Présomption de démission : les juges apportent les premières précisions !

Deux ans après l’entrée en vigueur du dispositif inédit de la présomption de démission, les premières décisions de justice commencent à émerger, contribuant progressivement à définir les contours juridiques de ce mécanisme encore peu connu.
Issu de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, dite Marché du travail, le dispositif de la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié est prévu à l’article L. 1237-1-1 du Code du travail.
Ce dispositif inédit est devenu pleinement effectif le 19 avril 2023, date d’entrée en vigueur du décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 apportant diverses précisions pratiques, notamment sur le délai minimal de mise en demeure et quelques exemples de motifs légitimes faisant obstacle à la présomption de démission.
Bien qu’ayant fait l’objet de nombreuses critiques, tant du côté des employeurs que des organisations syndicales, ce dispositif a été successivement validé par le Conseil constitutionnel1 en décembre 2022 et, plus récemment, par le Conseil d’État2 en décembre 2024.
Dans un arrêt du 18 décembre 2024, la haute juridiction administrative a en effet confirmé la légalité du mécanisme de présomption de démission, tout en apportant une précision essentielle : « Pour que la démission du salarié puisse être présumée (…) ce dernier doit nécessairement être informé, lors de la mise en demeure, des conséquences pouvant résulter de l’absence de reprise du travail sauf motif légitime justifiant son absence ».
Après cette validation par les plus hautes juridictions, ce sont désormais les juridictions du fond qui commencent à se prononcer et à encadrer, par leurs premières décisions, les conditions concrètes de mise en œuvre de la présomption de démission.
Ces premières décisions jurisprudentielles offrent l’occasion de revenir sur les contours juridiques de ce dispositif (I), avant d’analyser plus en détail les apports des récentes décisions prud’homales (II) et la position de la cour d’appel de Paris sur les conditions d’application de ce dispositif aux salariés protégés (III).
I – Présentation du mécanisme de la présomption de démission
Avant l’entrée en vigueur du dispositif légal de la présomption de démission, soit avant le 19 avril 2023, la Cour de cassation jugeait de façon constante que la démission d’un salarié ne peut pas se présumer et qu’un abandon de poste ou une absence injustifiée ne sauraient valoir démission3.
Selon une jurisprudence constante, la démission devait nécessairement résulter d’une volonté claire et non équivoque du salarié de rompre son contrat de travail. Ainsi, l’employeur ne pouvait en aucun cas prendre acte de la rupture du contrat du salarié en cas de simple absence injustifiée par laquelle le salarié n’a manifesté aucune volonté claire et non équivoque de démissionner.
Sous l’empire de l’ancienne jurisprudence, l’absence injustifiée et prolongée du salarié pouvait fonder un licenciement pour faute grave4.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 et de son décret d’application n° 2023-275 du 17 avril 2023, l’employeur dispose désormais d’un mécanisme spécifique pour faire face à l’abandon de poste volontaire du salarié en contrat à durée indéterminée : la procédure de présomption de démission. Cette dernière est régie par les articles L. 1237-1-1 et R. 1237-13 du Code du travail.
Concrètement, le Code du travail prévoit qu’un salarié pourra être présumé démissionnaire lorsque trois conditions cumulatives seront réunies :
abandon volontaire de poste par le salarié (sans motif légitime) ;
mise en demeure adressée au salarié par l’employeur, par lettre recommandée avec accusé de réception ou lettre remise en main propre contre décharge, lui demandant de justifier son absence et de reprendre son poste ;
absence de reprise du travail par le salarié dans le délai fixé par l’employeur, lequel doit être d’au moins 15 jours calendaires à compter de la première présentation de la lettre au salarié.
S’agissant d’une présomption simple, le salarié présumé démissionnaire conserve la faculté de saisir directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes compétent afin d’apporter la preuve – par tous moyens – que son abandon de poste repose sur un motif légitime et ainsi obtenir la requalification de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En théorie, le texte prévoit que le conseil de prud’hommes doit statuer dans un délai d’un mois à compter de sa saisine, même si ce délai est rarement respecté en pratique.
Conformément à l’article R. 1237-13, alinéa 2, du Code du travail, le mécanisme de la présomption de démission ne s’applique pas en cas d’abandon de poste justifié par un motif légitime.
