Obligations de l’employeur en matière de salles d’allaitement
L’allaitement demeure une question de santé publique : la faveur nouvelle accordée à l’allaitement concerne les dispositions consacrées aux chambres d’allaitement, anciennes mais toujours en vigueur, qui ont été présentées comme désuètes. Elles ne donnent lieu qu’à peu de contentieux, d’où l’intérêt de la présente décision.
Cass. soc., 25 nov. 2020, no 19-19996, ECLI:FR:CCASS:2020:SO01154
Des syndicats de salariés ont mis en demeure la société Ikea d’ouvrir des négociations pour mettre en place des salles d’allaitement dans les établissements employant plus de 100 salariées.
Des syndicats de salariés ont formé un pourvoi contre un arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles dans le litige les opposant à la société Ikea.
Contestant le refus de l’employeur de faire droit à cette demande, les syndicats de salariés ont saisi le président du tribunal de grande instance, aujourd’hui tribunal judiciaire, statuant en référé.
La cour d’appel, constatant que la société Ikea ne contestait pas avoir atteint l’effectif minimum de 100 salariées dans certains de ses établissements, y rendant applicables les dispositions relatives à l’installation de salles d’allaitement, a jugé que l’absence de mise en place de ces salles ne constituait ni un trouble manifestement illicite ni un dommage imminent.
Les syndicats demandeurs au pourvoi font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes, alors que, selon eux, constitue un trouble manifestement illicite ainsi qu’un dommage imminent le fait, pour un employeur tenu en application d’installer dans son établissement ou à proximité des locaux dédiés à l’allaitement lorsqu’il emploie plus de 100 salariées1, de méconnaître cette obligation, malgré les demandes réitérées des représentants du personnel. En constatant que la société Ikea ne contestait pas avoir atteint l’effectif minimum de 100 salariées dans certains de ses établissement, y rendant applicables les dispositions relatives à l’installation de salles d’allaitement, et en jugeant néanmoins que l’absence de mise en place de ces salles ne constituait ni un trouble manifestement illicite ni un dommage imminent, aux motifs inopérants que la fédération des services CFDT, la CFE CGC SNEC, la CGT Fédération du commerce, de la distribution et des services et la FEC CGT FO avaient conclu avec la société Ikea un accord d’entreprise relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mettant en place dans chaque établissement un local permettant aux salariées de titrer leur lait une heure par jour, la cour d’appel a violé les textes applicables2.
L’employeur ne conteste pas avoir atteint l’effectif minimum de salariés dans certains de ses établissements, y rendant applicables les dispositions relatives à l’installation des salles d’allaitement, mais se prévaut d’un défaut d’autorité des syndicats pour mettre en demeure l’entreprise, l’administration du travail étant seule habilitée à pouvoir la délivrer. L’employeur invoque aussi un accord collectif permettant à chacune des salariées concernées de bénéficier d’une heure par jour travaillé pour tirer son lait, ce temps de pause étant rémunéré pendant les 6 premiers mois suivant l’accouchement, et ce dans un local qui permet de garantir l’intimité des salariées. Si ces locaux ne sont pas les salles d’allaitement, les syndicats, parties au présent accord, en le signant, ont acté de son caractère satisfactoire.
La Cour de cassation a rappelé que tout employeur ayant plus de 100 salariées peut être mis en demeure d’installer dans son établissement ou à proximité des locaux dédiés à l’allaitement3, en précisant que cette mise en demeure émane des agents de contrôle de l’inspection du travail4, que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi a été saisie de la question de l’absence de salles d’allaitement au sein de l’entreprise Ikea, et n’a pas donné suite à cette demande. Estimant que l’employeur n’a donc pas été mis en demeure d’installer des locaux dédiés à l’allaitement, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, après avis donné aux parties5, elle a jugé que la décision déférée se trouve légalement justifiée. Par ces motifs, la Cour a rejeté le pourvoi.
Ceci amène à exposer les obligations de l’employeur en matière de chambre d’allaitement (I) et leurs sanctions (II).
