La validation du barème Macron par la Cour de cassation
Par deux décisions attendues, la chambre sociale juge que le barème d’indemnisation du salarié licencié en l’absence d’une cause réelle et sérieuse, tel qu’organisé par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 s’impose aux juges du fond. Il met fin aux incertitudes liées à l’invocation devant les juges du fond de certaines dispositions conventionnelles qui parfois étaient suivies pour écarter le barème. Celui-ci n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui est d’effet direct en droit interne. Le juge français ne peut mettre à l’écart, même au cas par cas, l’application de ce barème au regard de cette convention internationale dès lors que les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du Code du travail sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée. Partant, les juges du fonds doivent apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L. 1235-3 du Code du travail. Par ailleurs, la loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à la Charte sociale européenne. Cette dernière n’est pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. L’invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application du barème.
Cass. soc., 11 mai 2022, no 21-14490
Cass. soc., 11 mai 2022, no 21-15247
L’ordonnance du 22 septembre 2017 a établi, à l’article L. 1235-3 du Code du travail, un barème qui détermine l’indemnité que doit verser l’employeur à un salarié lorsqu’il le licencie sans cause réelle et sérieuse. Ce barème, fixé au regard du salaire du salarié, tient compte de l’ancienneté de ce dernier dans l’entreprise. Le niveau d’indemnisation est ainsi strictement encadré : la somme est soumise à un plancher et à un plafond1. En 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré ce mécanisme conforme à la Constitution2. Pour autant, par la suite, plusieurs juridictions du fond ont résisté, allouant des indemnités supérieures3. La Cour de cassation avait certes été saisie de demandes d’avis4. Cependant jusqu’à présent, elle ne s’était pas prononcée dans le cadre contentieux.
Dans les deux arrêts commentés, les salariés et syndicats ont contesté la conformité du barème aux conventions internationales signées par la France.
Dans une des décisions (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-15247), rejetant le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Nancy, la Cour de cassation se prononce sur la portée de la Charte sociale européenne. Elle écarte son applicabilité directe.
Cette convention reposant sur une logique programmatique, elle ne permet pas un contrôle de conformité5. Ceci empêche les juges de se prononcer sur la compatibilité du droit interne à cette dernière. La porte est ainsi clairement fermée, l’analyse du barème aussi. C’est dire que cette décision ne permet pas de trouver une issue juridique à la querelle concernant son instauration. Elle reste toutefois conforme à la stricte orthodoxie juridique. L’article 24 de la Charte prévoit que les États signataires s’engagent à reconnaître aux salariés qui ont été licenciés sans motif valable le droit à « une indemnité adéquate ». Bien que proche des termes de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, le texte impose aux États qu’ils traduisent dans leur ordre juridique les objectifs qu’il leur fixe. Le contrôle de son respect est confié au seul Comité européen des droits sociaux. Des réclamations peuvent ainsi être portées devant cette instance. Mais sa saisine n’a pas de caractère juridictionnel. Les décisions qu’elle prend n’ont pas de caractère contraignant.
On peut toutefois se poser la question de savoir quel impact aura sur notre droit une prochaine appréciation du droit français par le Comité. Ce dernier considère déjà que les barèmes finlandais et italiens ne permettent pas toujours d’indemniser de façon adéquate les salariés licenciés sans motif valable6. Depuis, il a été saisi de réclamations portant sur le barème français7. Les recommandations qui seront formulées seront adressées au gouvernement français. Les partenaires sociaux ne manqueront pas de s’en emparer si le dispositif n’est pas jugé conforme. Ce ne pourrait donc être que partie remise. L’impact est déplacé dans l’avenir, directement sur le terrain politique.
Dans l’autre décision (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-14490) portant cassation pour violation de la loi d’un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, la chambre sociale apporte manifestement plus d’enseignements, bien qu’une partie des critiques liées à l’existence d’un barème ne soit pas abordée. Elle procède à une analyse détaillée de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. La Cour de cassation considère expressément que le dispositif français dans son ensemble y est conforme. De manière plus implicite, elle juge que le contrôle in concreto n’est pas possible au risque de créer une inégalité face à la loi.
Cet arrêt présente la particularité de donner une appréciation du barème non pas de manière isolée, mais en contemplation de son environnement législatif. En cela, deux paragraphes de la décision doivent être relevés : « Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du Code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée. » De cette manière, le mécanisme, tel qu’institué, est jugé conforme parce que, précisément, le principe du barème, tel que posé par les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail, est complété par celles des articles L. 1235-1 et L. 1235-4 qui en instituent les dérogations et le prolongent. Le sort du barème semble dépendre des voies complémentaires d’indemnisation laissées aux tribunaux.
