Précisions sur la récupération de l’aide sociale à l’hébergement

Publié le 05/05/2023
Handicap
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Si l’aide sociale à l’hébergement dont peut bénéficier une personne en situation de handicap est récupérable sur sa succession, elle échappe à cette règle lorsque l’héritier a assumé « la charge effective et constante » du bénéficiaire.

Cass. 2e civ., 26 janv. 2023, no 21-18653

L’aide sociale peut être accordée par les services départementaux lorsque les ressources d’une personne âgée ou d’une personne en situation de handicap ne lui permettent pas de couvrir la totalité des frais d’hébergement en établissement social ou médico-social. Cette aide financière est subsidiaire et ne sera donc attribuée qu’après épuisement des ressources du demandeur1, voire après le recours à la solidarité familiale puisqu’il peut être fait appel à l’obligation alimentaire2. De plus, l’aide sociale présente un caractère d’avance : il s’agit d’une sorte de prêt de la collectivité départementale envers le bénéficiaire, sachant qu’il n’est pas certain pour les services départementaux de retrouver la totalité de la somme octroyée. Si deux catégories d’« indigents » sont concernées par l’aide sociale à l’hébergement, les règles varient selon qu’il s’agit d’une personne âgée ou d’une personne en situation de handicap. En effet, le législateur a imaginé un régime plus favorable pour les personnes en situation de handicap : l’obligation alimentaire n’est pas mise en œuvre, et les cas de récupération sont limités.

L’affaire commentée évoque justement un des cas de dispense. Une personne en situation de handicap a bénéficié de l’aide sociale pour son hébergement en foyer d’accueil médicalisé pendant plus de cinq ans avant de décéder ; la dépense départementale s’élève à 270 654,47 €. La sœur de la défunte se voit alors notifier la décision de récupération de l’aide sociale. Elle conteste cette décision, arguant qu’en raison de sa présence aux côtés de sa sœur, il y a lieu de lui appliquer la dispense en récupération offerte par l’article L. 344-5, 2°, du Code de l’action sociale et des familles, considérant qu’elle avait « assumé la charge effective et constante » de sa sœur. Les juges d’appel d’Amiens vont être en partie sensibles à son argumentaire : pour eux, si elle s’est occupée de sa sœur, cela ne conduit qu’à limiter le montant de la récupération (90 000 € devaient être déduits de la somme à récupérer). La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel : la reconnaissance du rôle assumé par l’héritière par les juges d’appel conduit nécessairement à exclure la récupération à son encontre.

Si cette décision nous donne l’occasion de revenir sur les différents recours en récupération de l’aide sociale à l’hébergement (I), elle est novatrice dans la mesure où la Cour de cassation définit en quoi consiste la notion de « charge effective et constante » (II).

I – Les différents recours en récupération de la créance d’aide sociale à l’hébergement ouverts à la collectivité départementale

L’aide sociale à l’hébergement présente un caractère récupérable, dont les modalités de recouvrement sont fixées à l’article L. 132-8 du Code de l’action sociale et des familles. Les services départementaux doivent s’en tenir à la liste des recours prévus par le législateur et ne peuvent envisager d’autres procédés de récupération3.

D’abord, le recours départemental peut être effectué contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune. Il doit s’agir d’un élément nouveau dans la situation de l’intéressé4 améliorant son patrimoine, qu’il s’agisse de son capital ou de ses ressources5. Le changement de situation peut résulter de la célébration d’un mariage6, de la perception d’un héritage7, ou encore de l’encaissement d’un capital qui n’existait pas, sous quelque forme que ce soit, dans la situation originelle8.

Ensuite, il peut être procédé au recouvrement de l’aide sociale sur le donataire à condition que la donation soit intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande9. Cette récupération peut être faite au moment de la succession du bénéficiaire de l’aide sociale – dans ce cas, le donataire a aussi la qualité d’héritier – ou du vivant du bénéficiaire de l’aide sociale. Par ailleurs, depuis la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement de 201510, la récupération peut s’effectuer sur les contrats d’assurance-vie mais seulement à concurrence de la fraction des primes versées après l’âge de 70 ans. Avant 2015, cette récupération pouvait déjà avoir lieu puisque les services départementaux n’hésitaient pas à requalifier certains contrats d’assurance-vie de donation indirecte11.