I – Les obligations de l’employeur
Il y a lieu de s’attarder sur les obligations de l’employeur en matière de chambres d’allaitement (A) et leurs fondements (B) qui, au cours des siècles, semblent avoir évolué au point qu’une institution que l’on pensait vouée à la disparition se maintient. L’enseignement longtemps apporté aux étudiants a présenté les chambres d’allaitement, encore prévues au Code du travail, comme une institution totalement tombée en désuétude faute d’utilisation.
A – Obligations de l’employeur en matière de chambres d’allaitement
Vis à vis de ses salariés, l’employeur a des obligations en matière d’allaitement et spécifiquement de mise en place de chambres d’allaitement.
La salariée peut allaiter son enfant dans l’établissement6. Cela implique des obligations pour l’employeur. À ce titre, pendant 1 année à compter du jour de la naissance, la salariée allaitant son enfant dispose à cet effet d’1h par jour durant les heures de travail7, l’heure d’allaitement est une pause au cours du temps du travail lui-même et répartie en 2 demi-heures prises à des moments déterminés par accord entre la femme et l’employeur et, à défaut, au milieu exactement de chaque demi-journée du travail8. L’heure d’allaitement ne dure que jusqu’à ce que l’enfant qui en bénéficie soit âgé de 1 année9. En l’état actuel du droit, l’heure d’allaitement n’est pas rémunérée. Elle n’est pas considérée comme du travail effectif10. Néanmoins, la convention de l’Organisation internationale du travail11 sur la protection de la maternité, non ratifiée par la France, a repris le principe de deux pauses d’allaitement de 1 demi-heure chacune, et demande aux États d’en prévoir la rémunération.
Au titre de ces obligations existe la mise en place des chambres d’allaitement.
Tout employeur ayant plus de 100 salariées peut être mis en demeure d’installer dans son établissement ou à proximité, des locaux dédiés à l’allaitement12, dont les caractéristiques ont été définies avec précision13.
Ainsi, il est prévu que le local dédié à l’allaitement14 soit :
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1° Séparé de tout local de travail ;
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2° Aéré et muni de fenêtres ou autres ouvrants à châssis mobiles donnant directement sur l’extérieur ;
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3° Pourvu d’un mode de renouvellement d’air continu ;
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4° Convenablement éclairé ;
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5° Pourvu d’eau en quantité suffisante ou à proximité d’un lavabo ;
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6° Pourvu de sièges convenables pour l’allaitement ;
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7° Tenu en état constant de propreté. Le nettoyage est quotidien et réalisé hors de la présence des enfants ;
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8° Maintenu à une température convenable dans les conditions hygiéniques15.
Les enfants ne peuvent séjourner dans le local dédié à l’allaitement que pendant le temps nécessaire à l’allaitement.
Aucun enfant atteint ou paraissant atteint d’une maladie contagieuse ne doit être admis dans ce local.
Des mesures sont prises contre tout risque de contamination.
L’enfant qui, après admission, paraît atteint d’une maladie contagieuse ne doit pas être maintenu dans le local16.
Le local dédié à l’allaitement a une surface suffisante pour pouvoir abriter un nombre d’enfants de moins de 1 an, compte tenu du nombre de femmes employées dans l’établissement17.
Le local dédié à l’allaitement a une hauteur de 3 mètres au moins sous plafond. Il a au moins, par enfant, une superficie de trois mètres carrés.
Un même local ne peut pas contenir plus de 12 berceaux. Toutefois, lorsque le nombre des enfants vient à dépasser ce maximum, le directeur régional du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle peut en autoriser provisoirement le dépassement.
Lorsqu’il y a plusieurs salles, celles-ci sont desservies par un vestibule18.
Le local dédié à l’allaitement ne comporte pas de communication directe avec des cabinets d’aisance, égouts, puisards.
Il est maintenu à l’abri de toute émanation nuisible19.
Les revêtements des sols et des parois du local dédié à l’allaitement permettent un entretien efficace et sont refaits chaque fois que la propreté l’exige20.
L’employeur fournit pour chaque enfant un berceau et un matériel de literie.
