Seine-Saint-Denis (93)

Une association d’aide aux mères précaires menacée d’expulsion par Plaine Commune Développement

Publié le 02/02/2023

L’association MaMaMa qui distribue des colis alimentaires et de produits d’hygiène de première nécessité pour les enfants et leur mère, située à Saint-Denis (93), était assignée en expulsion par Plaine Commune Développement, le vendredi 13 janvier 2023 au tribunal de Bobigny. Me Violaine De Filippis-Abate, l’avocate de cette association, nous expose en ses termes le litige.

Actu-Juridique : Comment êtes-vous devenue l’avocate de l’association MaMaMa ?

Violaine De Filippis-Abate : Je connaissais l’association par sa présidente, Magali Bragard, femme également très investie pour les droits des femmes. Les membres de l’association m’ont ainsi contactée parce qu’elles rencontraient des problèmes avec des hommes, membres d’autres associations, qui s’étaient récemment installés dans le local qu’elles occupaient seules jusque-là, et dont elles me rapportaient des faits de harcèlement, des menaces, des intimidations, et la dégradation de biens destinés à leur association. Elles m’ont indiqué que plusieurs responsables associatifs avaient menacé des bénévoles et des salariées ou services civiques de MaMaMa : « J’ai envie de t’étrangler », « Tu ne fais que surfer sur des histoires de bonnes femmes », « La prochaine fois, je n’irais pas voir ta boss, je taperais sur la première que je croise », « Je sais très bien comment les femmes comme toi obtiennent un local » ! Nous avons immédiatement commencé à travailler sur des plaintes, mais elles n’ont pas été déposées tout de suite, les membres de MaMaMa craignant ces hommes et également que cela n’aggrave la situation. Il est courant, dans ce genre de configuration, que les femmes aient l’impression de faire face à un système judiciaire qui prend mal en charge les victimes, et craignent d’être prises pour des menteuses.

Actu-Juridique : Pourquoi la Plaine Commune Développement assigne-t-elle MaMaMa en expulsion ?

Violaine De Filippis-Abate : L’association a été immatriculée le 6 mai 2020, dans la foulée du confinement. Avant cette immatriculation légale, un groupe de femmes s’était alors spontanément constitué pour distribuer des colis alimentaires et des produits d’hygiène de première nécessité pour des bébés de 0 à 3 ans ainsi que pour leur mère en situation de précarité. Le succès de ce service révèle alors une grande utilité sociale, et la Plaine Commune Développement, à travers la mairie de Saint-Denis alors dirigée par le Parti Communiste, les pousse à se constituer en association pour pouvoir leur prêter un local.

Le 28 juin 2020, la majorité change, et les membres de MaMaMa voient arriver dans le local qu’elles occupent d’autres associations : Dessine-moi Pleyel, Génération Action Solidaire, et La petite Liberté. Leurs membres avancent qu’ils doivent bénéficier du local du fait de leur soutien à Mathieu Hanotin (PS), qui a remporté les élections municipales. Les membres de MaMaMa affirment avoir été victimes de menaces et d’intimidation à l’occasion de conflits autour de l’usage du local, et l’avoir signalé aux élus de la mairie de Saint-Denis, mais aussi de la société d’économie mixe (SEM) Plaine Commune Développement, sans que ceux-ci ne réagissent.

En parallèle, la SEM Plaine Commune Développement décide de modifier les modalités d’occupation de MaMaMa, estimant finalement qu’un loyer doit être réglé. La SEM Plaine Commune Développement demande ainsi à MaMaMa de s’acquitter d’un loyer d’environ 200 000 euros annuels, proposition refusée par l’association. En parallèle, Mathieu Hanotin – l’un des administrateurs de la SEM – déclare face caméra à MaMaMa ne pas solliciter de loyer, notamment en ces termes : « Même si à la fin vous trouviez 200 000 euros de mécènes, je ne veux pas que cet argent serve à ça ! ». Malgré tout, la SEM assigne MaMaMa en expulsion.

Actu-Juridique : Il n’y avait pas d’accord entre la SEM et MaMaMa ?

Violaine De Filippis-Abate : C’est tout l’objet du débat juridique qui a eu lieu le vendredi 13 janvier. Nous affirmons qu’il existe depuis le début un accord oral sur la jouissance du local entre MaMaMa et la SEM Plaine Commune Développement. Cette dernière a proposé un local gratuit, en échange de l’immatriculation de l’association. Trois conventions, sur des périodes discontinues, en attestent. Les parties n’ont donc pas toujours formalisé de manière écrite leur accord.

La SEM affirme de son côté que cet accord oral n’a jamais existé, et que MaMaMa occupe le local sans droit ni titre. Si Madame la juge retient l’argumentaire de MaMaMa, alors elle renverra l’affaire au fond, en se déclarant incompétente pour se prononcer sur les modalités de l’accord qui lie les parties. À l’inverse, si la juge retient la version de la mairie, alors la décision d’expulsion sera incontournable et nous devrons faire appel. L’appel n’étant pas suspensif de l’exécution de la première décision, nous devrons également saisir le premier président de la cour d’appel afin qu’il suspende l’expulsion pendant le temps de la procédure. Mais cette suspension n’est pas automatique. Par ailleurs, dans l’hypothèse où nous perdrions en appel, la SEM ira-t-elle jusqu’à envoyer les forces de police pour déloger une association humanitaire ? Plusieurs organisations, comme le Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile ont envoyé des courriers à Mathieu Hanotin et Stéphane Troussel (Président de la SEM et du conseil départemental de Seine-Saint-Denis), pour indiquer que l’arrêt de l’activité de MaMaMa causerait un grave problème sanitaire.

Actu-Juridique : Vos clientes ont à leur tour porté plainte. Pourquoi ?

Violaine De Filippis-Abate : L’assignation en expulsion a convaincu les bénévoles qui hésitaient jusque-là à déposer plainte contre les violences qui leur avaient été faites. Quatre femmes de MaMaMa ainsi que l’association elle-même ont déposé une première plainte pour menace d’atteinte à la personne sans et avec conditions (d’avoir à quitter le local), menace de violences (allant jusqu’aux menaces de mort), harcèlement moral contre X, contre quatre bénévoles et un adjoint au maire de Saint-Denis, qu’elles accusent soit d’avoir eux-mêmes commis les faits, soit d’en avoir été les complices. La seconde plainte est déposée contre X, contre Mathieu Hanotin en tant qu’administrateur de la SEM et maire de Saint Denis, et contre son deuxième adjoint, pour corruption passive et trafic d’influence, complicité et non dénonciation de crimes et délits.

Au lendemain de l’audience, la SEM Plaine Commune Développement a publié un communiqué de presse que nous reproduisons ci-dessous :

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