Alcool au travail : comment éviter les risques lors des événements festifs organisés dans le cadre professionnel ?

Publié le 12/12/2022

Depuis la fin de la crise sanitaire, les événements festifs se multiplient au sein des entreprises. Si les salariés y voient une occasion de renouer des liens qui ont eu tendance à s’estomper durant les confinements successifs, ces événements permettent surtout aux employeurs de recréer un esprit d’équipe et, plus largement, d’entreprise. Lors de ces événements, qui se déroulent le plus souvent en soirée, se pose la question de la consommation d’alcool des salariés, avec encore plus d’acuité en cette période de fêtes de fin d’année.

En dépit des questions qu’il soulève, force est de constater que ce sujet est finalement peu encadré par le législateur. Il est donc recommandé, pour les entreprises, d’adopter des « bonnes pratiques » afin de pouvoir aborder ces événements festifs avec sérénité.

Quelles règles légales l’employeur doit-il respecter en matière de consommation d’alcool au travail ?

Quelques règles spécifiques, assorties de sanctions, sont posées par le Code du travail :

  • l’employeur ne peut laisser entrer ou séjourner des personnes en état d’ivresse sur le lieu de travail1 ;

  • il ne peut pas non plus laisser introduire sur le lieu de travail des boissons alcoolisées en dehors d’une liste limitative de boissons, à savoir : le vin, la bière, le cidre et le poiré2.

Le non-respect de ces dispositions est sanctionné par une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 € pour une personne physique (50 000 € pour une personne morale), appliquée autant de fois qu’il y a de salariés concernés3.

Outre ces obligations très spécifiques, le Code du travail prévoit plus largement que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité à l’égard de ses salariés4. Il doit ainsi prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

Quels sont les risques pour l’employeur en cas de surconsommation d’alcool par un salarié ?

Plusieurs risques peuvent être identifiés :

  • d’abord, si l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires de prévention, il peut être considéré comme ayant manqué à son obligation de sécurité. Ainsi, et sous réserve que le salarié rapporte la preuve du préjudice subi, il pourrait être condamné à lui verser des dommages-intérêts ;

  • ensuite, l’accident survenu au cours d’un événement festif organisé par l’employeur ou avec son accord est reconnu comme un accident du travail, y compris lorsque l’accident est survenu en dehors des horaires de travail. Sont également reconnus comme des accidents de trajet les accidents survenus à la suite d’un tel événement5. Dans ce cadre et en fonction des circonstances, il ne peut être exclu que la faute inexcusable de l’employeur soit retenue ;

  • enfin, dans un scénario du pire, une condamnation pénale de l’employeur6 mais aussi des collègues du salarié pourrait – dans certains cas – être recherchée au titre d’une non-assistance à personne en danger ou d’une mise en danger d’autrui, en cas d’accident grave subi par le salarié alcoolisé7.

Quel comportement l’employeur doit-il adopter pour éviter ces risques ?

Compte tenu de l’importance des risques potentiellement encourus par l’employeur en cas d’incident lié à la surconsommation d’alcool d’un salarié lors d’un événement festif, il est à notre sens opportun d’adopter des mesures de prévention.

L’objectif de ces mesures est de permettre à l’employeur de se protéger tout en n’établissant pas de règles trop contraignantes pour les salariés, afin qu’ils puissent tout de même profiter de ces moments de convivialité.

Elles sont à géométrie variable, en fonction de la personne à l’origine de l’organisation de l’événement festif et de sa localisation.

Quelles mesures l’employeur peut-il adopter lorsque l’événement festif se déroule sur le lieu de travail ?

Il peut s’agir, par exemple, d’un repas de fin de chantier, d’un pot de départ à la retraite d’un salarié, d’un dîner de Noël…

C’est au sein de l’entreprise que l’employeur a le plus de latitude pour encadrer la consommation d’alcool des salariés, grâce au règlement intérieur (ou via une note de service pour les entreprises de moins de 50 salariés) :

  • il est possible d’interdire, dans le règlement intérieur, la consommation de tout alcool. Le Conseil d’État fait toutefois une appréciation restrictive de la validité de ces clauses. Il considère que l’interdiction absolue de toute consommation d’alcool sur le lieu de travail doit « rester proportionnée au but de sécurité recherché » et doit par conséquent être « fondée sur des éléments caractérisant l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque »8. Ainsi, en pratique, une telle interdiction n’est juridiquement valide que si elle concerne des catégories de salariés travaillant sur des postes où la consommation d’alcool pourrait générer des accidents graves (par ex., chauffeurs routiers, salariés manipulant des machines ou instruments dangereux…). Même si elle résulte d’une volonté de l’employeur de protéger ses salariés, une clause trop générale pourrait être censurée par l’inspecteur du travail qui contrôle toute modification du règlement intérieur9 ;

