Offre raisonnable d’emploi : précision sur la zone géographique et le salaire

Publié le 04/06/2025
Offre raisonnable d’emploi : précision sur la zone géographique et le salaire
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La loi pour le plein emploi avait pour ambition de réduire le taux de chômage à 5 % à l’horizon 2027, en ciblant les personnes les plus éloignées de l’emploi, dont presque 2 millions de bénéficiaires du revenu de solidarité active. Une de ces mesures phare était l’offre raisonnable d’emploi que le demandeur d’emploi ne pouvait refuser sans risque d’être radié de la liste des demandeurs d’emploi et, en conséquence, de perdre ses allocations.

Le présent décret, qui est entré en vigueur le 22 mars 2025, donne maintenant quelques éléments sur la zone géographique de l’offre raisonnable d’emploi (ORE) et le salaire attendu dans ce cadre, dont il est dit qu’il est défini en cohérence avec le salaire normalement pratiqué pour l’emploi ou les emplois recherchés dans cette zone1. Il évoque des problèmes internes (I) et internationaux, spécialement transfrontaliers (II). Il n’est pas certain que, si les juridictions internationales étaient saisies, ce dispositif franchisse le cap de la conformité au droit international du travail.

I – Aspect interne

Une des mesures phare de la loi plein emploi2 est ORE qui correspond, pour un demandeur d’emploi donné, à son niveau de qualifications et de compétences, et, selon le présent décret, à sa localisation géographique et au niveau de salaire normalement pratiqué dans celle-ci. Il s’agit là de standards flous3 dont la mise en œuvre risque d’être source de difficultés.

La loi avait prévu que ses dispositions ne pouvaient obliger un demandeur d’emploi4 à accepter un niveau de salaire inférieur au salaire normalement pratiqué dans la région et pour la profession concernée, sans préjudice des autres dispositions légales et des stipulations conventionnelles en vigueur, notamment celles relatives au salaire minimum de croissance (SMIC). Ce qui est ici repris par un décret5 dont les dispositions devraient logiquement être interprétées6 à la lumière de la loi, le décret n’apportant pas de précision concernant le SMIC.

Si le projet professionnel du demandeur d’emploi comporte la recherche d’une activité salariée et si ce projet est suffisamment établi, le contrat d’engagement définit les éléments constitutifs de l’ORE que le demandeur d’emploi est tenu d’accepter7.

En cas de non-respect du contrat d’engagement, l’opérateur France Travail pourra radier la personne de la liste des demandeurs demploi, ce qui montre bien la volonté des promoteurs de la loi de punir les chômeurs plus que de véritablement les aider à trouver un emploi.

Dans l’attente de ce décret, le régime actuel de sanctions reste en vigueur.

Ce décret, qui est entré en vigueur le 22 mars 2025, donne maintenant quelques éléments sur la zone géographique définie dans le cadre de l’ORE (A) et le salaire admissible (B) dans ce cadre, dont il est dit qu’il est défini en cohérence avec le salaire normalement pratiqué pour l’emploi ou les emplois recherchés dans cette zone.

Les demandeurs d’emploi, dans leur recherche, doivent bénéficier de l’aide de Pôle emploi – devenu France Travail sans changements véritablement notables dans ses obligations sur ce point – à qui sont conférées les missions d’accueillir, informer, orienter et accompagner les personnes à la recherche d’un emploi, d’une formation ou d’un conseil professionnel, de prescrire toutes actions utiles pour développer leurs compétences professionnelles et améliorer leur employabilité, de favoriser leur reclassement et leur promotion professionnelle, de faciliter leur mobilité géographique et professionnelle et participer aux parcours d’insertion sociale et professionnelle8. Une carence caractérisée de l’institution dans cette mission est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (droit à l’accès direct effectif au travail) qui, lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour la personne concernée, justifie la condamnation de l’institution9. À défaut, Pôle emploi doit être condamné à indemniser le demandeur d’emploi du préjudice subi.

Au vu de ce qui existait déjà avant ainsi que du décret actuel, il existe des éléments pour définir en quoi consiste une ORE10. Le décret donne des précisions en la délimitant approximativement ; les juges auront à préciser ce qu’il faut entendre par le texte car il y a lieu de prendre en compte la zone géographique mais aussi le salaire. Sur ces deux points, les éléments indiqués dans le texte du décret sont de nature à créer bien des difficultés.

A – Offre raisonnable d’emploi et secteur géographique

Le décret précise que la détermination de la zone géographique permettant de considérer l’offre d’emploi comme ayant un caractère raisonnable est située « au sein du territoire national »11. Cette zone est particulièrement large et augure bien des difficultés pratiques et juridiques.

