Révolutionner la gestion des seniors en entreprise : nécessité d’un changement d’approche ?

Publié le 24/06/2024
Révolutionner la gestion des seniors en entreprise : nécessité d'un changement d'approche ?
Tinashe N/peopleimages.com/AdobeStock

L’allongement de la vie professionnelle est une des conséquences de la réforme des retraites. Pour autant, peu de solutions efficaces ont jusqu’à présent été trouvées pour accompagner le maintien en activité des salariés âgés. La question des seniors au travail est encore trop souvent abordée uniquement sous l’angle de la gestion de la toute fin de carrière (préparation du départ à la retraite, temps partiel).

Selon la dernière étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, 56,9 % des personnes de 55 à 64 ans sont en emploi, contre 82,50 % des 25 à 49 ans. S’il s’agit du plus haut niveau d’emploi des seniors en France depuis 1975, ce taux reste encore inférieur à la moyenne européenne de 62,4 %.

Le recul de l’âge de départ à la retraite : une mesure insuffisante

Alors que la population ne cesse de vieillir, les pouvoirs publics cherchent régulièrement des solutions pour maintenir les seniors dans leur emploi. En dehors de l’allongement de l’âge de la retraite, les aides et mesures spécifiques liées à l’emploi des seniors se sont multipliées ces dernières années. Toutefois, outre que l’on constate des modifications récurrentes de ces dispositifs incitatifs, les rendant peu lisibles pour les employeurs et les salariés eux-mêmes, leur efficacité semble limitée et finalement peu utilisées.

Sont plus couramment mis en œuvre les dispositifs visant au contraire à permettre une sortie anticipée des seniors, comme la retraite progressive ou la pratique consistant à négocier un départ avant l’âge de liquidation de la pension de retraite, le salarié comptant dans ce cas sur l’assurance chômage et des durées spécifiques plus longues pour les seniors, permettant une sorte de passerelle entre la fin de l’emploi et le début de la retraite.

La France compte donc principalement sur la hausse de l’âge de départ à la retraite pour encourager l’emploi des seniors. Et en effet, selon les économistes, cela fonctionne puisque, dans l’Union européenne, la plupart des pays atteignant un taux d’emploi des seniors de 70 % ont relevé l’âge du départ à la retraite après 64 ans.

Une mesure qui ne semble toutefois pas suffisante en France puisque le passage en 2010 de l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans n’aurait permis de résoudre l’employabilité que de la moitié des personnes concernées.

Les autres dispositifs mis en place au profit des seniors en France

En dernier lieu, les mesures pour tenter de favoriser l’emploi des seniors se limitent aux trois principaux dispositifs suivants : d’une part, une aide de l’État pour l’embauche d’un senior de plus de 45 ans en contrat de professionnalisation qui se limite à une exonération de charge et une aide plafonnée à 2 000 euros. D’autre part, le « CDD senior », qui permet de conclure un contrat à durée déterminée (CDD) avec un salarié âgé de plus de 57 ans et au chômage depuis plus de 3 mois et pour lequel l’employeur n’est pas contraint de respecter les motifs légaux de recours au CDD. Enfin, le « CDI Inclusion » permet à des seniors âgés de plus de 57 ans et rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, d’être embauchés en CDI par des structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) qui pourront disposer d’aides financières publiques.

Mais si l’on veut remettre les seniors au cœur de la vie des entreprises et favoriser leur employabilité, il faut aller plus loin.

Les mesures mises en œuvre chez nos voisins européens

En Europe, les mesures pour améliorer l’emploi des seniors sont variées.

Certains pays ont décidé de mettre en place des politiques restrictives, par exemple en restreignant ou en supprimant la possibilité de prendre une préretraite, ou encore en modifiant le calcul des droits à retraite (en prenant en compte l’ensemble des salaires de la carrière par exemple et non uniquement les meilleures années).

D’autres ont plutôt misé sur des politiques dites incitatives dont pourrait s’inspirer la France. Ainsi, en Italie, jusqu’en 2008 avait été mise en place une exonération de cotisation pour les salariés ayant droit à une pension complète mais restant en emploi. En Suède, les employeurs embauchant des chômeurs seniors de longue durée peuvent bénéficier de subventions couvrant jusqu’à 75 % du salaire.

