Essonne (91)

L’écrivain public, première étape d’un éventuel parcours juridique

Publié le 16/05/2023

Sylvie Macquet est écrivaine publique et tient des permanences au sein de la Maison de Justice et du Droit (MJD) de Villemoisson-sur-Orge, dans l’Essonne (91). Établissements judiciaires de proximité, les MJD sont des lieux d’accueil, d’écoute, d’orientation et d’information gratuits et confidentiels. Sans être une profession du droit, les écrivains publics sont un maillon essentiel du parcours des usagers éloignés de l’écriture.

La Maison de Justice et du Droit (MJD) de Villemoisson-sur-Orge (91)

DR

Actu-Juridique : Vous êtes devenue écrivaine publique en 2018. Pourquoi avoir changé de métier ?

Sylvie Macquet : J’étais chargée de communication pendant quinze ans dans des collectivités territoriales. Il est arrivé un moment où j’ai perdu le sens de mon travail. J’écrivais, cachée derrière mon ordinateur, éloignée du terrain. J’ai alors compris que l’important pour moi était l’écriture et les relations humaines. J’avais besoin de me sentir utile. Je me suis renseignée sur la fonction d’écrivain public et j’ai entraperçu une vraie profession. Dans son versant « à vocation sociale », c’est un métier d’engagement et de passion. On fait face à des missions de service public et on touche des personnes socialement en difficulté.

Actu-Juridique : Quelle a été votre formation ?

Sylvie Macquet : J’ai obtenu la licence professionnelle écrivain public à La Sorbonne – Paris 3 après un an d’études, et je me suis installée à mon compte à l’été 2018. J’ai beaucoup de marge de manœuvre dans le choix de mes prestations. En tant qu’écrivain public, j’écris pour autrui. Ainsi, j’assure des missions d’aide aux démarches administratives dans des mairies ou dans des structures comme la MJD, j’écris des biographies pour un tout autre public, j’anime des ateliers d’écriture autobiographique pour des personnes âgées et j’écris des articles journalistiques pour des entreprises.

Actu-Juridique : En quoi consistent vraiment vos missions d’écrivaine publique ?

Sylvie Macquet : Il y a autant d’écrivains publics que de personnes. On crée son métier à son image, en fonction de son parcours, de ses compétences et de ce qu’on aime faire. Ce qui nous relie, c’est l’écriture pour autrui. L’écrivain public à vocation sociale se met au service d’une population éloignée de l’écrit. Il accompagne des personnes dans des démarches, que ce soit par courrier ou via le numérique, puisque de plus en plus d’entre elles se font sur internet.

C’est un métier de reconversion pour la plupart d’entre nous, car il faut être solide. La posture est importante par rapport aux personnes que l’on reçoit : être à l’écoute, tout en conservant suffisamment de distance. Ce métier demande beaucoup de connaissances globales et des qualités psychologiques également, pour savoir appréhender des personnalités ou des situations difficiles.

Actu-Juridique : Avez-vous besoin de connaître la matière juridique ?

Sylvie Macquet : Je n’ai pas besoin de connaissances particulières en droit. L’écrivain public a également un grand rôle d’orientation. Lorsque des questions juridiques se posent, c’est que les limites de ma mission sont atteintes : j’oriente vers un ou une juriste. Quitte à ce que la personne revienne vers moi pour aider à la rédaction si le juriste ne le fait pas. Je ne m’appuie jamais sur les lois, ce n’est pas mon rôle. Les missions de l’écrivain public sont par ailleurs très bien définies. Dans une MJD, nous faisons en effet partie d’un parcours juridique. Nous en sommes souvent la porte d’entrée. Pour qu’il y ait un accompagnement juridique, il faut que la personne ait au moins tenté quelque chose à l’amiable et acté une situation à l’écrit.

Actu-Juridique : Que vous demande-t-on d’écrire ?

Sylvie Macquet : J’interviens dans tous les domaines : le logement, la retraite, le handicap, la vie quotidienne comme des résiliations de contrat, la CAF, la Sécurité sociale… Je reçois beaucoup de personnes étrangères. Je me retrouve souvent à faire des démarches de titre de séjour ou de naturalisation parce que tout se fait en ligne et que ces personnes, bien souvent, ne peuvent pas les faire elles-mêmes. La préfecture met des postes informatiques à la disposition du public, à certains horaires, mais n’accompagne pas les démarches. Donc, si l’écrivain public ne le fait pas, qui va le faire ? C’est pourquoi, je pense que l’écrivain public a de beaux jours devant lui… J’aide également pour les dossiers adressés à la Maison départementale des personnes en situation de handicap (MDPH). J’accompagne aussi beaucoup les demandes de retraite.

