Méditation au travail : apprendre à ralentir pour mieux se recentrer

Publié le 07/06/2018

C’est un phénomène à la mode : les salariés ont de plus en plus accès à la méditation sur leur lieu de travail, soit en y étant encouragés par leur entreprise, soit en prenant le temps de méditer de façon personnelle. Si les résultats sur la concentration, l’efficacité, ont fait leur preuve — sans être une méthode « miracle », ce que précisent bien les instructeurs —, il faut aussi que les salariés restent libres de cette pratique pour que la méditation ne soit pas « instrumentalisée » par l’entreprise.

Sérénité, relaxation, méthodes anti-stress, épanouissement… Mais qu’arrive-t-il aux lieux de travail ? Entre l’atelier de tambour japonais chez Airbnb, les start-up qui proposent sauna et billards sur fond musical rock à leurs employés, et Google qui offre des séances de méditation, la quête du bonheur au travail — ou son mirage — continue de révolutionner le monde de l’entreprise. « Le trio métro-boulot-dodo, très peu pour la nouvelle génération !, lâche Sybille von de Fenn, psychologue et psychothérapeute, formée à la méditation de pleine conscience (état de conscience pendant lequel l’attention est ancrée sur l’instant présent, NDLR) et membre de l’association pour le développement de la mindfulness (pleine conscience, NDLA). Aujourd’hui, les jeunes veulent s’épanouir au travail » ! Dans l’introduction de son ouvrage : La pleine conscience, pour travailler en se faisant du bien (éditions Eyrolles), Thierry Chavel, entre autres professeur à Paris 2-Assas et co-responsable du master de coaching au CIFFOP (grande école universitaire des métiers RH), renchérit : « Le travail salarié, qui s’est tant généralisé au siècle précédent, ne fait plus rêver à l’ère post-industrielle. On découvre que le suicide et la dépression sont le lot de la vie de bureau, que la promotion hiérarchique n’abolit pas le déplaisir, et que le confort matériel n’apporte pas un surcroît de sens dans nos vies, bien au contraire ». Pour Emmanuel Faure, coach et instructeur MBSR (réduction du stress basée sur la pleine conscience, NDLA), « On est arrivé à un niveau de souffrance en constante augmentation, avec des symptômes physiques professionnels et personnels identifiables. Ça se manifeste en burn out, notre taux de suicide est colossal ! Pour paraphraser Pierre Rabhi, nous sommes à la veille d’une métamorphose, on vit quelque chose de l’ordre de la mutation. À l’instar de la planète qui ne peut plus supporter ce qu’on lui inflige, notre intériorité non plus ne peut plus supporter ce qu’on lui inflige », lâche-t-il. D’où la nécessité de changement, d’adaptabilité que l’on perçoit déjà dans le monde du travail : progressivement, la culture communautaire, le collaboratif prennent le pas, on assiste à la naissance de l’entreprise libérée etc., souligne-t-il. Alors tendance de fond ou îlots de résistance ? En attendant, dans un contexte où les nouvelles technologies ont « déplacé le bureau à la maison » et ont « tué les temps morts », insiste Thierry Chavel, comment gérer le stress ? La question se pose pour des populations nomades, notamment des consultants, des avocats, des commerciaux… mais aussi pour des individus plus sédentaires », poursuit-il.

La recherche d’un autre modèle

Parmi les techniques qui ont le vent en poupe, « le recours à l’homéopathie, décider de se mettre au vert ou encore tester une année sabbatique », avance Thierry Chavel. Et… la méditation. « Il y a quinze ans, aucun journaliste ne s’y intéressait ! », s’amuse Emmanuel Faure. Ce dernier a exercé de nombreux postes à responsabilité, et de son aveu, a « connu de grandes souffrances au travail ». Après un énième épisode de stress intense, il se met à la méditation, d’abord « égoïstement », le reconnaît-il, puis jusqu’à devenir instructeur. Il prend d’abord connaissance des travaux menés par l’université de médecine de Boston, complètement novatrice, et à ses yeux, une véritable « caution rationnelle, laïque et scientifique » d’une pratique à l’époque taxée de « secte » ! Comme les choses ont changé depuis…