Rappelons que l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail, jugé comme suffisamment clair et inconditionnel, stipule qu’en cas de « licenciement injustifié », le juge doit pouvoir ordonner le versement d’une indemnité « adéquate » ou « toute autre forme de réparation considérée comme appropriée au salarié ». Il convient de noter que la notion de « licenciement injustifiée » ne se retrouve pas dans notre droit. Elle correspond au licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Plus largement elle inclut aussi le licenciement nul. C’est-à-dire8 s’il est prononcé en violation d’une liberté fondamentale9, en lien avec une situation de harcèlement moral ou sexuel, décidé de manière discriminatoire. Reste ensuite à savoir ce qu’est une indemnité « adéquate » qui n’est pas plus utilisée en droit interne. Assurément, elle ne se confond pas avec la notion de réparation intégrale. À ce propos, les juges de cassation reprenant la décision rendue par le Conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail10, mentionnent que l’indemnité doit, d’une part, être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et, d’autre part, raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi. Sur ce second point, le droit français tel qu’il organise l’applicabilité du barème permet une indemnisation « raisonnable » du licenciement injustifié. Ainsi, l’indemnisation des licenciements nuls n’y est pas soumise : lorsque le juge constate l’existence d’une des nullités prévues et lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge octroie une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Le plafond du barème est ainsi écarté et un minimum généralisé, quelle que soit l’ancienneté.
Ainsi, pour la chambre sociale, le barème tient compte de l’ancienneté du salarié et de son niveau de rémunération, et son application dépend de la gravité de la faute commise par l’employeur dans le cadre d’un licenciement injustifié. En cela, le mécanisme instauré est considéré comme adéquat et permet une indemnisation raisonnable. En complément, le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est assuré par l’application d’office par le juge de l’article L. 1235-4 du Code du travail : dans le cas prévu à l’article L. 1235-3 du même code, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé11. Certes, cette somme n’est pas versée au salarié. Mais elle sera décaissée par l’employeur, ce qui, pour la Cour de cassation, permet de jouer un rôle dissuasif. Elle a aussi l’intérêt d’être prévisible pour celui-ci.
La chambre sociale est moins explicite, dans sa motivation, concernant l’interdiction du contrôle aux cas par cas. Même si ce n’est pas clairement affirmé, dès lors que la loi fixe les conditions d’indemnisation dans le cadre du barème ou en dehors de celui-ci, on ne peut concevoir que le juge y déroge lorsque les conditions sont réunies. Doit être cassée la décision qui, pour condamner l’employeur au paiement d’une somme supérieure au montant maximal prévu par le barème, considère que « ce montant ne permet pas, compte tenu de la situation concrète et particulière de la salariée, une indemnisation adéquate et appropriée ». Dans ses avis du 17 juillet 2019, la Cour de cassation avait décidé que la compatibilité d’une disposition de notre droit avec les dispositions de normes européennes et internationales pouvait être l’objet d’une demande d’avis, sous réserve que cet examen conduise à un contrôle abstrait, hors toute analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond. On a pu en déduire que les juges du fond pourraient procéder à un contrôle, in concreto, de la compatibilité des dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail avec les stipulations de l’article 10 de la Convention, alors même que ces dispositions ont été jugées compatibles in abstracto avec celle-ci12. La chambre sociale écarte cette possibilité. Ceci serait contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi, reconnu par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. En réalité, un tel contrôle in concreto aurait entraîné une remise en cause de l’application du barème. Selon les cas d’espèce, une pluralité de solutions auraient vu le jour, que la chambre sociale ne pourrait contrôler. Le risque aurait été de substituer au barème du législateur des barèmes de juges, comme autrefois, imprévisibles.
Si cette décision a le mérite de fixer la situation au regard des engagements internationaux de la France, elle apprend peu sur le mécanisme institué du point de vue de l’idée de réparation du préjudice. Au demeurant, de ce concept on glisse à celui « d’indemnisation adéquate »13. Le changement de paradigme est patent. Ce qui est adéquat en termes d’indemnisation n’est pas nécessairement proportionné au préjudice effectivement subi. Les termes du débat relatifs au barème sont biaisés compte tenu de la difficulté à définir un terme de comparaison permettant d’apprécier si l’indemnité est adéquate ou appropriée14. Or, dans le cadre de l’article 24 de la Convention dont il s’agit, l’indemnité doit être adaptée à son but : assurer l’effectivité du droit à la protection du salarié en cas de licenciement injustifié. Autrement dit, l’indemnité adéquate n’est pas celle qui répare intégralement le préjudice causé par le licenciement injustifié mais celle qui permet à la sanction d’être de nature à assurer une protection juridictionnelle effective des droits du salarié15. Cette logique est traduite dans l’avis du comité chargé d’examiner la réclamation concernant la France. Ce rapport propose au conseil d’administration de l’Organisation du travail d’inviter le gouvernement « à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif ».
