Les dispositions légales de lutte contre le travail dissimulé sont compliquées, redoutables et souvent démesurés… Et ce constat paraît d’autant plus inquiétant que le législateur a banalisé la notion de travail dissimulé. Il est donc indispensable de revoir l’arsenal de sanctions actuellement en vigueur. Quelques pistes de réformes peuvent être proposées.
Le non-spécialiste en matière sociale ne peut être que frappé par le dispositif impressionnant mis en œuvre par les pouvoirs publics pour lutter contre le travail illégal. C’est que la lutte contre le travail illégal est une priorité gouvernementale qui s’est traduite notamment par le lancement d’un Plan national d’action 2004-2005 et une intensification des contrôles par les services de l’État et les organismes de protection sociale. Rappelons rapidement que le travail illégal, défini à l’article L. 8211-1 du Code du travail, concerne les infractions suivantes : le travail dissimulé, le marchandage, le prêt illicite de main-d’œuvre, l’emploi d’étranger sans titre de travail, les cumuls irréguliers d’emplois, la fraude aux revenus de remplacement. Le travail dissimulé1 constitue donc un élément du travail illégal. Pratiquement, il recouvre deux types de situations : la dissimulation d’activité qui concerne les travailleurs indépendants qui se soustraient intentionnellement à leurs obligations d’immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés, ou encore aux déclarations devant être faites auprès des organismes de protection sociale (dont l’Urssaf) ou à l’administration fiscale2 et la dissimulation de salariés (absence de déclaration préalable à l’embauche ou de bulletin de paie ou de déclaration relative aux salaires ou aux cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement ou de l’administration fiscale, étant entendu que la mention intentionnelle sur le bulletin de salaire d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli peut également constituer une dissimulation d’emploi salarié3. La lutte contre le travail dissimulé est assurée par les inspecteurs du recouvrement des Urssaf ainsi que par plusieurs administrations de l’État : inspection du travail, gendarmerie, police, impôts, douanes… Aux termes de l’article L. 8271-8 du Code du travail, les infractions sont constatées au moyen de procès-verbaux, transmis, aux fins de poursuites pénales, au procureur de la République. Sans vouloir sombrer dans une étude des statistiques, force est de constater que les chiffres relatifs à la lutte contre le travail dissimulé sont impressionnants. Ainsi, en 2015, le montant des redressements Urssaf lié au travail dissimulé a augmenté de 13 % par rapport à l’année précédente4. Finalement ce souci des pouvoirs publics de lutter contre ce « fléau social » qu’est le travail dissimulé devrait satisfaire les citoyens responsables. En effet, ce travail souterrain génère au moins un triple préjudice : préjudice pour les organismes de recouvrement en raison des considérables pertes de recettes sociales qui en découlent, préjudice pour les travailleurs qui ne peuvent prétendre à des droits à assurance vieillesse sur des sommes qui n’ont pas données lieu à cotisations sociales, préjudice enfin pour l’économie puisque le travail dissimulé fausse nécessairement le jeu de la concurrence. Au final, on pourrait même s’interroger sur l’opportunité d’un article visant à formuler des remarques et des propositions sur les textes existants.
Notre propos ne vise pas ici à faire un article sur le travail dissimulé5. Il se limitera à faire quelques constats et à formuler quelques propositions en la matière, essentiellement dans les rapports entre les entreprises et les Urssaf.
I – Un arsenal législatif compliqué, redoutable et souvent démesuré
Une première constatation est relative au nombre de textes promulgués depuis 1997. On ne compte plus en effet le nombre de lois et décrets qui se sont empilés en la matière6 à tel point que l’étude du sujet est devenue ardue voire incompréhensive même pour les professionnels les plus avertis7. Que l’on est loin de l’affirmation de Montesquieu suivant laquelle « ceux qui ont un génie assez étendu pour donner des lois à leur nation doivent faire de certaines attentions sur la manière de les former. Elles doivent être simples et ne doivent point être subtiles. Elles ne sont point un art de logique mais la raison simple d’un père de famille »8 !
