Désignation du délégué syndical : la renonciation par anticipation n’est pas autorisée !

Par un arrêt rendu le 22 janvier 2025, la Cour de cassation juge qu’un candidat ne peut par avance renoncer au droit d’être désigné délégué syndical avant le premier tour des élections professionnelles au comité social et économique.
Dans un arrêt du 22 janvier 2025, publié au Bulletin, la haute juridiction de l’ordre judiciaire apporte une précision importante sur les modalités de renonciation des candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages valablement exprimés au premier tour des élections professionnelles au droit d’être désigné délégué syndical.
Pour mémoire, le Code du travail prévoit que, dans les entreprises de plus de 50 salariés, les organisations syndicales représentatives doivent, en priorité, désigner comme délégué syndical les candidats ayant obtenu, à titre personnel, au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique (CSE).
En vue de limiter les cas de carence de délégué syndical dans ces entreprises, la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 avait néanmoins introduit la possibilité pour les organisations syndicales représentatives de désigner comme délégué syndical un candidat n’ayant pas obtenu 10 % des suffrages aux dernières élections professionnelles, ou, à défaut, un simple adhérent au sein de l’entreprise ou un ancien élu ayant atteint la limite de trois mandats successifs, notamment lorsque l’ensemble des candidats qui remplissaient la condition d’audience personnelle ont renoncé par écrit à leur droit d’être désigné délégué syndical.
Mais cette renonciation peut-elle intervenir avant l’organisation du scrutin des élections professionnelles au CSE ?
Dans cet arrêt, la Cour de cassation tranche, pour la première fois, cette question.
En l’espèce, une unité économique et sociale a organisé les élections professionnelles des membres représentants du CSE. Le premier tour des élections professionnelles s’est tenu le 21 novembre 2019.
Par un courriel en date du 18 juillet 2023, une organisation syndicale représentative a informé l’employeur de la désignation de nouveaux délégués syndicaux. Toutefois, ces derniers n’avaient pas été candidats au premier tour des élections professionnelles.
Pour justifier ces nouvelles désignations, le syndicat soutenait notamment que les 28 candidats, qu’il avait présentés au premier tour des dernières élections professionnelles, avaient tous renoncé à leur priorité de désignation au moment de remplir le formulaire de candidature, soit avant même le premier tour desdites élections.
Saisie par les sociétés composant l’unité économique et sociale, la Cour de cassation annule ces désignations et confirme le jugement rendu par le tribunal de proximité de Vanves.
La haute cour retient, en effet, que les renonciations formulées par les candidats du syndicat ne sont pas valables dès lors que, d’une part, un salarié ne peut pas renoncer par anticipation à un droit qu’il ne détient pas encore et, d’autre part, que ces renonciations n’ont pas été confirmées postérieurement à la proclamation des résultats.
Ainsi, le syndicat ne pouvait valablement désigner comme délégué syndical de simples adhérents n’ayant pas été candidats lors des dernières élections professionnelles dès lors que les candidats remplissant la condition d’audience personnelle de 10 % n’avaient pas régulièrement renoncé à leur droit d’être désigné délégué syndical.
Ce nouvel arrêt est l’occasion de rappeler les règles pratiques de désignation du délégué syndical (I) et de revenir sur la jurisprudence abondante de la Cour de cassation en matière de renonciation au droit d’être désigné délégué syndical (II).
I – La désignation du délégué syndical (C. trav., art. L. 2143-1 à L. 2143-23)
Depuis la loi du 20 août 2008 portant sur la rénovation de la démocratie sociale et introduisant notamment les critères de représentativité syndicale prévus à l’article L. 2121-1 du Code du travail, seules les organisations syndicales représentatives (ci-après « OSR ») peuvent désigner un délégué syndical1.
En pratique, cette désignation doit impérativement respecter des conditions légales (A) et son régime de contestation est encadré par la loi (B).
A – Les conditions de désignation
Avant de désigner un délégué syndical en entreprise, chaque organisation syndicale représentative est, en principe, tenue de respecter la condition d’âge (1) et d’effectifs (2) prévue par la loi.
1 – Condition d’âge
L’article L. 2143-1 du Code du travail prévoit que le délégué syndical doit :
- être âgé de 18 ans révolus ;
- disposer d’une ancienneté minimale d’un an (réduit à quatre mois en cas de création d’entreprise) ;
- ne pas avoir fait l’objet d’une interdiction, déchéance ou incapacité relative à ses droits civiques.
L’article L. 2143-2 du même code vient préciser que la condition d’ancienneté est réduite à six mois pour les salariés temporaires.
2 – Conditions d’effectifs
En matière de désignation du délégué syndical, le Code du travail opère une distinction de principe entre les entreprises de moins de 50 salariés et celles de plus de 50 salariés.
Entreprise de moins de 50 salariés (C. trav., art. L. 2143-6) :
Les organisations syndicales représentatives peuvent désigner comme délégué syndical un membre du CSE (désignation dite « dérogatoire »).
Sauf dispositions conventionnelles contraires, ce mandat de délégué syndical n’ouvre pas droit à un crédit d’heures de délégation. En pratique, pour l’exercice de son mandat syndical, le délégué syndical utilisera son crédit d’heure d’élu CSE.
Entreprise de plus de 50 salariés (C. trav., art. L. 2143-3 à L. 2143-5) :
Rappel : L’effectif de 50 salariés doit être atteint pendant 12 mois consécutifs2.
Seules les OSR qui constituent une section syndicale peuvent désigner un délégué syndical3.