Le texte réglementaire énumère quelques exemples de motifs légitimes, issus de la jurisprudence de la Cour de cassation, tels que « notamment, des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait prévu à l’article L. 4131-1, l’exercice du droit de grève prévu à l’article L. 2511-1, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur (…) ».
Cependant, l’emploi de l’adverbe « notamment » indique que cette liste n’est pas limitative. Il appartient donc au juge d’apprécier, au cas par cas, si le motif invoqué par le salarié présumé démissionnaire peut être considéré comme légitime, et ainsi faire obstacle à l’application de la présomption.
Il est à rappeler que, si le salarié souhaite invoquer un tel motif, il doit l’indiquer explicitement dans sa réponse à la mise en demeure adressée par l’employeur.
Enfin, il est à relever l’existence d’un vide juridique dans ce dispositif. En effet, le texte de loi ne prévoit aucune disposition particulière concernant les salariés protégés, pour lesquels l’autorisation préalable de l’inspection du travail est requise lorsque la rupture du contrat de travail est initiée par l’employeur ou résulte d’une rupture conventionnelle.
C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Paris5 a récemment apporté des précisions essentielles sur les conditions d’application de la procédure de présomption de démission à l’égard des salariés bénéficiant d’un statut protecteur.
II – Premières précisions de la notion de « motif légitime » faisant obstacle à la présomption de démission
Deux ans après l’entrée en vigueur du dispositif de la présomption de démission, les premiers contentieux émergent devant les juridictions compétentes. Les juges du fond commencent ainsi à apporter des précisions concrètes sur la notion de « motif légitime » permettant de faire échec à cette présomption
A – Décision n° 1 : rejet du motif lié à l’absence de visite médicale de reprise organisée par l’employeur
Par un jugement rendu le 25 avril 20246, le conseil de prud’hommes de Paris a rejeté l’argumentaire d’une salariée visant à faire reconnaître l’existence d’un motif légitime de nature à faire obstacle à la présomption de démission.
Dans cette affaire, la salariée, employée en qualité de vendeuse, avait été placée en arrêt maladie de longue durée, le dernier arrêt remontant au 25 avril 2022. À l’issue de celui-ci, aucune reprise effective du travail n’a eu lieu, malgré deux mises en demeure adressées par son employeur en juillet 2023.
Sans réponse de la salariée aux courriers de mise en demeure, l’employeur a décidé de prendre acte de sa démission et lui a adressé un courrier, le 25 juillet 2023, comportant cette mention : « Malgré nos courriers en date du 4 juillet et du 10 juillet 2023, vous n’avez pas fourni de justificatif de votre absence depuis le 01/06/2023. Par conséquent, et conformément à l’article R. 1237-13 du Code du travail, nous prenons acte de votre démission effective dès aujourd’hui ».
Le 21 août 2023, la salariée a saisi la juridiction prud’homale aux fins de contester la mise en œuvre de la procédure de présomption de démission par son employeur.
Elle soutenait notamment que, en l’absence de visite médicale de reprise organisée par l’employeur à l’issue de son arrêt maladie, son contrat de travail était toujours suspendu, et qu’en conséquence aucun abandon de poste ne pouvait lui être reproché.
La salariée requérante demandait ainsi la requalification de la rupture de son contrat en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
De son côté, l’employeur soutenait que le comportement de ladite salariée laissait présumer un abandon de poste s’analysant en une volonté de démissionner. L’employeur relève que ses demandes réitérées de rupture conventionnelle, son déménagement dans une région éloignée, son souhait renouvelé de ne plus venir travailler sur Paris ou encore son absence de réponse aux deux mises en demeure adressées en juillet 2023 constituent autant d’indices ne laissant aucun doute quant au caractère volontaire de l’abandon de poste de la salariée.
Dans ces circonstances, le conseil de prud’hommes de Paris était tenu de trancher le litige en indiquant notamment si l’absence de visite médicale de reprise invoquée par la salariée peut constituer un motif légitime faisant obstacle à la présomption de démission.
D’abord, le Conseil relève que l’employeur a bien respecté le formalisme de la procédure de présomption de démission en fixant notamment un délai de mise en demeure supérieure à 15 jours calendaires.