La deuxième remarque a trait au champ d’application de la notion de travail dissimulé. En effet, on constate depuis un certain nombre d’années que sous couvert d’une nécessaire lutte contre le travail dissimulé, le législateur n’a eu de cesse de banaliser cette notion9. L’exemple le plus frappant est celui de l’article L. 8221-5, 2°, suivant lequel est réputé travail dissimulé le fait de « se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ». Lorsque l’on sait les difficultés d’application de la législation en matière de durée du travail, on se dit que beaucoup d’entreprises entrent dans le champ d’application du travail dissimulé sans même le savoir10.
La troisième observation est liée aux sanctions. Lesdites sanctions peuvent être pénales11. De plus, l’employeur ne pourra se voir remettre l’attestation marchés publics12 ainsi que les attestations et certificats délivrés par les administrations et organismes compétents prouvant qu’il a satisfait à ses obligations fiscales et sociales ainsi que l’attestation de vigilance13, étant ainsi condamné à une mort certaine. On notera également qu’un décret n° 2015-1327 du 21 octobre 2015 pris en application de la loi Savary n° 2014-790 du 10 juillet 2014 prévoit une peine complémentaire à celle du travail illégal : la diffusion sur un site internet dédié du ministère du Travail de la liste des entreprises condamnées pour une période maximale de deux ans14. En outre, s’agissant de la sécurité sociale, on notera les pouvoirs sans cesse accrus des Urssaf, qui sont en première ligne dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé. Ainsi, on remarquera que le travail dissimulé entraîne le retrait des mesures de réduction et d’exonération de cotisations de sécurité sociale15. Qui plus est, en cas de travail dissimulé, on relève que les droits du cotisant se restreignent singulièrement16. Ainsi, dans le cadre d’une vérification en présence de travail dissimulé, un avis de contrôle (mentionnant l’existence de la Charte du cotisant vérifié qui définit les droits et devoirs des parties pendant la vérification) n’a pas à être remis au cotisant17. Si dans le cadre général, les agents de contrôle sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant18, le décret n° 2016-941 du 8 juillet 2016 dans le cadre du contrôle Urssaf assouplit cette règle en précisant que « la signature du procès-verbal d’audition par la personne entendue vaut consentement de sa part à l’audition »19. En outre, les majorations de retard sont portées à 25 % en cas de travail dissimulé20, sans possibilité d’obtenir de remise21. Dans le cadre du droit du travail et lors de la rupture de la relation de travail, le salarié dont l’employeur a dissimulé l’emploi a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire22 ; cette indemnité forfaitaire est due quel que soit le mode de rupture de la relation de travail. Dans un arrêt rendu le 6 février 201323, la chambre sociale de la Cour de cassation a même considéré qu’au regard de la nature de sanction civile de l’indemnité forfaitaire mentionnée ci-dessus, le cumul de cette indemnité était également possible avec l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement24. Les organisations syndicales représentatives peuvent exercer en justice toutes les actions résultant de l’application des dispositions du Code du travail relatives à la lutte contre le travail dissimulé, en faveur d’un salarié, sans avoir à justifier d’un mandat de l’intéressé25.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet arsenal redoutable, rapidement résumé, ne peut que laisser le juriste dubitatif. En effet, outre le fait que les sanctions paraissent démesurées, on relèvera que quelle que soit la gravité de la faute (montages complexes pour des groupes internationaux ou simple paiement répété d’heures supplémentaires en primes exceptionnelles pour une PME), la sanction est identique, ce qui constitue un non-sens… D’une part, parce que bien souvent, le travail dissimulé qui atteint les petites entreprises, concerne des employeurs de bonne foi, peu au fait de la loi et qui ne comprennent pas les motifs de redressement. D’autre part, parce qu’il paraît pour le moins téméraire de ne pas individualiser les sanctions en tenant compte de la bonne foi du cotisant. Une réforme s’impose donc.
II – Quelques pistes de réforme nécessaire
Sans doute est-il banal d’affirmer qu’une sanction doit être comprise par l’auteur de l’infraction car, dans le cas contraire, elle ne remplirait pas sa fonction. Or, en l’espèce, faute de tenir compte de la bonne foi du cotisant qui permettrait d’individualiser la sanction, cette dernière n’atteint pas son objectif. Qu’il nous soit donc permis de proposer quelques solutions.