De mieux en mieux acceptée, la méditation suscite un intérêt généralisé. « La bonne nouvelle, c’est que la méditation de pleine conscience est une réponse à un besoin d’être et moins à un besoin d’action », analyse Thierry Chavel. Méditer permet « de faire de la place à la vie dans des vies professionnelles où le vide n’existe pas ». Pour reprendre une métaphore 2.0, méditer c’est mettre sa vie sur « pause dans une vie en phase forward » où le temps présent n’est jamais suffisant face aux montagnes de tâches que nous nous assignons. Parce que bien sûr, le monde de l’entreprise est « celui de la performance, celle de faire toujours mieux, toujours plus », souligne Sibylle von de Fenn. Et donc celui d’un stress, à la fois liés à cette recherche de la performance, mais aussi à des facteurs intérieurs, pollués par de nombreuses injonctions morales comme « il faut », « je dois » que l’on s’impose à soi-même. Pourtant, aux yeux de Thiery Chavel, l’équation « plus de performance = moins de sens » n’est pas une fatalité.

 Envisager la méditation de pleine conscience ?

« Dans la méditation, aucun résultat n’est recherché, sinon de porter son attention sur le moment présent », éclaire Sybille von de Fenn. Elle aime utiliser l’image d’un bocal de sable et d’eau que l’on mélangerait, ce qui symbolise l’agitation intérieure : l’eau finit toujours par s’éclaircir. La méditation a montré ses bienfaits sur l’état général de santé, sur les cancers en pratique complémentaire des traitements classiques… En effet, la méditation de pleine conscience met l’accent sur l’importance du présent, le fait d’être au monde à un instant T, permet « de muscler sa concentration, son attention aux choses, aux sensations, à son souffle, en somme d’entrer dans sa propre intimité. Et plus on est conscient de ce qui est présent, plus on devient acteur de sa vie », assure Emmanuel Faure, avant de contester l’étiquette « miracle » proclamée par « quelques margoulins qui en font un business ». « Dans l’imaginaire collectif, la méditation c’est être zen, dans un beau paysage, la mer en horizon. Rien n’est moins vrai », précise-t-il. L’instructeur insiste bien sur le sérieux, la rigueur nécessaire pour que la méditation soit efficace. « D’après des études scientifiques, les effets significatifs se font sentir grâce à une pratique intensive d’une heure par jour pendant 2 mois ». Pas question de faire de la méditation « un outil prêt-à-l’emploi » pour se relaxer, précise Sybille von de Fenn. Ça ne doit pas devenir un « phénomène à la mode qui va être galvaudé et va perdre son esprit initial ». Pour ceux qui voudraient « seulement » se relaxer, c’est raté : « La méditation, ce n’est pas de la relaxation ! ». La relaxation abaisse la vigilance, tandis que la « pratique régulière de la méditation élargit la conscience au lieu de la diminuer ! Le meilleur exemple des résultats c’est le Buddha : il est quand même resté 40 ans sous son arbre, et il était persuadé que l’observation de soi permettait de tout savoir et de tout connaître en s’observant », analyse-t-elle.

Mais force est de constater que la méditation peut apporter son lot d’effets positifs, en permettant « par sa pratique prolongée, de mieux réaliser d’où vient son agitation, son anxiété. Ce qui amène aussi à une connaissance plus approfondie de soi », selon Sybille von de Fenn. Emmanuel Faure dénombre trois points positifs découlant de la pratique régulière de la méditation. « Quand je suis contacté, c’est d’abord par le biais des ressources humaines, quand ils se rendent compte du niveau de souffrance, de l’absentéisme des salariés. Ils veulent accéder aux bénéfices liés à la réduction de la souffrance au travail. De nombreuses recherches identifient en effet l’impact de la méditation sur la résilience, la régulation émotionnelle, sur sa capacité à retrouver son calme et l’énergie d’aller au travail ». Et de citer une étude réalisée en Angleterre chez l’équivalent de la RATP qui montre que sur le panel d’employés formant la population expérimentale, « le taux d’absentéisme lié au stress avait diminué de 70 % ! ». Les deux autres raisons principales visées par les dirigeants sont la recherche d’efficacité : en ce qui les concerne, prendre du recul permet d’améliorer leur niveau de discernement, et donc de prendre de meilleures décisions pour leur entreprise. Enfin, la méditation développe l’intelligence émotionnelle et l’empathie, la compassion et la bienveillance, ce qui améliore les relations à l’autre. Alors, la méditation, outil idéal des entreprises pour se déresponsabiliser quand il existe des dysfonctionnements internes ?