Actu-Juridique : Vous n’êtes donc pas professionnelle du droit, mais vous semblez devoir connaître de nombreux rouages administratifs ?

Sylvie Macquet : Je ne suis pas une spécialiste : quand une question se pose, j’essaye de trouver un rendez-vous avec le service concerné. En fait, je suis un peu touche-à-tout, mais spécialiste de rien. Il m’arrive régulièrement de rappeler mon rôle, en expliquant que je ne représente pas l’administration concernée, que je suis là pour accompagner une démarche et que je ne peux pas répondre à des questions pointues.

Actu-Juridique : Peut-on vous demander de tout écrire ?

Sylvie Macquet : Je ne peux pas rédiger s’il y a diffamation ou injures. Quand j’ai un doute, je vais voir la responsable de la structure ou un juriste, et je lui demande son avis. Ça me rassure, et je reviens vers la personne plus forte. Par exemple, un monsieur disait être en conflit avec sa femme qui, selon lui, utilisait le titre de séjour de sa cousine. Il voulait la dénoncer à la préfecture. J’ai refusé. Il n’y a pas longtemps, une dame voulait écrire un courrier pour que le proviseur d’un lycée hors de son secteur accueille sa fille. Elle m’a présenté un faux. J’ai refusé. Elle m’a quand même demandé d’écrire le courrier en utilisant d’autres arguments et sans faire référence à ce faux. J’ai accepté. Je ne peux pas rédiger de faux, d’injure ou diffamer quelqu’un.

Actu-Juridique : Mis à part les personnes qui ne sont pas francophones, pourquoi vient-on vous voir ?

Sylvie Macquet : Ça peut être parce qu’on ne sait ni lire ni écrire, que l’on n’est pas à l’aise avec l’écriture, avec l’administration ou avec le numérique. Parfois, des personnes viennent avec des dossiers remplis et elles ont juste besoin d’être rassurées.

Actu-Juridique : Les permanences sont-elles beaucoup sollicitées ?

Sylvie Macquet : Tous les créneaux sont toujours pris, avec parfois des délais d’attente. 80 à 90 % des personnes honorent leur rendez-vous. Il y a d’énormes besoins en Essonne, et même dans toute l’Île-de-France. C’est criant. Au sein de la MJD de Villemoisson-sur-Orge, deux bénévoles interviennent également. Cela permet de maintenir des délais raisonnables. Il y a un énorme travail de filtrage au départ grâce aux trois personnes chargées de l’accueil et d’orientation qui jouent un rôle essentiel. C’est très important, sinon je me retrouverais avec des gens pour qui je ne pourrais rien faire, ou en difficulté parce qu’il aurait fallu qu’ils voient un ou une juriste avant.

Actu-Juridique : Les Maisons de Justice et du Droit sont-elles essentielles selon vous ?

Sylvie Macquet : Il n’y a plus beaucoup de lieux où les gens peuvent être accompagnés ou écoutés. Dans mes rendez-vous, et même si le temps est compté, je suis très attentive à prendre le temps d’écouter. La MJD est devenue un des seuls endroits de référence où on obtient un accompagnement, des réponses et de l’écoute. La MJD a vraiment sa raison d’être et on espère que cela va durer. Malheureusement, nous sommes confrontés à une population qui ne connaît pas toujours ses droits. La MJD a un grand rôle à jouer pour continuer à rayonner.

Actu-Juridique : Y a-t-il des enjeux à faire évoluer votre métier ?

Sylvie Macquet : Ce n’est pas parce qu’on sait écrire qu’on fera un bon écrivain public. Il y a beaucoup de compétences à avoir et un savoir-être à acquérir. Je fais partie de l’Académie des écrivains publics de France (AEPF) et du Syndicat national des prestataires et conseils en écriture (SNPCE). Grâce à ces organisations, la fonction se professionnalise de plus en plus. Par exemple, par l’intermédiaire de son président qui tient une permanence dans une prison depuis longtemps, l’AEPF a réussi à faire signer une convention avec l’administration pénitentiaire. Une formation spécifique a même été mise en place pour les écrivains publics qui, désormais, interviennent en prison. Cette convention est une vraie reconnaissance de la qualité et de l’utilité de notre métier ! Le métier d’écrivain public n’est toujours pas réglementé, tout le monde peut le devenir du jour au lendemain. C’est pourquoi, l’agrément que fait passer l’AEPF à des personnes qui veulent devenir écrivains publics est un gage de qualité, et va dans le sens de la professionnalisation. Les formations professionnelles que l’AEPF propose font également partie de notre combat pour faire reconnaître la nécessité de faire appel à des écrivains publics professionnels.

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