Ensuite, le Conseil souligne que l’employeur n’a commis aucun manquement à son obligation de loyauté dès lors que la salariée a été mise en demeure à deux reprises et a bénéficié au total de près de deux mois pour justifier de son absence.
S’agissant du motif légitime invoqué, à savoir l’absence de visite médicale de reprise, les juges écartent cet argument.
Ils considèrent que : « Si un salarié cesse de justifier son absence et ne manifeste pas son intention de reprendre le travail, malgré la mise en demeure qui lui a été envoyée par l’employeur, il ne peut reprocher à l’employeur, laissé sans nouvelles, de ne pas avoir organisé la visite de reprise ».
Au surplus, le conseil relève que la salariée avait manifesté à plusieurs reprises sa volonté de ne plus venir travailler en région parisienne. En effet, selon le Conseil, les demandes réitérées de rupture conventionnelle, le déménagement de la salariée en Normandie, la scolarisation de sa fille dans cette région ou encore le développement d’une nouvelle activité professionnelle pendant son arrêt maladie permettaient d’attester du caractère volontaire de l’abandon de poste.
À la lumière de ces éléments, le Conseil retient que la salariée a « délibérément manqué à son obligation d’information et de justification de son absence envers son employeur, et qu’elle s’est dès lors délibérément soustraite à son obligation contractuelle de se tenir à la disposition de son employeur pour effectuer sa prestation de travail ».
La demande de la salariée de reconsidérer la démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse est donc jugée infondée.
B – Décision n° 2 : rejet d’un motif lié à un manquement jugé non caractérisé à une obligation conventionnelle
Le 18 décembre 2024, le Conseil d’État a validé le décret d’application relatif à la présomption de démission et, le même jour, le conseil de prud’hommes de Lys-lez-Lannoy7 a rendu un jugement illustrant le type de contentieux que peut générer la mise en œuvre de ce dispositif, notamment lorsque le salarié justifie son abandon de poste par un manquement, jugé non caractérisé, de l’employeur à ses obligations.
Dans cette affaire, une salariée ne s’est pas présentée depuis début janvier 2023 à son lieu de travail, malgré plusieurs mises en demeure adressées par son employeur.
En l’absence de réponse de la salariée et de reprise du travail, l’employeur a décidé de prendre acte de sa démission.
Pour contester la mise en œuvre de la procédure de présomption de démission par son employeur, la salariée a décidé de saisir le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de Lys-lez-Lannoy.
Pour justifier son abandon de poste, la salariée requérante soutient que l’employeur aurait commis un manquement à ses obligations conventionnelles. En effet, elle reproche à employeur d’avoir refusé de lui attribuer de nouvelles responsabilités et un salaire réévalué à son retour de congé sans solde.
Elle s’appuie notamment sur une disposition conventionnelle, issue la convention collective nationale applicable à l’entreprise, prévoyant que : « À l’issue d’un congé sans solde, le salarié a le droit de retrouver un poste dans l’entreprise. L’employeur doit tenir compte des compétences et expériences acquises par le salarié pendant la durée de congé ».
Cependant, le conseil de prud’hommes de Lys-lez-Lannoy rejette l’argumentaire de la salariée en considérant que sa demande d’avoir un nouveau poste en lien avec ses nouvelles compétences ne saurait être considérée comme une obligation pour l’employeur mais uniquement comme un mode de fonctionnement souhaitable envers la salariée.
Le conseil estime donc que l’employeur n’a commis aucun manquement à ses obligations conventionnelles en réintégrant ladite salariée dans ses précédentes fonctions.
En conséquence, la demande de la salariée de reconsidérer la présomption de démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse est jugée infondée.
C – Décision n° 3 : refus d’une modification du contrat de travail comme motif légitime
Par un jugement rendu le 21 février 20258, le conseil de prud’hommes de Lyon a jugé que le refus par une salariée d’une nouvelle affectation entraînant une éventuelle modification de son contrat de travail constitue un motif légitime faisant obstacle à la présomption de démission.
Dans cette affaire, une salariée a été engagée en qualité de cheffe des services de sécurité incendie. À la suite de la perte d’un marché, ladite salariée a refusé la proposition de transfert de son contrat de travail à la société reprenant le marché.