Il fournit également du linge en quantité suffisante pour que les enfants puissent être changés aussi souvent que nécessaire.
Le matériel et les effets sont tenus constamment en bon état d’entretien et de propreté.
Pendant la nuit, tous les objets dont se compose la literie sont disposés de manière à être aérés21.
Le local dédié à l’allaitement est tenu exclusivement par du personnel qualifié en nombre suffisant.
Ce personnel se tient dans un état de propreté rigoureuse22.
Il est tenu :
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1° Un registre sur lequel sont inscrits les nom, prénoms et la date de naissance de chaque enfant, les nom, adresse et profession de la mère, la date de l’admission, la constatation des vaccinations, l’état de l’enfant au moment de l’admission et, s’il y a lieu, au moment des réadmissions ;
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2° Un registre sur lequel sont mentionnés nominativement les enfants présents chaque jour23.
Le local dédié à l’allaitement est surveillé par un médecin désigné par l’employeur.
Ce dernier fait connaître à l’inspecteur du travail le nom et l’adresse de ce médecin.
Le médecin visite le local au moins une fois par semaine. Il consigne ses observations sur le registre prévu24.
Un règlement intérieur signé par le médecin est affiché à l’entrée du local25.
Le local dédié à l’allaitement est équipé de moyens de réchauffer les aliments. Ces derniers sont conformes aux prescriptions réglementaires prévues pour les établissements et services d’accueil des enfants de moins de 6 ans26.
Des mesures sont prises pour qu’aucune personne pouvant constituer une cause de contamination n’ait accès au local dédié à l’allaitement27.
Personne ne doit passer la nuit dans le local dédié à l’allaitement où les enfants passent la journée28.
L’eau du local dédié à l’allaitement est à température réglable. Des moyens de nettoyage et de séchage appropriés sont mis à disposition.
Le matériel et les effets sont tenus constamment en bon état d’entretien et de propreté29.
La rémunération du médecin et du personnel du local dédié à l’allaitement ainsi que la fourniture et l’entretien du matériel et des effets indiqués sont à la charge de l’employeur30.
Aucune contribution ne peut être réclamée aux mères dont les enfants fréquentent le local31.
Ce luxe de détail s’explique par les fondements de l’institution.
B – Fondements de l’institution
Les mères qui travaillent tout en poursuivant leur allaitement ont bénéficié de dispositions instaurées au début du XXe siècle, notamment une loi créant l’heure d’allaitement prise sur le temps de travail et permettant aux femmes d’allaiter sur leur lieu de travail leur enfant et, d’autre part, les chambres d’allaitement qui, précisément, permettaient de recevoir cet enfant dans des conditions d’hygiène, de sécurité32 qui ont largement perduré jusqu’à maintenant mais dont les fondements ont évolué. Elles ont pu ainsi retrouver une seconde « jeunesse »33.
II – Aujourd’hui, les considérations sanitaires de santé publique sont prédominantes
Le maintien de l’institution passe par des sanctions pénales (A) mais aussi civiles posant la question de l’autorité compétente pour délivrer une mise en demeure (B) et de l’effectivité d’une telle mesure.
A – Sanctions pénales
Actuellement, la sanction pénale du non respect des règles relatives au local dédié à l’allaitement est une contravention de 5e classe34, soit 1 500 €, rarement prononcée. On ne trouve pas d’exemple de cette contravention dans la jurisprudence accessible sur les banques de données.
Le non respect des règles relatives au local dédié à l’allaitement peut donner lieu à la procédure de mise en demeure préalable au procès-verbal de l’inspecteur du travail35, le délit minimum d’exécution étant d’1 mois.
La cour d’appel a relevé que la mise en demeure d’avoir à installer une salle d’allaitement émanait d’une organisation syndicale, que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi saisie de la question de l’absence de salles d’allaitement au sein de l’entreprise Ikea, n’y a pas donné suite.
B – Sanctions civiles
En ce domaine, comme dans les autres domaines du droit du travail, le non respect par l’employeur de ses obligations est susceptible de sanctions36.