Donner la faculté à l’agent chargé du contrôle de l’Urssaf d’individualiser la sanction en tenant compte de la bonne foi du cotisant. Étrangement, cette faculté n’est pas prévue dans ce type de situation où règne le principe de l’uniformité des sanctions26. Et pourtant, l’ACOSS elle-même reconnaît plusieurs types de fraudes, en relevant une gradation : la fraude de faible intensité, notamment liée aux activités saisonnières, détournements de l’entraide familiale ou du bénévolat, dévoiements du statut de l’autoentrepreneur, les situations usuelles de travail dissimulé dont l’infraction caractérisée relève de la minoration d’heures, la dissimulation partielle ou totale d’activité et/ou de salariés et enfin, la fraude majeure pouvant, par la complexité du mécanisme, être liée à des enjeux financiers élevés et/ou une dimension internationale27. Qui plus est, on notera que le rapport rédigé par les députés Bernard Gérard et Marc Goua proposaient d’« adapter une sanction proportionnelle à la nature de l’erreur constatée »28. Il paraît donc urgent, nécessaire et de bon sens, de laisser aux agents de contrôle de l’Urssaf un pouvoir de graduer les sanctions en fonction du type de fraude commise29.
Revoir la possibilité de requalification du travail indépendant en salariat. Ce point n’est pas neutre lorsque l’on constate le développement de nouvelles formes de travail parfois incitées par les pouvoirs publics. Ainsi en est-il de l’essor du statut d’autoentrepreneur ou encore de l’économie collaborative. Il serait pour le moins malsain que le législateur cherche à accroître ces différentes formes d’activité en omettant de donner aux intéressés la sécurité juridique indispensable. Certes, on invoquera que la loi n° 94-126 du 11 février 1994 a donné la possibilité aux travailleurs indépendants concernés d’interroger l’Urssaf sur leur assujettissement dans le cadre de la procédure de rescrit30. Cependant, on sait que cette procédure fonctionne mal31 et n’est pas sécurisante pour le cotisant32. Diverses tentatives ont été faites, au milieu d’une architecture de sécurité sociale complexe, afin d’éviter des paiements de doubles cotisations ou des requalifications de relations contractuelles en salariat33. Pourtant, jusqu’à présent les mesures incitatives visant à simplifier et sécuriser les relations entre l’assujetti et les différentes caisses, se sont révélées vaines34. Sans doute serait-il indispensable de renforcer la sécurité des cotisants en garantissant qu’une affiliation effectuée de bonne foi ne puisse être remise en cause par une Urssaf pour le passé mais uniquement pour l’avenir !
Renforcer le dialogue et la procédure contradictoire. Devant une définition du travail dissimulé aussi vaste et un arsenal répressif aussi développé, il convient de veiller scrupuleusement au respect de la procédure contradictoire voire à amplifier les garanties des cotisants. Or, force est de constater depuis plusieurs années que le législateur, voire les pouvoirs publics, n’ont eu de cesse que de restreindre les garanties des personnes concernées au nom de la lutte contre le travail dissimulé. Ainsi par exemple, une vérification Urssaf est précédée d’un avis de contrôle, sauf en cas de travail dissimulé. Si l’exclusion de l’avis de contrôle se comprend aisément, en revanche, l’absence d’information relative à la Charte du cotisant contrôlé (qui énonce les droits et devoirs des parties) est plus difficilement compréhensible. Est à ce à dire que dans le cadre d’un « travail dissimulé » le cotisant a ses droits amoindris35 ? De même, si l’article L. 8271-6-1 du Code du travail, relatif au travail dissimulé, précise de manière générale que les agents de contrôle « sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, on est étonné que l’article R. 243-59 II, alinéa 5, du Code de la sécurité sociale36 restreigne ce principe en cas de vérification Urssaf en précisant que « la signature du procès-verbal d’audition par la personne entendue vaut consentement de sa part à l’audition ». De la même manière, il paraîtrait cohérent, dans le cadre de la procédure contradictoire, que les procès-verbaux établis par les inspecteurs du recouvrement soient également envoyés pour information au cotisant37. Quant au donneur d’ordre, on sait que l’article L. 8222-2 du Code du travail prévoit que s’il ne procède pas aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du Code du travail, il est tenu solidairement responsable avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé « au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ». Le Conseil constitutionnel38 a écarté les griefs tirés du principe d’égalité devant la justice et de la méconnaissance de la garantie des droits sous la réserve que le donneur d’ordre puisse contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu. Toutefois, il serait souhaitable que la transparence soit de mise et que le donneur d’ordre puisse disposer du procès-verbal établissant l’infraction de travail dissimulé ainsi que de l’ensemble des informations (fournies par l’Urssaf) permettant d’assurer sa défense.
