Chronique de droit du travail (suite et fin)
I – Droits et libertés fondamentaux
A – Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : les actions positives sont à prendre au sérieux !
B – Égalité de traitement et transfert conventionnel des contrats de travail, un revirement de jurisprudence
C – Qu’est-ce qu’une liberté fondamentale en droit du travail ?
D – Réintégration du salarié licencié en raison de son âge et indemnisation du préjudice subi
E – Harcèlement moral : de la nécessité de mettre un mot sur les maux !
F – Nullité du licenciement d’une salariée refusant de prêter serment pour des raisons religieuses
II – Relations individuelles de travail
A – Le contrat de travail
1 – Formation et exécution du contrat de travail
a – Promesse d’embauche : clap de fin ?
2 – Rupture du CDI
a – Le licenciement prononcé pour cause réelle et sérieuse en période d’arrêt pour maladie professionnelle ne peut être requalifié en licenciement pour faute grave
b – Rupture conventionnelle : la citadelle imprenable !
B – Le droit disciplinaire et le règlement intérieur
1 – Applicabilité d’un règlement intérieur au sein d’établissements distincts
2 – Le sort d’une sanction disciplinaire appliquée en l’absence d’un règlement intérieur
C – Santé et sécurité au travail
1 – Reclasser le salarié inapte sur un poste de stagiaire ?
Cass. soc., 11 mai 2017, n° 16-12191. Engagé à compter du 3 septembre 2001 en qualité de chauffeur poids lourds, le salarié a été licencié le 6 avril 2012 pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Il fait grief à la cour d’appel de Paris de l’avoir débouté de sa demande en paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le pourvoi porte principalement sur les conditions dans lesquelles l’employeur aurait exécuté l’obligation de reclassement préalable au licenciement. Selon le pourvoi, lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur est tenu de lui proposer les emplois disponibles, y compris ceux ayant un caractère temporaire. Il s’ensuivrait qu’en l’espèce, en considérant, pour retenir que le licenciement du salarié était justifié, que les stagiaires ayant été recrutés pour effectuer des missions ponctuelles, variant d’une semaine à un mois pour leurs durées respectives, M. X ne pouvait valablement soutenir que ces tâches, même administratives et répondant aux exigences médicales de sa situation, constituaient un poste sur lequel il aurait pu être reclassé, la cour d’appel aurait violé les articles L. 1226-10 et L. 1226-12, alinéa 2, du Code du travail.
En somme, le salarié reproche à la cour d’appel de ne pas avoir admis que les activités confiées à des stagiaires, mises bout à bout, constituaient un poste de reclassement alors qu’elles étaient compatibles avec l’avis du médecin du travail.
Le pourvoi est rejeté en termes très généraux : « Ne constituent pas un poste disponible pour le reclassement d’un salarié déclaré inapte l’ensemble des tâches confiées à des stagiaires qui ne sont pas salariés de l’entreprise, mais suivent une formation au sein de celle-ci ». La solution est parfaitement cohérente si l’on se réfère à la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation. Rappelons d’une part que, conformément à une jurisprudence constante, l’obligation de reclassement n’impose pas à l’employeur de créer un nouveau poste1 ni de proposer un poste exigeant la mise en place d’une formation initiale au profit du salarié reclassé2. Mais surtout, il ne peut y avoir de reclassement que sur un emploi disponible. Cela ressort sans aucune ambiguïté de l’article L. 1226-10 du Code du travail, lequel exige entre autres que l’emploi proposé soit aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé. Or, par définition, les activités confiées à des stagiaires ne correspondent pas à des emplois, a fortiori à des emplois disponibles.
L’aspect le plus intéressant de la décision réside dans la référence faite à la fraude par la Cour de cassation : « La cour d’appel, devant laquelle aucune fraude n’était invoquée, a, sans être tenue de répondre à un simple argument ni de procéder à une recherche que ses énonciations rendaient inopérante, souverainement retenu que l’employeur avait procédé à une recherche sérieuse et loyale de reclassement ». La Cour de cassation en profite donc pour poser une réserve, liée à un éventuel comportement frauduleux de l’employeur. Deux remarques méritent à ce sujet d’être formulées.
La première tient à la nature de la fraude dans le contexte de l’obligation de reclassement. Serait-elle caractérisée par le seul fait du détournement par l’entreprise des stages de leur finalité, les stages déguisant en réalité des emplois ? Ou aurait-il fallu démontrer que, afin de parvenir à l’impossibilité de reclassement, l’employeur a fait en sorte de placer des stagiaires sur un emploi disponible ? La première option ouvre un recours plus aisé à la fraude, mais la seconde paraît plus conforme à l’idée de fraude rapportée au reclassement. Cela dit, si derrière des stages se cache, en réalité, un emploi, n’est-ce pas suffisant pour considérer, hors de toute considération de fraude, qu’existe un emploi devant être proposé au reclassement dès lors que cet emploi est approprié aux capacités du salarié et répond aux prescriptions du médecin du travail ?
La seconde remarque concerne l’opportunité de la référence à la fraude : était-ce bien nécessaire ? En tant que principe général du droit, la fraude est toujours susceptible d’être invoquée de sorte qu’une référence expresse à celle-ci paraît inutile, sauf à vouloir donner à la loi un effet de symbole ou à envisager que la Cour de cassation puisse exercer un contrôle. Dans un contexte différent, la modification du périmètre d’appréciation du motif économique, désormais circonscrit à la France, a fait l’objet du même débat : fallait-il réserver expressément l’hypothèse de la fraude ? Entre le projet d’ordonnance, l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et la loi de ratification, l’hésitation a été permanente. Finalement, contre l’avis du Conseil d’État qui n’en voyait pas l’intérêt3, la loi fait état de la fraude.
Indépendamment des discussions sur la pertinence de la référence à la fraude, la solution de l’arrêt, en ce qu’elle affirme que ne constitue pas un poste disponible pour le reclassement d’un salarié l’ensemble des tâches confiées à des stagiaires, est sans nul doute transposable au reclassement dans le cadre du licenciement pour motif économique.
