Présomption de démission : le Conseil d’État apporte de nouvelles précisions importantes !

Publié le 11/02/2025
Présomption de démission : le Conseil d’État apporte de nouvelles précisions importantes !
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Par un arrêt rendu le 18 décembre 2024, le Conseil d’État rejette la demande d’annulation, formulée notamment par plusieurs syndicats, de la FAQ du ministère du Travail sur la présomption de démission et du décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 mettant en œuvre le dispositif de présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié, tout en apportant de nouvelles précisions importantes sur le contenu de la lettre de mise en demeure adressée au salarié.

Issue de la loi Marché du travail du 21 décembre 2022, le dispositif de la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié est prévu à l’article L. 1237-1-1 du Code du travail.

Ce dispositif inédit est devenu pleinement effectif le 19 avril 2023, date d’entrée en vigueur du décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 apportant diverses précisions pratiques.

Avant l’instauration de ce dispositif, le salarié qui abandonnait volontairement son poste de travail pouvait uniquement faire l’objet d’un licenciement pour faute, sans que l’employeur puisse considérer que cet abandon de poste constitue une démission.

Pour mettre un terme à la pratique de « l’autolicenciement » par abandon de poste qui permettait au salarié de bénéficier d’une indemnisation chômage, le législateur a instauré le mécanisme de la présomption de démission.

Le 18 avril 2023, dans une foire aux questions (FAQ) intitulée « Questions-réponses – Présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié », le ministère du Travail était même allé plus loin que la lettre du texte en utilisant une expression ambiguë laissant sous-entendre qu’en cas d’abandon volontaire de poste par le salarié, le recours à la procédure de présomption de démission est exclusif de tout licenciement disciplinaire.

À la fin de l’année 2023, le Cercle Lafay et plusieurs syndicats avaient saisi le Conseil d’État pour demander l’annulation de la FAQ du ministère du Travail et son remplacement par une nouvelle FAQ, d’une part, et l’annulation du décret du 17 avril 2023, d’autre part.

Mais, dans son arrêt du 18 décembre 2024, le Conseil d’État vient de rejeter les demandes d’annulation formulées par les requérants en s’appuyant sur divers éléments détaillés ci-après, tout en précisant les conditions à respecter pour que la démission du salarié puisse être présumée.

Ce nouvel arrêt rendu par la plus haute juridiction administrative sera l’occasion de revenir en détail sur le dispositif de la présomption de démission (I) et d’analyser les nouvelles précisions apportées par le Conseil d’État dans cet arrêt (II).

I – Présentation du dispositif de la présomption de démission

Depuis le 19 avril 2023, l’employeur peut engager la procédure de présomption de démission lorsqu’un salarié en contrat à durée indéterminée (CDI) abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail, après mise en demeure de l’employeur.

Avant l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif, la Cour de cassation jugeait de façon constante que la démission d’un salarié ne peut pas se présumer1 et qu’un abandon de poste ou une absence injustifiée ne valait pas démission2. Sous l’empire de l’ancienne jurisprudence, l’absence injustifiée et prolongée du salarié pouvait néanmoins constituer un motif de licenciement pour faute grave3.

Le nouvel article L. 1237-1-1 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi Marché du travail du 21 décembre 2022, prévoit désormais qu’un salarié pourra être présumé démissionnaire lorsque trois conditions cumulatives seront réunies :

• abandon volontaire de poste par le salarié (sans motif légitime) ;

• mise en demeure du salarié par son employeur de justifier de son absence et de reprendre son poste ;

• absence de reprise du travail par le salarié dans le délai fixé par l’employeur.

Sur le délai dont dispose le salarié pour reprendre son travail, le nouvel article R. 1237-13 du Code du travail est venu préciser que ce délai ne peut pas être inférieur à quinze jours à compter de la réception de la lettre de mise en demeure par le salarié (lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge).

Passé le délai de mise en demeure fixé par l’employeur, le salarié qui a abandonné volontairement son poste sans motif légitime et n’a toujours pas repris le travail sera présumé démissionnaire et ne pourra donc pas bénéficier de l’indemnisation chômage.

