Reprise d’activité judiciaire : « Mettez votre masque ! »

Publié le 08/06/2020

L’activité judiciaire reprend doucement depuis le 11 mai dernier. Au Conseil de Prud’hommes de Créteil, avocats et conseillers s’accommodent tant bien que mal du port du masque à l’audience. 

 

Reprise d'activité judiciaire :  « Mettez votre masque ! »
Conseil de Prud’hommes de Créteil (Photo : ©P.Anquetin)

 

La foule ne se presse pas à l’entrée de l’audience du bureau de jugement du Conseil des prud’hommes de Créteil, ce mardi 2 juin 2020 : trois requérants, huit avocats. Ils s’installent à bonne distance les uns des autres sur quelques chaises non condamnées. Quatre des affaires inscrites au rôle de la section « commerce », sont renvoyées. Il en reste trois.

Un premier avocat hausse la voix pour se faire entendre à travers son masque. Il tente une plaisanterie :

«— La défense est bâillonnée !

— Mais nous aussi, vous voyez ! » répond, enjouée, la présidente d’audience Angélique Citée.

Pourtant, à sa gauche une assesseure se distingue : elle a descendu son masque sous son nez.

Il ne faut pas attendre longtemps pour que le vice-président du Conseil, M. Visconti, apparaisse dans l’encadrure de la porte et rappelle à l’ordre la récalcitrante par de grands signes.

Elle persiste :

« — J’étouffe ! »

— Mettez votre masque.

— Je ne peux pas respirer ! »

Soumise à la pression de ses collègues, elle cède. « C’est une décision collective » remarque la présidente, avant de donner la parole au délégué syndical qui patiente. « Excusez-nous ! Nous vous écoutons. »

Chevelure blanche ébouriffée,  baskets vert fluo, jean et  tee-shirt noirs, l’homme représente Mme P., installée derrière lui.

Il raconte que Mme P. a été embauchée comme assistante comptable en 2010 par le patron d’une petite agence immobilière. Elle est la seule employée. Tout se passe bien pendant huit ans, mais en 2018 le patron prend sa retraite et vend ses parts au groupe Tethys immobilier : « Tethys, l’esprit maison » comme indiqué sur son site. « Dans l’agence, Mme P. est soumise très rapidement au harcèlement moral de sa nouvelle collègue. Elle alerte sa supérieure. Le 25 juillet 2018, elle confirme le harcèlement par un email qui reste sans réponse » explique-t-il.

En août, Mme P. est placée en arrêt de travail 8 jours. En septembre, elle est mutée au siège à Paris, mais, selon le délégué, « le harcèlement reprend ». En octobre, nouvel arrêt de travail jusqu’en janvier, avant d’être déclarée définitivement inapte au travail, sans possibilité de reclassement. Mme P.  est convoquée le 30 janvier à un entretien de licenciement pour inaptitude au travail. « Ce qui paraît assez clair c’est que le nouvel employeur n’a jamais eu l’intention de la garder », conclut le défenseur syndical.

Il réclame, notamment, 39 660 € de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral, 12 500 € de dommages et intérêts pour licenciement nul, 4 864 € au titre des indemnités compensatrices de congés payés et de préavis…

Pour l’avocat de Tethys, Me Boutiron, « les difficultés de Mme P. viennent plutôt d’une difficulté à s’adapter à son nouveau contexte professionnel. Vous avez tous les salariés du groupe Tethys qui attestent des bonnes relations entre Mme P. et sa collègue. Et le dossier de Mme P. est vide. Il n’y a pas de matérialité du harcèlement moral. Mme P. conclut à la nullité de son licenciement. Mais la réintégration était impossible, puisqu’une inaptitude a été prononcée… »

Derrière son masque l’avocat manque d’air. La présidente s’inquiète :

« — Reprenez votre souffle. Pincez votre masque si vous ne voulez pas qu’il tombe… Vous l’avez mis à l’envers… La barre doit être en haut… »

Un conseiller prud’homal demande à l’avocat de Tethys :

« — Mme P. a dénoncé des faits de harcèlement moral. Est-ce qu’il y a eu une enquête ? »

— Vous savez, c’est une petite entreprise… », concède Me Boutiron.

Les décisions du Conseil sur l’affaire de Mme P. et sur les deux autres cas, une commerciale en alternance mise à pied et un employé d’immeuble licencié par son syndic, seront mises à disposition le 15 janvier 2021.

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