Jean-Philippe LHERNOULD
2 – Les conséquences de la suspension du contrat de travail sur la qualification juridique de l’accident
Cass. 2e civ., 21 sept. 2017, n° 16-17580. Une salariée ayant subi un accident sur le lieu de travail est-elle couverte par la présomption de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, dès lors que ses obligations contractuelles sont suspendues par une mise à pied et qu’elle s’est rendue au siège de l’entreprise de son propre chef ? Aux termes de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, « est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail (…) ». Cette présomption d’imputabilité peut toutefois être écartée si la victime n’est plus soumise à l’autorité et à la surveillance de son employeur. Dans cet arrêt en date du 21 septembre 2017, la Cour de cassation, deuxième chambre civile4, confirme cette approche en censurant les juges du fond au motif d’une part que le contrat de travail était suspendu et d’autre part que son transport au siège de l’entreprise ne relevait que de sa seule initiative.
La salariée est décédée dans les locaux de son employeur après un malaise cardiaque. Travaillant en qualité d’agent d’entretien sur le site d’une entreprise cliente tôt le matin (entre 5 et 7 heures), elle s’est rendue dans l’après-midi au siège de l’entreprise pour s’entretenir, à la suite d’une mise à pied décidée par son chef d’exploitation, avec des représentants du personnel. Saisie par les ayants-droit d’une demande en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident, la CPAM l’a rejetée. La cour d’appel d’Aix-en-Provence5 a estimé au contraire, par arrêt confirmatif, que le décès était d’origine professionnelle au motif que sa présence dans l’entreprise était due à la procédure de mise à pied, l’accident s’étant partiellement produit par le fait du travail. Il n’y était par conséquent pas totalement étranger. La Cour de cassation censure cette décision. Si l’accident survenu sur le lieu de travail n’est généralement pas couvert au titre de la législation professionnelle dès lors que les obligations contractuelles sont, comme en l’espèce, suspendues (I), il peut exceptionnellement l’être lorsque la victime est dans l’entreprise sur ordre de l’employeur ou lorsque les circonstances révèlent, indépendamment de toute autre considération, qu’elle s’est retrouvée soumise à son autorité et à sa surveillance (II).
I. Le principe du caractère non professionnel de l’accident survenu en période de suspension du contrat
L’accident est de nature professionnelle dès lors qu’il a lieu en cours d’exécution du contrat de travail à un moment et dans un endroit où le salarié est sous le contrôle et l’autorité de son employeur, soit pour reprendre la formule consacrée par la jurisprudence depuis le début du XXe siècle « au temps et au lieu de travail ». Il est en revanche de jurisprudence constante de considérer que n’est pas d’origine professionnelle, l’accident touchant celui qui n’est plus sous la subordination juridique de son employeur ou qui s’en est soustrait. La suspension du contrat de travail libère les parties de leurs obligations principales. Dispensé de se présenter dans l’entreprise et d’accomplir sa prestation de travail, le salarié échappe presque totalement à la sphère d’autorité de l’employeur. Seules subsistent quelques obligations secondaires rattachées au devoir de loyauté et à la bonne foi6. N’ont ainsi aucun caractère professionnel, les accidents survenus en période d’incapacité de travail liée à la maladie7, durant les congés payés, quand bien même la victime se serait rendue chez son employeur pour percevoir un salaire qui n’avait pas été payé à la date normale8, ou pendant un congé maternité, alors que l’intéressée répondait à une convocation de son employeur qui souhaitait l’entretenir des modalités de son retour9. Sans doute serait-il d’ailleurs aujourd’hui nécessaire de réévaluer la solution dégagée dans cet arrêt déjà ancien à l’aune des évolutions jurisprudentielles. Sont également visées les hypothèses de grève10, de préavis inexécuté11, de jour férié12, ou comme en l’espèce, de mise à pied (disciplinaire)13. Peu importe que l’intéressé se soit effectivement trouvé sur le lieu d’exercice de son activité professionnelle tant qu’il n’y était pas sur ordre de l’employeur !
En l’espèce, les juges du fond ont retenu que la salariée s’était rendue dans les locaux de l’entreprise à la suite d’une procédure de mise à pied, laissant ainsi entendre que si elle avait rencontré des représentants du personnel, c’était pour examiner une situation liée à son emploi, à sa prestation de travail ou plus exactement à l’(in)exécution de ses obligations contractuelles. Il n’en demeure pas moins que ce déplacement ne relevait que de sa seule initiative. Cet élément fut décisif dans la décision conduisant à la cassation, comme il l’avait été dans un arrêt plus ancien où un salarié, en arrêt maladie, avait participé à une réunion d’information organisée par son employeur, alors qu’aucune injonction de sa part ni nécessité de service ne le lui imposaient14. La personne décédée dans les locaux de l’entreprise après un malaise cardiaque n’entrait pas dans le champ des hypothèses où la prise en charge par la législation professionnelle est possible en période de suspension du contrat de travail, faute d’être sous l’autorité de l’employeur.
II. Un principe écarté en cas d’accident survenu sous l’autorité de l’employeur
L’intéressée s’était vue, en l’espèce, signifier une mise à pied de trois jours que la lecture des faits ne permet pas de qualifier précisément. Elle ne semble avoir donné lieu ni à une convocation à un entretien, ni à une notification de la sanction. L’ensemble des événements se sont déroulés dans un laps de temps très réduit, le malaise étant « survenu alors que la requérante venait de faire l’objet de la part de son employeur d’une mise à pied de trois jours »15. L’absence de formalisme, que la jurisprudence a entériné en estimant qu’une information orale était suffisante16, laisserait supposer que la mise à pied serait, en dépit de sa durée déterminée, de nature conservatoire. La demande des ayants-droit aurait vraisemblablement eu plus de chance de prospérer si le décès s’était produit au moment où la personne se rendait, sur injonction de l’employeur, à l’entretien pendant lequel il aurait exposé les raisons conduisant à la sanctionner disciplinairement ou à celui préparatoire au licenciement. L’accident relève de la législation professionnelle dès lors que la présence de la victime dans l’entreprise résulte d’une décision de l’employeur, par exemple pour un entretien préalable au licenciement17. Preuve est ainsi apportée qu’il est toujours en mesure d’exercer une partie de ses prérogatives, même en période de suspension du contrat de travail.
