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Mobilité et télétravail : des changements lents mais certains en Île-de-France

Publié le 20/06/2022
Mobilité et télétravail : des changements lents mais certains en Île-de-France
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La révolution dans l’entreprise n’a pas encore eu lieu, elle est en marche. Selon une enquête menée, auprès de 167 responsables des ressources humaines, par la Chambre de commerce et d’industrie Paris Île-de-France et la Région, les pratiques de mobilité des salariés et de travail à distance ont évolué depuis la crise sanitaire bien qu’elles n’aient pas été bouleversées comme les premiers confinements le laissaient croire. Ainsi, si 8 entreprises sur 10 envisagent de régulariser la pratique du télétravail, elles ne sont que 17 % à avoir engagé des actions de promotion du covoiturage pour leurs salariés. « Parfois ce sont les salariés eux-mêmes qui ne veulent pas, ou ne peuvent pas, changer leurs habitudes », précisent Julien Tuillier, responsable du Centre régional d’observation du commerce, de l’industrie et des services (CROCIS) de la CCI Paris Île-de-France, et Clotilde Yeatman, la responsable du département développement durable et mobilité à la CCI Paris Île-de-France.

Actu-juridique : Quelles sont les grandes tendances qui se dégagent de votre étude sur la mobilité des salariés et le télétravail ?

Julien Tuillier : La principale évolution concerne le télétravail. 82 % des responsables des ressources humaines que nous avons interrogés indiquent que leurs entreprises ont prévu de généraliser le télétravail de manière régulière. C’est une réponse déterminante. Avant la crise sanitaire, la pratique du travail à distance était surtout limitée essentiellement aux cadres ou aux dirigeants des entreprises, et se bornait à une journée par semaine. Ce n’est plus le cas dorénavant. Des postes que les entreprises jugeaient « non-télévraillables » l’ont été par la force des choses et cela a, aujourd’hui, des répercussions dans les pratiques post-pandémie. Pouvoir télétravailler est aussi une demande majeure des salariés, un facteur d’attractivité. Aussi, les entreprises ont bien compris que leurs employés étaient tout aussi, voire plus, productifs en étant en télétravail. Ne pas avoir à faire 2 à 3 heures de trajet par jour n’est pas sans effet sur le stress et le bien-être des salariés.

Concernant les mobilités, les évolutions sont plus lentes. La voiture individuelle reste, pour de nombreux salariés franciliens, notamment en grande couronne, le premier mode de déplacement pour les trajets domicile-travail. Néanmoins, des actions sont développées pour promouvoir d’autres pratiques comme le covoiturage. In fine, les personnes interrogées nous disent que les salariés sont très peu intéressés par ces solutions. Elles sont perçues comme peu commodes et trop contraignantes. Pour les mobilités douces, et plus particulièrement pour le vélo, les sondés ont surtout mentionné un défaut d’infrastructure. Le caractère accidentogène aussi de la pratique peut être un frein au développement des mobilités douces, avec un trafic routier toujours aussi important aux heures de pointe.

Enfin, si les entreprises semblent plus favorables qu’avant la pandémie à la flexibilité des horaires de travail, ce sont surtout les salariés qui ont du mal à changer leurs habitudes, et ce principalement pour des questions pratiques. Les heures d’ouverture et de fermeture de l’école notamment restent les mêmes, cela conditionne généralement les heures d’arrivée au travail.

AJ : Selon votre étude, la congestion routière reste la principale problématique de mobilité pour les salariés. Comment les entreprises peuvent-elles agir pour pousser les salariés à utiliser d’autres moyens de transport ?

Julien Tuillier : Si seulement 10 % des entreprises ont mis en place un Plan de mobilité entreprises, 34 % d’entre elles ont lancé des études pour mieux comprendre les enjeux de mobilité de leurs salariés et 20 % prévoient de le faire. Les entreprises veulent comprendre pourquoi les transports en commun sont boudés par certains, ou pourquoi d’autres ne viennent pas en vélo alors que cela semble accessible pour eux. Il y a donc des efforts qui sont fait en ce sens. Par ailleurs, près de 70 % des entreprises ne s’estiment pas assez accompagnées sur cet enjeu de la mobilité. Elles sont même 89 % à déclarer ne pas avoir d’interlocuteur public défini sur le sujet. La mise en place d’un plan de mobilité ou d’un forfait mobilités durables, par exemple, est jugée complexe par les employeurs.