Face au refus de la salariée, l’employeur décide de lui proposer une nouvelle affectation au sein d’une société tierce.
Considérant que cette nouvelle affectation constitue une mise à disposition entraînant une modification de son contrat de travail, la salariée a refusé cette affectation par courrier en date du 5 mai 2023 et ne s’est plus présentée à son travail.
Le 7 juin 2023, l’employeur a adressé un courrier de mise en demeure à la salariée, lui demandant de justifier son absence et de reprendre son travail, sauf à ce qu’elle soit considérée comme démissionnaire dans un délai de 15 jours calendaires suivant la date de première présentation du courrier.
Le 9 juin 2023, la salariée a adressé un courrier de réponse à son employeur, dans lequel elle rappelle que le site d’affectation proposé est géré par une société tierce et que, par conséquent, la nouvelle affectation proposée s’analyse en une mise à disposition entraînant une modification de son contrat de travail, qu’elle est en droit de refuser.
Malgré le courrier de réponse de la salariée, l’employeur a décidé de prendre acte de sa démission par un courrier du 23 juin 2023. Dans ce courrier, l’employeur indique à la salariée que son contrat de travail sera définitivement rompu le 22 juillet 2023, date d’expiration du préavis de démission.
Par un courrier du 29 juin 2023, la salariée conteste être démissionnaire et rappelle une nouvelle fois à son employeur que la nouvelle affectation proposée s’analyse en une mise à disposition qui modifie son contrat de travail, ce qui lui donne le droit de refuser cette proposition.
Pour contester pleinement la présomption de démission, la salariée décide de saisir le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de Lyon aux fins d’obtenir la requalification de sa démission présumée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au soutien de sa demande, la salariée requérante argue que la nouvelle affectation proposée par son employeur sur le site géré par une société tierce s’analyse en une mise à disposition entraînant une modification de son contrat de travail, qu’elle est en droit de refuser.
Le conseil de prud’hommes de Lyon fait droit à la demande de la salariée et reconnaît que cette dernière était parfaitement fondée à se prévaloir d’une éventuelle modification de son contrat de travail comme motif légitime de son refus.
Le conseil relève notamment que l’employeur ne démontrait pas avoir, avant la rupture du contrat, porté à la connaissance de la salariée les éléments prouvant que son affectation se faisait dans le cadre d’un contrat de sous-traitance et non d’une mise à disposition entraînant une modification de son contrat de travail.
En conséquence, le conseil prononce la requalification de la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et accorde à la salariée requérante diverses indemnités.
III – Présomption de démission d’un salarié protégé : la saisine préalable de l’inspection du travail est obligatoire pour la cour d’appel de Paris !
Aux termes de l’article L. 2411-1 du Code du travail, plusieurs salariés bénéficient d’un statut protecteur en matière de licenciement. Parmi ces salariés, on retrouve notamment les délégués syndicaux, les membres élus au comité social et économique (CSE), les représentants syndicaux au CSE, ainsi que d’autres salariés investis de mandats représentatifs.
En pratique, ce statut protecteur impose à l’employeur d’obtenir au préalable une autorisation de l’inspection du travail avant de licencier un salarié protégé. Cette protection contre le licenciement s’applique également aux salariés protégés sous contrat à durée déterminée (C. trav., art. L. 2412-1) ou contrat de mission (C. trav., art. L. 2413-1).
Par un arrêt en date du 12 juillet 2007, la Cour de cassation a étendu cette protection à tous les cas de cessation du contrat de travail d’un salarié protégé à l’initiative de l’employeur9, notamment en cas de rupture de période d’essai10, ou de mise à la retraite11.
En application des articles L. 1237-15 et L. 1237-19-2 du Code du travail, la rupture conventionnelle, qu’elle soit individuelle ou collective, est aussi soumise à l’autorisation administrative lorsqu’elle concerne un salarié protégé.
Selon une jurisprudence constante, la démission d’un salarié protégé n’est pas soumise à l’autorisation préalable de l’inspection du travail dès lors que tout salarié reste libre de quitter son travail, sous réserve que cette démission soit librement consentie et résulte d’une volonté claire et non équivoque12.
