Objectifs et langue française
Cette décision classique en matière d’objectifs, moins en matière de langage, montre que la mode de l’utilisation de l’anglais, y compris dans les relations de travail s’inscrivant dans des entreprises ayant une activité internationale n’est pas sans limites en rappelant utilement que les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle, rédigés en anglais, sont inopposables au salarié même si l’entreprise peut se prévaloir d’une activité internationale.
Cass. soc., 3 mai 2018, no 16-13736
Un salarié de nationalité française a été engagé par une entreprise en qualité de consultant junior statut cadre, son contrat de travail stipulait une rémunération variable pouvant atteindre 20 % du salaire fixe annuel si l’ensemble des objectifs fixés unilatéralement par l’employeur étaient atteints, il estimait ne pas avoir obtenu la rémunération correspondante.
Il a donc formulé une demande au titre de sa rémunération variable.
La cour d’appel a rappelé que, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur peut fixer des objectifs aux salariés1 et, à la condition qu’ils soient portés à la connaissance du salarié en début d’exercice, les modifier2 et elle a estimé que la communication tardive des objectifs au salarié concerné ne devait pas être sanctionnée au motif que l’entreprise a été confrontée à des difficultés en raison de sa réorganisation et que la communication de documents de travail en anglais n’est pas illicite compte tenu du caractère international de l’activité de l’entreprise.
Sa décision est cassée car tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français et qu’en l’espèce le salarié n’avait eu accès, sous quelque forme que ce soit, à un document rédigé en français fixant les objectifs permettant la détermination de la rémunération variable.
Si, sur le plan de la communication et de la réalisation des objectifs, la décision n’apporte rien de nouveau, confirmant une jurisprudence constante, elle est plus intéressante sur le plan de l’obligation d’emploi de la langue française (I), notamment dans les relations de travail, obligation qui a pour conséquence que des documents rédigés en anglais fixant des obligations au salarié, notamment des objectifs, doivent être rédigés en français pour lui être opposables (II).
I – L’obligation d’emploi de la langue française
La langue est un instrument de communication mais aussi de développement économique3.
C’est aussi la marque de l’appartenance du locuteur à un pays et à une culture4.
A – Principe
Le principe est celui de l’obligation d’emploi de la langue française5, néanmoins quelques exceptions sont admises.
Ce principe d’obligation d’emploi de la langue française doit s’appliquer dans le cadre des relations de travail6, y compris dans les entreprises ayant une activité internationale, ou celles dont le personnel est multilingue, et cela se fait généralement sans grandes difficultés7. Ainsi, les documents nécessaires à l’exécution du travail doivent être rédigés en français8, ceci s’applique bien sûr au contrat de travail9 qui doit comprendre, en français, l’intitulé de la fonction qui, si elle ne peut être désignée que par un terme étranger sans correspondant en français, doit faire l’objet d’une explication en français10. Cette règle ne s’applique pas aux documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers11. Il est admis que satisfait à son obligation, l’employeur qui fixe dans un document rédigé en français et diffusé sur le site intranet de l’entreprise, les objectifs permettant la détermination de la rémunération variable12.
B – Exception
Ce principe admet une exception, qui a une certaine logique, mais qui semble relativement limitée puisqu’elle ne concerne qu’un seul secteur et cela, en raison des particularités de celui-ci. En effet, si tout document comportant des dispositions dont la connaissance est nécessaire au salarié pour l’exécution de son travail doit, en principe, être rédigé en français, sont soustraits à cette obligation les documents liés à l’activité de l’entreprise de transport aérien dont le caractère international implique l’utilisation d’une langue commune, dès lors que, pour garantir la sécurité des vols, il est exigé des utilisateurs, comme condition d’exercice de leurs fonctions, qu’ils soient aptes à lire et comprendre des documents techniques rédigés en langue anglaise13.
II – Les documents doivent être rédigés en français pour être opposable au salarié
A – Principe
Le principe est que tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français14. On a souligné qu’une telle solution est excessive lorsque le salarié a une maîtrise parfaite de la langue dans laquelle le document est rédigé15, mais en pratique cela est assez rare dans les entreprises françaises ou situées en France.