Ainsi, la crise sanitaire a surtout permis d’engager des réflexions que les entreprises n’envisageaient pas auparavant. Néanmoins, entre la prise de conscience et le passage à l’acte il y a un temps, qui peut être plus ou moins long selon la situation de chacune des parties. Aussi ne l’oublions pas, parfois ce sont les salariés eux-mêmes qui ne veulent pas, ou ne peuvent pas, changer leurs habitudes. La crise sanitaire n’a pas tout révolutionné. Comme je vous le disais, les horaires de l’école sont toujours les mêmes.

AJ : Pas de révolution encore pour les mobilités, mais révolution actée et réelle pour le télétravail…

Julien Tuillier : Oui, très clairement. Nous ne sommes plus face à un phénomène mais sur une habitude claire et évidente. Ce sont donc plus de 8 entreprises sur 10 qui envisagent de le généraliser de manière régulière, c’est-à-dire entre un et trois jours par semaine. Les entreprises se sont équipées, ou sont encore en train de le faire, à cet effet. Numérisation, dématérialisation des process, achats de PC portables, des logiciels de communication, elles investissent pour permettre le télétravail sur le long terme. Quelques points de blocage subsistent encore, notamment pour la sécurisation des données ou encore les compétences informatiques de tous les salariés.

AJ : S’est-on trompé quant à l’engouement du vélo ? À la fin du premier confinement tout le monde était à vélo or vos données montrent que celui-ci a du mal à s’imposer comme un moyen de transport pour se rendre au travail…

Julien Tuillier : Il y a eu un engouement c’est évident. Les chiffres dont dispose la Chambre nous indiquent, par exemple, que le nombre de magasins de vélo a bondi de 47 % en Île-de-France entre 2018 et 2021. Cet engouement a-t-il disparu ? Pas totalement, certains ont pris des habitudes et les ont conservées. Pour autant, l’effet vélo est aujourd’hui moins important qu’au printemps 2020. Comprenons aussi que cela dépend beaucoup de l’endroit d’habitat et de travail. Les pistes cyclables ont été développées surtout dans le centre urbain. Difficile d’imaginer un trajet en vélo pour quelqu’un qui habite en grande couronne et qui doit se rendre tous les jours sur Paris. Cependant, ne négligeons pas la part prise par les mobilités douces dans les habitudes de déplacement des salariés. Vélo, marche ou trottinette, tout a été bouleversé par la crise sanitaire. Ces pratiques sont à coup sûr bien plus implantées qu’auparavant.

AJ : À propos des mobilités, pouvez-nous expliquer en quoi consiste le site Pro’Mobilité ?

Clotilde Yeatman : Pro’Mobilité est un réseau, piloté par la région, qui fédère les acteurs de la mobilité en Île-de-France autour de l’accompagnent des entreprises pour l’amélioration de la mobilité de leurs salariés. Les conseillers mobilité de la CCI Paris IDF sont très actifs dans ce réseau et proposent par ailleurs de nombreuses actions pour développer localement une mobilité professionnelle durable.

AJ : Quel impact ont les nouvelles formes d’organisations du travail sur l’immobilier de bureau ?

Julien Tuillier : 42 % des responsables des ressources humaines interrogés considèrent que les nouveaux modes d’organisation du travail – principalement le télétravail – auront à terme un impact sur leur immobilier. Là aussi ce chiffre doit être jugé au regard de la situation avant crise. Jamais nous n’aurions eu de telles réponses avant le Covid.

Dans le détail, les responsables des ressources humaines déclarent que leurs entreprises pensent d’abord à diminuer leurs surfaces occupées (74 %). La mise en place du flex-office ou d’un open space est aussi largement plébiscitée (55 %). En revanche, seulement un tiers des entreprises déclarent vouloir déménager pour d’autres locaux plus adéquats. À noter, enfin, que le recours à des tiers lieux, coworking ou à la mutualisation d’espaces avec d’autres entreprises intéressent encore peu les entreprises sondées et rencontrent peu d’échos auprès de leurs salariés.

Clotilde Yeatman : En conclusion, on peut relever que cette période de crise a favorisé l’acceptation du télétravail et de la flexibilité dans l’organisation du travail. L’étude met en avant que certaines valeurs et comportements très ancrés dans la culture d’entreprise, comme la culture du présentiel, sont démystifiés et ouvrent la porte à une évolution des organisations qui nécessite cependant encore d’être accompagnée.

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