La méditation en entreprise

Depuis une dizaine d’années, le best-seller de Chade-Meng Tan, un ancien salarié de chez Google, ingénieur informatique de formation, auteur de la ’‘Bible’’ des adeptes de la pleine conscience, Search Inside Yourself, a lancé cette mode en proposant des cours de méditation chez le géant américain. Il mélange méditation et intelligence émotionnelle, et son but n’est rien de moins que… la paix dans le monde ! Depuis, Chade-Meng Tan a fait des petits, et la tendance a largement traversé l’Atlantique.

Mais derrière le vernis positif, certains écueils potentiels se dessinent. Thierry Chavel exprime ainsi ses craintes de voir les entreprises faire leurs courses « à un supermarché de la méditation ». Sollicitée à plusieurs reprises pour intervenir en entreprise, « sur la pause du déjeuner », Sybille von de Fenn a décliné, craignant l’instrumentalisation de la méditation de pleine conscience. En entreprise, si c’est « pour apprendre à mieux se connaître, et que les gens en profitent pour eux-mêmes, pourquoi pas ». Mais elle précise que les stages qu’elle propose se déroulent sur huit semaines, 2h30 par semaine. Et non 45 minutes calés entre une salade de lentilles et un coup de fil à la baby-sitter… Cela s’adresse à des individus qui ont déjà « une réflexion sur eux-mêmes, sont confrontés à de l’anxiété ou se sentent dans une impasse ». En revanche, à ses yeux, « si l’entreprise l’utilise pour augmenter la performance, afin que les salariés apprennent à gérer leur stress que l’entreprise n’aura pas à gérer », elle est beaucoup plus réservée.

Un avis que partage Thierry Chavel. « Warning chez vos lecteurs : quelles sont les intentions de mon employeur ? Les séances se feront-elles sur la base du volontariat ou dans une obligation latente, comme dans les Gafa ? », interroge-t-il. La méditation peut survenir d’une offre du CE, au même titre que du sport ou un voyage. Mais en aucun cas ce n’est une « surstimulation pour donner un patch pour que les employés soient plus performants ! ». Si jamais une entreprise propose des séances, Thierry Chavel rappelle trois points essentiels, marques de confiance : le volontariat, l’anonymat et la réversibilité. Rien ne doit être obligatoire. La dérive potentielle serait de « considérer l’aptitude à méditer comme une compétence managériale », s’inquiète-t-il.

Ces réticences, Emmanuel Faure les a ressenties pendant longtemps. Lui aussi a décliné les appels des directions, craignant un manque de sincérité de leur part. Mais aujourd’hui, il est heureux d’apporter son expertise, car « sous réserve que ces deux conditions soient réunies (la qualité, l’intégrité du formateur MBSR, dont la formation dure au moins 3 ans, et le volontariat, NDLR), ce qui se passe dans la salle en soi avec les participants est extraordinaire, et ce, même si l’intention de départ était manipulatrice, estime-t-il. Car quelque chose de l’ordre de la libération de soi, un potentiel de compréhension de soi se joue entre ces murs », assure-t-il. Par ailleurs, et cela le fait sourire, « les stages que je propose (sur 8 semaines, 2h30 par semaine plus la pratique quotidienne demandée aux participants, NDLR) ont parfois abouti à des départs de l’entreprise, des demandes de changements de postes ou de mutation. Ainsi, si la pratique est juste et intègre, cela vaut la peine d’essayer ». Et si les résultats ne vont pas toujours dans le sens de l’entreprise, c’est bien que la méditation est un outil d’émancipation !

LPA 07 Juin. 2018, n° 136m4, p.4

Référence : LPA 07 Juin. 2018, n° 136m4, p.4

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