Un observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social dans les Yvelines
Développer la formalisation des échanges entre un chef d’entreprise et ses salariés, c’est la mission des observatoires d’analyse et d’appui au dialogue social institués par l’article 9 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective et par un décret n° 2017-1612 du 28 novembre 2017 relatif à la mise en place des observatoires d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation. Dans les Yvelines, cette institution a été créée le 13 juillet 2018. Les organisations professionnelles et syndicales proposent leurs membres avec une représentation paritaire, renouvelable tous les quatre ans. Dans les Yvelines, ils sont 12 membres avec six représentants des employeurs et six pour les salariés. Avocate spécialisée en droit du travail au barreau de Versailles et vice-présidente de l’Observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social des Yvelines comme représentante du Medef des Yvelines, Florence Mercade-Choquet décrypte les spécificités de cette structure et fait un état des lieux du dialogue social dans le département. Entretien.
Actu-Juridique : Quels sont les objectifs de l’observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social des Yvelines ?
Florence Mercade-Choquet : Le premier objectif de l’observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social des Yvelines est d’établir un bilan annuel du dialogue social dans le département. Une mission rendue possible par la Direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d’Île-de-France qui recueille tous les accords déposés par les entreprises. Les accords portent majoritairement sur l’intéressement, la participation. Pour les entreprises de plus de 50 salariés, les accords portent sur la pénibilité ou encore l’égalité homme-femme. Nous pouvons tirer des conclusions à partir du nombre d’accords signés, des sujets abordés ce qui nous donne le niveau de maturité du dialogue social dans les Yvelines. Nous pouvons aussi identifier les types d’entreprises qui ont signé ces accords. Ensuite, l’observatoire peut être saisi par des organisations syndicales ou par des employeurs pour des besoins de compréhension du dialogue social. Cette organisation n’intervient pas sur le fond de la négociation. Elle présente les outils et les techniques juridiques pour faciliter la mise en place d’un dialogue dans une entreprise.
AJ : Quelles sont vos priorités actuellement au sein de cet observatoire ?
Florence Mercade-Choquet : Le gouvernement a demandé aux observatoires de chaque département de s’attacher particulièrement aux entreprises de moins de 50 salariés. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou les grands groupes détiennent le savoir-faire dans le cadre des négociations collectives. En effet, des organisations syndicales et des CSE sont présents et sont les partenaires sociaux. En revanche, les petites et moyennes entreprises (PME) ou les très petites entreprises (TPE) n’ont pas forcément de partenaires sociaux en interne et ne savent pas forcément en quoi consiste le dialogue social. Ainsi par méconnaissance, ils n’y trouvent pas forcément d’intérêt. Notre travail au sein de l’observatoire est de faire de la pédagogie et de la sensibilisation à destination des PME et des TPE. Les employeurs ne savent pas que, même s’il n’y a pas de représentants du personnel, ils peuvent négocier directement avec les salariés.
AJ : Comment agissez-vous concrètement dans le département ?
Florence Mercade-Choquet : Nous organisons des sessions de sensibilisation et de pédagogie auprès des entreprises. Pour prendre mon exemple, je me suis rapproché du SQY Cub, l’incubateur de Saint-Quentin-en-Yvelines et de la Chambre de commerce et d’industrie des Yvelines à Versailles. Ces institutions sont en contact avec de nombreuses entreprises et peuvent faire le lien. J’ai déjà organisé en distanciel et en présentiel des conférences. Dans un premier temps, je présente l’observatoire et sa finalité. Ensuite, j’explique la raison d’être du dialogue social et son intérêt pour l’employeur et les salariés.
AJ : Quel est l’intérêt du dialogue social dans une entreprise ?