  • l’employeur peut prévoir dans le règlement intérieur l’utilisation d’éthylotests. Là encore, la jurisprudence est venue limiter la possibilité de contrôler l’alcoolémie des salariés à certains cas précis. La Cour de cassation considère ainsi que « les dispositions d’un règlement intérieur permettant d’établir sur le lieu de travail l’état d’ébriété d’un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites dès lors que « les modalités de ce contrôle en permettent la contestation et qu’eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d’ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger »10. Afin que cette clause soit validée par l’inspecteur du travail, il faut donc (i) prévoir des mesures permettant au salarié de contester le résultat de l’éthylotest et (ii) limiter la possibilité de recourir au test uniquement pour les salariés occupant des postes où un état d’alcoolémie pourrait générer un danger (conduite de véhicules, etc.) ;

  • il est toutefois possible de prévoir, dans le règlement intérieur, des mesures qui respectent la jurisprudence tout en permettant d’encadrer la consommation d’alcool des salariés. Cela peut être par exemple :

    • définir une quantité maximale d’alcool consommé par personne (par ex., deux verres),

    • fixer une plage horaire pour la consommation et/ou une durée maximale du pot (par ex., deux heures au maximum sur une plage horaire de 16 heures à 19 heures),

    • déterminer une fréquence maximum pour ce type d’événements (par ex., un « afterwork » tous les mois),

    • créer une obligation pour les salariés organisateurs d’informer préalablement la direction, en indiquant la date/horaire du pot, le nombre de personnes invitées et le nombre de bouteilles d’alcool prévues.

Quelles bonnes pratiques l’employeur peut-il adopter lorsqu’il organise un événement festif en dehors du lieu de travail ?

Il s’agit par exemple d’un séminaire d’entreprise, d’un dîner d’équipe, d’une « summer party »…

Lors de ces événements organisés en dehors du lieu de travail, le règlement intérieur ne trouve pas à s’appliquer. L’employeur court cependant toujours le risque de voir sa responsabilité engagée puisqu’il est l’organisateur de l’événement.

Ici, seules des bonnes pratiques peuvent être adoptées par l’employeur. Il pourrait par exemple :

  • ajouter à l’invitation électronique de l’événement une case à cocher par laquelle le salarié s’engage à ne consommer de l’alcool que de manière raisonnable et à adopter un comportement approprié au cours de l’événement ;

  • encadrer la quantité d’alcool servie en évitant l’accès en libre-service aux boissons alcoolisées (par ex., dédier une personne au service de l’alcool, mettre en place des « tickets conso » ou des bracelets prévoyant un nombre maximum de verres par salarié) ;

  • proposer des boissons non alcoolisées de qualité ainsi que de la nourriture afin de limiter le pic d’alcoolémie ;

  • prévoir un horaire de fin adapté (pas trop tardif, permettant aux salariés de rentrer en transports en commun si possible) ;

  • mettre à la disposition des salariés des éthylotests afin de permettre aux salariés qui le souhaitent de s’autoévaluer ;

  • prévoir un dispositif visant à prendre en charge les salariés alcoolisés (taxis, désignation sur la base du volontariat de salariés qui ne boivent pas et qui pourront reconduire les autres ou s’assurer qu’ils rentrent en taxi, prévoir un système de cars à horaires fixes pour déposer les salariés à des endroits clefs permettant de rentrer plus facilement) ;

  • mettre en place des actions de sensibilisation (information et formation relatives aux risques liés à la consommation d’alcool).

Et si les salariés organisent un événement de leur propre initiative ?

Il s’agit classiquement du verre qui s’organise de manière spontanée entre collègues, le soir, après le travail.

Ce type d’événement relève en principe de la vie privée des salariés et la responsabilité de l’employeur n’a donc, en principe, pas de risques d’être engagée.

Il convient toutefois, là encore, d’être vigilant en adoptant des bonnes pratiques comme :

  • veiller à ce qu’aucun représentant de l’employeur (y compris un manager) n’intervienne dans l’organisation du verre ;

  • ainsi, si un représentant de l’employeur ou manager se joint au groupe de salariés, il doit participer en tant qu’invité et ne pas régler les consommations ou, si absolument nécessaire, ne régler que le premier verre, qui ne sera pas le verre de trop.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. trav., art. R. 4228-21.
  • 2.
    C. trav., art. R. 4228-20.
  • 3.
    C. trav., art. L. 4741-1.
  • 4.
    C. trav., art. L. 4121-1.
  • 5.
    Cass. soc., 14 févr. 1980, n° 79-10160.
  • 6.
    C. pén., art. 121-2 – C. pén., art. 121-3.
  • 7.
    V., par ex., Cass. crim., 5 juin 2007, n° 06-86228.
  • 8.
    CE, 12 nov. 2012, n° 349365.
  • 9.
    C. trav., art. L. 1321-4.
  • 10.
    Cass. soc., 24 févr. 2004, n° 01-47000 – v. aussi Cass. soc., 22 mai 2002, n° 99-45878 – Cass. soc., 31 mars 2015, n° 13-25436.
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