Les ressources humaines : en première ligne dans l’entreprise face au coronavirus
Alors que la profession fait face à une situation d’une ampleur inédite, l’Association nationale des DRH (ANDRH) a voulu évaluer assez rapidement les impacts de la crise du coronavirus sur la profession. Envoyé du 26 mars au 6 avril, un questionnaire a permis de récolter 550 réponses, représentant toutes les tailles d’entreprises et permettant une véritable plongée au cœur du monde de l’entreprise. Les résultats réaffirment que la fonction RH a été en première ligne de la gestion de crise, aux côtés des DG, présentes toutes deux dans 97 % des cellules de crise créées dans les entreprises. 95 % des organisations ont désormais recours au télétravail et cela ne va pas sans difficultés, allant de l’adaptation des outils d’échange à distance (58 %), au manque de matériel (46 %) ou à la montée en puissance du management à distance (38 %). Pour pallier ces difficultés, une communication régulière sans être oppressante, transparente (sur la situation de l’entreprise, la pérennité des emplois…) mais pas seulement centrée sur le virus est recommandée, ainsi que le fait d’accepter une moins grande efficacité des salariés dans cette période où ils doivent aussi gérer leur vie personnelle et la garde des enfants. Pour les salariés contraints de se rendre sur site, la mise en place des gestes barrière (91 %), la fourniture de masque et de gel (82 %) ou encore les aménagements des horaires (57 %) sont censés amoindrir les risques et les contraintes qu’ils rencontrent. 41 % des répondants ont recours au chômage partiel, parfois compliqué à mettre en place pour des questions administratives. Audrey Richard, présidente de l’ANDRH, a accepté de répondre à quelques questions complémentaires.
Les Petites Affiches : Face à cette crise inédite, peut-on dire que les DRH ont été assez réactifs ?
Audrey Richard : Les DRH ont été et sont toujours au cœur de la crise et ont montré leur ultraréactivité. C’est peu dire dans cette période de forte évolution législative, que l’on doit suivre au quotidien. Il nous faut nous tenir au courant, informer, expliquer et mettre en application les directives. La bonne surprise, c’est que la fonction RH est indispensable à la gestion de la crise. Elle y est immergée de plain-pied pour expliquer les choses, les mettre en place et rassurer les salariés. Dans certaines entreprises, les DRH ont pris le temps d’appeler individuellement les salariés mis en chômage total. Non pas pour donner des consignes, mais pour prendre des nouvelles et garder le lien avec l’entreprise.
LPA : Quelles sont les conséquences les plus immédiates du confinement pour les employés et les DRH, mais qui vont sans doute avoir des impacts durables sur le fonctionnement des entreprises ?
A. R. : Sans hésiter, le télétravail. Je connais des entreprises qui étaient contre le télétravail, à qui cela ne convenait pas du point de vue de l’organisation, qui pensait que ce n’était pas efficace, qui ressentaient peut-être un manque de confiance dans leurs collaborateurs ou estimaient que la confidentialité n’était pas garantie, et qui aujourd’hui, utilisent le télétravail ! Et elles constatent que cela fonctionne. Alors, oui, nous évoluons actuellement en mode dégradé, mais le télétravail marche bien ! Cela aura certainement des incidences sur le futur. Pour ces entreprises, il n’y aura pas de retour en arrière. Après le déconfinement, elles ne pourront pas dire à leurs employés qu’elles n’y croient pas et qu’il est impossible d’envisager le télétravail, au moins de façon partielle. En tant que DRH, nous ne recommandons évidemment pas de télétravailler cinq jours par semaine, ce n’est pas ce qu’il faut faire, mais l’envisager de façon partielle me semble inévitable.
Ce chamboulement est tellement fort que dans le calendrier des négociations avec les partenaires sociaux, le télétravail va sans doute être mis au top des priorités.
LPA : Comment le télétravail s’est-il mis en place ? Quelles questions ont été soulevées pour sa mise en place ?
A. R. : Certains de nos membres ont remonté des informations sur les questions de dotation de matériel et de flux (rendant les connexions à internet parfois compliquées). Mais quand on me demande « les entreprises n’ont-elles pas manqué de préparation ? », je réponds non. Dans les entreprises, il y avait déjà souvent une proposition de télétravail, mais dans d’autres, le télétravail n’était pas requis. Dans ce cas de force majeure, où tous les secteurs et tous les métiers sont concernés, des problèmes de matériels disponibles ont pu se poser. Mais les gestes de solidarité se sont révélés : si un collaborateur n’avait pas d’ordinateur, un autre a pu se proposer pour lui en prêter un. Ce sont des situations qui se sont présentées.