En principe, le délégué syndical doit remplir une condition d’audience personnelle (au moins 10 % des suffrages valablement exprimés au premier tour des dernières élections au CSE).
Par exception, si (conditions alternatives) :
- aucun candidat présenté par l’OSR ne remplit cette condition ;
- ou, il ne reste, dans l’entreprise ou l’établissement, plus aucun candidat remplissant cette condition ;
- ou, tous les élus remplissant cette condition de 10 % ont renoncé par écrit à leur droit d’être désigné délégué syndical.
Alors, le syndicat peut exceptionnellement désigner un délégué syndical parmi les autres candidats, ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou l’établissement, ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de mandats successifs (limitée à trois par la loi, sauf dispositions conventionnelles contraires).
B – Le régime juridique de contestation (C. trav., art. L. 2143-8) :
Les contestations relatives à la désignation des délégués syndicaux relèvent de la compétence du juge judiciaire.
L’action en justice doit, à peine d’irrecevabilité, être exercée dans un délai de 15 jours suivant l’affichage du nom du ou des délégué(s) syndical(aux) sur les panneaux réservés aux communications syndicales (formalités prévues à l’article L. 2143-7, al. 1er, du Code du travail).
Enfin, il est à rappeler que, passé ce délai de 15 jours, la désignation du délégué syndical est purgée de tout vice sans que l’employeur puisse soulever ultérieurement une irrégularité pour priver le délégué syndical de l’exercice d’une prérogative.
II – Panorama de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de renonciation au droit d’être désigné délégué syndical
Plus de 15 ans après son entrée en vigueur, l’article L. 2143-3 du Code du travail continue d’alimenter la jurisprudence sociale :
Un syndicat représentatif peut désigner comme délégué syndical un adhérent, à condition que tous les élus ou tous les candidats que l’organisation syndicale a présentés aux dernières élections professionnelles aient renoncé à être désignés délégué syndical4 .
Un syndicat peut désigner un salarié candidat sur la liste d’un autre syndicat, qui a obtenu au moins 10 % des voix et qui l’accepte librement, sans avoir préalablement proposé à l’ensemble des candidats ayant obtenu au moins 10 %, toutes listes syndicales confondues, d’être désigné délégué syndical5.
La renonciation des candidats éligibles au mandat de délégué syndical doit être antérieure à la désignation de l’adhérent comme délégué syndical6.
La renonciation au droit d’être désigné délégué syndical est celle des candidats présentés par l’OSR ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés. Dès lors que ces candidats ont tous renoncé, l’OSR peut désigner un adhérent comme délégué syndical sans qu’il soit besoin que les autres candidats – n’ayant pas obtenu au moins 10 % – renonce aussi à cette désignation7.
La renonciation des candidats ayant obtenu au moins 10 % aux dernières élections professionnelles au droit d’être désigné délégué syndical ne peut pas intervenir avant le résultat du scrutin8.
Autres précisions utiles sur la désignation du délégué syndical :
La jurisprudence précise également que l’OSR peut désigner un ancien délégué syndical réintégré à la suite de l’annulation de la demande de licenciement9 ou un candidat ayant obtenu 10 % lors des élections réalisées dans l’entreprise transférée en cas de transfert d’activité sans maintien de l’autonomie juridique10.
S’agissant du périmètre de désignation, le syndicat doit être représentatif au niveau de l’établissement pour désigner un délégué syndical d’établissement. Sa représentativité au niveau de l’entreprise (UES) ne suffit pas11 ;
Enfin, l’OSR peut désigner un délégué syndical « au sein de l’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques »12.
Conclusion. Aujourd’hui, la question de la désignation du délégué syndical continue de nourrir un contentieux abondant devant le tribunal judiciaire. L’émergence croissante de ce type de contentieux s’explique notamment par la complexité des règles de désignation des représentants syndicaux en entreprises.
Depuis la loi du 20 août 2008, l’article L. 2143-3 du Code du travail a subi plusieurs modifications législatives importantes afin de garantir une adaptation aux évolutions économiques et sociales vécues en entreprise et une meilleure représentation syndicale.
Toutes ces réformes législatives visant à améliorer la représentation syndicale en entreprise exigent nécessairement des précisions jurisprudentielles sur les contours des nouveautés légales.
Plus de 15 ans après son entrée en vigueur, l’article L. 2143-3 du Code du travail continue d’alimenter une jurisprudence sociale déjà abondante…
Notes de bas de pages
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1.
C. trav., art. L. 2143-3.
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2.
C. trav., art. L. 2143-3, al. 3.
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3.
C. trav., art. L. 2143-3, al. 1er.
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4.
Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 19-14.605, B – Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-24.678, B.
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5.
Cass. soc., 27 févr. 2013, n° 12-15.807, B – Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 19-14.605, B.
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6.
Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-24678, B.
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7.
Cass. soc., 5 avr. 2023, n° 21-24752, B.
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8.
Cass. soc., 22 janv. 2025, n° 23-22.216, B.
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9.
Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 13-11.301, B.
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10.
Cass. soc., 19 févr. 2014, n° 13-14.608, B.
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11.
Cass. soc., 14 déc. 2010, n° 10-14.751, B.
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12.
C. trav., art. L. 2143-3, al. 4 – Cass. soc., 29 sept. 2021, n° 20-15.870.
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13.
Cass. soc., 19 avr. 2023, n° 21-23.348, B.
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14.
Cass. soc., 19 avr. 2023, n° 21-23.348, B.
Référence : AJU016y1
