la crainte d’une baisse de sentiment d’appartenance à l’entreprise) et une plus faible cohésion entre ceux qui sont en télétravail ou non. À l’inverse le risque autour de la productivité ou du turn over ne sont absolument pas cités de façon importante (22 % des DRH). Un écueil à éviter, aux yeux de Vinciane Beauchêne, est de considérer le télétravail comme « allant de soi ». Elle s’explique :  « dès lors qu’on veut faire passer à grande échelle une modalité de travail aussi disruptive que le télétravail, c’est l’ensemble de l’organisation qui doit être revue. Cela fait l’unanimité parmi nos répondants puisque 93 % nous disent que le télétravail va faire évoluer, voire bouleverser, les pratiques managériales, les pratiques RH (88 %) mais aussi l’organisation du travail (80 %) et celle des espaces de travail (78 %) ».

Avec le confinement, les médias ont mis en lumière des risques potentiels, comme le développement d’un sentiment d’isolement, la problématique des gardes d’enfants… Cette situation anxiogène a « créé des conditions qui sont tout sauf le mode nominal du télétravail », nuance Vinciane Beauchêne, qui, le confirme Audrey Rochard, présidente de l’ADNRH, n’a pas vocation à s’établir sur les cinq jours de la semaine. Aucune d’entre elles ne semblent accorder trop de crédit à l’émergence de graves dérives. « Les deux bénéfices principaux du télétravail sont, dans l’ordre, de répondre aux attentes des collaborateurs et d’améliorer la productivité. Sachant que l’un des facteurs principaux de la performance, c’est justement le niveau des engagements des salariés, on a du mal à imaginer les entreprises aller tuer la “poule aux œufs d’or’’ en fliquant leurs collaborateurs », rassure-t-elle, même si elle ne nie pas des « tentations » dans certaines entreprises, de « maintenir un modèle de command and control ». Quant au risque de trop s’immiscer dans la vie privée de collaborateurs, Audrey Richard est transparente. « Nous nous sommes interrogés. Mais il faut arrêter de se poser trop de questions, on est là pour que les collaborateurs se sentent bien au travail et on y est allé ».

Quels freins à lever ?

« L’enquête montre bien que le développement du télétravail, et ses implications managériales, changent pas mal d’équilibres au sein de l’entreprise », analyse Benoît Serre, vice-président national délégué de l’ANDRH. Or « le DRH a la responsabilité de garantir l’unité de l’entreprise – on sait qu’un télétravail massif porte en lui un risque de délitement de l’entreprise ou de désunification – et de l’autre de l’équité entre collaborateurs. Il ne faudrait pas avoir une vision élitiste du télétravail », met-il en garde, avec d’un côté les métiers exerçables en télétravail, et ceux qui ne le sont pas, et éviter « que le développement du télétravail fasse apparaître une nouvelle fracture entre cols blancs et cols bleus », résume-t-il, réaffirmant le but originel du télétravail, à des fins d’amélioration de la qualité de vie au travail. Face à ces risques, « certaines entreprises se sont engouffrées dans la raison d’être, la logique du sens du travail, la solidarité collective dans un projet d’entreprise, autant d’éléments absolument essentiels pour donner du sens à ces réformes et non pas qu’elles soient ressenties comme des inégalités ou des iniquités ».

Ceci étant dit, l’ANTRE appelle de ses vœux son développement, avec certaines convictions chevillées au corps : « l’environnement juridique extrêmement contraint » est un frein à lever, affirme Benoît Serre. « Les contraintes sociales sont parfois nécessaires mais elles ne s’inscrivent pas dans le rythme adapté dont les entreprises ont besoin ». Pour lui, ce n’est pas un hasard si « l’un des premiers décrets pris par la ministre du Travail est la réduction des délais de consultation. Car ce qui va permettre aux entreprises de se sortir de cette crise, c’est la rapidité à laquelle elles vont pouvoir adapter leur organisation, plus souple, plus agile, plus rapide, face à un environnement économique très délicat ». En somme, les DRH sont prêts, les salariés le souhaitent, les entreprises sont prêtes à transformer le travail. « Nous devons le faire avec les organisations syndicales, les pouvoirs publics et le législateur. Mais nous préférons des négociations sur le terrain pour trouver des accords dans les entreprises avec les organisations syndicales, plutôt qu’un accord national interprofessionnel, afin de construire des solutions de télétravail adaptée à la réalité de l’entreprise. On ne peut pas manquer ce coche historique », tranche le vice-président de l’ANDRH.

Et de conclure : « La loi Pacte envisageait déjà de redéfinir le rôle de l’entreprise. Pour résoudre la crise, une étude a montré que les salariés faisaient plus confiance aux entreprises qu’à l’État. Faut-il aller jusque-là ? », demande Benoît Serre. Il a en tout cas une certitude : « le premier acte du monde d’après est que les entreprises ne déçoivent pas ».

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