Florence Mercade-Choquet : Le dialogue social permet de fluidifier les relations dans une entreprise. Il permet de mettre un certain nombre de sujets sur la table, d’avancer et de faire en sorte qu’un dialogue s’établisse. Plusieurs problématiques peuvent être abordées comme le temps de travail, le télétravail, la souffrance au travail ou encore l’égalité homme-femme. L’employeur et les salariés peuvent se parler et échanger sur de nombreuses thématiques qui posent des problèmes et tenter d’apporter des solutions.
AJ : Quelle est la situation du dialogue social dans les Yvelines ?
Florence Mercade-Choquet : Dans le département des Yvelines, 1 809 accords d’entreprise ont été déposés en 2022 dont 623 par les entreprises de moins de 50 salariés. Selon la DRIEETS d’Île-de-France. 75 % des accords qui sont déposés par ces dernières concernent l’intéressement et la participation. C’est le sujet qui revient très majoritairement pour les entreprises de moins de 50 salariés. Les TPE et PME ne font que très peu d’accords sur les autres sujets. Auparavant, les accords étaient principalement signés dans les grandes entreprises et l’on observe que le dialogue social se développe dans les PME. Progressivement, la pratique se diffuse dans les sociétés de taille inférieure. Mais il y a encore beaucoup de pédagogie et d’information à apporter aux TPE et PME.
AJ : Comment expliquez-vous ce phénomène par rapport aux TPE et aux PME ?
Florence Mercade-Choquet : Les entreprises de moins de 50 salariés se disent qu’il y a du dialogue social tous les jours car les employeurs parlent à leurs collaborateurs tous les jours. C’est en fait du dialogue social informel. Passer par une formalisation à travers un accord d’entreprise est vécu comme une charge administrative par les sociétés. Ce n’est pas simple de formaliser un accord. Mais ces accords informels ne protègent ni l’employeur ni ses employés. S’il n’y a pas d’accord formel ou si un accord d’entreprise est mal rédigé, cela peut générer des problèmes probatoires et d’interprétation. Dans l’esprit d’un chef d’entreprise, faire un accord est une source de complexité qui le pousse à croire qu’il n’y a aucun intérêt.
AJ : Malgré cette situation, quels sont les tendances et les nouveaux sujets abordés aujourd’hui dans les négociations entre employeurs et salariés ?
Florence Mercade-Choquet : La souffrance au travail, le burn-out ou encore le harcèlement moral sont vraiment des sujets très récurrents dans l’évolution du dialogue social. Depuis la crise sanitaire et le confinement, ces phénomènes sont devenus très sensibles. Il y a eu des difficultés importantes de retour au travail et d’acceptation du télétravail par certains managers qui ont provoqué quelques tensions. Ensuite, les problématiques de l’inflation et les questions salariales sont les sujets importants du moment. Les négociations salariales sont tendues, d’une part parce que les entreprises ont des surcoûts très importants de charges et d’autre part, les salariés souhaitent voir leur salaire revalorisé du fait de l’inflation. Les grands groupes qui n’ont pas de difficultés de trésorerie peuvent proposer des augmentations de salaire. En revanche, les petites entreprises qui sont prises à la gorge par la hausse des coûts sont en difficulté pour accorder des hausses salariales.
AJ : Si on prend le sujet du bien-être au travail, comment le dialogue social peut-il permettre de résoudre ces difficultés sur cette thématique spécifique à l’individu ?
Florence Mercade-Choquet : Le fait de mettre sur la table les problèmes autour du bien-être au travail permet d’avancer. À propos du harcèlement moral, c’est plus compliqué car ce sont des problèmes d’individus. Le dialogue social par définition est d’ordre collectif. Mais, dans ces situations, on peut mettre en place des commissions ou des lieux de médiation. Ces outils permettent aux personnes de se parler. J’ai utilisé cette méthode dans une entreprise où il y avait un gros problème de harcèlement moral de la part de deux managers sur quatre salariés. En arrivant à discuter individuellement et ensuite en faisant des rencontres collectives avec les protagonistes, on a réussi à trouver un accord sur une fin de conflit où chacun a retrouvé sa place et a réussi à travailler ensemble.
Référence : AJU011x0