En application des règles de droit commun relatives à la démission, le salarié présumé démissionnaire sera, en principe, tenu d’exécuter un préavis à compter de la date limite figurant dans la lettre de mise en demeure. La durée de cette période de préavis est prévue par la convention collective, les usages de la profession ou le contrat de travail. Au terme du préavis, le contrat de travail sera définitivement rompu.

En cas de non-respect de cette obligation de préavis par le salarié, l’employeur pourra saisir le conseil de prud’hommes compétent afin de demander le versement d’une indemnité compensatrice correspondant aux sommes que le salarié aurait perçues s’il avait respecté son obligation de préavis.

Il est à préciser que l’employeur conserve néanmoins la faculté de dispenser son salarié d’exécuter son préavis et de lui verser une indemnité compensatrice. Cette dispense de préavis peut également émaner d’une décision commune de l’employeur et du salarié. Dans ce dernier cas, aucune indemnité compensatrice ne sera due.

Lors de la rupture définitive du contrat de travail, l’employeur devra mettre à la disposition du salarié les documents de fin de contrat (certificat de travail, reçu pour solde de tout compte et attestation France Travail). À noter que l’attestation France Travail devra mentionner comme type de rupture du contrat « démission », tout comme dans la DSN.

Enfin, l’article L. 1237-1-1, alinéa 2, du Code du travail prévoit qu’en cas de rupture du contrat de travail sur le fondement de cette présomption, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes afin d’apporter la preuve – par tous moyens – que son abandon de poste repose sur un motif légitime. Dans ce cas, l’affaire sera directement portée devant le bureau de jugement du conseil de prud’homme qui devra, en principe, statuer dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

Si le salarié parvient à démontrer que son abandon de poste est justifié par un motif légitime, la rupture du contrat de travail pourra être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le salarié pourra bénéficier des indemnités de licenciement et d’éventuelles allocations chômage.

En complément de toutes ces informations, le Conseil d’État a récemment apporté une précision importante sur le contenu de la lettre de mise en demeure.

II – Nouvelles précisions apportées par le Conseil d’État

Le 18 décembre 2024, le Conseil d’État a rejeté la demande d’annulation, formulée notamment par plusieurs syndicats, de la FAQ du ministère du Travail sur la présomption de démission et du décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 mettant en œuvre le dispositif de présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié, tout en apportant de nouvelles précisions importantes sur le contenu de la lettre de mise en demeure adressée au salarié.

Pour mémoire, la FAQ mise en ligne par le ministère du Travail, le 18 avril 2023, avait suscité des interrogations au sein de la doctrine et de nombreux syndicats dès lors que le Q/R n° 1 indiquait que « (…) si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute ».

Selon une partie de la doctrine, cette formulation ambiguë semblait indiquer qu’en cas d’abandon volontaire de poste par le salarié, le recours à la procédure de présomption de démission est exclusif de tout licenciement disciplinaire. Autrement dit, le licenciement disciplinaire pour abandon de poste apparaissait désormais interdit.

Considérant notamment que cette information limite considérablement le pouvoir de direction de l’employeur et apporte une précision qui n’était pas prévue par les dispositions légales et réglementaires en vigueur, le Cercle Lafay et plusieurs syndicats avaient demandé au Conseil d’État d’ordonner l’annulation de cette partie de la FAQ et son remplacement par une nouvelle FAQ.

Mais, dans son arrêt rendu le 18 décembre 2024, le Conseil d’État n’a pas statué sur cette demande d’annulation dès lors que la haute juridiction administrative a constaté que cette partie de la FAQ avait été retirée du site du ministère du Travail en juin 2023 et que la nouvelle version mise en ligne ne contenait plus les mentions contestées.

Par ailleurs, les requérants ont demandé l’annulation du décret du 17 avril 2023 mettant en œuvre le dispositif de présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié.

D’abord, les syndicats requérants reprochaient au gouvernement de ne pas avoir effectué de concertation préalable, comme le prévoit le préambule de la Constitution de 1946, et l’article L. 1 du Code du travail en ces termes « tout projet de réforme envisagé par le gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives ».

