Limites des dérogations à l’interdiction du travail le dimanche

Publié le 09/08/2019

Les dérogations, de droit, à l’interdiction du travail dominical ont tellement phagocyté la règle que, l’actualité vient de le montrer, certains employeurs en arrivent à penser que la règle est devenue celle du travail du dimanche. Des salariés ont même été licenciés pour avoir refusé de travailler le dimanche. Le présent arrêt est un utile rappel du principe de l’interdiction du travail du dimanche assortie cependant de quelques exceptions d’interprétation stricte, et qu’il faut pouvoir justifier lorsque l’on souhaite les mettre en œuvre.

Cass. soc., 9 mai 2019, no 17-21162

Les dérogations à l’interdiction du travail dominical, y compris celles de droit, ont tellement phagocyté la règle du repos dominical que certains employeurs en arrivent à penser que le travail du dimanche est devenu la règle permettant de justifier le licenciement des salariés qui le refusent1. Ici, l’employeur voulait justifier le travail dominical en invoquant une dérogation de droit liée à la nature de son activité en rapport avec le tourisme. Lorsqu’elles sont invoquées, les dérogations au principe de l’interdiction du travail du dimanche doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive2 et être justifiées.

Un syndicat d’entreprise, contestant l’existence d’un cas de dérogation permanente de droit au repos dominical, a saisi un tribunal de grande instance pour qu’il soit fait interdiction à cette société d’employer ses conseillers-clientèle le dimanche. La cour d’appel a confirmé la décision ayant ordonné la cessation, sous astreinte3, du travail le dimanche de ces salariés.

L’employeur a formé un pouvoir, il invoquait le bénéfice de la dérogation, de droit, au repos dominical accordé aux entreprises de tourisme et de loisirs qui exercent, à titre principal4, une activité d’accompagnement de clientèle ainsi qu’aux entreprises d’assistance de services qui exercent une activité d’assistance téléphonique, ce qui, selon lui, correspondait à l’activité principale de son entreprise, qui relevait de la convention collective du personnel des agents de voyages et du tourisme, qui était la vente par téléphone de billets d’avion et de produits d’hôtellerie.

La Cour de cassation rappelle que dans le secteur du tourisme et des loisirs, le repos hebdomadaire peut être attribué par roulement aux salariés ayant une activité de réservation et vente d’excursions ou de places de spectacles ou d’accompagnement de clientèle5, en précisant que si la société relevait de la catégorie des établissements de tourisme et de loisirs, les salariés concernés par la décision, qui étaient employés à des activités commerciales de vente de billets d’avion ou de séjours et géraient les appels des membres du programme de fidélisation d’une compagnie aérienne, n’étaient pas affectés à des tâches de réservation et vente d’excursions, de places de spectacle et d’accompagnement de clientèle, que l’employeur ne pouvait donc pas bénéficier d’une dérogation permanente de droit à la règle du repos dominical et rejette le pourvoi. Ce qui invite à se pencher sur les dérogations de droit au repos dominical (I) et leurs conditions d’application (II).

I – Les dérogations de droit au repos dominical

Le principe demeure celui du repos hebdomadaire dominical6, le refus pour un demandeur d’emploi d’accepter une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne constitue pas un motif de radiation de la liste des demandeurs d’emploi7. Il est possible, cela avait été accordé en l’espèce, de faire cesser sous astreinte8 un travail du dimanche dominical illicite9. Mais le principe du repos hebdomadaire dominical est phagocyté par les exceptions et dérogations de plus en plus nombreuses, qui voient leur domaine s’étendre10. L’extension des dérogations au principe du repos dominical a été jugée conforme11 à la fois à la constitution12 et à la convention de l’OIT relative au repos hebdomadaire13, dont l’effet direct a été reconnu14.

Pour certaines entreprises, en raison de la nature de leur activité15, l’absence de travail dominical s’avère impraticable, ce qui justifie qu’elles bénéficient de dérogations de droit16. Il existe aussi des possibilités de dérogations conventionnelles, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas. Les dérogations au repos dominical donnent encore lieu à un important contentieux17.

Le repos dominical a un caractère impératif. Le travail du dimanche ne peut être régulier que s’il se base sur une dérogation légale qui peut tenir à la nature de l’activité exercée18. Il s’agit d’une disposition d’ordre public. Les dérogations au repos hebdomadaire sont toujours justifiées par des impératifs liés à la nature de l’activité, elles sont plus nombreuses19 mais conservent, en principe, un caractère exceptionnel et ne peuvent prospérer que dans les hypothèses légales qui les autorisent et dans les conditions et limites prévues. Certaines dérogations sont permanentes et de droit20. Le critère d’activité de l’établissement sert à fonder les dérogations de droit au repos dominical, ceci concerne les établissements listés21. Sont notamment visés la fabrication de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate, à savoir, la boulangerie-pâtisserie, les hôtels, restaurants, débits de boissons, les débits de tabac, les magasins de fleurs naturelles ou encore les hospices, hôpitaux, asiles, maisons de retraite, de santé, pharmacies, hôpitaux psychiatriques, dispensaires, musées et expositions, établissements de bains, entreprises de journaux et d’information, entreprises de transport et de travail aériens, enseignes de bricolage.