L’accident en cours de suspension du contrat de travail revêt un caractère professionnel si une relation peut être établie avec le travail ou s’il survient par le fait du travail, à l’image d’une tentative de suicide au domicile du salarié consécutive à un harcèlement moral18. Se pose alors inévitablement la question de la teneur du lien devant exister entre l’accident et le travail. Nul doute qu’en l’espèce la présence de l’intéressée dans l’entreprise avait pour origine le travail sans qu’il soit pour autant la cause directe de l’accident. Plus généralement, la jurisprudence qualifie de professionnel tout accident survenu en dehors des heures de travail dans les locaux de l’entreprise dès lors que le salarié se (re)place, même de son propre chef, sous l’autorité de l’employeur, ce qui semble être un critère plus sûr. Est un accident du travail le décès par asphyxie d’une femme de chambre qui participe dans l’intérêt de l’employeur à la lutte contre l’incendie qui ravage l’hôtel où elle travaille19 ou la blessure contractée par un gardien d’immeuble qui procède, à la demande d’un résident et au bénéfice de la copropriété, à une intervention d’urgence en lien avec ses attributions habituelles20. Mais la jurisprudence va encore plus loin. Elle considère comme professionnels des accidents qui se sont produits à l’extérieur de l’entreprise dans des circonstances permettant de les rattacher aux fonctions exercées.
Est ainsi un accident du travail, l’agression dont est victime un directeur de banque à son domicile où il gardait à la demande de son employeur les clés de la chambre forte de l’agence21, la blessure subie par un médecin qui, pendant un jour de congé, se livre bénévolement à un exercice de secourisme en utilisant, avec l’approbation de son supérieur hiérarchique, du matériel propriété du SMUR22 ou plus récemment le malaise terrassant un salarié qui patientait dans les locaux de la médecine du travail pour une visite périodique23. Aux termes de ce dernier arrêt, la personne soumise à l’autorité et à la surveillance de son employeur se trouve automatiquement au temps et au lieu de son travail. L’examen médical était en l’espèce inhérent à l’exécution du contrat de travail, le temps consacré à cette activité étant par ailleurs défini comme temps de travail effectif même s’il n’a pas lieu pendant les heures de travail24. La reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ne sera donc pas toujours liée à un temps réservé à la réalisation de la prestation de travail mais plus largement à une période contrainte reflétant le rapport d’autorité de l’employeur sur le salarié.
La solution dégagée dans cet arrêt en date du 21 septembre 2017 ne peut être qu’approuvée. La présence dans les locaux de l’entreprise n’était ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour conférer au décès un caractère professionnel faute pour l’intéressée de s’être soumise d’une manière ou d’une autre à l’autorité et à la surveillance de son employeur. Or aucun élément ne permettait en l’espèce d’attester qu’elle l’était. Aura ainsi une origine professionnelle, l’accident survenu au moment où le salarié est placé sous l’autorité de l’employeur qu’il se produise en dehors des heures de travail, loin du lieu de travail ou pendant une période de suspension du contrat de travail. Le rapport d’autorité de l’employeur sur son subordonné demeure le fondement de la présomption d’imputabilité et constitue le point commun à l’ensemble des décisions qui, quelles que soient les circonstances, qualifient de professionnel l’accident subi.
Romain MARIÉ
3 – Inaptitude médicale : l’employeur peut convoquer les délégués du personnel par voie électronique
Cass. soc., 23 mai 2017, n° 15-24713. Une fois la déclaration d’inaptitude médicale émise par le médecin du travail, la loi impose à l’employeur de chercher à reclasser son salarié en tenant compte des propositions du médecin du travail. Elle implique également les délégués du personnel dans le processus de reclassement. Ils doivent être saisis pour avis. Naguère cantonnée à l’inaptitude d’origine professionnelle, la consultation des délégués du personnel est aujourd’hui étendue à l’inaptitude d’origine non professionnelle25.
L’obligation de consulter les délégués du personnel est inscrite à l’article L. 1226-10 du Code du travail en cas d’inaptitude professionnelle et à l’article L. 1226-2 en cas d’inaptitude non professionnelle. Dans les deux hypothèses, la loi est lapidaire. Tout en attribuant un rôle majeur aux délégués du personnel26, elle ne s’exprime pas sur les modalités de leur consultation. C’est donc la Cour de cassation qui a largement œuvré en la matière. Elle s’est exprimée sur les entreprises concernées par l’obligation27, sur son cadre d’appréciation dans les entreprises à structure complexe28. Elle s’est encore prononcée sur le moment29 auquel la consultation doit intervenir ainsi que sur les éléments à communiquer aux délégués du personnel30.
Dans la présente décision, la Cour de cassation était pour la première fois amenée à prendre parti31 sur la possibilité pour un employeur de convoquer par voie électronique les délégués du personnel en vue de l’émission de leur avis. En l’espèce, un salarié avait été victime d’un accident du travail. À l’issue des examens pratiqués par le médecin du travail, il avait été déclaré inapte à son poste de travail et avait été licencié pour inaptitude. Le salarié avait contesté son licenciement en mettant en avant que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de consultation des délégués du personnel. Il soulignait que l’employeur avait convoqué certains délégués du personnel par lettre recommandée avec accusé de réception et que d’autres avaient simplement été convoqués par message électronique. Dans la présente décision, la Cour de cassation valide la pratique de l’entreprise. Elle affirme que satisfait aux exigences de l’article L. 1226-10 du Code du travail, la convocation des délégués du personnel par voie électronique.
La haute cour offre par sa réponse de la souplesse aux entreprises. Cette décision n’est pour autant pas surprenante mais il faut se garder de voir en elle une remise en cause du caractère substantiel de l’obligation de consultation qui pèse sur l’employeur.
I. Souplesse oui…
La Cour de cassation rend sa décision au visa de l’article L. 1226-10 du Code du travail. Dans cette affaire, elle applique strictement la loi et rien que la loi32. Cette dernière étant muette sur les modalités de convocation des délégués du personnel, la Cour de cassation refuse d’ajouter des conditions spécifiques. Elle admet sans ambages que les délégués du personnel puissent être convoqués par voie électronique mais n’impose cependant pas ce mode de convocation en toutes hypothèses. Il ne s’agit là que d’une modalité parmi d’autres33.
La Cour de cassation fait ici preuve de pragmatisme et de réalisme. À l’ère du numérique, elle admet le recours aux moyens de communication actuels qui présentent encore l’avantage de répondre à des situations d’urgence ou de relative urgence. Il ne faut pas oublier que l’employeur est tenu de reprendre le versement des salaires si le salarié n’est pas reclassé ou licencié à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’examen médical de reprise34, le gain de quelques jours dans l’acheminement de la convocation peut s’avérer précieux. Toutefois l’employeur qui utilise la voie électronique devra veiller à solliciter des délégués du personnel, un accusé de bonne réception des messages afin de se ménager un mode de preuve efficace et pertinent de l’accomplissement de la formalité.