Les syndicats de salariés ont invoqué qu’ils ont mis en demeure la société Ikea d’ouvrir des négociations pour mettre en place des salles d’allaitement dans les établissements employant plus de 100 salariées, que devant le refus de l’employeur de faire droit à cette demande, ils ont saisi le président du tribunal de grande instance, aujourd’hui tribunal judiciaire. Ils estimaient que la méconnaissance cette obligation constituait un trouble manifestement illicite ainsi qu’un dommage37 car l’employeur est tenu d’installer dans son établissement ou à proximité des locaux dédiés à l’allaitement lorsqu’il emploie plus de 100 salariées38. Néanmoins, la cour d’appel a jugé que l’absence de mise en place de ces salles ne constituait ni un trouble manifestement illicite ni un dommage imminent.
Les syndicats ont formé une demande tendant à la condamnation de la société Ikea à leur verser une certaine somme à titre de provision à valoir sur la réparation du préjudice portée à l’intérêt collectif de la profession39, ce qui permet aux syndicats d’exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent, et ce devant toutes les juridictions, du fait de l’absence de mise en place du local d’allaitement pour la période antérieure à l’assignation laquelle a été rejetée.
Certes, à juste titre, la mise en demeure est une prérogative, selon les cas de l’inspecteur du travail ou du directeur, mais on ne voit pas très bien à quel titre le fait pour l’Administration de ne pas l’exercer priverai les syndicats de leur droit d’agir en justice dans l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent, même en référé, ce que rien ne leur interdit.
Notes de bas de pages
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1.
C. trav., art. L. 1225-32.
-
2.
CPC, art. 809 ; C. trav., art. L. 1225-32 ; C. trav., art. R. 1227-6.
-
3.
C. trav., art L. 1225-32.
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4.
C. trav., art. R. 4721-5.
-
5.
CPC, art. 620, al. 1er ; CPC, art. 1015.
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6.
C. trav., art. L. 1225-31.
-
7.
C. trav., art. L. 1225-30.
-
8.
C. trav., art R. 1225-5.
-
9.
C. trav., art. L. 1225-30.
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10.
Rép. min. n° 29 : JOAN, 9 août 1993, p. 2478.
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11.
Convention OIT, n° C 183, sur la protection de la maternité, adoptée le 15 juin 2000 lors de la 88e session de la conférence internationale du travail.
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12.
C. trav., art. L. 1225-32.
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13.
C. trav., art. L. 1225-33 ; C. trav., art. R. 4152-13 et s.
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14.
C. trav., art. L. 1225-32.
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15.
C. trav., art. R. 4152-13 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
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16.
C. trav., art. R. 4152-15 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
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17.
C. trav., art. R. 4152-16 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
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18.
C. trav., art. R. 4152-17 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
-
19.
C. trav., art. R. 4152-18 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
-
20.
C. trav., art. R. 4152-19 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
-
21.
C. trav., art. R. 4152-20 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
-
22.
C. trav., art. R. 4152-21 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
-
23.
C. trav., art. R. 4152-22 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
-
24.
C. trav., art. R. 4152-22, 2°.
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25.
C. trav., art. R. 4152-23 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
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26.
C. trav., art. R. 4152-24 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
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27.
C. trav., art. R. 4152-25 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
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28.
C. trav., art. R. 4152-26 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
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29.
C. trav., art. R. 4152-27 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
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30.
C. trav., art. R. 4152-20 ; C. trav., art. R. 4152-27.
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31.
C. trav., art. R. 4152-28 ; D. n° 2008-244, 7 mars 2008.
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32.
L. n° 1917-2300, 5 août 1917.
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33.
M. Herzog-Evans, « Des chambres d’allaitement aux crèches d’entreprise », RDT 2007, p. 14.
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34.
C. trav., art. R. 4743-2.
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35.
C. trav., art. R. 4721-5.
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36.
B. Teyssié, La sanction en droit du travail, 2012, Panthéon-Assas, Colloques.
-
37.
CPC, art. 809.
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38.
C. trav., art. L. 1225-32.
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39.
C. trav., art. L. 2132-3.
Référence : AJU000e0