Préciser le rôle du Comité des abus de droit. La notion d’abus de droit et l’existence d’un comité de l’abus de droit fiscal existe dans le Livre des procédures fiscales39. Le législateur a transposé ces dispositions en matière de sécurité sociale40. Suivant l’article L. 243-7-2, alinéa 1, du Code de la sécurité sociale, les actes constitutifs d’un abus de droit sont :
-
soit ceux qui ont un caractère fictif ;
-
soit ceux qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
En effet, suivant le même article, les organismes de recouvrement sont en droit de restituer son véritable caractère à l’opération litigieuse. Les exemples en la matière sont nombreux. Ainsi en serait-il en cas de requalification par une Urssaf de la situation d’auto-entrepreneur ou d’agent commercial en salarié.
La procédure prévue par le législateur est pour le moins complexe41. Trois idées essentielles doivent cependant être dégagées :
-
la décision de mettre en œuvre la procédure d’abus de droit est prise par le directeur de l’organisme ;
-
le directeur de l’organisme doit contresigner la lettre d’observations ;
-
le document doit mentionner au cotisant la possibilité de saisir le comité des abus de droit et les délais impartis.
Le problème est que bien souvent, l’Urssaf ne fait pas référence à la notion d’abus de droit afin de ne pas compliquer la procédure. Ainsi que l’a soutenu Thierry Romand, « la procédure des abus de droit présente une certaine complexité qui conduit fréquemment les Urssaf à invoquer “implicitement” un abus de droit sans pour autant déclencher la procédure afférente »42 Et à l’auteur d’ajouter que « la réticence d’une Urssaf à déclencher la procédure de répression des abus de droit est lourde de conséquence pour le cotisant qui peut se voir redresser sur la base d’un mécanisme licite tout en étant privé des garanties attachées à cette procédure ». Certes, peu de jurisprudence existe à ce jour en matière de sécurité sociale43. Toutefois, le parallèle est aisé avec la fiscalité. Et la jurisprudence administrative a décidé que lorsque l’Administration se place implicitement sur le terrain de l’abus de droit, sans indiquer expressément au contribuable, avant la mise en recouvrement de l’imposition, que le redressement a pour fondement l’article L. 64 du LPF, l’intéressé est privé de la garantie tenant à la faculté de provoquer la saisine du comité consultatif pour la répression des abus de droit. Il y a lieu, par conséquent, de prononcer la décharge des redressements fondés sur l’opération litigieuse sans examen du bien-fondé de la position de l’Administration44. Sans doute serait-il nécessaire de clarifier et de simplifier les possibilités de saisine de ce Comité45.
Revoir les cas d’exclusion de l’attestation de marché public ou de l’attestation de vigilance. Les Urssaf disposent d’un véritable droit de vie et de mort vis-à-vis des entreprises au travers de ces deux attestations46. Sans doute serait-il utile de lister les situations graves dans lesquelles les organismes de recouvrement pourraient se dispenser de la délivrance de ces documents47.
Ainsi, au terme de ce bref panorama, force est de constater l’iniquité de l’arsenal législatif relatif au travail dissimulé. Sans doute, après la profusion des textes votés en la matière, serait-il utile de réfléchir sur des modifications permettant de trouver un équilibre entre les droits des agents de contrôle, le respect de la procédure contradictoire, la mise en œuvre des sanctions. C’est simplement dans ces conditions que la sanction pourra être comprise par l’auteur de l’infraction.