Toutefois, le nouveau dispositif de la présomption de démission ne prévoit aucune disposition spécifique pour les salariés protégés. En l’absence de précisions légales, il appartenait nécessairement au juge d’apporter des clarifications sur les conditions de mise en œuvre de la procédure de présomption de démission à l’égard des salariés protégés.
C’est dans ce contexte que, par un arrêt du 6 mars 2025, la cour d’appel de Paris13 apporte les premières précisions et impose notamment la saisine préalable de l’inspection du travail avant l’envoi d’un courrier au salarié protégé lui notifiant qu’il est présumé démissionnaire en raison de son abandon de poste injustifié.
Dans cette affaire, un salarié, exerçant la fonction de conseiller du salarié, bénéficiait d’un statut protecteur en matière de licenciement.
Quelques semaines après le rejet par l’inspection du travail d’une première demande d’autorisation de licenciement pour insuffisance professionnelle, l’employeur engage à nouveau une procédure disciplinaire à l’encontre de ce salarié et lui notifie sa mise à pied conservatoire. Une nouvelle demande d’autorisation de licenciement est déposée par l’employeur, mais celle-ci est également refusée. La mise à pied est donc annulée.
Toutefois, le salarié ne réintègre pas l’entreprise malgré l’envoi de deux courriers de mise en demeure par l’employeur. En réponse au second courrier de mise en demeure, le salarié répond « être en attente d’une date de réintégration pour être autorisé à reprendre le travail ».
L’employeur décide finalement d’engager la procédure de présomption de démission.
Le 3 août 2023, le salarié est mis en demeure de justifier son absence ou de reprendre le travail, sauf à ce qu’il soit considéré comme démissionnaire dans un délai de 15 jours calendaires suivant la date de première présentation du courrier.
Dans un courrier de réponse du 16 août 2023, le salarié indique qu’il ne souhaite pas démissionner.
Cependant, le 30 août 2023, l’employeur lui notifie qu’il est réputé démissionnaire depuis le 21 août, date d’expiration du délai de 15 jours octroyé au salarié pour justifier son absence ou reprendre son poste. La rupture du contrat de travail est fixée au 21 septembre 2023 après expiration du préavis.
Pour obtenir sa réintégration dans l’entreprise, le salarié protégé décide de saisir le conseil de prud’hommes de Meaux, qui fait droit à sa demande dans une ordonnance de référé, par laquelle le conseil prononce la nullité de la rupture du contrat de travail et ordonne la réintégration du salarié.
En conséquence, l’employeur interjette appel contre cette ordonnance de référé. Devant la cour d’appel de Paris, il soutient notamment que la mise en œuvre de la présomption de démission est ici régulière dès lors que la mise à pied conservatoire a été privée d’effet par la décision de rejet de l’inspection du travail et que le salarié était donc tenu de reprendre le travail, sous peine d’être présumé démissionnaire en application de l’article L. 1237-1-1 du Code du travail.
Pour renverser la présomption de démission, le salarié invoque divers motifs qu’il estime légitime, tels qu’une retenue sur salarié injustifiée, un rappel de salaire tardif ou encore l’attente d’une date de réintégration.
Cependant, les juges du fond écartent une partie de ces motifs car jugés non légitimes et d’autres car ne figurant pas dans le courrier de réponse du 16 août et énoncés postérieurement au 30 août, date de la notification de la présomption de démission.
En dépit du rejet des motifs invoqués par le salarié, la cour d’appel de Paris ne va pas pour autant donner raison à l’employeur. En effet, les juges du fond reprochent à ce dernier de ne pas avoir sollicité l’autorisation de l’inspection du travail avant la notification de la présomption de démission au salarié intéressé.
Pour arriver à cette conclusion, la cour d’appel relève d’abord que le texte de loi portant sur la présomption de démission ne prévoit aucune disposition spécifique applicable aux salariés protégés. En l’absence de précision légale, les juges du fond s’interrogent donc sur la pertinence de l’application du statut protecteur dans l’hypothèse de la rupture du contrat de travail par démission présumée d’un salarié protégé.