Le cadre est donné. Pour autant, il n’est que pécuniaire. Ce cadre n’est pas conceptuel. Le Code du travail ne précise pas ce qu’indemnise la somme à laquelle un employeur est condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ceci fragilise le mécanisme dans son fondement, mais le consolide dans sa finalité principielle : être un instrument de gestion du risque, prévisible pour tous dans une fourchette quantifiée dans sa base16… à moins que l’employeur, de par la gravité de sa faute, soit sanctionné par l’incertitude totale de l’appréciation d’un juge du préjudice dont toute l’étendue sera alors réparée souverainement. Pour autant, il peut avoir un effet pervers : la multiplication des demandes permettant le déplafonnement.
Notes de bas de pages
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1.
Les montants minimaux et maximaux prévus par l’article L. 1235-3 du Code du travail sont exprimés en mois de salaire brut : not. Cass. soc., 15 déc. 2021, n° 20-18782.
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2.
Cons. const., DC, 21 mars 2018, n° 2018-761 : D. Baugard, et J. Morin, « La constitutionnalité du barème impératif des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse », Dr soc. 2018, p. 718 et s.
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3.
V. not. J. Marrocchella, « Le barème Macron à l’épreuve de la jurisprudence », JCP G 2020, nos 31-35.
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4.
Cass. soc., avis, 17 juill. 2019, nos 19-70010 et 19-70011
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5.
Dans le cadre de décisions relatives aux conventions de forfait-jours, au sujet desquelles des critiques avaient été formulées à plusieurs reprises par le CEDS au regard de la Charte, la chambre sociale a déjà écarté son effet direct : Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71107.
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6.
Réclamation n° 106/2014 pour la Finlande ; réclamation n° 158/2017 pour l’Italie.
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7.
Réclamation n° 171/2018.
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8.
Les nullités sont afférentes à : 1° La violation d’une liberté fondamentale ; 2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ; 4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ; 5° Un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l’exercice de son mandat ; 6° Un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-1.
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9.
La qualification de liberté fondamentale est reconnue : à la liberté syndicale, en vertu de l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-43277 – Cass. soc., 9 juill. 2014, nos 13-16434 et 13-16805 – au droit de grève protégé par l’alinéa 7 du même Préambule : Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-20527 – au droit à la protection de la santé visé par l’alinéa 11 du même Préambule : Cass. soc., 11 juill. 2012, n° 10-15905 – Cass. soc., 29 mai 2013, n° 11-28734 – au principe d’égalité des droits entre l’homme et la femme institué à l’alinéa 3 du même Préambule : Cass. soc., 29 janv. 2020, n° 18-21862 – au droit à un recours juridictionnel en vertu de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : Cass. soc., 21 nov. 2018, n° 17-11122 – à la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la CES : Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-10557 : Bull. V, n° 140 – Cass. soc., 19 janv. 2022, n° 20-10057.
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10.
Réclamation (art. 24) – Venezuela, C095, C158, 1997.
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11.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
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12.
V. not. C. Nivard, « L’obscure clarté du rejet de l’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée », Dr. soc. 2019, p. 792.
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13.
On peut noter que devant la Cour ESDH il s’agit de la « satisfaction équitable ».
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14.
C. Quézel-Ambrunaz, « L’encadrement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse à l’épreuve de la logique de réparation des dommages », RDT 2019, p. 677.
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15.
G. Loiseau, « Conventionnalité du barème : le débat est ouvert », JCP 2018, 1367.
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16.
La chambre sociale a admis l’existence de quelques préjudices distincts résultant de la rupture du contrat de travail et pouvant être réparés par le versement de dommages et intérêts complémentaires : – le préjudice moral causé par les circonstances vexatoires ayant accompagné le licenciement, distinct de celui résultant de la perte de l’emploi : not. Cass. soc., 19 juill. 2000, n° 98-44025 – le préjudice résultant de l’impossibilité pour le salarié, du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, de lever les options sur titres, cette levée étant réservée aux salariés présents dans l’entreprise à la date où cette opération était possible : not. Cass. soc., 29 sept. 2004, n° 02-40027 – le préjudice lié à la perte d’une chance de pouvoir bénéficier de l’avantage de retraite applicable dans l’entreprise : not. Cass. soc., 31 mai 2011, n° 09-71504 – le préjudice lié à la détérioration de l’état de santé du salarié, imputable au comportement fautif de l’employeur, avant un licenciement prononcé pour inaptitude : not. Cass. soc., 2 mars 2011, n° 08-44977 – le préjudice résultant de la perte d’une chance de réaliser un gain en étant privé de la possibilité de différer la délivrance des actions ou parts acquises dans un plan d’épargne d’entreprise : not. Cass. soc., 16 janv. 2008, n° 06-40543 – le préjudice résultant de la perte du taux préférentiel accordé aux salariés de l’entreprise à la suite de son licenciement : not. Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-69515 – le préjudice résultant de la perte de chance de percevoir une pension de retraite supplémentaire : not. Cass. soc., 28 avr. 2011, n° 09-69125 – le préjudice résultant de l’impossibilité de participer à deux formations auquel le salarié s’était inscrit dans le cadre du plan de formation annuel de l’employeur : not. Cass. soc., 21 sept. 2010, n° 09-41107.
Référence : AJU004z5