Les industries mettant en œuvre des matières susceptibles d’altération très rapide et celles dans lesquelles toute interruption de travail entraînerait la perte et la dépréciation du produit en cours de fabrication22.

Les industries ou entreprises industrielles pour lesquelles un accord étendu ou d’entreprise prévoit la possibilité d’organiser le travail de manière continue pour des raisons économiques23.

Les entreprises de navigation intérieure24.

Les établissements de vente de denrées alimentaires au détail, pour lesquels le repos hebdomadaire peut être accordé à 13 heures25.

Les établissements dont le fonctionnement serait compromis par un repos dominical simultané de tous les salariés et dont il résulterait un préjudice pour le public26.

Les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services et qui sont situés dans les zones touristiques caractérisées par une affluence particulièrement importante de touristes, dont les contours sont fixés par arrêté du préfet de région27. Il en est de même pour les établissements qui sont situés dans des zones touristiques internationales28, les communes d’intérêt touristique ou thermales et les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente, constituent de plein droit des zones touristiques29. Le cas échéant, est prise en compte la proximité immédiate d’une zone transfrontalière30.

La dérogation de droit au repos dominical n’est effective que dans le cadre professionnel pour lequel elle est admise, une dérogation pour les entreprises de gardiennage31 ne saurait concerner l’établissement dont l’activité est d’être un intermédiaire entre des acheteurs et des vendeurs de meubles, qui n’exerce donc pas une activité de surveillance32.

Le bénéfice de la dérogation au repos dominical33 n’est accordé qu’aux établissements qui exercent, à titre principal, l’une des activités énumérées34. Les laboratoires d’analyse médicale qui ne pratiquent aucun soin, ce qui est généralement le cas, ne peuvent invoquer le bénéfice des dispositions prévues pour les hôpitaux, hospices, asiles, hôpitaux psychiatriques, maisons de retraite, dispensaires, maisons de santé, pharmacies, établissements de soins médicaux, infirmiers et vétérinaires35, pour accorder le repos hebdomadaire par roulement36. Cette jurisprudence illustre le fait qu’il y a lieu d’interpréter de manière stricte les cas de dérogation au repos dominical en faisant prévaloir le type d’établissement avant de prendre éventuellement en compte la nature de l’activité des salariés. S’agissant de syndicats de copropriétaires de résidences qui assurent à leurs habitants divers services, il appartient aux juges du fond de rechercher si ces syndicats n’ont pas pour activité principale une activité de prestation de services et de soins impliquant une continuité dans le temps les autorisant de plein droit à déroger au principe du repos dominical et à accorder ce repos par roulement. Peu importe que l’établissement considéré ne semble pas entrer a priori dans le cadre des prescriptions légales et réglementaires. Seule paraît importer la nature de l’activité exercée37.

Toutefois, dans les établissements où sont exercées en même temps d’autres activités, la faculté de donner le repos par roulement s’applique exclusivement aux fabrications, travaux et activités visés38. Le bénéfice de la dérogation n’est acquis qu’aux seules nécessités spécifiques de cette activité39.

Les entreprises de transport ferroviaire40 sont admises à accorder le repos hebdomadaire par roulement pour les salariés employés aux travaux ou activités suivants : conduite des trains et accompagnement dans les trains, activités liées aux horaires de transports et à l’assurance de la continuité et de la régularité du trafic, y compris les activités de maintenance des installations et des matériels, activités de garde, de surveillance et de permanence caractérisées par la nécessité d’assurer la protection des personnes et des biens41. L’entreprise qui a pour activité, sous-traitée par une entreprise de transport ferroviaire, d’accueillir les voyageurs dans l’attente de leur train, n’est pas en droit de déroger à la règle du repos dominical en attribuant le repos hebdomadaire par roulement42.

La dérogation permettant d’autoriser le repos hebdomadaire par roulement est de plein droit et n’a donc pas à être demandée, ce droit n’est pas exercé dans les conditions strictement définies par la loi.

Dans les établissements qui ne donnent pas à tout leur personnel un jour complet de repos le dimanche, les employeurs sont tenus à une obligation d’information, une affiche doit indiquer les jours et heures du repos collectif, s’il en existe un. L’inspecteur du travail doit avoir une copie. Si le repos est donné par roulement, un registre spécial doit mentionner les noms des salariés concernés et indiquer le régime auquel ils sont soumis. L’inscription des salariés doit se faire dans un délai de six jours43.

II – Application

Il y a lieu de déterminer avec précision si l’entreprise concernée entre ou non dans les cas de dérogation légale prévus qui sont d’interprétation stricte. Ici c’est le critère de la nature de l’activité des personnels qui a permis d’exclure l’entreprise du champ d’application de la dérogation de droit qu’elle invoquait.