S’appuyant sur la jurisprudence ancienne (citée précédemment), la cour d’appel rappelle qu’en cas de rupture unilatérale du contrat de travail à l’initiative du salarié, le statut protecteur ne s’applique pas dès lors que la rupture résulte de la seule volonté du salarié et ne fait pas intervenir l’employeur14.
Mais les juges du fond précisent ensuite que la présomption légale de démission implique une intervention de l’employeur dans la rupture du contrat de travail, ce qui rend obligatoire la saisine de l’inspection du travail avant la notification de la présomption de démission au salarié.
Au surplus, la cour d’appel souligne que le salarié présumé démissionnaire doit « avoir abandonné volontairement son poste », ce qui semble difficilement imputable au salarié intéressé dont l’abandon de poste trouve sa source dans une mise à pied conservatoire, et qui a indiqué clairement ne pas vouloir démissionner dans son courrier de réponse du 16 août 2023.
La cour d’appel relève enfin que la formulation utilisée par l’employeur dans le courrier de mise en demeure ne correspond pas aux mentions réglementaires imposant de mettre en demeure le salarié « de justifier son absence et de reprendre son poste » et non pas « de justifier son absence ou de reprendre son poste ». Cette précision des juges du fond souligne l’importance pour l’employeur de veiller scrupuleusement au respect du formalisme réglementaire applicable à la présomption de démission et de s’assurer du caractère volontaire de l’abandon de poste du salarié.
À la lumière de ces éléments, la cour d’appel de Paris prononce la nullité de la rupture du contrat de travail du salarié intéressé intervenue en violation de son statut protecteur et ordonne sa réintégration dans l’entreprise.
Conclusion. Ces premières décisions rendues par les juges du fond en matière de présomption de démission offrent un premier retour d’expérience particulièrement éclairant sur la mise en œuvre concrète du dispositif en entreprise et sur sa réception par les juridictions compétentes.
D’abord, sur le plan procédural, il est à relever que le délai d’un mois prévu par les textes entre la saisine du bureau de jugement et le prononcé de la décision est rarement respecté, comme en témoignent ces premiers contentieux devant la juridiction prud’homale. Par exemple, dans l’affaire portée devant le conseil de prud’hommes de Lyon le 21 février 2025, un délai de plus de 14 mois s’est écoulé entre la saisine de la juridiction et le jugement.
Ensuite, sur le fond, ces décisions de justice apportent des précisions essentielles tant pour les salariés que les employeurs.
Ces décisions soulignent en effet l’importance pour les salariés d’adopter une attitude proactive, en justifiant rapidement et clairement leur absence dans le délai fixé par l’employeur, sans attendre que l’employeur mette en œuvre la procédure de présomption de démission ou qu’un litige émerge.
Enfin, du côté des employeurs, une vigilance renforcée s’impose. Il est essentiel de respecter scrupuleusement le formalisme réglementaire prévu et de s’assurer du caractère volontaire de l’abandon de poste. À défaut, la rupture du contrat de travail pourra être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les conséquences indemnitaires associées.
Notes de bas de pages
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1.
Cons. const., DC, 15 déc. 2022, n° 2022-844.
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2.
CE, 18 déc. 2024, n° 473640.
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3.
Cass. soc., 30 avr. 2002, n° 00-42.952, D.
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4.
Cass. soc., 23 janv. 2008, n° 06-41.671, D.
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5.
CA Paris, 6-2, 6 mars 2025, n° 24/02319.
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6.
Cons. prud’h. Paris, 25 avr. 2024, n° F23/06412.
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7.
Cons. prud’h. Lys-lez-Lannoy, 18 déc. 2024, n° F24/00042.
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8.
Cons. prud’h. Lyon, 21 févr. 2025, n° F23/02471.
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9.
Cass. soc., 12 juill. 2006, n° 04-48.351, B.
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10.
Cass. soc., 26 oct. 2005, n° 03-44.751, B.
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11.
Cass. soc., 5 mars 1996, n° 92-42.490, B.
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12.
Cass. soc., 12 juill. 2010, n° 09-41.490, D.
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13.
CA Paris, 6-2, 6 mars 2025, n° 24/02319.
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14.
Cass. soc., 12 juill. 2010, n° 09-41.490, D.
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15.
CE, 18 déc. 2024, n° 473640, cons. 4.
Référence : AJU017j8
