Ordonnances Travail : les entreprises sont-elles prêtes ?

Publié le 20/10/2017

Dans le petit monde des DRH et des avocats d’entreprise, l’adoption des ordonnances Travail est globalement ressentie comme une satisfaction. « Ces mesures étaient revendiquées et soutenues par notre association depuis longtemps », rappelle Jean-Paul Charlez, directeur des RH chez Etam et président de l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines). D’emblée, il se concentre sur l’aspect « technique » — et non politique — de ces ordonnances, à destination « des professionnels qui connaissent le métier ». À ses yeux, si « certains parlent de révolution copernicienne ou de grande casse sociale, les ordonnances ne sont qu’une continuité de réformes entreprises par le législateur depuis 2004. Les ordonnances dites Macron ne font que continuer les lois prises auparavant », estime-t-il. Au sein de son association, 79 % des membres sont d’ailleurs favorables à la réforme du Code du travail par ordonnances. Aux yeux de Danièle Chanal, vice-présidente d’Avosial (Association des avocats d’entreprise en droit social), l’enthousiasme est aussi de mise. Ces ordonnances symbolisent pour les avocats d’entreprise plus de « fluidité, flexibilité, gain de temps et échanges », résume-t-elle.

Pour les entreprises, plus de fluidité et de flexibilité

Jean-Paul Charlez, directeur des RH chez Etam et président de l’ANDRH, balaie d’un revers de manche les craintes soulevées chez les employés par le transfert de certaines décisions de la branche à l’entreprise, en faisant un bref rappel historique. « Il ne faut pas oublier qu’en 1982, les lois Auroux ont transféré les négociations sur les conditions de travail et des salaires à l’entreprise ». Pour lui, certains chiffres témoignent d’une tendance en réalité déjà en place. Exemple avec le ratio accords de branche versus accords d’entreprise. « En 2016, un peu plus de 42 000 accords d’entreprise ont été pris, en hausse de 15 %, et 979 accords de branche, en recul de 6 % par rapport à 2015 », détaille-t-il.

Autre mesure : la fusion des IRP (Instances représentatives du personnel) est soutenue par les DRH comme les avocats d’entreprise. « Cette fusion traduit une volonté de ne pas faire répéter parfois jusqu’à quatre fois les interlocuteurs et d’éviter une procédure de perpétuelle répétition qui fatigue traditionnellement les instances comme les entreprises », éclaire Danièle Chanal, vice-présidente d’Avosial. Cela signifie aussi un décloisonnement du discours, qui fait sens : « c’est quand on s’attaque aux problèmes, qu’on réalise qu’ils sont interconnectés et interdépendants ». Pourtant, certains s’inquiètent des moyens à disposition de cette nouvelle instance, le Comité social et économique, qui ne seront connus qu’au moment du décret d’application.

Préoccupée par les tendances actuelles inhérentes au monde du travail, l’ANDRH souligne de son côté la pertinence d’un Code du travail digital, bien plus pertinent que de se contenter d’une recherche sur internet en cas de questionnements, et attendait de pied ferme des clarifications concernant le télétravail, auquel 63 % des entreprises ont recours mais seulement 21 % des employés bénéficiaires.

 

Le nouveau visage du dialogue social

Les ordonnances modifient le visage du dialogue social, en particulier dans les PME et TPE. Loin de s’en offusquer, Jean-Paul Charlez estime que « certains essaient de faire croire que le dialogue social va désormais être soumis à l’arbitraire patronal et que les patrons sont forcément les méchants. Or on exige des accords majoritaires, signés par les syndicats qui représentent au moins 50 % de l’entreprise. Pourquoi les syndicats signeraient-ils n’importe quoi ? », interroge-t-il.

Autre parole qui se veut rassurante concernant le dialogue social et la décentralisation des organisations nationales. « Je ne comprends pas les critiques qui voudraient nous faire croire que cela mettra en péril les organisations syndicales. La présence décentralisée pour négocier au plus près est maintenue. C’est au contraire une occasion pour les organisations syndicales d’être présentes (dans les entreprises de moins de 50 employés). Cela va dynamiser le dialogue social, les employés pourront directement « tirer la manche » de la personne qui va négocier. Si la moitié des employés ne tient pas à sa prime d’ancienneté par exemple, car ils ont tous trois ans de boîte, mais préfèrent une prime de crèche, cela passera directement du producteur au consommateur », affirme Danièle Chanal. Cette dernière ne croit pas à l’instauration de rapports de force défavorables au salarié. Elle précise qu’ils bénéficieront toujours d’une protection. Le son de cloche est assez similaire chez l’ANDRH. « En quoi les négociations dans les entreprises de moins de 50 salariés sont-elles polémiques ? On ne peut pas priver de dialogue social sous prétexte qu’il n’y a pas de délégués syndicaux », estime, quant à lui, Jean-Paul Charlez.

Néanmoins, Danièle Chanal reconnaît quelques inquiétudes. « Du côté de nos clients (des entreprises, nda), ce qu’on m’a rapporté, ce sont des préoccupations au plan individuel des organisations syndicales, car avec les nouveaux nombres de représentants dans les instances, certains vont probablement perdre des mandats ».

 

Le flou de l’entre-deux

Si les deux corps de métier sont globalement favorables aux ordonnances, le ressenti est différent. Jean-Paul Charlez, de l’ANDRH, pense que « les modes de travail ne vont pas évoluer. Nous, DRH, sommes habitués à vivre les transformations dans le corps réglementaire et législatif ». En revanche, il se réjouit que ces évolutions permettent, en « allégeant certaines tâches », que les DRH puissent à nouveau se concentrer sur leur cœur de métier, comme le développement des compétences, la formation, le côté humain. Danièle Chanal, quant à elle, émet juste quelques réserves sur « la façon dont sera organisé l’agenda des négociations », et sur l’instance unique, qui « va entraîner un mode de fonctionnement qu’on va découvrir dans la pratique ».

Globalement, elle dresse un parallèle avec les lois de 2008. « [Avec cette réforme], à nouveau, nous changeons de paradigme. Intellectuellement, cela n’a plus rien à voir. Il va nous falloir lâcher nos réflexes d’avant. Les changements vont s’appliquer au fur et à mesure ». Et de prendre comme exemple les conventions collectives. « Avant, quand on négociait un accord d’entreprise, on consultait la convention collective. Maintenant, cela a moins d’importance », reconnaît-elle. Face à ces changements, « il faut que l’on s’habitue à plus de liberté. Puis va venir un travail de chambre », qui consiste à lire et relire les nouveaux textes pour se les approprier. Elle se satisfait que les « dispositions transitoires sont clairement inscrites », notamment en évoquant les entreprises dont les instances représentatives (désormais fusionnées) sont en phase de renouvellement.

Enfin, si certaines mesures s’appliquent dès publication, comme les barèmes des indemnités ou la réforme du télétravail, d’autres, comme la fusion des IRP nécessiteront des décrets d’application, qui seront publiés d’ici le 31 décembre 2017. En tout état de cause, le flou ne devrait pas durer longtemps pour les entreprises. Danièle Chanal est d’ailleurs confiante, puisque le « gouvernement s’est engagé à ce que ça aille très vite ». Ainsi, « fluidité et flexibilité », les deux maîtres mots de cette réforme du Code du travail, sonnent, en tout cas pour les avocats et les DRH, comme la promesse de lendemains qui chantent.

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