Le bénéfice de la dérogation de droit au repos dominical est accordé aux entreprises de tourisme et de loisirs qui exercent, à titre principal, une activité d’accompagnement de clientèle ainsi qu’aux entreprises d’assistance de services qui exercent une activité d’assistance téléphonique. En l’espèce, il a été décidé que la société n’exerçait pas à titre principal une telle activité puisqu’elle n’assurait que la gestion des relations clients à distance. Elle n’entrait donc pas dans le champ d’application du texte permettant à l’entreprise d’obtenir une dérogation de droit à la règle du repos dominical.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Licenciée pour avoir refusé de travailler le dimanche », L’express, 21 mai 2019.
  • 2.
    Richevaux M., « Quelques principes relatifs à l’interprétation de la règle de droit », Dr. ouvrier 1991, p. 39.
  • 3.
    CPCE, art. L. 131-1.
  • 4.
    CPCE, art. L. 131-1.
  • 5.
    C. trav., art. L. 3132-12 et article. R. 3132-5 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2014-302 du 7 mars 2014.
  • 6.
    C. trav., art. L. 3132-3 ; Hennion-Moreau S., « La règle du repos dominical », Dr. soc. 1990, p. 434.
  • 7.
    C. trav., art. L. 3132-3-1.
  • 8.
    Richevaux M., Régime général des obligations, Ellipses, 2018, fiche n° 29, « Astreintes ».
  • 9.
    Richevaux M., « Efficacité des moyens à la disposition de l’inspecteur du travail pour faire cesser le travail dominical illicite », obs. sous CA Metz, 6 sept. 2012, M. l’inspecteur du travail de la 2e section de la Direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle : LPA 13 mars 2013, p. 7.
  • 10.
    L. n° 2015-990, 6 août 2015 ; d’Allende M., « Réformes des dérogations au repos dominical », JCP S 2015, 1318.
  • 11.
    Icard J., « L’extension des dérogations au principe du repos dominical jugée conforme à la Convention n° 106 de l’OIT », BJT janv. 2019, n° 110z0, p. 18, obs. sous Cass. soc., 14 nov. 2018, n° 17-18259, FS-PBRI.
  • 12.
    Berlaud C., « Le repos dominical et ses dérogations sont constitutionnels », obs. sous Cass. soc., 5 juin 2013, n° 12-27478, Bricorama France c/ Syndicat Union départementale Force Ouvrière du Val-d’Oise et a., FS-PB : Gaz. Pal. 27 juin 2013, n° 135t0, p. 26-27.
  • 13.
    Convention n° 106 de l’OIT.
  • 14.
    Berlaud C., « Dérogations au repos dominical et effet direct des conventions internationales », obs. sous Cass. soc., 14 nov. 2018, n° 17-18259, M. X et a. c/ Sté Ikea, FS-PBRI.
  • 15.
    C. trav., art. R. 3132-5.
  • 16.
    C. trav., art. L. 3132-12.
  • 17.
    Lecourt V., « Regard sur les contentieux du repos dominical », Cah. soc. mai 2014, n° 113n4, p. 330 et s. ; Beal S. et Ferreira A., « Le repos dominical : une règle toujours strictement appliquée par la jurisprudence », JCP E 2006, 2600.
  • 18.
    C. trav., art. L. 3132-2.
  • 19.
    Savatier J., « L’assouplissement des règles sur le repos dominical », Dr. soc. 1994, p. 180.
  • 20.
    C. trav., art. L. 3132-12.
  • 21.
    C. trav., art. R 3132-5.
  • 22.
    C. trav., art. R. 3132-5.
  • 23.
    C. trav., art. L. 3132-14 ; C. trav., art. R. 3132-10 et C. trav., art. R. 3132-13.
  • 24.
    C. trav., art. R. 3172-2 et C. trav., art. R. 3172-4.
  • 25.
    C. trav., art. L. 3132-13.
  • 26.
    C. trav., art. L. 3132-20, 3° et 4°.
  • 27.
    C. trav., art. R. 3132-19.
  • 28.
    C. trav., art. L. 3132-24, I et II.
  • 29.
    L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 257.
  • 30.
    C. trav., art. L. 3132-25-1.
  • 31.
    C. trav., art. R. 3132-5.
  • 32.
    Cass. crim., 23 janv. 1995, n° 94-82789.
  • 33.
    C. trav., art. L. 3132-12 et C. trav., art. R. 3132-5.
  • 34.
    Cass. soc., 25 oct. 1994, n° 90-12756 : Bull. civ. V, n° 291.
  • 35.
    C. trav., art. R. 3132-5.
  • 36.
    Cass. soc., 19 nov. 1997, n° 95-43794 : RJS 1998, n° 43.
  • 37.
    Cass. soc., 16 juin 2010, n° 09-11214, SA Leroy Merlin France c/ Union départementale syndicat FO du Val-d’Oise et a.; JCP S 2010, 1342, note d’Allende M.
  • 38.
    C. trav., art. R. 3132-6.
  • 39.
    Cass. soc., 21 mai 2002, n° 01-00952 ; Dr. soc. 2002, p. 774, obs. Teissier A.
  • 40.
    C. trav., art. L. 3132-12.
  • 41.
    C. trav., art. R. 3132-5.
  • 42.
    Cass. soc., 11 mai 2017, n° 16-10109 ; JCP S 2017, 1221, note d’Allende M. et Buso M.
  • 43.
    C. trav., art. R. 3172-3.
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