II. …surprise non…
Cette décision ne surprend pas. Elle s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation et ce, à double titre. La Cour de cassation aligne sa jurisprudence sur celle rendue à propos de la convocation des membres du CHSCT35 et sur celle permettant à un syndicat de notifier par voie électronique aux autres signataires d’un accord collectif son opposition à l’entrée en vigueur de cet accord36. Dans la présente décision, la Cour de cassation rappelle opportunément que l’article L. 1226-10 du Code du travail n’impose aucune forme particulière pour recueillir l’avis des délégués du personnel quant au reclassement d’un salarié déclaré inapte.
L’arrêt du 23 mai 2017 s’inscrit également dans le prolongement de certaines décisions rendues sur les modalités d’expression de l’avis rendu par les délégués du personnel en matière d’inaptitude. La Cour de cassation fait montre d’une même souplesse. Elle n’impose pas à l’employeur de devoir recueillir l’avis des délégués du personnel de façon collective au cours d’une réunion. Se faisant, elle admet qu’ils puissent être consultés individuellement37. Elle autorise même la consultation des délégués du personnel par téléphone38.
III. Obligation accessoire ? Certainement pas…
La flexibilité reconnue aux entreprises sur certaines modalités de consultation n’entraîne pas un déclassement de l’obligation de consultation des délégués du personnel. Elle ne devient pas accessoire mais reste intacte et demeure donc une formalité substantielle. Les employeurs seraient même bien imprudents de ne plus la prendre au sérieux eu égard aux risques qu’ils encourraient.
En cas de licenciement d’un salarié dont l’inaptitude serait d’origine professionnelle, ils s’exposeraient à une sanction financièrement lourde. Le tribunal saisi pourrait proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise avec maintien des avantages acquis. En cas de refus de réintégration par l’une ou l’autre des parties, ils s’exposaient jusqu’à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 à une condamnation au versement d’une indemnité qui ne pouvait être inférieure à 12 mois de salaires et s’exposeraient aujourd’hui au versement d’une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Si l’inaptitude avait une origine non professionnelle, la sanction envisagée serait moindre. Bien que le législateur ait uniformisé l’obligation de consulter les délégués du personnel depuis 2016, quelle que soit l’origine de l’inaptitude, il n’a pas harmonisé la sanction de l’indemnité minimale. Ce sont donc les règles habituelles du licenciement sans cause réelle et sérieuse qui trouveraient à s’appliquer.
L’employeur s’exposerait également en théorie, à une sanction pénale pour délit d’entrave, en raison de l’atteinte à l’exercice régulier des fonctions des délégués du personnel39, même si celle-ci reste assez marginale en pratique.
IV. Pérennité de la solution, vraisemblablement
Le comité social et économique devient du fait de la fusion-recomposition de la représentation du personnel40, l’organe de consultation en cas d’inaptitude médicale du salarié. Son organisation et ses attributions obéissent à des règles différentes de celles jusqu’alors applicables aux délégués du personnel. Cette modification risque-t-elle de fragiliser les solutions posées jusqu’alors ? L’avenir nous le dira.
Le passé nous permet peut-être de pouvoir envisager l’avenir. Dans un arrêt du 29 avril 200341, la Cour de cassation a clairement affirmé que la loi n’impose pas à l’employeur de recueillir l’avis des délégués du personnel au cours d’une réunion de l’instance. Par cette solution la chambre sociale a donc refusé d’articuler la consultation des délégués du personnel avec les règles de fonctionnement de l’instance. Elle a donné une place à part à cette consultation, elle lui a conféré le statut de consultation ad hoc. Nous inclinons donc à penser que la présente solution ne devrait être remise en cause.
Agnès ETIENNOT
III – Les relations collectives de travail
A – Les syndicats
1 – L’obligation de transparence financière du syndicat non représentatif
Cass. soc., 22 févr. 2017, n° 16-60123. « Tout syndicat doit, pour pouvoir exercer des prérogatives dans l’entreprise, satisfaire au critère de transparence financière »42.
Cet attendu de principe, prononcé par la chambre sociale de la Cour de cassation, amène à étendre une condition d’accès à la représentativité des syndicats en une condition d’exercice imposée à tout syndicat.
Dans cette affaire, la Cour devait s’interroger sur le caractère déterminant de la transparence financière d’un syndicat non représentatif, en vue de statuer sur la licéité de la désignation d’un représentant de section syndicale. Débouté en première instance, les juges du fond ayant opté pour une lecture stricte des dispositions applicables, l’employeur a obtenu l’annulation de la désignation en raison du manquement à cette condition, pourtant réservée jusqu’alors aux syndicats souhaitant accéder à la représentativité.
Cette solution amène donc à s’interroger sur la portée de la transparence financière dans la vie syndicale, ainsi que sur les conditions de sa mise en œuvre.
I. La portée du critère de transparence financière
Dans un premier temps : l’étonnement, compréhensible lorsque la Cour de cassation choisit de se départir des dispositions spécifiques à la désignation des représentants de section syndicale. En effet, les articles ainsi visés par la Cour, L. 2142-1 et L. 2142-1-1 du Code du travail43, relatifs à la constitution d’une section syndicale et à la désignation d’un représentant de section syndicale, n’imposent comme conditions de validité que les critères du respect des valeurs républicaines, de l’indépendance et de l’ancienneté (associée au principe de spécialité professionnelle et géographique). Or, les hauts magistrats ont choisi d’y associer l’article L. 2121-1 du Code du travail, lequel recense les sept conditions d’accès la représentativité dont le critère de transparence financière.
Elle opère ainsi un revirement, ayant précédemment jugé, dans un arrêt de principe Véolia du 8 juillet 2009, que « la régularité de la désignation d’un représentant de section syndicale ne nécessite pas que le syndicat à l’origine de la désignation remplisse les critères fixés par les articles L. 2121-1 et L. 2122-1 du Code du travail relatifs à la représentativité » ; « il suffit qu’il réunisse, à la date de la désignation, les conditions fixées par les articles L. 2142-1 et L. 2142-1-1 dudit code »44.