D’autres soucis ont concerné les outils collaboratifs, pour le partage de documents, par exemple. Pour certains salariés, moins familiers de Slack et autre outils collaboratifs, on ne peut pas exiger une efficacité immédiate. Nous travaillons en mode dégradé, il faut l’accepter et les managers doivent revoir leur niveau d’exigence à la baisse.
LPA : Depuis plusieurs mois, dans un contexte de Gilets Jaunes, puis de grève, et enfin de crise sanitaire, les DRH ont dû mettre en place des plans de continuité d’activité (PCA). La tendance se confirme-t-elle ?
A. R. : Au moment du mouvement des Gilets Jaunes, l’ANDRH avait déjà proposé un webinar et de la documentation pour inciter les entreprises à mettre en place un plan de continuité d’activité. Certes, il y a encore du travail à faire dans ce sens-là, mais la prise de conscience existe. (d’après l’enquête, 33 % des entreprises avaient un PCA avant le 16 mars 2020, et 39 % en ont un depuis cette date, mais 28 % en sont encore dépourvues, NDA)
LPA : Même si le télétravail est efficace, on entend parler de la frontière de plus en plus floue entre vie professionnelle et vie personnelle, surtout en mode confiné. Comment veiller à protéger le droit des salariés à la déconnexion ?
A. R. : La fonction RH y est très vigilante. Elle a diffusé des mémos, des infographies, des fiches pour expliquer comment procéder pour télétravailler au mieux, par exemple, comment installer un coin de bureau à la maison, pourquoi il est nécessaire de faire des pauses, comment diviser son temps entre : temps de travail et temps personnel, etc. Nous avons également renforcé des considérations plus générales, comme l’importance du sommeil, d’une bonne alimentation et de faire du sport. L’ANDRH a d’ailleurs réalisé des infographies à diffuser pour ses membres. L’on voit par exemple des entreprises qui organisent des moments de convivialité : de 9 heures à 9 h 30 les salariés peuvent se connecter pour parler de tout, sauf de travail, reproduisant ainsi un moment similaire à la pose de la machine à café traditionnelle, mais de façon virtuelle !
LPA : Dans l’enquête, on peut lire que les DRH « accompagnent » les salariés qui doivent se rendre sur site. De quelle manière cela est-il possible ?
A. R. : La priorité, c’est le soin à mettre en place toutes les mesures de protection qui sont requises pour assurer la sécurité des salariés, ce qui est le devoir premier des DRH. Sur la partie management, des réunions en visioconférences peuvent être organisées, afin de répondre aux questions sur la poursuite de l’activité, le business. Certains patrons se sont également rendus sur site, dans un geste de soutien à leurs salariés.
LPA : Quelles sont les plus grandes contraintes auxquelles vous faites face ?
A. R. : Selon nos remontées, ce qui est compliqué à gérer ce sont les collaborateurs qui se trouvent en activité partielle totale. Pour autant, ces personnes restent motivées pour la plupart et n’ont qu’une hâte, celle de reprendre le travail.
LPA : Dans l’enquête, seules 11 % des entreprises se montrent enclines à verser à leurs salariés la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat. Ce chiffre est-il surprenant, ou compte tenu des grandes difficultés que rencontrent de nombreuses entreprises, il est à relativiser ?
A. R. : Sans doute l’enquête a-t-elle été réalisée un peu tôt dans la gestion de la crise en ce qui concerne cette question particulière. Si on la reposait maintenant, on peut imaginer que la proportion serait plus importante, même si ce n’est qu’une hypothèse. Évidemment, pour les entreprises, cette période est économiquement dure et s’engager sur une prime est loin d’être évident. Mais il est clair qu’après la crise, elles auront envie de remercier leurs salariés d’avoir permis de continuer l’activité.
LPA : Quels seront les principaux « casse-tête » pour les DRH au moment du déconfinement ?
A. R. : Le déconfinement va nous obliger à organiser la reprise sur site car il faut transformer les sites et les adapter pour un respect strict des mesures d’hygiène (zoning, parcours spécifique, gérer les flux et éviter les points de contact…). Nous aurons aussi à organiser le travail dans les équipes en mettant en place des roulements au sein même des équipes entre ceux qui vont venir sur site, ceux qui vont rester en télétravail et ceux qui seront toujours en activité partielle. Ensuite, il y aura un travail de pédagogie à réaliser : expliquer les démarches dans les instances, auprès des managers et des salariés, et répondre aux questions que se posent les dirigeants, les managers, les partenaires sociaux et les salariés. Enfin, il faudra nous assurer que tout le monde va bien, que personne ne décroche du lien avec l’entreprise. Et pour cela, les entreprises pourront proposer aux personnes de se former, des actions solidaires, ou de bien-être…