B – Offre raisonnable d’emploi et salaire

Au-delà de la zone géographique, le salaire attendu est défini en cohérence avec le salaire normalement pratiqué pour l’emploi ou les emplois recherchés dans celle-ci, compte tenu, le cas échéant, de l’expérience du demandeur d’emploi12. Une définition si large et l’absence de critères précis permettant l’application pratique de ce qui est prévu va vers bien des difficultés. Cela dépend de la situation du marché du travail beaucoup moins monolithique que ce qui en a parfois été dit, et de la vision qu’en ont les différents acteurs que sont les pouvoirs publics, les responsables économiques et dirigeants d’entreprises, France Travail et les demandeurs d’emploi, qui sont les premiers concernés. Avec la situation actuelle du marché de l’emploi, ils ont beaucoup plus de marges de manœuvre que ce que s’imaginent certains employeurs et les promoteurs de la loi plein emploi13 et du présent décret, spécialement dans les secteurs en tension.

Les demandeurs d’emploi qui refusent deux ORE14 peuvent être sanctionnés15. Mais ce concept d’ORE n’est pas défini alors qu’il devrait permettre de vérifier si l’offre est raisonnable ou non, aboutissant alors à la mise en œuvre, par le juge, des sanctions prévues. Dans cet exercice délicat de comparaison entre les deux emplois, certains juges pourraient bien prendre en compte les normes internationales, spécialement celles de l’Organisation internationale du travail.

Dans la comparaison entre les emplois, les juges devront commencer par déterminer le sens des mots avant d’en tirer les conséquences qui s’en induisent.

Il y a lieu de définir l’ORE, pour laquelle le décret comme la loi n’ont donné que peu d’éléments, obligeant, pour découvrir le sens des mots et les conséquences à en tirer, à se pencher sur le vocabulaire :

  • offre : acte consistant à proposer à une autre personne la conclusion d’un contrat16, la proposition d’une offre d’emploi est au moins un avant-contrat sinon un contrat ;
  • acceptation : action d’accepter, de recevoir quelque chose, soumission, résignation, manifestation de la volonté de s’engager17 ;
  • acceptable : une offre acceptable est celle dont on peut se contenter ;
  • emploi : CDI, temps plein rémunéré au moins au smic ou salaire minimum de la convention collective18 ;
  • raisonnable : qui manifeste le bon sens, qui se situe dans une honnête moyenne, offrant une rémunération très raisonnable.

Pour caractériser l’ORE on doit, du côté du demandeur d’emploi, prendre en compte sa formation, ses qualifications, son expérience professionnelle, la nature et les caractéristiques de l’emploi souhaité ou proposé.

Avec le nouveau décret, le salaire antérieur, en lui-même, n’est plus à prendre en compte, mais l’offre doit correspondre à celui normalement pratiqué dans la profession à laquelle il se rapporte ; un salaire, même supérieur à l’ancien, mais s’écartant trop de cette norme, ne répondrait pas à la notion d’offre raisonnable. Ce texte s’inscrit dans des logiques déjà connues, notamment une logique de culpabilisation et de répression des demandeurs d’emploi19.

La loi plein emploi et le décret, avec un texte suffisamment large pour aller en ce sens, s’inscrivent dans la tendance à inciter20, voire forcer les chômeurs à intégrer à n’importe quel prix le marché du travail21.

L’idée-force du système reste d’adapter les chômeurs aux nouvelles règles du marché du travail et des emplois22 et de mettre les chômeurs dans l’entreprise, quel que soit le prix à payer.

II – Aspect international et transfrontalier

Jusqu’à ce décret, la réglementation européenne prévoyait que les demandeurs d’emploi transfrontaliers soient indemnisés par leur pays de résidence quand ils ont cotisé dans un autre pays où ils ont travaillé.

Ce système d’indemnisation a engendré en France un déficit de près de 800 millions d’euros par an pour l’assurance chômage pour environ 77 000 demandeurs d’emploi, du fait des salaires plus élevés dans les pays voisins (Suisse, Luxembourg, Allemagne) et d’un temps plus long de recherche d’un nouvel emploi (les demandeurs d’emploi transfrontaliers consomment davantage leurs droits que les autres demandeurs d’emploi : 41 % contre 37 % en moyenne en 2023).

Le décret prévoit que ce sera désormais le salaire habituellement pratiqué en France qui sera l’un des éléments constitutifs de l’ORE et non plus les salaires pratiqués à l’étranger.