La Cour choisit ainsi d’appliquer l’article L. 2121-1 dans le cadre d’une prérogative alors réservée au syndicat lorsqu’il « n’est pas représentatif dans l’entreprise ou l’établissement »45. Cette solution contra legem46 peut s’analyser en un dépassement du pouvoir normatif de la Cour, statuant en l’espèce sur une situation pourtant non dépourvue de cadre législatif47, et qui amène à s’interroger sur sa motivation.
D’une part, il convient de rappeler l’importance que revêt le critère de transparence financière dans l’examen de la représentativité, le dernier appartenant à la catégorie des critères devant « être satisfaits de manière autonome et permanente », aux côtés des critères du respect des valeurs républicaines et d’indépendance48. Parmi les sept critères légaux de représentativité, certains semblent donc inhérents à la constitution de tout syndicat49. Certains auteurs soulignent la conformité à l’esprit de la loi du 20 août 200850. En effet, les syndicats ayant une vocation naturelle à conquérir la représentativité, certaines conditions peuvent être réclamées de manière anticipée, d’autant qu’une prérogative importante est en jeu en la désignation d’un représentant, titulaire d’un mandat, de la protection et des moyens accordés à son exercice. La Cour a pu le rappeler : c’est « en vue de permettre à ces syndicats de préparer les élections » que « leur a été reconnu le droit, dès lors qu’ils ont constitué une section syndicale, d’en désigner un représentant »51.
Toutefois, le représentant de section syndicale ne peut revêtir la position de négociateur qu’à certaines conditions, diminuant ainsi la nécessité d’une légitimité renforcée, et donc à lui appliquer totalement les conditions de la représentativité.
D’autre part, il est nécessaire de prendre en compte les dispositions générales en matière de tenue de comptabilité, de certification et de publicité des comptes, applicables à tout syndicat, qu’il soit représentatif ou non52. Les syndicats professionnels et leurs unions « assurent la publicité de leurs comptes dans un délai de trois mois à compter de leur approbation »53, selon différents moyens : publication sur leur site internet ou en direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.
Si la transparence implique au préalable une tenue de comptabilité, elle réclame également un libre accès à l’information comptable : « Les comptes annuels sont librement consultables »54. Cette obligation « née de la méfiance des syndiqués et, plus généralement, des travailleurs dans le but de restaurer leur confiance »55, retient l’assentiment de la doctrine56. Il n’est pas étonnant que pareille obligation ait été étendue aux comités d’entreprise57. Néanmoins, la Cour de cassation n’a pas pris le soin de viser ces dispositions58, ne permettant pas d’affirmer que la présente solution constitue une sanction de leur irrespect.
Si ces éléments éclairent la position de la Cour de cassation, ils ne permettent toutefois pas d’en justifier l’assise légale. L’intention est louable mais la forme reste discutable, d’autant que la mise en œuvre de cette nouvelle condition tend à soulever certaines interrogations.
II. La mise en œuvre du critère de transparence financière
L’extension de cette condition de représentativité à l’exercice d’une prérogative dévolue aux syndicats non représentatifs pose la question de son application.
D’une part, l’étude de la jurisprudence relative au critère de transparence financière, en tant que condition de représentativité, laisse place à une relative incertitude d’un point de vue probatoire. Rappelons à ce titre la position pragmatique de la Cour de cassation quant au respect de cette condition : « Les documents comptables dont la loi impose la confection et la publication ne constituent que des éléments de preuve de la transparence financière, leur défaut pouvant dès lors être suppléé par d’autres documents produits par le syndicat et que le juge doit examiner »59, de telle sorte que « le défaut de production de l’annexe simplifiée prévue par l’article D. 2135-3 du Code du travail ne dispensait pas le juge d’examiner le critère de transparence financière au vu des documents produits par le syndicat, à savoir le bilan, le compte de résultat, les livres comptables mentionnant chronologiquement le montant et l’origine des ressources perçues et des dépenses effectuées depuis 2008, ainsi que l’ensemble des relevés bancaires ». Certains auteurs regrettent cette décision, considérant que la Cour de cassation a « vidé de toute portée le critère de la transparence financière »60. Cette dernière a néanmoins pris le soin de justifier en son temps cette position : « Il ne ressort, en effet, ni du texte de la loi du 20 août 2008 (…), ni de sa genèse, que le législateur ait entendu sanctionner le non-respect des obligations comptables imposées aux syndicats par la perte de leur représentativité ou l’impossibilité d’accéder à cette qualité »61. Cette appréciation souveraine des juges du fond tend à se confirmer, notamment en matière de transparence financière en matière de déclaration de candidature au scrutin des TPE62. Or dans le cas d’espèce, la Cour n’a pas fait preuve d’une telle prudence dans la rédaction de son attendu, ne donnant pas d’indication précise sur son exigence du niveau de preuve. Cela ne signifie pour autant pas l’abandon de ce pragmatisme, déjà à l’œuvre dans l’examen du critère du respect des valeurs républicaines63.
D’autre part, quelles conséquences peut-on réellement attacher à l’absence de condition de transparence financière ? Ainsi, s’agissant d’une autre condition permanente de représentativité, la Cour a pu relativiser la portée de son défaut : « L’absence d’indépendance judiciairement établie d’un syndicat lors de l’exercice d’une prérogative syndicale ne le prive pas de la possibilité d’exercer ultérieurement les prérogatives liées à la qualité d’organisation syndicale, dès lors qu’il réunit, au moment de l’exercice de ces prérogatives, tous les critères visés par la loi »64. Cette solution semble pouvoir s’appliquer au critère de transparence financière. Ne pas le faire lui conférerait une valeur supérieure, le consacrant dès lors comme condition d’existence du syndicat, un « nouveau principe général du droit syndical »65.
Thomas MORGENROTH
B – Les salariés protégés
1 – Rupture conventionnelle d’un salarié protégé et principe de séparation des pouvoirs
Cass. soc., 20 déc. 2017, n° 16-14880. Le 11 janvier 2008, l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la modernisation du marché du travail crée un nouveau mode de rupture autonome du contrat de travail à durée indéterminée : la rupture conventionnelle. Ce nouveau mode est issu d’une double préoccupation, réduire les freins à l’embauche et mettre fin à l’hypocrisie de licenciements convenus par les deux parties dans le seul but de permettre au travailleur de bénéficier de l’assurance chômage. Les partenaires sociaux ont souhaité introduire une rupture qui repose sur un accord de volonté, en encadrant la procédure et en veillant particulièrement au respect du consentement du salarié. La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail66 consacre la rupture conventionnelle et introduit ses dispositions aux articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail. Elle comporte trois phases : l’entretien, la signature de la convention et son homologation. Ces étapes participent toutes de la volonté du législateur de « garantir la liberté du consentement des parties »67.