De façon générale, en Europe, beaucoup de pays dont la France ont mis en œuvre des politiques de communication visant à promouvoir l’emploi des seniors, avec par exemple des codes de bonnes pratiques et des actions anti-discrimination.

L’emploi des seniors en France, un problème culturel ?

Alors pourquoi la France a-t-elle autant de mal à préserver l’employabilité de ses seniors ? Peut-être une question de culture ?

En effet, tant d’un point de vue du salaire que des compétences, les employeurs français semblent enclins à privilégier des profils plus juniors non seulement à l’embauche, mais également dans le cadre de la gestion des carrières.

Après 50 ans, il est de plus en plus compliqué pour un chômeur d’espérer retrouver un emploi et les employeurs français utilisent très souvent l’opportunité de négocier avec les seniors une sortie anticipée.

Ainsi, les seniors ne semblent pas vus comme un atout pour l’entreprise. Surtout, les diplômes d’un niveau toujours plus élevé, obtenus par les nouvelles générations, semblent beaucoup plus valorisés qu’une expérience de longue date d’un senior dans une entreprise.

La nécessité de replacer les seniors au cœur de l’entreprise pour compenser les effets du vieillissement de la population

Si l’on souhaite que les salariés travaillent de plus en plus longtemps pour continuer à cotiser et faire face à un nombre de retraités grandissant, le recul de l’âge de la retraite ne peut suffire.

Il faudrait donc réussir à valoriser et mettre à profit l’expérience de nos aînés en entreprise. Cela pourrait passer par les associer davantage dans les actions de formation et d’accompagnement des plus jeunes (mentorat, management, etc.). Cela pourrait également se traduire par une valorisation plus importante de l’expérience en entreprise et sa transmission, plutôt qu’une mise en avant des diplômes pour accéder à un poste dans l’entreprise.

Une meilleure inclusion des seniors dans l’entreprise suppose également certainement une prise en compte plus adaptée des problématiques liées à leur âge ou leurs éventuelles difficultés de santé, avec une adaptation plus systématique des postes de travail, une plus grande flexibilité des horaires ou une plus grande pratique du télétravail.

Les seniors doivent également pouvoir être accompagnés de façon plus accrue en termes de formation et de carrière, soit pour pouvoir acquérir les nouvelles compétences nécessaires dans le cadre de l’évolution de leur emploi, soit pour envisager une reconversion professionnelle. Il faudrait donc que leur soit ménagé un accès facilité et privilégié à la formation continue.

Des mesures plus incitatives pour les employeurs pourraient également montrer leur efficacité. On pense notamment à des exonérations de charges en lien avec l’emploi des seniors. Certains préconisent la mise en place d’un contrat senior permettant à l’employeur d’y mettre fin dès que le salarié a acquis une retraite à taux plein, ce qui permettrait de rassurer l’employeur sur une date de fin du contrat.

La mise en place d’une vraie politique de l’emploi des seniors, qui pourrait s’inspirer de celles mises en œuvre ces dernières années sur la question de l’égalité hommes/femmes, avec une obligation de négocier dans les entreprises et de publier un indice, semble nécessaire.

En dernier lieu, Bruno Le Maire a visé à plusieurs reprises le chômage des seniors en estimant qu’il convenait de supprimer les avantages dont bénéficient les demandeurs d’emploi seniors (une durée d’indemnisation de 27 mois contre 18 mois pour les autres) et a émis le souhait de proposer un contrat à temps partiel dédié aux seniors de plus de 55 ans qui leur permettrait de travailler à 80 % tout en étant payés 90 % et en cotisant pleinement pour leur retraite. Toutefois aucune information sur le financement d’une telle mesure n’a été évoquée et, si Bruno Le Maire a pointé du doigt l’exclusion des seniors du marché du travail, on ne voit pas en quoi une telle mesure inciterait les employeurs à les embaucher.

Lors de la dernière réforme des retraites, la loi prévoyait la mise en place d’un index senior et d’une obligation de négociation, mais l’article concernant l’index senior a été censuré par le Conseil constitutionnel tout comme le CDI senior, ces mesures ne devant pas faire partie d’une loi sur le financement. À ce jour, aucune nouvelle d’une mise en œuvre de ces mesures.

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