Le référent : un statut à parfaire ?

Publié le 07/01/2019

La lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes dans les entreprises serait plus effective si les victimes disposaient au sein de celles-ci de procédures plus adéquates favorisant la libération de la parole. La loi du 5 septembre 2018 est venue répondre à ce besoin en créant un nouvel organe : le référent. Cependant, l’absence de précision de la fonction de ce dernier et des garanties qui l’entourent poussent à s’interroger sur son efficacité.

La volonté du législateur d’assurer l’égalité entre les hommes et les femmes et de lutter contre les propos sexistes ou contre les harcèlements sexuels au sein des entreprises est clairement affichée. Après une première loi en date du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes1, il récidive avec une loi du 5 septembre 2018 relative à « la liberté de choisir son avenir professionnel »2. Cette dernière vient renforcer l’arsenal juridique déjà existant. En effet, outre la réintroduction du harcèlement sexuel3 dans le Code du travail par la loi du 6 août 20124, la loi Avenir professionnel est venue y ajouter une autre infraction relative aux agissements sexistes.

Cette intervention intempestive du législateur se justifie par ce besoin d’exclure de l’entreprise des infractions dont les conséquences sur la santé de l’entreprise5 et de ses salariés6 sont réelles.

Pour parvenir à cette exclusion, encore faudrait-il que ces infractions soient dénoncées. Afin de faciliter cette dénonciation au sein de certaines entreprises, le législateur a créé avec la loi du 5 septembre 2018 une nouvelle autorité dénommée « référent » qui est chargé de recevoir et d’orienter les victimes.

Si la loi précitée a fixé les conditions relatives à la nomination de ce référent (I), elle n’est cependant pas allée jusqu’au bout de sa logique, ce qui donne l’impression d’une loi inachevée.

En effet, l’existence d’un lien de subordination, de convictions communes ou encore de liens de parenté entre le référent et certains salariés ou l’employeur sont des risques (II), des éléments susceptibles de restreindre le rôle qui lui est dévolu. Dans ces différentes situations, la loi n’a pas donné une ou des mesures permettant de pallier les défaillances du référent.

I – Nomination du référent

La loi Avenir professionnel ne vient pas viser toutes les entreprises pour la désignation d’un référent, seules certaines entreprises sont concernées (A) et le référent devra être choisi parmi les membres d’un nouvel organe, le comité social et économique (CSE) (B).

A – Les entreprises concernées

L’article L. 1153-5-1 du Code du travail dont l’entrée en vigueur est fixée au plus tard le 1er janvier 2019 cite les entreprises concernées. Il s’agit, conformément à cette disposition, de toute entreprise qui dispose d’un CSE. Cet article semble a priori fixer des limites quant à la désignation du référent. Sa première lecture peut laisser entendre qu’en l’absence de CSE, la victime de harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes ne peut pas agir. La désignation d’un référent en fonction de l’existence d’un CSE semble peu justifiée. Peu importe l’entreprise, un référent ou encore un moyen permettant à la victime de se faire entendre doit être mis en place. La loi ne peut créer une rupture d’égalité entre les victimes. Ces dernières doivent toutes être logées à la même enseigne, c’est-à-dire qu’elles doivent bénéficier d’une procédure favorable à leur écoute, leur orientation et leur accompagnement. L’affichage dans les entreprises ne disposant pas de CSE des dispositions punissant ces infractions et les autorités à saisir en cas de litiges sauront peut-être pallier cette carence législative. Encore faudrait-il que les employés soient informés dès leur embauche de l’existence de ces dispositions et de leur affichage. Il revient à l’employeur d’y procéder comme le prévoit l’article L. 1153-5 du Code du travail. Un droit à l’information doit donc exister au profit de tous les employés. Ces derniers doivent identifier leur interlocuteur privilégié en cas de harcèlement sexuel ou de propos sexistes, après que ce dernier a été choisi par le nouvel organe, à savoir le CSE.

B – Un rôle dévolu au nouvel organe : le CSE

L’entreprise initialement composée de plusieurs instances représentatives se trouve désormais au cœur d’une réforme profonde. En faveur d’un dialogue social et économique, l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 est venue réunir toutes les instances représentatives par la création du CSE7. Sa composition est fixée par l’article L. 2314-1 du Code du travail.

L’article 105 de la loi Avenir professionnel de 2018 vient ajouter à ce dernier article un alinéa qui donne compétence au CSE pour désigner un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés victimes de harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes. Son mandat prend fin en même temps que celui des membres élus du CSE8. Pour l’exercice de sa mission, il bénéficiera de formations adaptées9. On regrette que la loi ne les cite pas de manière explicite. Elle souligne seulement que le référent bénéficiera d’une formation nécessaire en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail. Autrement dit, elle se contente d’user de termes vagues alors que leur précision est un critère indispensable pour apprécier sa capacité à bien mener son action et son aptitude à demeurer indépendant et impartial vis-à-vis de l’employeur qui est aussi membre du CSE10. Il ne doit y avoir aucun risque de nature à compromettre la libération de la parole et la saisine des organes compétents en cas de réalisation des infractions concernées.