Un ou plusieurs entretiens peuvent avoir lieu au cours desquels le salarié dispose du droit de se faire assister selon des modalités qui ressemblent à celles du licenciement68. À ce titre, le défaut d’information du salarié d’une entreprise ne disposant pas d’institution représentative du personnel sur la possibilité de se faire assister, lors de l’entretien au cours duquel les parties conviennent de la rupture du contrat de travail, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative, n’a pas pour effet d’entraîner la nullité de la convention de rupture, sauf pressions ou manœuvres exercées pour accepter la rupture de ce contrat69. De même, si le Code du travail n’instaure pas de délai entre l’entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de sa rupture et la signature proprement dite de la convention, aucune pression ou contrainte ne doit être exercée sur le salarié pour l’inciter à choisir la voie de la rupture conventionnelle70. D’ailleurs, à l’issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse la demande d’homologation à l’autorité administrative71. La circulaire DGT n° 2008-11 du 22 juillet 200872 précise que le contrôle de l’administration du travail « doit porter sur les points qui permettent de vérifier le libre consentement des parties »73. Il s’agit d’un consentement libre et éclairé, à défaut, la demande d’homologation sera rejetée. On le constate, le consentement non vicié est l’une des pièces maîtresses de la validité de la rupture conventionnelle, un mode de rupture dont le Code du travail attribue compétence en cas de litige, tant sur la convention que sur l’homologation, au juge judiciaire, et ceci, à peine d’irrecevabilité, dans un délai de 12 mois à compter de la date d’homologation de la convention74. Alors qu’en est-il du recours d’un salarié protégé, après autorisation de la convention de rupture, quand il réclame la nullité de l’acte pour cause de harcèlement moral ? C’est l’intérêt de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 décembre 2017.
En l’espèce, un salarié embauché comme animateur dans une association, d’abord sous CDD puis sous CDI, est élu délégué du personnel, le 26 janvier 2007. Il signe le 14 janvier 2010 une rupture conventionnelle, autorisée le 26 février 2010 par l’inspecteur du travail. Ensuite, s’estimant avoir été victime d’un harcèlement moral, il saisit le juge prud’homal, le 22 février 2011, pour obtenir le versement de diverses sommes ainsi que la nullité de la rupture conventionnelle. Le 3 février 2016, la cour d’appel d’Amiens met en avant les dispositions dérogatoires de l’article L. 1237-15 du Code du travail au bénéfice du salarié protégé, elle se déclare incompétente pour statuer sur la validité d’une rupture conventionnelle autorisée par l’inspecteur du travail. Le salarié se pourvoit en cassation et souligne que l’origine de la rupture est constituée par un harcèlement moral. Il prend appui sur la prohibition générale édictée aux articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du Code du travail imposant, en cas de harcèlement, de prononcer la nullité de l’acte, ici dans le cadre de la seule compétence du juge judiciaire. Sans surprise, la Cour de cassation ne suit pas cette argumentation. Sa réponse est claire : en l’état d’une autorisation administrative accordée à l’employeur et au salarié protégé pour procéder à la rupture conventionnelle, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier la validité de ladite rupture, quand bien même la contestation porte sur la validité du consentement du salarié et que ce dernier soutient que ce consentement a été obtenu à la suite d’un harcèlement moral.
Si le salarié n’a pas été touché par le jeu de la prescription (I), le principe de séparation des pouvoirs a mis un terme à l’action judiciaire (II).
I. D’abord aux termes de l’article L. 1237-14 du Code du travail, le recours juridictionnel doit s’exercer dans un délai de 12 mois à compter de la décision d’homologation. Une fraude dans le recours à la rupture conventionnelle aurait pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription prévu au jour où celui qui l’invoque en a eu connaissance75. Toutefois, si la fraude peut conduire à écarter la prescription annale prévue à l’article L. 1237-14 du Code du travail, c’est à la condition que celle-ci ait eu pour finalité de permettre l’accomplissement de la prescription76. Ce qui n’était pas le cas dans l’espèce rapportée du 20 décembre 2017. Ensuite, si le salarié a disposé du temps nécessaire pour agir avant l’expiration du délai des 12 mois, sa demande en nullité de la convention de rupture introduite postérieurement à ce délai est irrecevable77. Ici, le recours en nullité de la convention de rupture du salarié animateur a été effectué le 22 février 2011, soit moins d’un an après la décision d’autorisation rendue par l’inspecteur du travail, le 26 février 2010, ce qui ne pose pas de difficulté.
II. Alors que la Cour de cassation a admis la validité de la prise d’acte78 ou de la résiliation judiciaire du contrat de travail79, à la seule initiative du salarié protégé, la rupture conventionnelle, explicitement reconnue par le législateur, témoigne d’un mécanisme plus complexe avec l’intervention de l’administration du travail. Elle s’adresse tant au salarié ordinaire qu’au salarié protégé, avec la différence que pour le second, l’autorisation se substitue à l’homologation de la convention. La méthode est présentée à l’article L. 1237-15 du Code du travail, et s’agissant d’une autorisation « valant homologation », le texte apporte dérogation à l’article L. 1237-14 du même code quant à la procédure de la rupture conventionnelle. Il renvoie à plusieurs dispositions du livre IV de la deuxième partie du Code du travail sur les salariés protégés, références à prendre en compte au regard de l’autorisation administrative nécessaire à la validité de la rupture conventionnelle de ce type de travailleurs. Classiquement lors de la procédure spéciale, dans le cadre du contentieux de la rupture du contrat de travail d’un salarié protégé, une règle apparaît, celle de l’autorité de la chose décidée par l’Administration, et un principe bien connu, celui de la séparation des pouvoirs. On le sait, le juge judiciaire ne peut, en l’état d’une autorisation administrative accordée à l’employeur de licencier un salarié protégé, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs80. Il ne peut pas davantage remettre en cause la décision de l’autorité administrative ayant fait application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, lorsqu’une autorisation administrative pour le transfert du contrat de travail d’un délégué du personnel a été accordée à l’employeur, sauf à violer le principe de la séparation des pouvoirs81. D’ailleurs, en 2014, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer sur les limites de la compétence du juge judiciaire au regard d’une rupture conventionnelle « autorisée », au sujet d’un litige portant sur le consentement d’un salarié protégé. S’agissant d’un arrêt de cassation, rendu notamment au visa de l’article L. 1237-15 du Code du travail, elle énonçait que « le juge judiciaire ne peut, en l’état de l’autorisation administrative accordée à l’employeur et au salarié bénéficiant d’une protection mentionnée aux articles L. 2411-1 et L. 2411-2 du Code du travail pour procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail qui les lie et sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier la validité de ladite rupture, y compris lorsque la contestation porte sur la validité du consentement du salarié »82. La formule est, à la lettre près, la même que celle reproduite dans l’arrêt du 20 décembre 2017. En l’espèce, la cour d’appel d’Amiens a parfaitement apprécié le principe de séparation des pouvoirs en indiquant au salarié de « mieux se pourvoir », précision que l’on retrouve également dans une précédente décision de la chambre sociale de la Cour de cassation, en 201583.
