Protection de l’enfance : une nouvelle institution nationale entre en action

Publié le 24/02/2023

Responsable depuis le 1er janvier 2023 de la gouvernance nationale de la protection de l’enfance, le nouveau groupement d’intérêt public (GIP) « France Enfance Protégée » regroupe en son sein une multitude d’acteurs. Présidé par Florence Dabin, présidente du Conseil départemental du Maine-et-Loire, ce GIP est une « maison commune » qui intègre « à la fois des compétences préexistantes et nouvelles », explique Pierre Stecker, son directeur général. Rencontre.

Actu-Juridique : Quelles sont les différences entre ce groupement d’intérêt public (GIP) et son prédécesseur (Enfance en Danger) ?

Pierre Stecker : La création de ce nouveau groupement d’intérêt public « France Enfance Protégée » trouve son origine dans la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Le législateur a jugé utile de réunir dans une seule entité plusieurs instances existantes : le GIP Enfance en Danger, mais aussi l’Agence française de l’adoption (AFA), le secrétariat général du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) et le secrétariat général du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). Ainsi France Enfance Protégée, qui forme une équipe de 120 personnes, n’est pas seulement une continuité d’Enfance en Danger, mais une nouvelle entité qui intègre aussi des compétences nouvelles.

Actu-Juridique : À ce propos, pouvez-vous préciser quelles sont vos missions pour la protection de l’enfance ?

Pierre Stecker : Évidemment, nous intégrons sans discontinuité les compétences du Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED), qui est dédié à la prévention et à la protection des enfants en danger ou en risque de l’être grâce au numéro d’urgence 119, un tchat et une plateforme d’échanges en langue des signes française. Bientôt, France Enfance Protégée proposera également la mise en place d’une plateforme pour être à l’écoute sur les risques de prostitution pour les mineurs.

De la même manière, nous poursuivons les missions de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) consacrées essentiellement à la recherche et à la production de connaissances sur la protection de l’enfance dans toutes ses dimensions. Et au-delà de ces objectifs inchangés, nous allons créer un centre de ressources qui sera animé par l’ONPE. Ce centre aura pour objectif, notamment, de recenser des éléments de bonnes pratiques afin de les mobiliser et de les diffuser auprès des acteurs de la protection de l’enfance.

Le GIP interviendra dans le champ de l’adoption aussi bien à l’international, pour accompagner essentiellement des familles, qu’en France pour soutenir les services des départements responsables du sujet. Nous créerons également une base de données pour disposer de toutes les informations quant aux agréments en matière d’adoption. Pour l’instant, ceux-ci sont gérés uniquement au niveau départemental, il n’existe pas de référencement national.

Concernant l’accès aux origines personnelles des adoptés, nous maintenons le travail du CNAOP créé en 2002 et qui gère en moyenne un millier de dossiers par an. Notre rôle est d’aider les personnes nées sous le secret, notamment à travers un travail d’investigation, dans la recherche de leurs origines dans le cadre prévu par la loi de 2002.

Enfin, notre dernière mission consistera à appuyer le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP), le Conseil national de l’adoption (CNA), et le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), dans leur fonction d’élaboration d’avis, de propositions ou de recommandations.

Actu-Juridique : Comment s’articulera concrètement votre travail, au quotidien, avec l’ensemble de ces acteurs ?

Pierre Stecker : Il est essentiel de penser France Enfance Protégée comme une « maison commune » qui regroupe, à travers notamment son assemblée générale et son conseil d’administration, l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance (État, départements et associations nationales) pour prendre des décisions essentielles et impulser des orientations dans le cadre des missions évoquées et dans un souci d’efficacité.

Nos services vont réaliser des publications, organiser des événements (journées annuelles, séminaires, colloques, etc.) et animer des réseaux professionnels. Le GIP est l’instance par laquelle se diffuse localement, grâce aux acteurs mentionnés, toute une série d’actions en faveur de la protection de l’enfance.

Actu-Juridique : Combien de mineurs bénéficient de mesures de protection en France ?

