Première édition du prix Olivier Cousi : « Un prix hommage pour faire le lien entre l’homme et le bâtonnier » !

Publié le 31/05/2023

Il y a un peu plus d’un an, le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, disparaissait précocement. Pour lui rendre hommage, un prix éponyme à destination d’une association défendant le droit a vu le jour. À l’issue de cette première édition, c’est l’association Zazakely Sambatra, qui œuvre à Madagascar pour aider et accompagner les enfants défavorisés sur le chemin de l’insertion professionnelle, qui a été lauréate. Une association qu’Olivier Cousi, l’homme comme le bâtonnier, a soutenue de son vivant. Actu-Juridique a réalisé une interview croisée de Julie Couturier, bâtonnière de Paris, Stéphane de Bourgies, époux de feu Véronique de Bourgies, la fondatrice de Zazakely Sambatra et de Julian Beck, le directeur général de l’association. Rencontre.

Actu-Juridique : Quelle est l’origine du prix Olivier Cousi ? Et que dire de cette première édition ?

Julie CouturierCe fut une soirée très émouvante, très réussie. Un joli caléidoscope qui a permis de mettre en lumière différentes facettes d’Olivier Cousi. L’ensemble a dressé un portrait assez fidèle, d’une grande simplicité, assez léger, pas du tout solennel, alors qu’Olivier disparaissait il y a un peu plus d’un an. C’était un homme élégant, pudique et simple. Mais c’était aussi un bâtonnier de sang-froid, qui a affronté de façon courageuse un certain nombre de crises, sur la réforme des retraites, la crise de Covid… Il était présent, engagé et calme, autant de qualités que l’on cherche chez un dirigeant.

Actu-Juridique : Comment est née l’idée du prix ? Et de votre association ?

Julie Couturier : Au moment de la mort d’Olivier, nous avons tous été sous le choc. Il nous a fallu du temps pour digérer et prendre un peu de recul sur la façon dont nous pourrions lui rendre hommage. Un buste ne correspondait par exemple pas à son caractère modeste. Mais ce qui nous apparaissait comme évident, c’est qu’Olivier Cousi avait été un homme engagé dans sa vie personnelle, notamment auprès de l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque. Lui et son épouse avaient accueilli des enfants venant d’Afrique qui devaient se faire opérer du cœur. Ce qui nous a semblé le plus fidèle à son engagement, c’était de prolonger son implication en imaginant récompenser des associations qui œuvrent en faveur du droit.

Stéphane de Bourgies : Avec ma femme Véronique nous avons adopté deux enfants d’origine malgache. En 2000, lorsque nous sommes allés chercher notre fille, il nous a semblé difficile de repartir avec elle et de laisser sur place tant d’enfants dans la misère. Nous avons commencé, avec nos petits bras, grâce à des amis qui avaient été touchés par notre histoire d’adoption, à récolter des fonds, de manière très artisanale. Notre petite organisation a pris… Mais tout a été bouleversé le 13 novembre, lorsque Véronique a été assassinée lors des attentats parisiens de 2015. Je me suis retrouvé avec mes deux enfants de 19 et 22 ans, anéanti. Eux ont été brusquement privés de leur maman qui s’était tant engagée auprès de l’association. C’était épouvantable. Je ne pouvais pas abandonner Zazakely Sambatra. Même si je connaissais bien les dossiers, Véronique s’en occupait davantage. Je m’y suis donc mis à fond, avec un ami d’enfance devenu vice-président, Bruno Chatelier. En tant que photographe, j’ai croisé des chefs au cours de ma carrière. Alors en novembre 2016, nous avons proposé à certains d’entre eux [Jean-François Piège, Yannick Alléno, Frédéric Anton, Yves Camdeborde, Pierre Hermé, Christophe Michalak] d’organiser un dîner pour 300 personnes, autour de lots exceptionnels à acquérir. L’initiative a rapporté beaucoup d’argent, nécessaire pour financer les actions de l’association.

Actu-Juridique : Que faites-vous exactement aujourd’hui avec Zazakely Sambatra ?

Julian Beck : L’association est donc née en 2004 de la vocation de Véronique de Bourgies. Elle a d’abord fondé un orphelinat, devenu aujourd’hui un centre éducatif visant à proposer un accompagnement holistique aux enfants et adultes vulnérables de la commune d’Alakamisy Fenoarivo, du plus jeune âge jusqu’à l’insertion professionnelle. Depuis 2019, nous avons amorcé une nouvelle dynamique et mis en place une nouvelle orientation stratégique visant à avoir un plus grand impact, non seulement sur la communauté autour du centre éducatif, mais aussi sur le système éducatif malgache en général. Nous avons fait le constat que partout dans le monde, des mouvements portés par la jeunesse apparaissent, sur les questions d’écologie, de justice sociale, d’égalité des droits, etc. Comment faire en sorte que la jeunesse malgache y prenne part ? La part démographique de la jeunesse – 3/4 de la population a moins de 34 ans – est en pleine expansion. C’est donc un véritable levier stratégique pour aider le pays, qui représente un vrai paradoxe dans le monde : au niveau de la qualité de vie, des services de base, Madagascar est le seul pays du monde n’ayant pas connu de guerre ou d’événement naturel catastrophique majeur et dont le PIB par habitant baisse depuis plus de 60 ans. Les problèmes sont nombreux, dont ceux de l’accès à une éducation de qualité (85 % des enseignants du primaire n’ont pas reçu de formation initiale, 1/4 des enfants ne vont pas à l’école primaire) et de l’accès à des emplois formalisés et rémunérés.