En outre, les services départementaux ont la possibilité de récupérer leur créance d’aide sociale sur les legs12. Si la loi ne fait aucune différence entre les legs universels, à titre universel ou à titre particulier13, la jurisprudence a précisé que « le recours contre le légataire doit s’entendre comme visant uniquement la situation du légataire à titre particulier qui, à la différence du légataire universel ou à titre universel, n’est pas normalement tenu des dettes de la succession »14. L’ensemble des recours en récupération évoqués ne peut toutefois être mis en œuvre lorsqu’il s’agit d’une personne en situation de handicap, qu’elle soit hébergée en établissement pour personnes handicapées15 ou qu’elle soit admise en établissement pour personnes âgées, dès lors qu’elle a conservé son statut de personne handicapée16.

Enfin, la récupération peut se faire également contre la succession du bénéficiaire, dans la limite de l’actif net successoral, c’est-à-dire « la valeur des biens transmis par le défunt déduction faite, notamment, des dettes à sa charge au jour d’ouverture de la succession, des legs particuliers, des frais funéraires (s’ils ne revêtent pas un caractère excessif) et des droits de mutation »17. Elle a lieu sur le patrimoine du défunt et non sur les héritiers18, peu importe donc s’il s’agit d’héritiers ab intestat ou d’héritiers désignés par le défunt via une libéralité.

Cette modalité de récupération de l’aide sociale comporte aussi des exceptions si le bénéficiaire était une personne en situation de handicap : elle ne pourra s’exercer si les héritiers sont son conjoint, ses enfants, ses parents ou la personne qui a assumé sa charge de façon effective et constante19. Cette différence de traitement entre les deux publics pouvant bénéficier de l’aide sociale à l’hébergement quant à la récupération sur succession avait été débattue devant le Conseil constitutionnel, qui avait alors considéré que « les personnes handicapées n’étant pas placées dans la même situation que les personnes âgées au regard des exigences de leur prise en charge par l’aide sociale, le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, prévoir des modalités différentes de récupération de l’aide sociale dans l’un et l’autre cas »20. Dans l’affaire qui lui était soumise, la Cour de cassation va préciser la notion de « charge effective et constante ».

II – La définition jurisprudentielle de la notion de charge effective et constante

Pour la première fois, la Cour de cassation va s’intéresser à la notion de « charge effective et constante » permettant à un héritier du bénéficiaire de l’aide sociale à l’hébergement de conserver la part qui est dévolue dans la succession à son profit. Cela s’explique par le fait que ce contentieux n’a été dévolu à la juridiction judiciaire qu’à la suite de la loi de modernisation de la justice, effective au 1er janvier 201921. Antérieurement à la réforme, ce sont les commissions départementales d’aide sociale et les commissions centrales d’aide sociale, juridictions spécialisées ayant disparu, qui s’occupaient des litiges relatifs à l’aide sociale, sachant que les pourvois en cassation relevaient de la compétence du Conseil d’État. Ces juridictions ad hoc avaient déjà précisé que la notion de « charge effective et constante » ne correspondait pas nécessairement à une prise en charge matérielle de la personne en situation de handicap, à un accueil à domicile, mais s’entendait plutôt comme un engagement personnel continu d’ordre affectif22 se manifestant par de fréquentes visites ou l’organisation de séjours en famille à l’occasion d’événements particuliers23. La preuve pouvant être apportée par tous moyens, des attestations du personnel de l’établissement seront fréquemment utilisées pour confirmer les dires de l’héritier.

C’est d’ailleurs le cas en l’espèce puisque c’est la sœur de la défunte qui, ne faisant pas partie de la liste des héritiers échappant à la récupération de par leur seule qualité, évoquait son dévouement auprès de la bénéficiaire de l’aide sociale à travers des attestations du personnel de l’établissement d’accueil et de ses collègues de travail. Pour le législateur, c’est un peu comme si certains héritiers sont présumés apporter une aide à la personne en situation de handicap du seul fait de leur lien de parenté ou d’alliance (parents, enfants, conjoint) et d’autres doivent démontrer qu’ils ont été présents aux côtés du bénéficiaire de l’aide sociale (frères et sœurs, neveux et nièces, oncles et tantes, etc.).