François DUMONT
Notes de bas de pages
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1.
Cass. soc., 21 mars 2012, n° 10-30895.
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2.
Cass. soc., 7 mars 2012, n° 11-11311.
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3.
CE, avis, 22 juin 2017, n° 393357.
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4.
Cass. 2e civ., 21 sept. 2017, n° 16-17580.
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5.
CA Aix-en-Provence, 23 mars 2016, n° 15/03114 : JurisData n° 2016-006290.
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6.
Vigneau C., « L’impératif de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail », Dr. soc. 2004, p. 706.
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7.
Cass. soc., 6 mai 1964 : Bull. civ. IV, n° 385.
-
8.
Cass. soc., 17 mars 1970, n° 69-10608.
-
9.
Cass. soc., 28 juin 1989 : Bull. civ. V, n° 484.
-
10.
Cass. soc., 6 juill. 1965 : Bull. civ. IV, n° 558.
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11.
Cass. soc., 20 avr. 1988 : Bull. civ. V, n° 242.
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12.
Cass. soc., 7 juill. 1976 : Bull. civ. V, n° 434.
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13.
Cass. soc., 4 oct. 1979 : Bull. civ. V, n° 697.
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14.
Cass. soc., 24 oct. 2002, n° 01-20034.
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15.
CA Aix-en-Provence, 23 mars 2016, n° 15/03114.
-
16.
Cass. soc., 1er juin 2004, n° 01-46956.
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17.
Cass. soc., 11 juill. 1996, n° 94-16485 : Bull. civ. V, n° 282.
-
18.
Cass. 2e civ., 22 févr. 2007, n° 05-13771 : Bull. civ. II, n° 54.
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19.
Cass. soc., 21 déc. 1988, n° 87-16027 : Bull. civ. V, n° 685.
-
20.
Cass. soc., 30 avr. 1997, n° 95-16650 : Bull. civ. V, n° 157.
-
21.
Cass. soc., 4 févr. 1987, n° 85-13532 : Bull. civ. V, n° 65.
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22.
Cass. soc., 18 nov. 1999, n° 98-11896.
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23.
Cass. 2e civ., 6 juill. 2017, n° 16-20119 : JCP S 2017, 1270, Asquinazi-Bailleux D.
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24.
C. trav., art. R. 4624-39.
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25.
L. n° 2016-1088, 8 août 2016 : JO, 9 août 2016, texte n° 3.
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26.
La Cour de cassation confirme que seuls les délégués du personnel pouvaient naguère être consultés sur les possibilités de reclassement et non les membres du comité d’entreprise (Cass. soc., 30 oct. 1991, n° 87-43801). V. pour une décision plus récente (Cass. soc., 14 juin 2016, n° 14-23825). Elle refuse également la consultation de représentants d’une organisation syndicale (Cass. soc., 21 févr. 1990, n° 88-42125 : Bull. civ. V, n° 72). En cas de délégation unique, il est nécessaire de préciser que la consultation du CE a eu lieu en qualité de délégués du personnel (Cass. soc., 25 févr. 2009, n° 07-42412).
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27.
Cass. soc., 21 sept. 2011, n° 10-14563. L’employeur ne peut s’affranchir de l’obligation qu’à la condition de justifier que son effectif est inférieur à 11 salariés ; v. pour une confirmation récente : Cass. soc., 17 mai 2016, n° 14-22688. Si l’effectif de l’entreprise est d’au moins 11 salariés, l’employeur ne peut s’affranchir de cette obligation que s’il produit un procès-verbal de carence, v. par ex. Cass. soc., 19 févr. 2014, n° 12-23577.
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28.
Cass. soc., 13 nov. 2008, n° 07-41512 : RJS 2009, n° 33. En cas d’entreprise à établissements multiples, l’employeur doit consulter les délégués du personnel de l’établissement concerné et non l’ensemble des délégués du personnel.
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29.
Cass. soc., 30 oct. 1991, n° 87-43801 : RJS 1991, n° 1302 – Cass. soc., 16 sept. 2015, n° 14-15440 : JCP S 2015, act. 350 – Cass. soc., 16 mars 2016, n° 14-13986 : RJS 2016, n° 318.
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30.
Cass. soc., 13 juill. 2004, n° 02-41046 : RJS 2004, n° 138 – Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-45133.
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31.
Lhernould J.-P., « Convoquer les délégués du personnel par voie électronique est permis », JSL 2017, n° 435.
-
32.
Frouin J.-Y., « Un an de jurisprudence vu par le président de la chambre sociale », JSL 2017, n° 443.
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33.
V. infra.
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34.
C. trav., art. L. 1226-11 en cas d’inaptitude professionnelle et C. trav., art. L. 1226-4 en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle.
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35.
Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-16067.
-
36.
Cass. soc., 23 mars 2017, n° 16-13159.
-
37.
Cass. soc., 29 avr. 2003, n° 00-46477.
-
38.
Cass. soc., 15 déc. 2015, n° 14-14688.
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39.
C. trav., art. L. 2316-1 anc.
-
40.
Ord. n° 2017-1386, 22 sept. 2017.
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41.
