Métiers féminisés : une loi pour reconnaître enfin des critères de pénibilité invisibles

Portée entre autres par la députée du Val-d’Oise, Gabrielle Cathala, une loi pour reconnaître la pénibilité du travail féminisé pourrait changer la vie de nombreuses travailleuses de la première ligne.
Si elle est votée, la proposition de loi 415 pourrait changer la vie de nombreuses personnes. Elle vise à reconnaître la pénibilité des métiers féminisés, à savoir les métiers où les femmes représentent la majeure partie des travailleuses. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) estime que 10 des 87 familles professionnelles rassemblent près de la moitié des femmes employées en France. Ainsi, 87 % des infirmiers, 91 % des aides‑soignants, 97 % des aides à domicile et des aides ménagères, 73 % des agents d’entretien, 76 % des caissiers et vendeurs sont des femmes. Parmi les personnels de l’Éducation nationale, les femmes représentent 92,4 % des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), 86,4 % des enseignants du premier degré… Mais seulement 51,4 % des personnels d’inspection et 39 % des professeurs de chaires supérieures dans le second degré public. Et jusqu’à aujourd’hui, le Code du travail n’a pas redéfini les critères de pénibilité, construits autour des secteurs de la chimie, de la métallurgie ou encore du bâtiment, des métiers particulièrement masculinisés. Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), créé par la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014, dite Touraine, et lancé en 2015, prenait en compte dix facteurs de pénibilité dans trois catégories distinctes : les « contraintes physiques marquées » avec la manutention manuelle de charges, les postures pénibles et les vibrations mécaniques ; l’« environnement physique agressif » (avec les agents chimiques dangereux), le travail en milieu hyperbare, les températures extrêmes et le bruit ; les « rythmes de travail » avec le travail de nuit, en équipes successives alternantes, répétitif. Ce système permettait aux salariés d’accumuler des points pour financer un départ à la retraite anticipée, le financement d’un passage à temps partiel ou encore le suivi de formation. Après son élection, Emmanuel Macron a remplacé le C3P par le compte professionnel de prévention (C2P) et supprimé par la même occasion quatre facteurs de risques : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques.
Si la prise en compte de la pénibilité s’est dégradée pour les femmes et les hommes, la situation est encore plus grave pour les femmes puisqu’en 2015 et en 2017, les facteurs de pénibilité n’ont pas pris en compte les spécificités des métiers dits féminisés. Pour donner un exemple concret, les hôtesses de caisses soulèvent environ une tonne de marchandises par heure mais elles n’accèdent que très peu à la reconnaissance du port de charges lourdes qui correspond, selon les critères définis en 2015, au levage ou port de quinze kilogrammes au moins 600 heures par an. Pourquoi ? Parce que le mode de calcul de la pénibilité se fait en charge unitaire plutôt qu’en poids cumulé, et parce que la fréquence des temps partiels (imposés ou choisis) chez les femmes ne leur permet que rarement d’atteindre le seuil requis. Autre exemple : le bruit est mesuré dans l’industrie mais il n’est quasiment pas pris en compte pour les personnels dans les crèches ou écoles. Un seul critère de pénibilité concerne plus de femmes que d’hommes : le caractère répétitif du travail. La forte répétitivité des gestes constitue un des facteurs principaux des troubles musculo‑squelettiques (TMS). D’après le rapport de 2020 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, « les femmes encourent plus de risque de troubles musculo‑squelettiques TMS (54 %) que les hommes (46 %). Les risques sont trois fois plus importants dans les catégories les plus confrontées à la précarité, employées et ouvrières ». Problème : sans reconnaissance par le Code du travail, ces pénibilités restent invisibles pour les travailleuses elles-mêmes, qui n’osent pas forcément faire des démarches pour faire reconnaître des accidents du travail ou obtenir des droits à une retraite anticipée. Un problème d’accès au droit qui n’entre pas en adéquation avec les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, comme l’avait d’ailleurs estimé un rapport sénatorial, Santé des femmes au travail : des maux invisibles, sorti en 2023 sous la direction de Laurence Rossignol, entre autres.
Une loi pour toujours plus d’égalité
Depuis plusieurs années pourtant, la précarisation et la difficulté des métiers féminisés ont gagné l’attention des journalistes et des sociologues. Si les vécus des ouvrières de la chaussure, dans les années 1990, sont restés dans les limbes, ceux des travailleuses des crèches, du paramédical, reconnus comme agents de la première ligne pendant le Covid, ont gagné les rues pour montrer leurs conditions de travail et – face au manque de considération pour leurs demandes – désertent de plus en plus les écoles laissant entrevoir une situation gravissime dans quelques années. Alors qu’il manque déjà 100 000 infirmières à l’heure actuelle, il faudrait que leur nombre augmente de 53 % entre 2014 et 2040 pour atteindre 881 000 afin de répondre à la demande de soins d’une population vieillissante, selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) de 2018. Une catastrophe rampante, selon la députée de la sixième circonscription du Val-d’Oise, Gabrielle Cathala (LFI), qui entend faire changer les choses pour les travailleuses et travailleurs de ces métiers à la pénibilité invisible. « Je siège à la Délégation des droits des femmes parce que les questions féministes m’ont toujours passionnée. Sur le mandat précédent, j’avais travaillé sur le congé parental ou l’augmentation des salaires. Je me suis aussi beaucoup mobilisée sur la réforme des retraites qui pénalise justement les employées qui ne pouvaient pas bénéficier des critères de pénibilité. Travailler sur cette loi est donc une continuité », nous explique cette fille d’infirmière concernée par le mi-temps et d’un père viticulteur et ouvrier. Adoptée lors de la commission du 20 novembre 2024, la proposition de loi est prête à être débattue à l’Assemblée (avant de continuer sa route vers le Sénat) et a déjà rassemblé des signatures diverses au sein du groupe NFP. Le texte propose entre autres d’intégrer à la liste des pénibilités de l’article L. 4161-1 du Code du travail un critère de pénibilité émotionnel :
« Des contraintes émotionnelles fortes :
a) Activités en lien avec la prise en charge des personnes en souffrance physique ou sociale ;
b) Activités en lien avec la prise en charge des personnes victimes de violences physiques, psychologiques, verbales, sexistes ou sexuelles ;
c) Activités en lien avec l’éducation de mineurs ;
d) Activités en lien avec la prise en charge sanitaire et médico‑sociale des personnes ;
e) Activités en lien avec la prise en charge des personnes en situation de handicap.
La Haute Autorité de santé établit une liste indicative de ces activités. »
Le texte prévoit également que la mention des produits d’entretien soit intégrée à la liste des « agents chimiques dangereux » (comprenant déjà les poussières et les fumées) et que la mention « en prenant en compte leur fréquence et le poids cumulé des charges » soit ajoutée à la manutention manuelle de charge. Si la proposition de loi 415 n’a pas pu être débattue le 28 novembre 2024, à cause des secousses liées à l’approbation du budget de la sécurité sociale, elle devrait l’être dans le cours de l’année 2025, en s’invitant dans une niche des écologistes ou des communistes d’ici le printemps, soit lors de la semaine transpartisane ou en attendant la prochaine niche de LFI en octobre ou novembre 2025. Pas de quoi désarçonner Gabrielle Cathala, convaincue que cette loi pourra changer la vie de nombreuses travailleuses et redonner aux futures infirmières ou puéricultrices la confiance et la reconnaissance qui leur fait tant défaut.
Référence : AJU016l1
