Tribunal de Meaux : faut-il payer le temps de pause des auxiliaires de vie ?
La 3e chambre correctionnelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) a longuement étudié le dossier de Françoise*, gérante d’une société d’aide à domicile poursuivie par l’inspection du travail. Il lui était reproché de ne pas payer les temps de pause de ses salariés. Son avocate a démontré l’ambiguïté des textes juridico-administratifs et obtenu une relaxe.
Ce mardi 22 novembre, journée de mobilisation des magistrats et greffiers contre « une justice au rabais », les effectifs du tribunal de Meaux n’ont pas le loisir de manifester. Tout juste se rassemblent-ils quelques minutes pour rappeler que « la situation continue de se dégrader » en dépit d’une augmentation de budget. Très vite, ils se quittent : « Le justiciable ne doit pas subir le renvoi des affaires », glisse un membre du parquet.
Françoise*attend d’être jugée depuis janvier 2020. Son avocate, Me Alison Dahan, est arrivée de Lyon où elle pilote le pôle social du cabinet Dicéa. Titulaire d’un doctorat de droit privé, elle a consacré sa thèse aux services à la personne. Une matière complexe, régie par des conventions collectives et une jurisprudence différemment interprétée. Il lui revient de persuader les juges que ses clientes, Françoise et son entreprise, ne se sont pas livrées à du travail dissimulé au détriment de certains des 17 employés.
Temps de pause inférieur à 15 minutes : « un travail effectif »
Nommée vice-présidente du tribunal de Meaux en septembre après avoir exercé au parquet de Versailles (Yvelines), Isabelle Florentin-Dombre fait un rapide résumé des charges : entre le 20 février 2018 et le 7 janvier 2020, la gérante n’a pas rémunéré les temps de pause d’auxiliaires de vie sociale (AVS, à ne pas confondre avec les intervenants en milieu scolaire), soit ces moments plus ou moins longs entre les visites domiciliaires. Cinq d’entre eux ont saisi l’inspection du travail qui a effectué un contrôle, puis dressé un procès-verbal en 2018, transmis au procureur de Meaux. Se dresse un écueil : la quarantenaire à la barre, elle-même AVS, a pris ses fonctions en 2019 et ne peut être tenue responsable de faits commis l’année précédente. Le tribunal en prend acte.
L’inspectrice du travail, dépêchée à Meaux par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail, de l’emploi (ancienne DIRECCTE devenue DREETS le 1er avril 2021), expose ses griefs. La convention collective des sociétés de services à la personne signée le 20 septembre 2012 « est très précise : le temps durant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur, et doit se conformer à ses directives sans être libre de vaquer à ses occupations personnelles, relève du travail effectif si la pause est d’une durée inférieure à 15 minutes – hors trajet séparant les lieux d’intervention ».
« Mme C. a travaillé 18 heures par jour pour un Smic »
La convention stipule aussi qu’un jour de travail comporte « au maximum quatre interruptions » et que, si la durée des trois premières est supérieure à 15 minutes, une indemnisation forfaitaire est versée pour la quatrième, d’un montant ne pouvant être inférieur à 10 % du taux horaire. Il est enfin précisé que « l’amplitude quotidienne de travail est d’au plus 12 heures ». Or, soutient l’agent verbalisateur, « Mme C. a travaillé 18 heures par jour pour un Smic ». Elle ne cite que cet exemple.
Afin d’étayer plus avant le délit, à ses yeux constitué, la fonctionnaire cite un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 2 septembre 2014. Cette jurisprudence indique que « doit être analysé comme temps de travail effectif » le trajet d’un salarié d’entreprise d’aide à la personne « pour se rendre du domicile d’un client à celui de l’autre » (1).
« Je n’ai jamais voulu tricher, objecte l’élégante mère de famille sans casier judiciaire. J’ai respecté ce que m’ont conseillé mon avocate et le syndicat (la Fedesap, Fédération des services à la personne et de proximité NDLR). J’applique la convention collective. » La présidente : « Selon votre prisme. C’est votre interprétation. » Le procureur Pierre-Yves Biet : « Donc, le PV de la DIRECCTE, vous le jetez à la poubelle ? » Françoise rougit, peine à contenir ses larmes : « Non, je suis ici pour obtenir une réponse… »
La Direction générale du travail dit le contraire de son inspectrice
Tout en retenue, Me Alison Dahan a laissé dire. Et la voici qui lit un extrait du courrier rédigé par la Direction générale du travail (DGT). « Elle confirme que le temps de pause supérieur à 15 minutes, hors trajet, n’a pas à être payé. Ma cliente applique un barème plus favorable, de 20 minutes. Et jamais elle n’a fait travailler ses employés 18 heures par jour ! Dans ce secteur, le rythme de vie des gens dont on a la charge impose les horaires : on lève, on lave, on nourrit, on couche. J’ai tous les plannings sous les yeux : Mme S. arrête à 12 heures, reprend à 15 heures ; Mme C. est au domicile X à 13 h 45, chez Y à 18 h 35 », etc. Démonstration efficace. On pressent que l’avocate a d’autres arguments tant elle paraît sûre d’elle.
Le procureur Biet campe sur ses positions, « la culpabilité est établie par le PV, le contradictoire a été respecté, la DIRECCTE a fait preuve de pédagogie. La Cour de cassation dit le droit, et non des fédérations professionnelles. » Il requiert à l’encontre des prévenues (Françoise et l’entreprise) 7 000 euros d’amende dont 6 000 avec sursis.
D’un ton ferme, poli, Me Dahan évoque sa thèse de doctorat : « Je ne fais que cela et n’en démords pas, ma cliente applique la convention collective, la jurisprudence, la position de la DGT que vous trouverez dans la pièce n° 18 soumise à votre tribunal ». L’arrêt du 2 septembre 2014 rendu par la juridiction suprême ? « Il dit le droit, oui, mais à propos de faits différents, antérieurs à la convention collective de 2012. Il ne peut être lu à l’aune des délits reprochés de 2018 à 2020. Les textes ne sont pas aussi clairs que vous l’affirme l’inspectrice du travail. »
À l’issue d’un long délibéré, Isabelle Florentin-Dombre et ses assesseures conviennent que la défense a raison sur ce dernier point. D’où le prononcé d’une relaxe générale. Françoise, qui a tant pleuré en salle des pas perdus, part soulagée d’avoir obtenu la réponse attendue depuis deux ans.
* Prénom modifié
(1) Voir les articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du Code du travail
Référence : AJU333089