Les demandeurs d’emploi restent naturellement libres de chercher un emploi dans le pays de leur choix.

Ce décret est une des mesures de transposition des partenaires sociaux relatif à l’assurance chômage du 14 novembre 202423, dans lequel les organisations signataires appelaient formellement les pouvoirs publics à entreprendre toutes les actions nécessaires pour réviser la réglementation européenne en matière d’indemnisation des travailleurs frontaliers et à renforcer leur accompagnement.

Conclusion. Un texte si bref aurait mérité d’être plus précis et il est loin d’être certain que les buts affichés comme étant recherchés soient atteint.

Notes de bas de pages

  • 1.
    D. n° 2025-252, 20 mars 2025 : JO, 21 mars 2025 ; « Offre raisonnable d’emploi : précision sur la zone géographique », Actu-Juridique.fr 24 mars 2025.
  • 2.
    L. n° 2023-1196, 18 déc. 2023, pour le plein emploi : C. Bonnier, « La loi pour le plein emploi est publiée », Actu-Juridique.fr 19 déc. 2023.
  • 3.
    C. Perelman et R. Vander Elst, Les notions à contenu variable en droit, 1984, Bruxelles, Bruylant ; E. MacKaay, « Les notions floues en droit ou l’économie de l’imprécision », Langages 1979, n° 53, p. 33-50.
  • 4.
    C. trav., art. L. 5412-1.
  • 5.
    C. trav., art. L. 5411-6-4.
  • 6.
    M. Richevaux, « Quelques principes relatifs à l’interprétation de la norme de droit », Dr. ouvrier 1991, p. 39.
  • 7.
    C. trav., art. L. 5411-6-1, I.
  • 8.
    L. Camaji, « Les droits du chômeur, usager du service public de l’emploi », Dr. ouvrier 2013, n° 775, p. 65 ; C. comptes, rapp. public annuel, 1re partie, 2008, L’évolution des structures et des services aux demandeurs d’emploi, p. 209.
  • 9.
    N. Guerrero, « Pôle emploi : au travail ! », obs. ss TA Paris, 11 sept. 2012, n° 1216080/9, M. X c/ Pôle Emploi, Gaz. Pal. 18 oct. 2012, n° J1203, p. 10.
  • 10.
    C. Dechristé, « Définition de l’offre raisonnable d’emploi », Dalloz actualité, 16 mai 2008.
  • 11.
    C. trav., art. R. 5411-15-1.
  • 12.
    C. trav., art. R. 5411-15-1.
  • 13.
    P. Ryckelynck et M. Richevaux, « Réforme de l’assurance chômage : une réduction drastique et inefficace des indemnités de chômage, analyse mathématique des comportements possibles des salariés », Cahiers du CEDIMES 2023, n° 2.
  • 14.
    Y. Rousseau et B. Wallon, « Du droit pour un chômeur de refuser un emploi », Dr. soc. 1990, p. 27 ; N. Catala, « Offres valables et offres raisonnables d’emploi : rupture ou continuité ? À propos de la loi du 1er août 2008 », JCP G 2008, I 193.
  • 15.
    M. Richevaux, « Petit exercice de vocabulaire à propos de l’offre raisonnable d’emploi », LPA 11 mars 2019, n° LPA142f0.
  • 16.
    C. civ., art. 1113, mod. par Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016.
  • 17.
    C. civ., art. 1113, mod. par Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016.
  • 18.
    F. Gaudu, L’emploi dans l’entreprise privée : essai de théorie juridique, thèse, G. Lyon-Caen (dir.), 1986, Université Paris 1.
  • 19.
    L. n° 2023-1196, 18 déc. 2023, pour le plein emploi.
  • 20.
    Joly, « L’incitation au retour à l’emploi », RDT 2009, p. 436.
  • 21.
    L. Epiard, Le retour des demandeurs d’emploi indemnisés sur le marché du travail : la voie des politiques d’incitation, thèse, J.-P. Chauchard (dir.), 2007, Université de Nantes.
  • 22.
    M. Mersenne, « Indemnisation du chômage, réinsertion et nouvelles formes d’emploi : le régime d’assurance chômage doit s’adapter à son temps ! », Dr. soc. 1988, p. 505 ; M. Théry, « L’adaptation de l’assurance chômage à la nouvelle donne du travail », Dr. soc. 2000, p. 739.
  • 23.
    Accord des partenaires sociaux relatif à l’assurance chômage, 14 nov. 2024, art. 4.
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