B – Applications
Tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français16. À défaut, le salarié peut se prévaloir de son inopposabilité17.
Il a été jugé, pour requalifier une relation de travail intérimaire en CDI, que le motif du contrat de mission rédigé en anglais était inopposable au salarié18.
La présente décision fait une nouvelle application de ce principe puisque ceci avait déjà été jugé là aussi en matière d’objectif en rappelant que les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle rédigés en anglais sont inopposables au salarié19, tout en précisant, et c’est là son aspect nouveau, que la règle vaut même si l’entreprise a une activité internationale.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. soc., 22 mai 2001, nos 99-41838 et 99-41970 : TPS 2001, comm. 284 ; JSL 2001, n° 90, p. 6, note Hautefort M. V. égal. Boisnard D., « Fixation des objectifs : quel avenir pour l’arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2001 ? », JSL 2001, n° 92, p. 4.
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2.
Morvan P., « La révision de la rémunération variable », JCP S 2008, 1198.
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3.
Ganyo Agbefle K. (dir.), Langage et développement, Les Cahiers du CEDIMES 2017, n° 1.
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4.
Akerkar A., « Migration et co-développement local : de la double absence à la double présence ? Illustration franco-algérienne », Les Cahiers du CEDIMES 2018, n° 3.
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5.
L. n° 94-665, 4 août 1994, relative à l’emploi de la langue française : JO du 5 août 1994.
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6.
Zabel A.-L., « Langue et relation de travail », LPA 10 juin 2016, n° 113x6, p. 6.
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7.
Saint-Didier C., « Encadrement juridique des langues au travail », Dr. soc. 2014, 120.
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8.
C. trav., art. L. 1321-6 ; Béal S. et Rouspide M.-N., « Rédaction en français des documents nécessaires à l’exécution du travail », JCP E 2006, 1837 ; Dumont F., « Sur la rédaction de documents en français », obs. sous TGI Nanterre, 2e ch., 27 avr. 2007, n° 07/01901, SN2A CFTC c/ SA Europ assistance France, JCP S 2007, 1469.
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9.
Ducamp S. et Martinez J., « De l’obligation d’user de la langue française dans les relations de travail », JCP S 2007, 1849.
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10.
C. trav., art. L. 1221-3, al. 2
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11.
Cass. soc., 24 juin 2015, n° 14-13829, P : D. 2015, Actu, p. 1445 ; Dr. soc. 2015, 743, note Mouly J. ; RJS 10/2015, n° 642 ; JS Lamy 2015, n° 393-3, obs. Lhernould J.-P.; JCP S 2015, n° 1309, note Guyot H.
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12.
Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20426, P : RJS 12/2017, n° 795 ; JCP S 2017, 1357, obs. Martinez A. CCE 2017, n° 88, obs. Loiseau G.
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13.
Cass. soc., 12 juin 2012, n° 10-25822 : Dalloz actualité, 3 juill. 2012, obs. Fleuriot C. ; D. 2012, Actu, p. 1681 ; RJS 2012, 648, n° 757 ; SSL 2012, n° 1544, p. 8, rapp. Lambremon S. ; JS Lamy 2012, n° 327-3, obs. Lhernould J.-P. ; JCP S 2012, 1381, obs. Martinez A.
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14.
C. civ., art. 1326, al. 2
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15.
Radé C., Lexbase hebdo, 8 sept. 2011, n° 452.
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16.
Zabel A.-L., « La langue dans la relation de travail », LPA 10 juin 2016, n° 113x6, p. 6.
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17.
Barège A., « Rédaction en français des documents relatifs à la relation de travail », obs. sous Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-67492, PB, D. c/Sté EDS France, JCP E 2011, 1799.
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18.
CA Toulouse, 14 sept. 2001: Juris-Data n° 2001-167823.
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19.
Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-67492 : Dalloz actualité, 27 juill. 2011, obs. Siro A. ; RDT 2011, 663, obs. Lokiec P. ; JS Lamy 2011, n° 306-5, obs. Tourreil A. ; JCP S 2011, 1493, obs. Martinez A. – Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20426 : JurisData n° 2017-018151.