Mais, sur ce premier point de contestation, le Conseil d’État admet que cette obligation de concertation préalable concerne uniquement les lois et ne s’applique donc pas au décret d’application attaqué « qui se borne à fixer les conditions d’application des dispositions législatives (…) et n’a pas le caractère d’une réforme au sens de ces dispositions ».

Les requérants reprochaient ensuite aux dispositions litigieuses de ne pas avoir prévues de faire bénéficier le salarié des garanties prévues par la convention n° 158 de l’OIT sur le licenciement.

Cependant, sur ce second point, la plus haute juridiction administrative relève que « la convention ne couvre que la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur et non les situations de démission volontaire ». En conséquence, cette convention n’est pas applicable à la présomption de démission dès lors que seule l’absence persistante du salarié sans justification est à l’initiative de la rupture de la relation de travail.

Certains syndicats soutenaient, par ailleurs, que le décret attaqué ne présente pas les garanties suffisantes pour s’assurer de la volonté du salarié de rompre son contrat de travail du fait de son absence à son poste.

Cependant, le Conseil d’État rejette également ce troisième point de contestation en considérant, d’une part, que le décret attaqué mentionne expressément que la présomption de démission ne s’applique pas en cas d’abandon de poste justifié par un motif légitime (raisons médicales, droit de retrait, grève, etc.), et, d’autre part, que la loi prévoit l’envoi par l’employeur d’une mise en demeure au salarié qui a abandonné son poste afin de s’assurer du caractère volontaire de l’abandon de poste du salarié, en lui permettant de justifier son absence ou de reprendre le travail dans le délai fixé.

En sus de ces éléments, le Conseil d’État apporte une précision importante sur le contenu de la lettre de mise en demeure adressée au salarié, en ces termes : « Pour que la démission du salarié puisse être présumée (…) ce dernier doit nécessairement être informé, lors de la mise en demeure, des conséquences pouvant résulter de l’absence de reprise du travail sauf motif légitime justifiant son absence ».

Par cette précision, le Conseil d’État transpose aux salariés du secteur privé une exigence prévue par la procédure d’abandon de poste applicable à la fonction publique et indique que le fait que cette exigence ne figure pas dans le décret n’a pas pour effet de rendre celui-ci illégal.

Par conséquent, l’employeur devra impérativement mentionner, sur la lettre de mise en demeure adressée au salarié, qu’en l’absence de reprise du travail ou de justification de l’absence par un motif légitime dans le délai prévu :

• la procédure de présomption de démission sera mise en œuvre ;

• le contrat de travail du salarié sera définitivement rompu à compter de la date limite figurant sur cette lettre ou, le cas échéant, à l’expiration de la période de préavis.

En l’absence de cette mention, la démission du salarié ne pourra pas être présumée et, le cas échéant, ce dernier pourra opportunément saisir le conseil de prud’hommes afin de solliciter la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Conclusion. Le dispositif de la présomption de démission sera très certainement de plus en plus utilisé par les entreprises pour lutter contre les démissions dites silencieuses qui perturbent le fonctionnement de l’entreprise.

Depuis l’instauration de ce dispositif, un contentieux émerge progressivement devant la juridiction prud’homale et porte essentiellement sur l’appréciation du motif légitime invoqué par le salarié pour justifier l’abandon de son poste et ainsi obtenir une requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au gré de la jurisprudence, les juges devront nécessairement apporter des éclaircissements sur ce dispositif inédit et notamment préciser les contours juridiques du concept de « motifs légitimes » permettant de justifier un abandon de poste et de ne pas être présumé démissionnaire.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. soc., 7 mai 1987, n° 84-42.203, D.
  • 2.
    Cass. soc., 30 avr. 2002, n° 00-42.952, D.
  • 3.
    Cass. soc., 23 janv. 2008, n° 06-41.671, D.
  • 4.
    Cons. const., DC, 15 déc. 2022, n° 2022-844, pt 28.
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