Pierre Stecker : Selon les chiffres consolidés de 2020, environ 310 000 mineurs sont pris en charge par la protection de l’enfance. Ce chiffre comprend à la fois les enfants placés, mais également ceux accompagnés en milieu ouvert sous protection judiciaire. Nous pourrions être aussi plus exhaustifs en comptabilisant les interventions sociales effectuées auprès des mineurs qui vivent encore dans leur famille. Je pense notamment aux interventions à domicile des travailleurs sociaux ou aux actions menées dans le cadre de la prévention spécialisée menée dans certains territoires.

Enfin, plus de 30 000 jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) bénéficient également de mesures d’accompagnement orchestrées par les départements pour les soutenir dans leurs projets éducatifs et professionnels (accès au logement, aux études supérieures, insertion socioprofessionnelle, etc.).

Actu-Juridique : La crise sanitaire a-t-elle été génératrice de nouvelles difficultés ?

Pierre Stecker : Globalement, depuis 2010, nous observons une tendance de fond et une hausse continue du nombre de mineurs suivis par les acteurs de la protection de l’enfance, avec une accélération après 2015 et l’arrivée en France de nombreux mineurs non accompagnés (MNA). Concernant la crise sanitaire elle-même, au plus fort de la pandémie comme dans beaucoup d’autres domaines comme la justice ou la police, nous avons vu le volume des prises en charge se stabiliser, voire baisser. Beaucoup de services départementaux étaient fermés, compte tenu des confinements, ainsi que les frontières : ce qui a pour conséquence de faire chuter le nombre d’arrivées des MNA. De la même manière, nous disposions de moins de capteurs sur le terrain, notamment au niveau scolaire, pour mesurer le risque de danger pour les enfants.

Après la crise, en revanche, et particulièrement en 2022, les chiffres de placement en protection de l’enfance et en milieu ouvert sont repartis à la hausse. Beaucoup de situations qui ne pouvaient être exprimées ou constatées ont été révélées avec la reprise d’activité des services et des associations, tel un effet retard. Aussi, la crise a paupérisé encore plus des populations qui étaient déjà dans des situations précaires avant la pandémie. Or il s’écoule toujours un certain temps avant que ces dossiers arrivent entre les mains des acteurs de la protection de l’enfance. Il en va de même de la santé psychologique des mineurs, entre le diagnostic et la prise en charge que l’on constate dans les données de la protection de l’enfance, il faut du temps…

Actu-Juridique : La prise en charge et l’accompagnement des mineurs non accompagnés sont-ils encore un sujet de tension entre les départements et l’État ?

Pierre Stecker : Depuis 2015, la situation a beaucoup évolué. Les services départementaux se sont adaptés pour mieux accueillir ces mineurs. Les moyens financiers et humains se sont développés et nous ne sommes plus aujourd’hui dans un état « d’urgence » comme nous pouvions l’être il y a quelques années. Le sujet des MNA peut être encore source de malentendus entre l’État et les départements, néanmoins la coopération entre les deux échelons est désormais simplifiée. À l’instar de la crise sanitaire, la prise en charge de ces mineurs pose une question temporelle difficile à résoudre. Disposer de places d’hébergement supplémentaires, des services adéquats et de nouveaux moyens, tout cela ne peut être réalisé en quelques jours. Enfin, les différentes lois (2016 et 2022) relatives à la protection de l’enfant ont adapté le cadre juridique pour une meilleure prise en charge de ces jeunes. Là encore, la loi ne se met pas en œuvre en quelques jours.

Aujourd’hui, une nouvelle problématique émerge, et la loi de février 2022 tente d’y répondre, concernant le soutien apporté aux jeunes qui deviennent majeurs. L’aide ne peut s’arrêter – et bien entendu, ce n’est pas le cas – à l’âge de 18 ans. Néanmoins, le nombre de mineurs qui deviennent jeunes majeurs augmente logiquement et nécessitera de nouvelles évolutions des services départementaux et de tous les acteurs. L’enjeu pour ces jeunes majeurs d’obtenir un titre de séjour après un parcours accompagné par l’aide sociale à l’enfance nécessite la coopération entre les services locaux des préfectures et des départements. Après la protection, il s’agit pour ceux qui le souhaitent, d’accompagner leur insertion au sein de la société française.

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