Cass. soc., 29 avr. 2003, n° 00-46477
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42.
Cass. soc., 22 févr. 2017, n° 16-60123 : Dr. soc. 2017, p. 575, obs. Petit F. ; RDT 2017, p. 433, obs. Odoul-Asorey I. ; JCP S 2017, 1108, note Pagnerre Y. ; JCP G 2017, 1208, note François G. ; Lexbase Hebdo n° 690, éd. sociale, obs. Radé C.
-
43.
L’erreur dans le visa initial (C. trav., art. L. 2141-1 et C. trav., art. L. 2141-1-1) ayant été corrigée par décision ultérieure : Cass. soc., 22 mars 2017, n° 16-60123.
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44.
Cass. soc., 8 juill. 2009, n° 08-60599 : JCP S 2009, 1364, spéc. n° 39, note Pagnerre Y. ; Dr. soc. 2009, p. 90, obs. Morin M.-L.
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45.
C. trav., art. L. 2142-1-1.
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46.
Not. Radé C. in Lexbase Hebdo n° 690, éd. sociale.
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47.
V. Pagnerre Y., JCP S 2017, 1108.
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48.
Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 12-29984 : Dr. soc. 2014, p. 84, obs. Radé C. ; Dr. soc. 2014, p. 180, obs. Petit F. ; RDT 2014, p. 127, obs. Odoul-Asorey I.
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49.
V. not. Borenfreund G., « Le nouveau régime de la représentativité syndicale », RDT 2008, p. 712.
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50.
V. not. Pagnerre Y., JCP S 2017, 1108.
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51.
Cass. soc., 13 févr. 2013, nos 12-19662 et 12-19663 : JCP S 2013, 1230, note Guyot H.
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52.
C. trav., art. L. 2135-1 et s.
-
53.
C. trav., art. D. 2135-8 ; D. n° 2009-1665, 28 déc. 2009.
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54.
Ibid.
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55.
Pagnerre Y., JCP S 2017, 1108.
-
56.
La publicité des comptes est le corollaire de la transparence, elle-même corollaire de la démocratie sociale (Guillon C. et Piekut E., « Les acteurs des relations collectives de travail à l’épreuve de la transparence financière », JCP S 2014, 1307) : « Il s’agit bien d’une condition de légitimité dans l’action, permettant au syndicat de fonctionner normalement » (Petit F., Dr. soc. 2017, p. 575).
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57.
L. n° 2014-288, 5 mars 2014, relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale : JCP E 2014, act. 201 ; obligation d’établir un rapport de gestion : en ce sens, v. Vatinet R., « Les ressources des comités d’entreprise », Dr. soc. 2014, p. 711.
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58.
Ce que certains peuvent regretter : v. not. Radé C. in Lexbase Hebdo, n° 690, éd. Sociale.
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59.
Cass. soc., 29 févr. 2012, n° 11-13748 : JCP S 2012, 1168, note Gauriau B. ; Dr. soc. 2012, p. 529, obs. Pécaut-Rivolier L.
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60.
Pagnerre Y., JCP S 2017, 1108..
-
61.
Rapp. C. cass., 2012, Paris, La documentation française, p. 424.
-
62.
C. trav., art. R. 2122-36, 4° ; Cass. soc., 9 sept. 2016, n° 16-20575 : JCP S 2016, 1365, note Dauxerre L. ; Dr. soc. 2016, p. 1070, note Petit F. – Circ. DGT/RT2/2016/162, 23 mai 2016, fiche 2, pt 2.
-
63.
La Cour s’éloignant des textes de statuts pour vérifier le respect effectif de ces valeurs, v. arrêt Confédération nationale du travail (CNT) (statuts prônant l’abolition de l’État) : Cass. soc., 13 oct. 2010, n° 10-60130 : Bull. civ. V, n° 235 ; D. 2011, p. 289, obs. Perrin L., note Petit F. ; Dr. soc. 2011, p. 112, obs. Radé C. ; RDT 2010, p. 728, obs. Tissandier H. ; Favennec-Héry F., « La représentativité syndicale », Dr. soc. 2009, p. 630 ; Pagnerre Y., « Le respect des valeurs républicaines ou “l’éthique syndicale” », JCP S 2009, 1050 ; Statuts dénonçant la domination de l’État français sur la Corse, pour le Syndicat des travailleurs corses (STC) : Cass. soc., 9 sept. 2016, n° 16-20605 : D. 2017, p. 2270, obs. Lokiec P. et Porta J. ; Dr. soc. 2016, p. 966, obs. Mouly J. ; RDT 2016, p. 715, obs. Odoul-Asorey I.
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64.
Cass. soc., 27 sept. 2017, nos 16-60238 et 16-60264 : Lexbase Hebdo n° 715, 2017, éd. sociale, obs. Auzero G.
-
65.
Pagnerre Y., « Libres propos prospectifs sur la formation du contrat », préc.
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66.
JO, 26 juin 2008, p. 10224.
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67.
C. trav., art. L. 1237-11, al. 3.
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68.
C. trav., art. L. 1237-12.
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69.
Cass. soc., 29 janv. 2014, n° 12-27594 : Bull. civ. V, n° 39 ; RJS 2014, n° 316, 1re esp. – Confirmation Cass. soc., 19 nov. 2014, n° 13-21207.
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70.
Cass. soc., 3 juill. 2013, n° 12-19268 : Bull. civ. V, n° 178.
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71.
C. trav., art. L. 1137-14, al. 1.
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72.
Circulaire relative à l’examen de la demande d’homologation d’une rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée.
-
73.
Circulaire relative à l’examen de la demande d’homologation d’une rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée, spéc. p. 5.
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74.
C. trav., art. L. 1237-14, al. 4.
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75.
Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-16996.
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76.
Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-16996.
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77.
Cass. soc., 6 déc. 2017, n° 16-20220.
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78.
Cass. soc., 25 janv. 2006, nos 04-41204 et 04-41205 : RJS 2006, n° 472.
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79.
Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-40251 : Bull. civ. V, n° 94 ; RJS 2005, n° 534.
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80.
Cass. soc., 10 févr. 1999, n° 95-43561 : Bull. civ. V, n° 64.
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81.
Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-42614 : Bull. civ. V, n° 154.
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82.
Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-21136 : Bull. civ. V, n° 91.
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83.
Cass. soc., 15 avr. 2015, n° 13-22148.