Pour mobiliser cette jeunesse et pour avoir l’impact le plus systémique, nous sourçons au niveau international les meilleures innovations pédagogiques en lien avec l’empowerment de la jeunesse, que nous adaptons aux spécificités et enjeux malgaches. Nous les déployons ensuite avec l’ensemble de l’écosystème éducatif malgache (privé, public et société civile) partageant nos valeurs. Nous développerons ainsi trois programmes, l’un destiné à la petite enfance (lancement du pilote pour le programme Think Equal à la rentrée scolaire 2023-2024), l’autre à l’enfance et adolescence (depuis 2019), le troisième aux jeunes adultes (lancement en 2024).

Actu-Juridique : Quels résultats voyez-vous déjà ?

Julian Beck Le programme « Enfance et Adolescence Design For Change », promouvant, au travers de la réalisation de projets citoyens, le droit à la parole de la jeunesse, est en pleine croissance d’échelle depuis 2022. Ce programme destiné aux enfants et adolescents porte déjà ses fruits. Sur 6 000 enfants impliqués en 2022, dont plus de la moitié sont des jeunes filles, nous avons établi que 80 % d’entre eux et elles avaient développé au moins une compétence-clé pour devenir acteur du changement, et 97 % déclaraient prendre conscience de leur capacité à changer les choses. On sent aussi que cela marche car nous commençons à voir des réseaux locaux de jeunes se créer. Notre enjeu en 2023 est de démontrer qu’en plus de l’impact de ce programme sur le développement personnel des enfants et jeunes, il influence aussi les structures éducatives : les enfants restent plus longtemps à l’école et voient leurs résultats scolaires augmenter. Cet argumentaire est principalement à destination de l’État malgache, pour lui montrer qu’investir tôt dans l’éducation de sa jeunesse est beaucoup plus « rentable » que d’investir plus tard chez les adultes.

Actu-Juridique : Cette édition a-t-elle été spéciale, tant du côté du prix que du côté de l’association ?

Julie CouturierOui, cette année a été un peu spéciale, puisque c’était une première édition et que nous avons choisi de sélectionner l’association Zazakely Sambatra, qui défend le droit à l’instruction. C’est de ce droit que vont découler tous les autres droits, la liberté de conscience, la liberté d’entreprendre et la liberté, si précieuse, de pouvoir s’épanouir.

Stéphane de Bourgies À l’origine du prix Olivier Cousi, il y a mon amitié avec l’ancien bâtonnier. Nous nous sommes connus quand nous avions 14 ans et avons fait de la musique ensemble : une amitié de toujours ! Lorsqu’il s’est présenté au bâtonnat, j’ai même réalisé son portrait officiel. Olivier Cousi a suivi notre histoire d’adoption. Il y a apporté son soutien, tant comme bâtonnier qu’à titre personnel. Me remettre le prix Olivier Cousi était le signe d’un engagement qui comptait pour lui. J’y ai vu un élan du cœur, venant de gens que je ne connaissais pas. Lors de la soirée, son épouse a présenté l’association, ainsi que mon histoire, et les invités ont été très généreux. Les combats que nous menons sont capitaux : si nous n’aidons pas ces gamins, dans un pays si corrompu, et très pauvre, c’est tout leur avenir qui est compromis…

Actu-Juridique : Et quel rapport, direct ou indirect, au droit ?

Stéphane de Bourgies : Le droit intervient de façon générale avec de grandes idées comme le droit à la santé, le droit à vivre décemment, que nous défendons. Mais nous avons encore tant à faire : ouvrir une crèche, trouver des stages pour les jeunes, etc. Tout cela contribue au rayonnement du droit, finalement !

Julian Beck : Je vois deux liens : d’abord le droit à l’instruction et à l’éducation de la jeunesse, d’où qu’elle vienne, et quelle que soit sa vulnérabilité socio-économique. Nous encourageons l’autonomisation des jeunes dès leur plus jeune âge en actionnant les leviers de la pédagogie active, en promouvant le changement de comportement et de posture des enseignants et éducateurs (arrêter avec l’enseignement magistral, replacer l’enfant au centre de son parcours d’apprentissage) et en développant leurs appétences, ce que l’on appelle l’empowerment. Mais l’association défend aussi le droit à la parole et à la reconnaissance de cette parole dans le processus de gouvernance et de décision, au niveau local jusqu’à l’international. Il nous semble essentiel que cette jeunesse y trouve sa place. Le bagage que nous leur fournissons leur permet d’exprimer leur parole pour créer des espaces de démocratie, de dialogue inclusif. Avoir davantage confiance en eux est un objectif en soi. À Madagascar, notre leitmotiv est « Za Mahavita », ce qui veut dire « je peux ». Il est très dur pour des jeunes Malgaches de se dire qu’ils peuvent lancer des initiatives citoyennes et se fédérer pour faire des choses ensemble. Nous essayons de les en convaincre.

Actu-Juridique : Un dernier mot sur l’avenir de ce prix ?

Julie CouturierLe prix a vocation à se pérenniser avec une remise une fois par an. Pour les années suivantes, le droit sera vraiment le maître mot des lauréats. Il y aura un jury qui aura vocation à sélectionner des associations qui font entrer le droit dans la société.

Julian Beck : Nous nous sentons honorés de ce prix. C’est une belle occasion de faire connaître davantage l’association et de rappeler, qu’en termes de développement, les enjeux de financement des actions sont véritablement le nerf de la guerre.

Site internet de l’association : www.zazakelysambatra.asso.fr

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