Dans cet arrêt, la Cour de cassation redéfinit la notion de « charge effective et constante ». Pour elle, il s’agit « d’un engagement régulier et personnel de l’héritier auprès de la personne handicapée, placée en établissement, tant d’ordre matériel qu’affectif et moral ». La fréquence (« régulier ») et la proximité de la relation (« personnel ») mais aussi les modalités de celle-ci (« d’ordre matériel, affectif et moral ») seront donc déterminantes pour échapper à la récupération de l’aide sociale sur sa quote-part dans la succession. Il est possible d’imaginer que si le frère ou la sœur exerce une mission de protection juridique (mandat de protection future, habilitation familiale, curatelle, tutelle), ou constitue la personne de confiance de la personne en situation de handicap, ou encore qu’il ou elle l’accueille le week-end ou pendant les vacances, cela constituera des marques d’affection suffisantes pour les juges. Dans cette affaire, malgré l’accompagnement régulier et le soutien affectif et pratique démontrée par la sœur de la défunte, les juges d’appel avaient considéré que cette assistance relevait d’une sorte de « devoir normal » entre membres d’une même famille, qui permettait néanmoins de diminuer le montant de la récupération. La Cour de cassation ne sera pas du même avis : pour elle, à partir du moment où le dévouement est prouvé, ce qui n’était pas remis en cause par les juges du fond, il s’agit bien de la situation d’exclusion visée à l’article L. 344-5, 2°, du Code de l’action sociale et des familles.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CASF, art. L. 132-3.
  • 2.
    CASF, art. L. 132-6.
  • 3.
    Commission centrale d’aide sociale, 20 mars 1959 : Rev. aide soc. 1959, p. 168, concl. Barbet.
  • 4.
    Commission centrale d’aide sociale, 14 mai 2002 : CJAS n° 2002/04, p. 47.
  • 5.
    Commission centrale d’aide sociale, 20 mars 1959 : Rev. aide soc. 1959, p. 172, concl. Barbet.
  • 6.
    Commission centrale d’aide sociale, 21 juin 1966 : RDSS 1966, p. 342, obs. J. Georgel.
  • 7.
    Commission centrale d’aide sociale, 14 déc. 1965 : RDSS 1966, p. 55, obs. J. Georgel.
  • 8.
    Commission centrale d’aide sociale, 5 déc. 2000 : CJAS n° 2001/08, p. 169 ; RDSS 2001, p. 546, obs. P. Ligneau.
  • 9.
    La donation entre vifs est, selon l’article 894 du Code civil, « l’acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte ».
  • 10.
    L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement : JO, 29 déc. 2015.
  • 11.
    CE, 7 avr. 2016, n° 383342, Dpt de la Moselle : RDSS 2016, p. 762, note A. Niemiec ; RGDA juin 2016, n° RGA113n4, note L. Mayaux.
  • 12.
    L’article 895 du Code civil indique : « Le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits et qu’il peut révoquer ». Ce testament peut prendre la forme d’un legs (C. civ., art. 967).
  • 13.
    Il s’agit des différentes formes que peuvent revêtir les legs (C. civ., art. 1002).
  • 14.
    CE, 4 févr. 2000, n° 187142, Dpt Haute-Garonne : RDSS 2000, p. 401-402, obs. P. Ligneau – Commission centrale d’aide sociale, 5 mai 2000, Dpt. Hérault : CJAS n° 2000/04, p. 107. Il s’agit d’une dérogation au principe posé par l’article 1024 du Code civil.
  • 15.
    CASF, art. L. 344-5.
  • 16.
    CASF, art. L. 344-5-1.
  • 17.
    CE, 15 oct. 1999, n° 184553, N’Guyen : Lebon, p. 315 ; RDSS 2000, p. 140-141, obs. P. Ligneau – CE, 5 nov. 2004, n° 263314, Mme Lalande : AJDA 2005, p. 111.
  • 18.
    Commission centrale d’aide sociale, 12 nov. 1979, Dpt Alpes-Maritimes : EJCCAS n° 14-4, p. 1.
  • 19.
    CASF, art. L. 344-5.
  • 20.
    Cons. const., QPC, 21 oct. 2016, n° 2016-592 : LPA 17 janv. 2017, n° LPA123d1, note A. Niemiec.
  • 21.
    L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle : JO, 19 nov. 2016 ; D. n° 2018-928, 29 oct. 2018, relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale : JO, 30 oct. 2018.
  • 22.
    Commission centrale d’aide sociale, 5 févr. 2001 : CJAS n° 01/08, p. 129 ; Commission centrale d’aide sociale, 17 août 2001 : CJAS n° 01/12, p. 35 ; Commission centrale d’aide sociale, 15 déc. 2006 : CJAS n° 07/03.
  • 23.
    CE, 29 mars 1991, n° 81439, Levesque : Lebon ; D. 1991, IR, p. 123.
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