II – Les risques susceptibles de restreindre le rôle du référent

L’impartialité, qu’elle soit objective ou subjective, ne peut faire l’objet de négligence dans la mise en place d’un tel mécanisme au sein de l’entreprise. Si l’un des objectifs de la loi est de favoriser la libération de la parole, l’effet contraire doit aussi être pris en compte. En effet, l’absence d’impartialité de la part du référent serait de nature à empêcher la loi de produire les effets escomptés (A). Cette partialité pourrait engendrer des manœuvres, des subterfuges limitant l’action de la victime (B).

A – Garantir l’impartialité du référent

Le référent doit, pour remplir pleinement la tâche qui lui est réservée, demeurer indépendant des différents protagonistes. Qu’il s’agisse de « conflit vertical », c’est-à-dire entre l’employeur et un ou une employé(e) ou encore de « conflit horizontal », c’est-à-dire entre employé(e)s, il ne doit pas être partial. De même, son lien de subordination, en dépit de sa fondamentalité pour la bonne marche de l’entreprise, ne doit pas être un frein pour le référent. Il doit s’entourer de toutes les garanties de nature à lui permettre de faire face à toutes sortes de pressions. La nouvelle loi ne pose pas les conditions relatives à ces garanties. Si le référent se heurte à un refus de la part de l’employeur de prendre les mesures pour empêcher, faire cesser ou dénoncer l’une des infractions prévues par la loi, doit-il passer outre ? Et quelles seront les conséquences sur sa carrière en cas de non-respect des directives de l’employeur ? Toutes ces questions méritent des éclaircissements. Il ne serait pas anodin non plus de se demander quelle alternative est offerte à la victime si le référent est auteur des infractions concernées. Existerait-il d’autres voies permettant à la victime d’agir ? Cette dernière peut voir son action limitée par des manœuvres internes.

B – Les manœuvres internes limitant l’action de la victime

La désignation d’un référent ne pourra pas être le baromètre qui permettra de connaître le taux des infractions liées aux harcèlements sexuels ou propos à connotation sexiste dans les entreprises. La victime peut, en cas de partialité du référent, subir diverses pressions pour ne pas engager une procédure. Pour sauvegarder la réputation de l’entreprise ou de l’un de ses membres, elle peut faire l’objet de plusieurs propositions. Elle peut être promue en échange de son silence. Elle peut aussi, au regard des menaces de licenciement, ne pas porter l’affaire devant les autorités compétentes. Il en est ainsi surtout quand la victime ne dispose pas de suffisamment de preuves. Le harcèlement ou les propos sexistes peuvent se tenir dans des endroits où l’auteur et la victime sont seuls. Il sera alors difficile, en l’absence de soutien d’une personne interne à l’entreprise comme le référent, de mettre en œuvre des procédés susceptibles de déceler l’existence de l’infraction dénoncée. Il faudra pour cela que ce dernier dispose de pouvoir d’investigation au sein de l’entreprise et une formation nécessaire pour répondre aux différentes sollicitations. Lors des débats au Sénat, il était prévu, en plus du référent désigné par le CSE, un référent du côté des ressources humaines et un autre du côté de la médecine du travail11. L’existence de plusieurs référents permet, selon la ministre, de multiplier les points de contact et de faciliter la libération de la parole. Malheureusement, la loi dans sa version finale ne fait pas état de ces référents. En attendant l’échéancier de mise en application de la loi12, il est permis d’émettre des doutes quant à sa perfection.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2018-703, 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : JO n° 0179, 5 août 2018, texte n° 7 ; v. Tellier-Cayrol V., AJ pénal 2018, p. 400 ; v. aussi Casado A., BJT nov. 2018, n° 110p7, p. 190.
  • 2.
    L. n° 2018-771, 5 sept. 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel : JO n° 0205, 6 sept. 2018, texte n° 1 ; v. Leborgne-Ingelaere C., JCP S 2018, 1311, n° 39.
  • 3.
    Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC : RSC 2012, p. 371, obs. Mayaud Y. ; D. 2012, p. 1372, note Detraz S. ; AJ pénal 2012, p. 242, obs. Perrier J.-B.
  • 4.
    L. n° 2012-954, 6 août 2012, relative au harcèlement sexuel : JO n° 0182, 7 août 2012, p. 12921, texte n° 1.
  • 5.
    Dion M., L’éthique de l’entreprise, 2007, éd. Fides, p. 301.
  • 6.
    V. sur ce point les articles 222-33 du Code pénal et L. 1153-1 du Code du travail.
  • 7.
    V. Ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales : JO n° 0223, 23 sept. 2017, texte n° 31.
  • 8.
    L. n° 2018-771, 5 sept. 2018, art. 105.
  • 9.
    C. trav., art. L. 2315-18.
  • 10.
    C. trav., art. L. 2314-1.
  • 11.
    V. Sénat, séance du 16 juillet 2018.
  • 12.
    Disponible sur Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000036847202&type=echeancier&typeLoi=&legislature=15.